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qui en était le chef, la voulait religieuse et laïque. Il fallut des montagnes d'intrigue pour la livrer à M. de Corbières. Enfin, en 1821, M. de Corbières, devenu ministre, fit signer à Louis XVIII une ordonnance qui mettait les colléges sous l'autorité des évêques. « Les bases de l'éducation des colléges, disait l'ordonnance, sont la religion, la monarchie, la légitimité et la Charte.» Encore la charte de 1814 était-elle là comme une grande concession à l'esprit moderne. Il n'était pas fait de réserves pour les protestants et les juifs. L'année suivante, la charge de grand maître fut rétablie et donnée à un des prêtres les plus dévoués aux jésuites, l'abbé Frayssinous, évêque d'Hermopolis. Ainsi tous les enfants furent livrés. Pour les adultes, on avait les missions, tranformées en fètes gigantesques où des milliers d'hommes et de femmes, dirigés par les missionnaires, multipliaient les processions et les neuvaines, plantaient des croix, entendaient des sermons et des homélies, brûlaient les livres des libéraux et des philosophes, faisaient amende honorable pour les crimes et les scandales de la Révolution en s'affiliant solennellement à la Congrégation, c'est-à-dire à l'ordre des jésuites. Il y eut même une association pour la propagation de la foi, qui avait toutes les formes et les caractères d'une société secrète et qui embrassait dans son réseau toute la France. Le jubilé de 1826 donna une nouvelle ardeur à cette propagande où l'on ne distinguait pas entre les intérêts du roi et ceux de la foi. La France était couverte de communautés d'hommes et de femmes Les jésuites, cachés d'abord sous le nom de pères de la foi et de pacanaristes, avaient reparu sous leur propre nom : si qua fata aspera vinces ! Ils triomphaient à Saint-Acheul. Le clergé, ne pouvant rétablir la distinction des ordres dans l'État, avait voulu avoir au moins son banc des évêques. Il siégeait à la Chambre des pairs. Il s'y était distingué dans la loi du sacrilége!

Cette loi, votée en 1825, fut le triomphe même de l'in

tolérance. Elle mettait dans la loi le dogme de la présence réelle1, et punissait, de la peine du parricide la mort, et plus que la mort quiconque avait profané les vases sacrés. L'incrédule, le protestant, le juif était puni d'une peine hors de proportion avec son acte, et cela parce qu'il y avait, dans la pensée du législateur et peut-être dans celle du juge, une opinion qu'il ne partageait pas. N'était-ce pas l'inquisition elle-même, ressuscitée au milieu de notre civilisation moderne? M. de Bonald prononça ces paroles devant la Chambre des pairs : « Le Sauveur a demandé grâce pour ses bourreaux; mais son Père ne l'a pas exaucé. » Et encore : « Que faites-vous par une sentence de mort, sinon d'envoyer le coupable devant son juge naturel 2 ?»

Je croirais manquer à l'impartialité si je ne reconnaissais que, pendant la Restauration, il y eut dans le sein même du parti légitimiste et jusque dans les régions du pouvoir, des esprits plus libéraux qui résistèrent de toutes leurs forces à cet entraînement. Pénétrés de la morale de l'Évangile, au lieu de recourir à l'intolérance eu à la menace, ils voulaient vaincre par la charité, et ramener les temps des saint François de Sales, des saint Vincent de Paul, des Fléchier et des Fénelon. C'était la vérité et la justice; et en même temps c'était la bonne politique. On ne les écouta pas, et ils furent condamnés à la douleur de voir l'accomplissement de leurs prophéties. Non-seulement le voltairianisme reprit faveur sous les derniers temps de la Restauration; mais à l'avénement de la révolution de 1830, le clergé se crut sérieusement en péril. Pendant les années qui suivirent la victoire populaire, un prêtre osait à peine se montrer dans les rues en costume ecclésiastique. La sagesse du pouvoir et le bon esprit des populations empêchèrent les sévices; ce

4 « La religion catholique est la religion de l'État, dit le ministre des cultes; donc l'État professe le dogme de la présence réelle. »

2. Voyez la note de M. de Vaulabelle, 1.1., p. 103 sq.

pendant on put voir, par la dévastation de Saint-Germain l'Auxerrois et le sac de l'Archevêché, que les passions hostiles étaient comprimées sans être vaincues. C'est malheureusement une règle infaillible que quiconque a souffert de l'intolérance se montre intolérant à son tour, parce qu'au sortir de l'oppression on ne voit dans la liberté qu'une occasion et un instrument de vengeance.

