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successeur à Mélèce, au préjudice de Paulin qui se trouvait par sa mort seul et légitime possesseur de son siége. Des deux côtés on fit des propositions; les unes respiraient la paix; les autres ne tendaient qu'à aigrir le mal. Pour moi je dis courageusement ce qui me paraissait le plus utile et le plus nécessaire. » C'est-à-dire, qu'il prononça un long discours pour exhorter les évêques à laisser Paulin gouverner paisiblement l'église d'Antioche. Il était vieux; il n'avait plus que peu de temps à vivre; sa mort terminerait bientôt cette affaire. Alors, avec l'assistance du Saint-Esprit, on donnerait un digne pasteur à cette Eglise. C'était T'unique moyen d'en finir d'un seul coup avec le schisme qui la divisait. Ces remontrances, toutes judicieuses qu'elles étaient, ne furent point écoutées, et Grégoire pensa plus que jamais à quitter l'épiscopat. If commença dès lors à se retirer de ces assemblées qu'il voyait pleines de confusion. Sa Santé lui devint un prétexte de s'en absenter. I changea mème de maison, et quitta celle qui touchait à l'église où se tenait le concile, et qui, selon toute apparence, était la maison épiscopale.

Quelques personnes cependant qui lui étaient affectionnées, surtout parmi le peuple, ne doutant plus qu'il ne fût dans la disposition de les quitter, vinrent fe conjurer en pleurant de ne pas les abandonner. Leurs larmes l'attendrirent, mais ne le fléchirent pas. « Et cependant, ô tendresse, ô larmes, dit-il, quelle aine n'en eût pas été touchée? Mon cœur était déchiré, mais il fut inflexible. » Un nouvel incident qui ne tarda pas à se produire acheva de le déterminer à fuir Constantinople. On appela au concile les évêques d'Egypte et de Macédoine. Les premiers avaient à leur tête Timothée d'Alexandrie, et les seconds Aschola de Thessalonique. Fous, indisposés contre Grégoire, se plaignirent qu'on eût enfreint les canons en l'ordonnant évêque de Constantinople, lorsqu'il l'était déjà d'un autre siége. Comme il le remarque fort bien, c'était invoquer contre lui des fois qui n'étaient plus en vigueur, et qui dans le cas présent ne pouvaient pas même avoir d'application, puisque depuis longtemps déjà il avait quitté son évêché de Sazime, et qu'il n'avait jamais gouverné celui de Nazianze qu'en qualité d'évêque étranger. Mais, ravi de trouver une occasion de rompre sa chaine et de rentrer dans sa solitude, il la saisit avec joie. Il se rendit au concile et il parla en ces termes : « Prélats que Dieu a rassemblés ici pour y prononcer des décrets qui lui soient agréables, ne vous occupez de ce qui me regarde qu'après avoir statué sur des objets essentiels. La décision de mon Sort est d'une médiocre importance pour tant d'évêques assemblés; élevez plus haut Vos pensées; réunissez-vous entin, réunissez-vous, il est temps. Jusqu'à quand vos divisions vous rendront-elles la risée du public? On dirait que toute votre science est l'art de combattre. Embrassez-vous les

uns les autres, et vous réconciliez sincèrement. Je serai Jonas, je me livre pour le salut du vaisseau. Quoique je n'aie point excité la tempête, jetez-moi dans fa imer; j'y trouverai l'hospitalité dans le sein de la baleine. Que ce soit là le commencement de votre réunion. Vous penserez ensuite au reste, Ce sera pour moi une gloire si vous persévérez dans l'union, mais un déshonneur, si c'est contre moi seuf que cette union se soutient. La loi que je vous recommande est de combattre pour les lois. Si vous êtes animés de cet esprit, rien ne vous sera difficile. Je fus installé malgré moi sur ce siége; je le quitte de mon plein gré; la faiblesse de mon corps m'en donnerait seule le conseil. Je ne dois payer qu'une seule fois le tribut à la mort, et c'est Dieu qui en a marqué l'heure. O Trinité sainte, c'est vous seule dont la cause m'intéresse! Quelle bouche assez savante, du moins assez libre, assez zélée, oserá vous défendre: Adieu, mes collègues, souvenez-vous au moins de mes travaux. »

