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droit, il y avait des coutumes qui lui acordaient expressement ce droit. Il est loisible, disait la coutume d'Orléans (art. 341), à celui qui s'est porté héritier bénéficiaire, de se porter par après héritier pur et simple. » Basnage dit, en parlant d'une disposition analogue de la coutume de Normandie (art. 91), qu'il n'était pas fort nécessaire de le dire, parce qu'on n'en pouvait douter (1). Si les anciennes coutumes s'en expliquaient, c'est qu'elles voyaient le bénéfice d'inventaire avec défaveur, et favorisaient par conséquent la renonciation à ce bénéfice comme étant le retour au droit commun. Les auteurs du code n'ont pas reproduit la disposition des coutumes, parce qu'elle est réellement inutile. N'est-il pas de principe que chacun peut renoncer à ce qui est établi en sa faveur? Or, le bénéfice d'inventaire est avant tout établi dans l'intérêt de l'héritier; donc il y peut renoncer (2). Toutefois les créanciers pourraient avoir intérêt à maintenir la séparation de patrimoines qui est la conséquence de l'acceptation bénéficiaire; nous reviendrons sur ce point, en traitant des effets du bénéfice d'inventaire.

393. La renonciation au bénéfice d'inventaire est la manifestation de volonté de l'héritier bénéficiaire d'être héritier pur et simple; c'est donc l'acceptation pure et simple de l'hérédité. De là suit que la renonciation au bénéfice d'inventaire peut être expresse ou tacite. Faut-il appliquer à la renonciation expresse ce que le code dit de l'acceptation expresse? c'est-à-dire ne peut-elle se faire que par écrit? Nous avons dit que l'article 778, qui exige un acte authentique ou privé pour l'acceptation expresse, est une dérogation aux principes généraux (no 289), elle est donc de stricte interprétation, partant on ne peut pas l'appliquer par voie extensive à la renonciation que l'héritier fait au bénéfice d'inventaire. On ne peut pas dire que cet héritier accepte; il a accepté, il est héritier, et il ne

cutent longuement la question. Comparez Aubry et Rau sur Zachariæ (t. IV, p. 275, note 24), qui réfutent une théorie de Valette, dont nous croyons inutile de parler, les principes ne laissant aucun doute.

(1) Demolombe, t. XV, p. 201, no 172.

(2) Zachariæ, édition d'Aubry et Rau, t. IV, p. 279.

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peut pas cesser de l'être; il renonce seulement à un bénéfice que lui donnait son acceptation bénéficiaire; cette renonciation n'étant pas soumise à des règles spéciales, reste par cela même sous l'empire du droit commun (1). La renonciation peut-elle être tacite? En principe, oui, puisque toute manifestation de volonté peut être tacite. y a des cas où la loi exige des formes pour la validité de la renonciation: telle est la renonciation à une succession (art. 784), à une communauté (art. 1457). Mais ces dispositions étant exceptionnelles ne peuvent pas être étendues. La renonciation au bénéfice d'inventaire peut se faire tacitement, par cela seul qu'elle n'est pas un acte solennel. Quand y a-t-il renonciation tacite? Il y a des cas dans lesquels la loi elle-même l'admet. Nous allons les examiner.

394. Le code de procédure porte, article 988: « L'héritier bénéficiaire sera réputé héritier pur et simple, s'il a vendu des immeubles sans se conformer aux règles prescrites par le présent titre. » L'article 989 contient une disposition analogue pour la vente des effets mobiliers : « S'il y a lieu de procéder à la vente du mobilier et des rentes dépendantes de la succession, la vente sera faite suivant les formes prescrites pour la vente de ces sortes de biens, à peine contre l'héritier bénéficiaire d'être réputé héritier pur et simple. »

Est-ce une renonciation tacite ou est-ce une déchéance? La question n'est pas sans importance. Si c'était une peine, comme semble le dire l'article 989, il faudrait dire que les peines étant de stricte interprétation, il n'y a pas d'autres causes de déchéance que celles qui sont prévues par les dispositions que nous venons de transcrire. Telle n'est pas l'interprétation que l'on donne aux articles 988 et 989. La doctrine admet, sans discussion, que l'héritier bénéficiaire peut renoncer à son bénéfice en dehors des cas prévus par le code de procédure; et la jurisprudence est dans le même sens. En réalité, il n'y a pas de peine, pas de déchéance proprement dite. L'article 988 ne se sert pas de l'expression

(1) En sens contraire, Demolombe, t. XV, p. 378, no 364.

de peine, qui est employée par l'article 989; cependant les deux dispositions prévoient une seule et même hypothèse, celle d'un héritier bénéficiaire qui vend des objets de l'hérédité sans observer les formes prescrites par la loi: il est réputé héritier simple, soit qu'il vende des immeubles, soit qu'il vende des meubles. Si, en vendant des immeubles sans se conformer à la loi, il n'encourt pas de peine, pourquoi serait-il puni en vendant des meubles? La vente des immeubles est plus importante que celle des effets mobiliers; si la loi entendait punir l'héritier, elle devrait lui infliger une peine pour la vente irrégulière des immeubles plutôt que pour la vente irrégulière des meubles. Cela décide la question: il n'y a pas de peine dans le premier cas, donc il ne peut y en avoir dans le second.

