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sion de la propriété et la transmission de la possession conduit à des conséquences singulières. Il peut y avoi! concours entre des successeurs saisis et des successeur non saisis. Cela arrive dans la succession ab intestat lors que l'enfant naturel concourt avec des héritiers légitimes. Čela arrive encore lorsqu'il y a des légataires ou des donataires non saisis en concours avec des successeurs qui ont la saisine. Voici la singularité qui en résulte c'est que les successeurs saisis, quoiqu'ils ne soient propriétaires que d'une partie de l'hérédité, ont la possession de tous les biens, ils possèdent des biens dont ils ne sont pas propriétaires; ces biens doivent être remis aux successeurs non saisis, lesquels sont propriétaires sans être possesseurs. Il se peut même que des héritiers légitimes exclus de l'hérédité en aient la saisine: cela arrive quand la succession est épuisée par des legs à titre universel.

Quelle est la raison de la distinction que le code établit entre la transmission de la propriété et la transmission de la possession? pourquoi tous les successeurs acquièrentils la propriété des biens qui composent l'hérédité, tandis que tous n'acquièrent pas la possession de plein droit? Quels sont les effets de la saisine qui appartient aux uns et n'appartient pas aux autres? Ces questions ne sont pas sans difficulté; nous les examinerons successivement.

SECTION I. De la transmission de la propriété.

§ Ier. Principe.

209. En droit romain, on distinguait entre la délation et l'acquisition de l'hérédité (1). La succession était déférée (delata) ou, comme nous disons, ouverte, quand le successeur y était appelé, de manière qu'il pouvait l'acquérir en l'acceptant. La succession était acquise (acquisita) quand elle était entrée dans le patrimoine de celui qui y etait appelé. Il fallait pour cela une acceptation que l'on

(1) L. 151, D.. de verb. sign. (L, 16). Namur, Cours d'Institutes, t. II, p. 140 de la 2e édition.

appelait adition. Toutefois il y avait des héritiers qui acquéraient la succession de plein droit dès qu'elle était ouverte; à leur égard, la délation et l'acquisition se confondaient; c'étaient les enfants sous puissance, appelés héritiers siens et nécessaires (sui et necessarii), et les esclaves institués par leurs maîtres, appelés héritiers nécessaires (necessarii). Que devenait l'hérédité déférée, tant qu'elle n'était pas acquise? Elle était vacante (jacens), en ce sens qu'elle n'avait pas de maître. Les interprètes enseignent que la succession vacante était considérée comme une personne morale qui représentait le défunt; de sorte que par une singulière fiction l'hérédité était propriétaire des biens héréditaires. Savigny a démontré que cette théorie est trop absolue. Il n'est pas exact de dire que l'hérédité soit une personne civile; car il en résulterait que cette personne fictive, propriétaire jusqu'au moment de l'acceptation, transmettrait la propriété des biens à l'héritier qui accepte, lequel ne deviendrait ainsi propriétaire que lors de l'adition: cela n'est jamais entré dans la pensée d'un jurisconsulte romain. Il est vrai qu'il y avait une fiction par l'effet de laquelle l'hérédité était censée représenter la personne du défunt; la fiction avait un but tout spécial, c'était de faciliter certaines acquisitions par l'intermédiaire des esclaves héréditaires. Nous croyons inutile d'entrer dans les détails de cette théorie toute romaine; on peut les voir dans Savigny (1). Notons seulement que l'usucapion commencée par le défunt continuait pendant la vacance de l'hérédité. C'était une nouvelle fiction que l'on a eu tort de considérer comme une conséquence de la première; elle y est étrangère, et a été introduite dans un but d'utilité facile à comprendre; la fiction n'en est pas moins singulière, puisque l'héritier usucapait sans posséder.

210. Le système de l'adition n'était pas suivi dans l'ancien droit français, pas même dans les pays de droit écrit ; il y avait été remplacé par le principe tout à fait opposé du droit coutumier. «Suivant notre droit français, dit Po

(1) Savigny, System des heutigen römischen Rechts, t. II, p. 363-373.

thier, une succession est acquise à l'héritier que la loi y appelle dès l'instant même qu'elle lui est déférée, c'est-àdire dès l'instant de la mort du défunt. Cette règle a lieu dans toutes les provinces du royaume, et quoiqu'elle soit diamétralement opposée aux principes du droit romain, elle ne laisse pas d'être suivie dans les provinces du royaume régies par le droit romain (1).

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Les auteurs du code ont consacré la théorie coutumière; ils se sont entièrement écartés du droit romain, en disposant que non-seulement la propriété, mais même la possession des biens héréditaires passe à l'héritier de plein droit par le seul effet de la loi, et alors même que l'héritier n'aurait pas connaissance de l'ouverture de la succession. Il arrive parfois que le langage juridique survit aux idées qu'il exprimait jadis : c'est ainsi que le code parle encore d'adition de l'hérédité (art. 779). Ce serait une hérésie si l'on entendait ce mot dans le sens romain; il ne peut être question d'acquérir l'hérédité par une adition, alors qu'elle est acquise, en vertu de la loi, dès l'instant de l'ouverture de la succession.