«Tel fut le discours que je leur lins, dit le saint Prélat, à qui nous laissons raconter le dénouement de cette grande affaire. Ils marquèrent un grand embarras. Je sortis de l'assemblée avec une satisfaction mêlée de tristesse. L'idée du repos dont j'allais jouir après tant de fatigues, me remplissait d'une douce joie. Mais le sort de mon peuple m'inquiétait. Qu'allait-il devenir? Eh! quel père se sépare de ses enfants sans regret? Telle était ma situation. Dieu sait, au surplus, et ces prélats le savent bien euxmèmes, si ce qu'ils m'avaient dit était sincère, et si leurs paroles n'étaient pas de ces écueils cachés qui sont les embûches de la mer et la perte des vaisseaux. Plusieurs n'ont pas craint de le dire; pour moi, je me tais. Je ne perdrai pas mon temps à fouiller dans des coeurs tortueux. La simplicité fut toujours le partage du mien. C'est avec elle qu'on fait son salut; et ç'a toujours été là mon unique préoccupation.

« Mais ce qui m'est bien connu, et que je voudrais pouvoir ignorer, c'est que ma demission fut reçue avec le consentement le plus prompt et le plus unanime. Voilà comme la patrie récompense les citoyens qu'elle aime.

«Que me vit-on faire ensuite à l'égard du prince? Me vit-on l'aborder en suppliant, embrasser ses genoux, baiser sa main, lui adresser d'humbles prières; solliciter le crédit de mes amis, la protection des courtisans à qui j'étais cher; employer le secours si puissant de l'or, pour me soutenir sur un siége si éminent ? C'est ainsi qu'en usent les hommes inconstants et légers. Non; j'allai sur-le-champ trouver l'empereur; et en présence de plusieurs personnes qui l'environnaient :

« Seigneur, lui dis-je, je viens à mon << tour, comme tant d'autres, vous demander une grâce. Je l'attends d'un prince dont « la libéralité est aussi grande que le pou<< voir. Ce n'est ni de l'or, ni des marbres

a précieux, ni de riches étoffes pour cou<< vrir la table sacrée, ni des gouvernements << pour mes proches, ou des dignités qui << les attachent à votre personne: ce sont «<là de médiocres objets d'ambition. Je crois << mériter quelque chose de plus grand. Ac« cordez-moi, c'est la seule grâce que je « sollicite, accordez-moi la consolation de « céder à l'envie. J'aime à rendre hommage << aux puissances, mais de loin; je suis de<< venu odieux à tous, même à mes amis, << parce que je ne puis avoir d'égard que « pour Dieu seul. Obtenez d'eux, seigneur, a qu'ils s'accordent enfin, et qu'ils mettent « bas les armes, au moins par considération « pour leur prince, si ce n'est par la crainte « de Dieu et de ses vengeances. Elevez un « trophée qui n'aura point coûté de sang, « vous qui avez terrassé l'insolente audace & des barbares. Rendez la liberté à un vieillard qui, pour servir l'univers, a blanchi sons « le poids des travaux, cucore plus que « sous celui des années. Vous savez coma bien c'est malgré moi que vous m'avez « placé sur ce siége. »

L'empereur loua publiquement mon discours; ses courtisans l'applaudirent, et j'obtins mon congé. Le prince ne me l'accorda, dit-on, qu'à regret; mais enfin il me l'accorda.

« Que me restait-il à faire pour prévenir tout accident? De calmer les esprits, de les porter à la patience et à la niodération; d'empêcher que, par amour pour moi et par haine pour les méchants, ils n'en vinssent à des partis extrêmes. Je flatte, je caresse, je donne mème des louanges à des personnes qui n'en méritaient pas. Je console le clergé, le peuple, tous les enfants qui regrettaient un père, et enfin ceux des prélats du concile que cet événement affligeait. Car je complais bien des amis encore dans cette grande assemblée; et il y en eut plusieurs qui s'enfuirent pour n'ètre pas témoins de l'élévation d'un autre sur le trône d'où je descendais (1)

« Il est temps de finir. Voici ce cadavre vivant, voici ce même homme vainqueur à la fois et vaincu; lequel, au lieu d'une dignité passagère et d'une pompe vaine, possède Dieu lui-même et les vrais amis de Dieu. Insultez-moi, triomphez insolemment et avec joie, ô sages du siècle! Que dans vos assemblées, dans vos repas, dans vos fonctions sacrées, mes infortunes soient le sujet de vos chants. Imitez l'animal superbe qui célèbre son propre triomphe. Que l'air altier de vos visages, que vos gestes désordonnés annoncent votre allégresse aux partisans de vos succès. Un seul a cédé volontairement la victoire, et vous croyez tous

