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contient plusieurs traits intéressants, nonseulement pour la maison des comtes de Chartres et de Blois, mais aussi pour l'histoire de cette abbaye. On y trouve des circonstances curieuses sur le départ d'Etienne pour la croisade. Elle a été rédigée à Coulommiers, où le comte préparait tout ce qui lui était né cessaire pour son premier voyage en Orient, et doit porter par conséquent la date d'août ou de septembre 1096. Après son départ, la comtesse Adèle confirma cette charte en présence de plusieurs seigneurs dont les noms se lisent au bas avec celui de Jean, qui en fut le secrétaire.

ETIENNE (Le cardinal), qui par son zèle et son attachement pour le Saint-Siége a mérité le titre glorieux de défenseur de l'Eglise romaine, était Français d'origine, suivant le témoignage d'Alfane, archevêque de Salerne, son contemporain et son ami. On ignore ce pendant le lieu de sa naissance, et tout ce qu'on peut dire de sa famille c'est qu'elle était noble. A cette extraction distinguée se trouvait jointe une grande pénétration d'esprit, relevée par une probité de mœurs incomparable qui lui a mérité des éloges de la part de tous les auteurs anciens. Plusieurs écrivains modernes supposent qu'il fut moine à Cluny, sous le gouvernement de saint OdiJong Onuphre le fait même abbé de SaintAndré du mont Scaurus, à Rome; mais Dom Mabillon, qui a étudié le fait, n'a trouvé aucune preuve suffisante pour l'affirmer. Etienne fit de bonnes études, et le fruit principal qu'il en tira fut une grande connaissance des lois de l'Eglise. Il l'employa dans la suite avec toute la vigueur d'un zèle chrétien à réprimer le vice et à soutenir l'innocence. Son savoir et sa vertu portèrent le Pape Léon IX à le créer cardinal prêtre de la sainte Eglise romaine, titre jusqu'alors inconnu. Au commencement de l'année 1058, le désir d'avancer la réunion de l'Eglise grecque avec l'Eglise latine, inspira au pape Étienne IX la pensée d'envoyer des apocrisiaires à Constantinople, comme l'avait fait déjà son prédécesseur. Il choisit pour l'exécution de ce dessein le cardinal Etienne, Didier, nouvellement élu abbé du Mont-Cassin, et Mainhard, depuis cardina: évêque de Blanche-Selve. Mais à peine les députés étaient-ils à quelques journées de Rome que la nouvelle de la inort du pape les fit revenir sur leurs pas. Le cardinal Etienne se retira au Mont-Cassin, où il passa la fête de Pâques. La confiance dont l'honorèrent les deux papes que nous venons de nommer lui fut continuée par Nicolas II et Alexandre II, leurs successeurs. Etienne fut légat en France, où il travailla pendant plusieurs années à combattre la simonie et l'incontinence des clercs et à réformer divers autres abus qui défiguraient la face de l'Eglise. Il tint à ce sujet plusieurs conciles dont nous ferons connaître les décrets en leur lieu. Dans le fameux schisme qui troubla l'Eglise, à la mort de Nicolas II, le collége des cardinaux lui confia, comme eu plus capable, une légation à la cour d'Allemagne, d'où l'on espérait quelques secours;

mais empêché par diverses intrigues, il se vit contraint de revenir à Rome sans avoir rien fait. Le cardinal Pierre de Damien faisait beaucoup de cas des lumières et du mérite d'Etienne, comme on peut s'en convaincre par ses lettres. Le cardinal Hildebrand, devenu Pape sous le nom de Grégoire VII, parle de lui comme d'un légat de la plus grande autorité. Comme Etienne ne fut jamais attaché par les liens de l'épiscopat à aucune église particulière, personne ne s'est mis en devoir de conserver à la postérité l'histoire de sa vie. Nous nous trouvons privés par là de tout ce qu'il a fait pour le bien de l'Eglise et du temps précis où il a vécu. Il est certain qu'il vivait encore au mois d'avril 1068, et on croit généralement qu'il ne mourut que l'année sui

vante.

SES ÉCRITS. L'histoire ne nous dit pas qu'Etienne ait employé son savoir autrement qu'à détruire le vice et à établir la vertu. Aussi, à peu de choses près, ne nous restet-il de lui que des décrets rédigés ou publiés en concile. Il en assembla un à Tours, dans l'église cathédrale, le 1" mars 1060. Il nous en reste dix canons avec une petite préface. On y voit que ce concile, formé de dix prélats, tant archevêques qu'évêques, dont aucun n'est nommé, et présidé par Etienne, s'était donné pour mission d'examiner soigneusement ce qu'il convenait de faire afin d'affermir l'état des églises ébranlées et presque ruinées dans les Gaules, plus encore qu'en aucune autre partie de la chrétienté. C'est dans ce but qu'ils publièrent ces canons; car il y a toute apparence qu'ils ne furent point formés par la délibération des évêques, mais qu'ils avaient été apportés de Rome, dressés d'avance par le légat. Ce qui le prouve, c'est que les canons ou décrets d'un autre concile célébré à Vienne en Dauphiné le 31 janvier de l'année précédente, sont les mêmes, mot pour mot. La préface aussi, à l'exception des dates et du nom des villes, est exactement la même; ce qu'Etienne renouvela probablement encore dans un troisième concile qu'il tint à Bordeaux le 1" avril 1068, et peut-être aussi dans tous ceux qu'il assembla en diverses églises de France pendant sa légation. Quoi qu'il en soit, ces canons roulent principalement sur la simonie, considérée dans toutes ses espèces, l'aliénation des biens ecclésiastiques, l'incontinence des clercs, les mariages entre parents et les moines apostats. Tous ces désordres y sont condamnés sous les peines les plus rigoureuses. C'est comme un précis de tout ce que le pape Nicolas II avait déjà prescrit, dans ses conciles de Rome, sur les mêmes points de discipline. Avant que ces actes fussent imprimés dans la Collection générale des conciles, Dom Luc d'Achery_les_avait déjà publiés dans ses Notes sur la Vie du bienheureux Lanfranc, mais sous le titre de Concile d'Angers. Il est possible que le légat Etienne les ait publiés aussi dans cette dernière ville, puisqu'il s'y trouva en 1067, comme il parait par sa signature à une acte de la même année en faveur de l'abbaye de

