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la Constitution impose, a droit à tous les avantages qu'elle

assure;

« Révoque tous les ajournements, réserves et exceptions insérés dans les précédents décrets relativement aux individus juifs qui prêteront le serment civique....:

D

CHAPITRE IV.

Analyse de la loi du 12 juillet 1790.

J'ai raconté, en quelque sorte, la naissance de la Constitution civile du clergé, et essayé d'expliquer le phénomène d'une assemblée révolutionnaire et libérale conservant une religion d'État, et n'accordant qu'à grand' peine aux dissidents cette sorte de liberté que comporte un régime de privilége. Je voudrais maintenant, par une analyse plus approfondie de la loi, démontrer qu'elle est oppressive à l'égard des cultes dissidents et du culte catholique lui-même; qu'elle opprime les cultes dissidents par les priviléges qu'elle assure au clergé catholique, et qu'elle opprime le culte catholique de deux façons, par les droits qu'elle lui ôte, et par les priviléges qu'elle lui accorde.

Il peut paraître étrange d'entendre dire que la Constituante a accordé des priviléges au clergé catholique; en effet, elle lui en a ôté deux : le droit de se gouverner par ses propres lois, la faculté de posséder; mais elle lui a accordé des églises, des presbytères, un budget considérable, la qualité, pour ses ministres, de fonctionnaires publics et d'officiers de l'état civil ; c'est-à-dire, si on compare cette situation à celle des églises réformées, de véritables priviléges.

L'Assemblée n'hésita pas à se donner le droit de s'em

parer des biens du clergé1, de lui interdire l'acquisition de propriétés nouvelles, et de charger l'État lui-même de pourvoir aux frais du culte et à la subsistance des prêtres 2. Ces trois résolutions de la grande assemblée révolutionnaire ont entre elles un lien étroit, sans être absolument dépendantes l'une de l'autre. Elles sont toutes les trois discutables, à des degrés et pour des motifs différents.

Les biens acquis pouvaient être enlevés au clergé, s'ils étaient mal acquis, ou si les conditions de l'acquisition n'étaient pas remplies. Ils pouvaient lui être enlevés moyennant compensation, même s'ils étaient acquis et possédés légitimement, dans le cas où l'existence d'un clergé propriétaire semblerait incompatible avec les intérêts publics. Enfin, après avoir dépouillé le clergé : 1o de ses propriétés; 2o du droit d'acquérir, on devait se demander si le budget des cultes serait l'indemnité de l'expropriation, ou un salaire, et, dans ce second cas, si ce salaire devrait être payé par les fidèles dans chaque paroisse, ou par l'État.

Je dirai sur-le-champ qu'à mes yeux les biens du clergé étaient, pour la plus grande part, mal acquis; que les conditions des fondations n'étaient pas observées, ou ne l'étaient que par exception; qu'un clergé propriétaire dans le sol est un danger pour l'État et pour les familles; que, par conséquent, le budget des cultes n'était pas une indemnité, mais un salaire; et qu'enfin, ce n'est pas à l'État, mais aux fidèles, à salarier les ministres du culte et à pourvoir aux frais des cultes.

Au surplus, de quelque façon que ces trois questions soient résolues, elles sont des questions de police, et non

1. 2 novembre 1789. -9 avril 1790.

2. M. le président Bonjean (Discours prononcé au Sénat le 15 mars 1865) évalue les biens du clergé français avant la Révolution à 119593 596 livres, soit le dixième du revenu total de la France, sans compter cent millions de dimes.

des questions de conscience. C'est la loi civile qui règle la propriété, et non la loi religieuse. L'Assemblée constituante, en prenant des résolutions, même sévères, à cet égard, n'attentait pas à la liberté religieuse. Elle y eût attenté seulement si, par ses prohibitions civiles, elle avait rendu le culte impossible.

Elle n'attentait pas non plus à la liberté religieuse quand elle supprimait provisoirement les vœux monastiques 1, ou quand elle faisait fondre et monnayer les cloches 2; en effet, le son des cloches est un accessoire du culte, il n'en est pas une partie essentielle; la suppression des cloches avait pour but l'augmentation du numéraire, et n'était, ni dans l'esprit du législateur ni dans la réalité, une restriction de la liberté religieuse. La suspension des vœux monastiques était, de la part de l'État qui ne peut rien sur le for intérieur, l'accomplissement d'un devoir; car il devait sa protection aux victimes du fanatisme et de l'avarice: il avait aboli la perpétuité de la puissance paternelle3, il ne pouvait prêter la main pour en perpétuer les effets. La loi qui défend de prononcer des vœux éternels est tyrannique, parce qu'elle supprime la liberté individuelle; la loi qui refuse simplement d'en reconnaître les effets est libérale, parce qu'elle permet à chaque citoyen de ne dépendre que de lui-même. Vous avez promis à Dieu de vivre d'une certaine façon, qui n'offense ni les lois ni les mœurs, de renoncer à vos biens, et aux successions qui pourraient vous échoir? Soit; vous le pouviez, vous êtes libre. Il ne vous plaît pas de tenir aujourd'hui la résolution que vous avez prise hier? Cela dépend de vous seul, et ne regarde pas la loi. Vous réclamez une succession à laquelle vous aviez renoncé? Si vous avez rempli les conditions qui, suivant la loi, rendent votre renonciation définitive, soumettez-vous à la loi et subissez les conséquences de vos actes; si votre promesse faite à

1. 28 octobre 1789. 2. 1er mai 1791.

3. 9 juin 1791.

Dieu n'a aucun caractère légal, pourquoi la loi se chargerait-elle de vous obliger à la tenir 1?

Mais l'Assemblée constituante ne se maintint pas dans son rôle politique; elle blessa la liberté religieuse, quand elle décida que les bulles, rescrits et brefs émanés du Saint-Siége apostolique ne seraient reçus en France qu'après avoir obtenu l'approbation du Corps législatif et la sanction royale 2, et quand, se transformant en concile, elle procéda, sans le concours de l'autorité religieuse, à remanier les circonscriptions diocésaines et curiales, à transformer la hiérarchie ecclésiastique et à changer le mode de nomination des pasteurs.

On n'aperçoit pas d'abord la gravité de la première mesure, parce qu'elle ne nous est pas nouvelle. La nécessité d'une approbation pour tous les actes de la cour de Rome fait partie des libertés de l'Église gallicane 3. L'Église gallicane l'a demandée, l'Église romaine y a consenti. Ce n'en est pas moins une contradiction formelle de tous les principes catholiques, et l'introduction d'un pouvoir purement laïque en matière essentiellement religieuse. En effet, quelle est, dans chaque Église, l'autorité compétente en matière de foi? C'est l'autorité que cette Église elle-même désigne. Dans l'Église catholique, c'est le pape, ou le concile, ce n'est pas un simple fidèle. A plus forte raison, ce n'est pas, ce ne peut pas être un magistrat ou un corps, institué sans aucune intervention de l'Église, et qui peut être composé d'indifférents, d'incrédules, de schismatiques, d'hérétiques. Cela tombe sous le sens. Charger des hommes qui peuvent être des protestants de régler la foi catholique, c'est, autant que les hommes peuvent le faire, supprimer la foi catholique. Les en charger directement, ou les charger seulement d'accepter

1. Ce fut seulement la Convention qui admit les ci-devant religieux au partage des successions. Décret du 28 vendémiaire an 11 (9 oct. 1793). 2. 12 juillet 1790.

3. Libertés de l'Eglise gallicane, par Pasquier, art. 43 et 44

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