(1) En effet, c'est après avoir obtenu le congé de l'empereur, et avant de s'éloigner de son troupeau, que le saint évêque prononça dans la grande église de Constantinople, en présence des Pères du concile, le discours célèbre, si connu sous le titre de Discours des adieux, et dont nous rendons un comple très-détaillé au trente-deuxième discours de l'Analyse de ses œuvres.

l'avoir remportée. Si j'ai quitté ma place de moi-même, oserez-vous bien vous vanter de m'avoir contraint à m'en démettre? Si ma démission a été forcée, vous condamnez vous-mêmes vos actions. Hier, vous m'éleviez sur le trône, aujourd'hui c'est vous qui m'en chassez ! >>

lieux ? Dans la société des anges. Là, je ne « Où irai-je me réfugier en quittant ces craindrai plus de haine, je n'aurai plus betude, discours plus légers que les vents, soin de faveur. Vains discours d la multiperdez-vous avec eux dans les airs. Je ne Vous ai que trop écoutés. Je suis las, je suis rassasié de censures et de louanges. Je cherche un désert impénétrable aux mé chants, un asile où mon esprit ne s'occupe que de Dieu seul, et où l'espérance du ciel rai-je aux églises? Des larmes. C'est à quoi soit l'aliment de ma vieillesse. Que donneme réduit la Providence, après avoir agité ma vie par lant de vicissitudes. Où se terAh! j'espère que vous daignerez m'ouvrir minera, grand Dieu ! ma misérable carrière? vos tabernacles éternels. Jy verrai dans tout son éclat l'unité brillante des trois J'y contemplerai face à face la majesté personnes qui ne font qu'un seul D.eu. divine, que nos yeux mortels ne sauraient voir ici-bas qu'à travers des ombres ! »

Descendu volontairement du siége de Constantinople, saint Grégoire fit route vers la Cappadoce, s'arrêta à Césarée pour rendre les derniers devoirs à son cher Ba

sile; ce qu'il fit par le célèbre panégyrique qu'il prononça devant le clergé et le peuple de cette ville, s'excusant sur son voyage de Constantinople d'avoir mis tant de retard à s'acquitter de cette dette de l'amitié. Il revint ensuite à Nazianze, où il fit peu séjour, la trouvant infectée de l'hérésie des apollinaristes. Cependant il parut un moment céder au désir de reprendre le gouvernement de cette Eglise; mais il se contenta d'y faire nommer Eusèbe, le seul peut-être qui pût consoler son peuple d'a voir vainement espéré de le posséder luimême pour évêque. Il se retira à la campagne, partageant ses loisirs entre les exercices de la piété et le commerce de lettres, qu'il entretenait tant avec ses amis qu'avec d'autres personnes, charmant, comme il le dit lui-même, par ses poésies, les souve nirs d'une vie traversée par tant d'orages. Le prêtre Grégoire dit qu'il mourut dans

une vieillesse très-avancée. In extrema landem senectute caducam hanc vitam cum meliori permutavit. Il veut dire apparemment que ses extrêmes fatigues avaient anticipé pour lui le temps de la vieillesse ; car il est constant qu'il n'avait pas plus de soixanteun à soixante-deux ans, quand Dieu l'appela pour le faire jouir à jamais de la couronne si noblement gagnée par tant de travaux glorieux et de services signalés rendus à l'Eglise.

Saint Grégoire nous a laissé parmi ses poésies une épitaphe qui forme en quelque

sorte l'abrégé de sa vie; en voici la traductions:

« O mon roi e seigneur Jésus-Christ! pourquoi m'avez-vous ainsi engagé dans les filets de la chair? et d'où vient que vous m'avez fait entrer dans une vie si fort exposée aux contradictions et aux combats? J'ai eu pour père un homme divin, et pour mère une femme supérieure à son sexe; je suis redevable de ma naissance à ses prières je n'étais encore qu'un faible enfant, lorsqu'elle me voua et me consacra au Seigneur. Je fus épris d'amour pour la virginité sainte dans un songe et une vision de nuit. Mais tout le cours de ma vie n'a été rempli que de tempêtes. Quelle violence il m'en a coûté pour ravir les biens spirituels! mais mon corps est tombé dans la défaillance. J'ai fourni ma carrière au milieu de pasteurs et d'amis dont la manière d'agir m'a fait éprouver des choses tout à fait incroyables. J'ai perdu mes chers enfants; et je me suis vu accablé de chagrins et d'afflictions. Voilà quelle a été jusqu'ici la vie de Grégoire.