De là suit que la fiction qui considère l'hérédité comme représentant la personne du défunt n'a plus de raison d'être en droit français. Cependant telle est la puissance de la tradition sur l'esprit des meilleurs jurisconsultes, que l'on voit Merlin reproduire la doctrine romaine dans son Répertoire, comme si nous vivions encore sous l'empire des lois romaines (2). Déjà dans l'ancienne jurisprudence, l'hérédité ne pouvait être considérée comme une personne civile, car cette fiction suppose que l'hérédité est vacante; or, la succession était si peu vacante d'après les coutumes, qu'on y lisait que « le mort saisit le vif son hoir le plus proche, maxime qui exprime en termes énergiques que Ï'hérédité ne reste pas un instant sans maître. Au moment. même où le défunt meurt, son héritier prend sa place; la propriété des biens héréditaires repose donc sur sa tête; à quoi bon alors la fiction que l'hérédité représente la per

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(1) Pothier, Traité des successions, chapitre III, section II.

(2) Merlin, Répertoire, au mot Hérédité, no 3. En sens contraire, Zachariæ, édition d'Aubry et Rau, § 609, t. IV, p. 239.

sonne du défunt? Toutefois un de nos bons auteurs la reproduit; Duranton dit que la possession est continuée par Î'hérédité avant l'acceptation des héritiers, parce que l'hérédité représente le défunt et les héritiers de celui-ci (1). Il y a dans ces paroles, nous regrettons de le dire, presque autant d'erreurs que de mots. Et, chose singulière, la faute en remonte à Pothier. Lui aussi, notre maître à tous, parle d'une succession vacante, d'une personne fictive, qui, bien qu'incapable de volonté, est néanmoins censée posséder toutes les choses que le défunt possédait lors de sa mort. Pothier s'ingénie à expliquer cette continuation de la possession la succession vacante, qui n'est que la continuation de la personne du défunt, en possédant les choses. que le défunt possédait au temps de sa mort, ne fait que retenir et conserver la possession que le défunt avait; or, on peut retenir la possession sans avoir une volonté positive de posséder (2). On se demande à quoi bon les fictions romaines, alors que nous vivons depuis des siècles sous l'empire d'une fiction coutumière qui rend les premières inutiles? Le mort saisit le vif; donc l'héritier possède sans que l'on ait besoin de recourir à la fiction d'une hérédité vacante qui représente la personne du défunt et des héritiers. Il faut dire plus : la fiction romaine et la fiction coutumière sont inalliables dans leur principe comme dans leurs conséquences. La fiction romaine suppose que jusqu'à l'adition personne n'est propriétaire ni possesseur de l'hérédité; au contraire, en vertu de la fiction coutumière, la propriété et la possession de l'hérédité reposent sur la tête de l'héritier dès l'instant de la mort du défunt. Laissons donc le droit romain de côté, et tenons-nous à notre tradition.

211. Le principe coutumier sur la transmission de la propriété de l'hérédité s'applique aux successeurs irréguliers de même qu'aux héritiers légitimes. Nous avons déjà dit. que l'article 711 ne fait aucune distinction; il parle de la succession en termes généraux, donc de toute succes

(1) Duranton, t. VI, p. 79, no 61. En sens contraire, Toullier, t. II, 2, p. 52, no 79.

(2) Pothier, De la possession, no 58.

sion ab intestat, de la succession irrégulière comme de la succession légitime, de la succession anomale comme de la succession de droit commun. Il en est de même des legs; l'article 1014 le dit des legs particuliers; à plus forte raison les légataires universels et à titre universel acquièrent-ils la propriété des biens compris dans leurs legs dès l'instant de la mort du testateur. De là suit que la fiction qui considère la succession comme une personne morale n'a pas plus de raison d'être dans les successions irrégulières et testamentaires que dans la succession légitime. Il est vrai que les successeurs irréguliers ne sont pas saisis, et la plupart des légataires ne le sont pas; ils ne laissent pas néanmoins d'être propriétaires; donc l'hérédité est dans leur domaine, et partant il ne peut être question d'une succession vacante, ni d'une hérédité qui représente la personne du défunt. Mais que devient la possession? Les successeurs non saisis ne l'ont pas; est-ce à dire qu'elle soit interrompue? La difficulté concerne les successeurs non saisis; nous y reviendrons plus loin (n°242). Quant aux donataires par contrat de mariage, leur droit tient de la donation et du testament; nous dirons, en traitant de l'institution contractuelle, quand et comment. l'héritier institué acquiert la propriété des biens qui lui ont été donnés.

212. Quel est le fondement du nouveau principe? Il est certain que la théorie romaine est plus juridique que la théorie coutumière. On ne conçoit guère que la propriété se transmette sans un acte de volonté de celui qui doit l'acquérir l'adition était cette manifestation de volonté. Les Romains admettaient, à la vérité, une exception pour les héritiers nécessaires; mais ce mot même indique qu'il n'était plus question d'une manifestation de volonté chez des successeurs qui étaient héritiers malgré eux; tandis que le code civil consacre la maxime coutumière: Nul n'est héritier qui ne veut (art. 775). Nous dirons à l'instant que la transmission de la propriété, quoiqu'elle se fasse de plein droit, n'empêche pas le successible de renoncer à l'hérédité; il y a donc toujours une acceptation, donc une manifestation de volonté; seulement l'héritier se borne à

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