La déchéance du bénéfice d'inventaire se comprend du reste très-facilement à titre de renonciation. L'héritier bénéficiaire est propriétaire des objets héréditaires aussi bien que l'héritier pur et simple; mais dans l'intérêt des créanciers et des légataires, la loi lui défend de vendre sans observer les formes qu'elle prescrit. Si l'héritier n'observe pas ces formes, quelle peut être son intention? Comme vendeur, il contracte l'obligation de transférer la propriété à l'acheteur; or, s'il vendait en qualité d'héritier bénéficiaire, la vente serait nulle, et par conséquent la propriété ne serait pas transmise; pour qu'elle le soit, il faut que l'héritier vende en qualité de propriétaire, libre de disposer de sa chose comme il l'entend, et il n'a cette qualité que s'il est héritier pur et simple; donc il renonce au bénéfice d'inventaire pour devenir héritier pur et simple. En ce sens, les articles 988 et 989 disent qu'il est réputé héritier pur et simple : c'est une interprétation que la loi donne à l'acte que fait l'héritier bénéficiaire. Il ne faut donc pas croire que le mot réputé indique une simple présomption. L'héritier ne peut pas dire qu'il a voulu conserver son bénéfice d'inventaire, tout en agissant comme héritier pur et simple; cela serait contradictoire.

395. C'est d'après ces principes qu'il faut décider la question de savoir si l'héritier bénéficiaire peut réserver son bénéfice d'inventaire, tout en vendant sans observer

les formes prescrites par le code de procédure. Ainsi posée, la question doit être résolue négativement : c'est le cas d'appliquer l'adage qui dit que la protestation contraire à l'acte est inopérante (nos 291 et 319). On conçoit les réserves et les protestations quand celui qui fait un acte peut avoir deux volontés; son intention est douteuse dans ce cas, et il l'explique; mais l'héritier bénéficiaire qui vend ne peut avoir qu'une volonté, celle de transférer la propriété, et celle-là implique qu'il vend comme héritier pur et simple; vendant en qualité d'héritier pur et simple, il ne peut pas réserver sa qualité d'héritier bénéficiaire, car il ne peut pas tout ensemble agir comme héritier pur et simple et rester héritier bénéficiaire.

Il y a un arrêt de la cour de cassation qui semble décider le contraire. Voici l'espèce. L'héritier bénéficiaire vend un immeuble de la succession, sous la condition que la vente sera nulle dans le cas où il renoncerait à la succession et sans entendre préjudicier en rien à sa qualité d'héritier bénéficiaire. Il a été jugé que la vente, étant soumise à des conditions éventuelles qui pouvaient la rendre sans effet, ne faisait pas perdre au vendeur la qualité d'héritier bénéficiaire qu'il s'était expressément réservée (1). Nous comprenons qu'une vente conditionnelle n'emporte pas renonciation au bénéfice d'inventaire dans le cas où le vendeur stipule que la vente sera nulle, si, malgré ses réserves, elle entraînait la déchéance du bénéfice; la vente tomberait alors au moment où les créanciers demanderaient la déchéance du bénéfice d'inventaire, et par suite il ne pourrait pas y avoir de déchéance. Mais dans l'espèce jugée par la cour de cassation, il y avait une autre condition, celle de renoncer à l'hérédité; or, cette condition ne peut pas être stipulée, puisque l'héritier bénéficiaire, ayant accepté, ne peut plus renoncer : Semel hæres, semper hæres. La vente restait donc une vente pure et simple, faite avec une réserve, et dans ces termes la réserve est inefficace. Donc il fallait décider que l'héritier

(1) Rejet, 26 juin 1828 (Dalloz, au mot Succession, no 857, 1o). Comparez cassation, 1er août 1809 (Dalloz, ibid., no 450, 1o).

bénéficiaire avait perdu le bénéfice d'inventaire. M. Demolombe, tout en trouvant que la doctrine de la cour pourrait paraître contestable, justifie la décision par le motif que la vente faite de gré à gré peut être éminemment avantageuse aux créanciers (1). Ceci soulève une autre question, celle de savoir si l'acte irrégulier doit être préjudiciable pour entraîner la déchéance de l'héritier; nous la traiterons plus loin (no 397).

396. L'héritier bénéficiaire pourrait-il demander au juge l'autorisation de vendre de gré à gré en conservant son bénéfice? Posée dans ces termes, la question n'a pas de sens. La loi ordonne à l'héritier d'observer certaines formes lorsqu'il vend en sa qualité d'héritier bénéficiaire; le juge ne peut certes pas le dispenser de remplir ces formalités. Que s'il ne se conforme pas à la loi, il est réputé héritier pur et simple, et le juge ne peut pas davantage le relever de cette déchéance. Pour que la question puisse être débattue, il faut supposer qu'il s'agisse d'actes non prévus par les articles 988 et 989. Nous y reviendrons en traitant de ces actes.

397. Faut-il que la vente faite sans l'observation des formes légales cause un préjudice aux créanciers pour qu'elle entraîne la déchéance du bénéfice d'inventaire? La jurisprudence est hésitante sur cette question très-importante, parce qu'elle se présente souvent. Nous croyons, avec la cour de cassation de Belgique, que la déchéance est absolue, c'est-à-dire que les tribunaux n'ont pas le droit de maintenir le bénéfice d'inventaire, alors même que l'acte ne causerait aucun préjudice aux créanciers (2). Le texte des articles 988 et 989 est, en effet, absolu; il n'exige ni mauvaise foi ni préjudice, et l'esprit de la loi ne laisse aucun doute. Il est vrai que les formes prescrites par le code de procédure sont établies dans l'intérêt des créanciers; mais là n'est pas la question. Si l'héritier bénéficiaire

(1) Demolombe, t. XV. p. 391, no 386.

(2) Zachariæ, édition d'Aubry et Rau, t. IV, p. 280 et note 32. Il y a un arrêt contraire de la cour de cassation de France (rejet, 27 décembre 1820, dans Dalloz, au mot Succession, no 835, 1o). Comparez Rouen, 30 août 1828 (Dalloz, ibid., no 3).

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