Anteur de la vie, ô Jésus! prenez soin de l'avenir. Que ces lignes soient gravées sur la pierre de mon sépulcre. » ANALYSE DE SES OEUVRES. Saint Grégoire n'avait accepté le sacerdoce que par une obéissance qu'il se reprochait à luimême. A peine avait il reçu les ordres sacrés, qu'il avait fui jusque dans le Pont, moins pour se soustraire à son fardeau que pour échapper aux honneurs d'une mission aussi sublime. Bientôt cependant, rappelé par les sentiments du devoir, il revint exercer auprès de son père des fonctions qui ne Cessèrent jamais de lui paraître redoutables, quand les autres n'y voyaient qu'une profession lucrative. Ceux-là blamèrent hautement sa conduite; saint Grégoire crut nécessaire de la justifier. C'est ce qu'il fit en traitant à fond de la dignité, des devoirs et du péril du sacerdoce dans les discours que l'on appelle son Grand apologétique, et qu'on a publiés en tête de tous les autres, à cause de l'importance du sujet. On pense qu'il prononça le premier de ces deux discours après les fêtes de Pâques de l'année 362.

Saint Grégoire le commence en reconnais sant qu'il y a dans l'Eglise une subordination établie de Dieu, et suivant laquelle les uns sont soumis, et les autres préposés pour la gouverner. Cette subordination est utile el nécessaire, non-seulement pour corriger les pécheurs et les ramener dans le bon chemin; mais encore pour la beauté de Eglise, qui se trouverait défigurée si elle était sans pasteur, sans sacerdoce, sans sacrifice, et hors d'état de rendre à Dieu le culte mystique et sublime, qui forme la plus grande et la plus auguste fonction du christianisme.

S'il a fui le sacerdoce, ce n'a point été par le chagrin de ne s'être pas vu élevé à un degré plus haut. « Je connais trop, ajoutet-il, la grandeur de Dieu et la bassesse de Thomme, pour ignorer que le plus grand honneur qui puisse arriver à une créature,

c'est d'approcher de la Divinité, de quelque manière que ce soit. » Mais il rejette la cause de sa fuite sur ce qu'on l'avait appelé au ministère sans son consentement; sur son amour de la vie solitaire, dont il avait déjà goûté les douceurs, et sur la crainte de se voir replongé dans l'embarras des affaires du siècle; enfin sur la difficulté qu'il a y de bien user de l'autorité que la loi de Dieu donne aux prêtres. Il entre dans le détail de leurs obligations, et compte parmi les principales celle de donner de bons exemples. « 11 faut, dit-il, qu'il n'y ait en eux aucun endroit faible, afin que, de quelque côté qu'on les regarde, ils paraissent un or pur et sans alliage; le moindre de tous les défauts en eux étant capable de causer la perte de ceux qui leur sont soumis. Ce n'est pas assez qu'ils soient parvenus à détacher des cœurs la semence des vices, ils doivent y semer la vertu, se rendre plus recommandables par leur probité que par leur rang, ne mettre aucune borne à leur piété, ne pas croire faire beaucoup, s'ils la poussent plus loin que le commun du peuple, et la régler non sur le modèle des personnes vertueuses, mais sur les maximes établies dans la loi de Dieu. »

une

Il passe ensuite à la conduite des âmes, qu'il se représente comme l'art des arts et la plus sublime de toutes les sciences. « Rien, en effet, de plus difficile que de connaître et de guérir les mœurs, les inclinations et le penchant des hommmes. Ennemis de leur salut, ils déguisent, ils excusent, ils défendent leurs désordres. La différence d'état, de situation, d'âge, de sexe, de caractère, d'esprit, exige différentes méthodes dans la conduite des âmes: on ne doit pas prétendre gouverner un homme comme femme; les personnes mariées comme celles qui vivent dans le célibat; ceux qui ont l'esprit content comme ceux qui sont dans la tristesse; les esprits grossiers comme ceux qui ont plus de délicatesse. Il y a des lâches qu'il faut exciter par de vives exhortations; des fervents, dont on doit modérer le zèle. Il est utile de louer les uns et de corriger les autres, soit en public, soit en particulier; mais la difficulté est de prendre son temps avec les lâches, pour ne pas tout gâter: car il en est à qui une réprimande faite en public ou sans ménagement fait perdre toute retenue, qui, au contraire, se corrigent plus aisément si on les reprend en secret. Il s'en trouve d'autres qu'il faut suivre pas à pas, pour examiner jusqu'à leurs moindres démarches, parce qu'ils ont grand soin de les cacher; il est besoin, à leur égard, de dissimuler quelquefois leurs défauts, de peur qu'en les reprenant sur tous, on ne les jette dans le désespoir. Il faut en traiter d'autres de telle manière, que, sans se fâcher, on leur témoigne de la colère, et qu'on paraisse les mépriser, sans toutefois avoir du mépris pour eux, et qu'on semble douter de leur salut, sans les jeter dans le désespoir: » Enfin saint Grégoire veut que l'on use de rigueur ou de