CHAPITRE VI.

Retour incomplet à la liberté de conscience sous le
gouvernement de Juillet. État actuel.

Si jamais on eut le droit de compter sur une révolution pour la constitution définitive de la liberté de conscience, ce fut en juillet 1830. Tout ce qui, en France, portait le nom de libéral était tellement prononcé contre la domination cléricale, que, dès 1815, quand on n'avait pas encore eu le temps de sentir le poids de ce joug rapporté de l'exil par les Bourbons, Bonaparte s'exprimait en ces termes dans l'art. 67 de l'acte additionnel aux constitutions de l'Empire: « Le peuple français déclare que, dans la délégation qu'il a faite et qu'il fait de ses pouvoirs il n'a pas entendu et n'entend pas donner le droit de proposer le rétablissement des Bourbons ou d'aucun prince de leur famille sur le trône, ni le droit de rétablir soit l'ancienne noblesse féodale, soit les droits féodaux et seigneuriaux, soit les dîmes, soit aucun culte privilégié et dominant. >> On sait qu'au lendemain de cette révolution, les vainqueurs se divisèrent en deux partis : ceux qui voulaient étendre les conséquences de la révolution, et ceux qui voulaient les restreindre; mais ces derniers eux-mêmes étaient loin d'être favorables à la domination cléricale. Ils avaient lutte contre elle, pendant quinze ans, avec une éner

gie passionnée, et si, devenus conservateurs aussitôt après la victoire, ils sentaient le besoin de faire des concessions politiques à un corps aussi éminemment conservateur que le clergé, ils n'allaient pas, tant s'en faut, jusqu'à l'abandon des droits de la raison. Une proposition rédigée par M. Bérard et apportée par M. Dupont (de l'Eure) au conseil des ministres, qui la rejeta, contenait ces paroles: «L'opinion réclame, en outre, non plus une vaine tolérance de tous les cultes, mais leur égalité la plus complète devant la loi. » M. Bérard, repoussé par le ministère, saisit directement la Chambre de sa proposition, et ne fut pas plus heureux. On se borna à supprimer l'art. 6 de la Charte, c'est-à-dire le titre de religion d'État; encore fut-il en quelque sorte remplacé par les mots de « religion de la majorité,» ajoutés à la sollicitation de M. Charles Dupin dans l'article 7, qui devint le nouvel article 6. Cette expression, empruntée au Concordat de 1801, irrita les libéraux sans satisfaire les catholiques. Une charte est destinée à promulguer des droits, non à constater des faits. En déclarant ainsi que la religion catholique était celle de la majorité, entendait-on promettre de lui donner quelque supériorité sur les religions de la minorité? C'était, pour les uns, une promesse équivoque et par conséquent peu rassurante; pour les autres, une menace certaine. L'omission du culte israélite dans le nouvel article 6 était aussi très-profondément significative. M. Viennet réclama vainement; l'omission fut maintenue, et par conséquent il n'y eut pas dans la charte de 1830 une déclaration formelle de la liberté des cultes, c'est-à-dire de l'égalité des cultes devant la loi.

Il est juste de reconnaître qu'à l'inverse des gouvernements précédents, le gouvernement de Juillet fut plus libéral dans la pratique qu'il n'avait osé l'être dans la théorie. Une loi du 18 février 1831 régla le budget du culte israélite, qui se trouva ainsi assimilé aux autres cultes reconnus par l'État. L'article 6 de la Charte était heureusement

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