modération suivant a nature des circonstances, à peu près comme dans les maladies du corps, où le même régime qui guérit le mal de l'un peut aggraver la position de l'autre. Telles sont les difficultés qu'il entrévoit dans la direction des âmes dont la fin, suivant lui, est de les enlever au monde pour les attacher à Dieu.

Il demande encore dans un prêtre la doctrine nécessaire pour instruire de la vérité de nos dogmes ceux qui sont sous sa conduite, pour leur donner la connaissance de F'un et de l'autre monde, de l'esprit et de la matière, des anges et des démons, de la Providence qui connaît et règle tout, de la manière dont l'homme a été créé, du mystère de sa résurrection, de la différence des deux Testaments, des deux avénements de Jésus-Christ, de son incarnation, de sa mort, de sa résurrection, du jugement dernier, et particulièrement de ce qui regarde la sainte Trinité. C'est que les erreurs d'Arius et de Sabellius rendaient alors cette matière difficile; et il y avait à craindre qu'en voulant établir l'unité de nature dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ou faire sentir la distinction et la réalité des personnes, on ne donnât dans des erreurs opposées. Ce n'est pas même assez à un évêque d'avoir de la science, il doit, dans ses instructions, se conformer au génie de chacun, nourrir les uns du lait, c'est-à-dire des sciences les plus simples et les plus communes; donner aux autres une nourriture plus forte, c'est à-dire ce qu'il y a de plus sublime dans la sagesse, parce qu'ils ont appris par un long usage à discerner le vrai d'avec le faux. Saint Grégoire désapprouve la conduite des orateurs mercenaires et complaisants qui, s'accommodant aux caprices de leurs auditeurs, s'étudient à flatter leurs passions, et ne s'inquiètent que de rendre leur nom célèbresans s'apercevoir qu'ils causent la perte des âmes simples dont Dieu leur demandera un compte sévère.

Il s'étonné que, le ministère de la parole étant d'une aussi haute importance, on n'eût pas encore indiqué l'âge auquel on pouvait permettre de l'exercer, comme on l'avait fixé chez les Hébreux pour la lecture de certains livres. Il montre combien il est dangereux d'admettre à cette fonction des jeunes gens qui, n'ayant qu'une connaissance superficielle de l'Ecriture, veulent cependant se poser comme des maîtres consommés dans la science, quand ils ne sont pas même débarrassés du premier levain du péché. Il rapporte les menaces que l'Ecriture fait aux mauvais pasteurs, les châtiments dont Dieu a quelquefois puni leurs fautes; les règles de conduite qui leur sont prescrites dans les livres saints, en particulier celles de saint Paul aux évêques et aux prètres; à quoi il ajoute: « Que, pour un ministère si important, ce n'est pas trop d'attendre l'extrême vieillesse,» un défenseur de la vérité ne pouvant être formé dans un jour comme une statue, lui qui doit converser avec les anges, glorifier Dieu avec les archanges, partager E sacerdoce avec Jésus-Christ, réformer la

créature, la former pour le ciel. « Je n'ignorais pas, dit-il, que personne n'est digne d'offrir le sacrifice au Seigneur en qualité de pontife, à moins que de s'être rendu une hostie vivante et sainte, et de s'être mis en état de lui plaire par le sacrifice et la contrition du cœur. Pouvais-je avec ces connaissances me hasarder de prendre l'habit et le nom de prêtre, et d'offrir le sacritice qui est le symbole des plus sublimes mystères? Ne fallait-il pas auparavant puritier mes mains par la pratique des bonnes euvres, accoutumer mes yeux à ne regarder la créature que par rapport au Créateur; reddre mes oreilles dociles à la saine doctrine et aux maximes de la sagesse; mettre le Saint-Esprit dans ma bouche, sur ma langue et sur mes lèvres, pour me disposer à expriquer ses mystères et ses dogmes, et à chatter ses divines louanges; fixer mes pieds sur la pierre, afin que tous mes pas tendissent vers Dieu sans s'écarter jamais; faire enfin de tous mes membres des armes de in justice, après avoir secoué le joug de la mort? Un homme, continue-t-il, peut-il soutfrir tranquillement qu'on le mette à la tête du troupeau de Jésus-Christ, sans s'y être préparé par la méditation de la parole de Dieu, sans avoir acquis l'intelligence des divines Ecritures, sans être entré dans ces trésors inconnus à la multitude, et y avoir puisé assez largement pour pouvoir enrichir les autres? Se jugeant, dit-il, infinimeul au-dessous de cette perfection, il a cru devoir laisser à de plus dignes les fonctions du ministère ecclésiastique. » Il exquisse rapidement le portrait de saint Paul, et le présente comme le modèle et l'honneur éternel du sacerdoce. « Voilà, dit-il, quei a été Paul, et quels ont été tous les autres vrais pasteurs animés de son esprit. Mais nous-mêmes, qui sommes nous ? Doutera-4on, après ce que j'ai dit, que les peines qui se rencontreit dans le sacré ministère le soient infinies, les travaux immenses et les difficultés presque insurmontables? » Il eu prunte à l'Ecriture de nouveaux traits pour percer ces prélats jeunes d'âge, plus jeunes encore d'inclinations et de mœurs, pasteurs incapables de consoler le troupeau et de parler au cœur de Jérusalem. Il rappelle et commente avec chaleur les anathèmes dont les prophètes Osée, Michée, Habacuc, MaJachie, Zacharie, Daniel, Ezéchiel, Jérémie ont frappé les mauvais prêtres; puis il s'excuse de ne pas insister plus longtengs sur ces détails, dans la crainte que sa franchise ne l'expose à trop de haine.

Toutefois saint Grégoire de Nazianze setait vu contraint de sortir de sa retraite, e de se charger du sacré ministère. Il emploie Je reste de ce discours à justifier son obéissance; et démontre, par les plus sages r fléxions sur l'histoire de Jonas, qu'il n'y aurait pas moins de mal à se soustraire opiniâtrément aux vues de la Providence. quand elle nous appelle aux fonctions du sacerdoce, que de s'y ingérer quand elle n nous y appelle pas. Il finit done sou dis

cours par ces paroles adressées à son père qui se trouvait parmi ses auditeurs : & Vous Voyez un fils parfaitement obéissant, et qui se soumet à votre autorité plutôt pour l'amour de Jésus-Christ que par la crainte des lois humaines. Puisque je vous donne une preuve de mon obéissance, rendez-moi votre bénédiction, soutenez-moi de vos prières, servez-moi de guide par vos discours; fortifiez-moi de votre esprit; car la bénédietion du père affermit la maison du fils. » Deuxième discours. - Ce discours, qui n'est qu'un complément du premier, fut également prononcé à Nazianze, en présence de Grégoire, son père, qui en était évêque. Le saint orateur se plaint qu'après l'avoir appelé à si grands cris et arraché de force à sa chère solitude, le peuple de Nazianze ne montrât pas plus d'empressement à venir Ventendre. Ce discours presque tout entier n'est qu'une application de la parabole des notes à l'indifférence pour la parole divine. Nous allons en reproduire ce passage d'après la traduction de l'abbé Guillon, dans sa Bibliothèque choisie des Pères. & Je ne dissimulethi pas la profonde impression de tristesse dont m'affecte le petit nombre de fidèles ici rassemblés, et le mépris qu'il laisse eraindre pour nos instructions... Sil est parmi vous quelqu'un dont l'extrême sensibilité ait à se plaindre de ne pas trouver de retour dans le cœur des personnes qui lui sont les plus chères, celui-là pourra apprécier ma douleur, et pardonnera à l'amertume de ce reproche, le dernier sans doute de ce genre que j'aurai à vous adresSer. Et peut-être ai-je à me reprocher à moi-même de vous causer ici une trop vive peine, vous, troupeau qui m'ètes si cher! Vous, les brebis privilégiées du divin pasteur, et son plus précieux héritage! vous qui faites toute la richesse de mou père, et le consolez de tout ce qui lui manque! Oui, mon père, je puis vous appliquer les paroles du psaume: Le sort vous est échu dune manière très - avantageuse, car votre héritage est excellent. Ce ne sera pas moi qui préférerai à cette église aucune des cités les plus opulentes, aucun des troupeaux les plus considérables. Pour être inférieure à toute autre par le nombre; pour être la moindre des tribus de la maison d'Israël, et mériter à peine d'être comptée parmi les milliers d'habitants de Juda, elle n'en est pas moins pour nous une autre Bethléem, où JésusChrist est commn, où il est honoré; où la Trinité sainte reçoit les hommages qui lui sont dos... Et vous si vous me rendez quelque affection, vous le champ, la vigue que Dieu altive par mes mains, ou plutôt par celles de notre commun père, qui vous à enfantés Jésus-Christ, en vous communiquant la mière de son Evangile; vous, partie de Li-même, accordez-moi aussi à moi-même quelque retour de tendresse et de considé stion. Le pourriez-vous refuser à l'homme i vous a préférés à tout? Vous m'en êtes moins, vous et celui de qui je tiens, soit autorité, soit le ministère que j'exerce au

près de vous. Ah! si l'amour ne se paie bien que par l'amour, que ne me devez-vous pas en échange de celui qui m'engage à vous? Pour l'acquitter, ce que nous vous demandons, c'est de garder fidèlement le dépôt de la foi, dans laquelle vous avez été élevés. La vraie piété ne consiste pas à parler beaucoup et souvent de Dieu; elle se manifesto bien mieux par le silence. La langue, à moins que la raison e la gouverne, est sujette à pécher: aimez à écouter plutôt qu'à discourir; et vous témoignerez à Dieu votre amour, en observant la loi bien mieux qu'en louant le législateur. » Le reste de ce discours rappelle les préceptes généraux de la morale chrétienne; et l'orateur le finit en félicitant Grégoire, son père, sur la beauté et la richesse de son troupeau. Passant des reproches aux louanges, il appelle les fidèles do Nazianze son champ, sa vigne, ses entrailles. Il compare leur ville à celle de Bethléem, à cause de la pureté de sa foi; car on n'y mesurait point la Divinité, comme e faisaient les ariens, qui, dans la Trinité céleste, voulant trop élever une personne audessus de l'autre, les déshonoraient toutes également, et confondaient et détruisaient toutes choses. Pour eux ils rendaient au Pere les honneurs qu'il mérite; ils croyaient que le Fils est consubstantiel à son Père, et que le Saint-Esprit est égal au Père et au Fils.

Invectives contre Julien. Julien l'Apostat étant mort le 27 juin de l'an 363, les païens s'efforcèrent de s'en consoler par les vains éloges qu'ils lui donnèrent. Libanius, entre autres, consacra son éloquence à déplorer dans deux discours une perte qu'il déclarait également funeste à la philosophie et au culte des dieux. Mais plus les païens se montraient sensibles à la mort de cet adorateur des démons, plus les chrétiens témoiguaient de joie de se voir délivrés d'un persécuteur aussi dangereux. Cette joie éclatait partout, dans les églises, dans les oratoires des martyrs, et jusque dans les théâtres mème, où le peuple insultait publiquement à sa mémoire C'est dans cette occasion que saint Grégoire, qui l'avait connu, prononça contre lui ces deux fameuses Invectives, où respire toute la véhémence des Philippiques et des Catilinaires. Le début de la première est remarquable par une sorte d'enthousiasme qui rappelle le langage des prophètes. Nous le transcrivons ici d'après latraduction dont s'est servi M. l'abbé Guillon.

« Peuples, écoutez ce que je vais dire; vous qui habitez la terre, soyez attentifs à mes paroles. Je vous appelle tous comme d'une éminence située au milieu du monde, d'où je voudrais que ma voix retentit aux deux extrémités de l'univers. Ecoutez, peuples, tribus, langues, hommes de toute coudition comme de tout âge; vous tous qui vivez maintenant, ou qui vivrez dans les siècles à venir. Et afin que ma voix s'étende plus loin encore, je voudrais qu'elle pénétrat jusqu'aux cieux, pour se faire entendre parmi les choeurs des anges qui ont exterminé le tyran, Celui que leurs mains vien

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