Saint-Florent de Saumur, et par l'excommunication qu'il prononça contre Geoffroi le Barbu, comte d'Anjou.

Lettre. Il est hors de doute que les fonctions de légat qu'Etienne exerça en France pendant tant d'années, l'engagèrent à écrire quantité de lettres. C'est une perte pour l'histoire de l'Eglise gallicane qu'on n'ait pas été plus soigneux de nous les conserver. On y apprendrait sans doute plusieurs points de sa discipline à cette époque, et on en tirerait aussi des éclaircissements précieux qui mettraient dans leur vrai jour bien des faits difficiles à apprécier sans cela. De toutes ces lettres, il ne nous reste que celle qu'il écrivit à Jean, évêque de Dol, qui prenait encore le titre d'archevêque, pour le citer au concile de Tours, dont nous avons parlé, Elle est bien écrite, et elle nous apprend que le même prélat avait été déjà cité à un concile de Rome, auquel il avait refusé de se trouver. L'auteur, parlant de Nicolas II, lui donne le titre de pontife universel. Il en use de même dans la petite préface publiée en tête de ses décrets. Ce titre, établi dès le siècle précédent, avait déjà passé en coutume. Outre la Collection générale des conciles qui l'a reproduite, cette lettre d'Etienne se trouve aussi parmi les Actes des églises de Tours et de Dol. M. des Cordes est le premier qui l'ait rendue publique, en la plaçant à la fin de son Appendice aux opuscules d'Hincmar de Reims.

ETIENNE, abbé de Liége, sur l'existence duquel Possevin ne se trompe que de trois cents ans, naquit dans la dernière moitié du xr siècle. Il est nommé aussi quelquefois STEPELIN, ce qui ne doit pas le faire confondre avec un autre Stepelin, moine de SaintTron, dont nous parlerons en son lieu. On ne sait pas au juste où il fut élevé, mais il avait fait de bonnes études pour son siècle, et on a tout lieu de croire qu'il embrassa la profession monastique à Saint-Jacques de Liége, où il se rendit aussi célèbre par son grand savoir que par son éminente vertu. Son mérite le fit élever à la dignité d'abbé, à la mort de Robert, arrivée en 1095. Peu de temps après sa promotion, il introduisit dans son monastère les usages de Cluny qui passaient alors pour les plus parfaits. De Saint-Jacques ils se communiquèrent à l'abbaye de Saint-Tron, par le ministère de deux moines qu'Etienne y envoya en 1103. Sous sa direction, sa communauté se distingua toujours par la doctrine la plus pure jointe à la plus exacte discipline. La bonne odeur que l'une et l'autre répandaient, pénétra jusqu'en Saxe, et lui attira les plus grands éloges de la part de l'abbé Tielmar et de toute la communauté d'Helmershausen, au diocèse de Paderborn. Il reçut de cet abbé et de ses moines une lettre conçue en termes magnifiques, et dans laquelle ils lui donnaient les titres de seigneur, de sérénissime Père, et plusieurs autres encore qu'on n'employe aujourd'hui qu'en écrivant au Souverain Pontife. La réputation d'Etienne attira à Saint-Jacques un moine de Helmershausen., chargé de faire travailler à

une histoire de saint Modoald, évêque de Trèves. Ce moine, après avoir beaucoup voyagé, confia ce travail à l'abbé Etienne, comme à celui de tous qui pouvait le mieux l'exécuter. En 1107, la mort de Tierry, abbé de Saint-Tron, causa dans ce monas tère des troubles qui contraignirent plu sieurs religieux, et Radulphe lui-même qui venait d'être élu abbé, à chercher ailleurs un lieu de refuge. Ils se retirèrent à Saint-Jac ques, où Etienne les reçut généreusement, et n'oublia rien pour les consoler de leur infortune. Il fit plus encore, il prit leur dé fense contre les vexations d'un violent intrus. L'empereur fit un voyage à Liége dans le but d'apaiser ces troubles scandaleux, et y convoqua une assemblée à laquelle il assista el prit part, ainsi qu'aux règlements qui y furent dressés. Il survécut à peine cinq ans à cette bonne œuvre, et mourut le 24 janvier 1112, après avoir conservé pendant dix-sept ans la direction de son monastère.

SES ÉCRITS. S'il faut s'en rapporter à plu sieurs anciens écrivains, Etienne a laissé un grand nombre d'ouvrages admirablement bien écrits: Præclara et multa mirifice.... com posuit. Cependant jusqu'ici on n'en a publié qu'un seul, et nous n'avons qu'une connais sance très-imparfaite de tous les autres. Celui qui est entre les mains du public, est la Vie de saint Modoald, dont nous avons parlé plus haut, mort évêque de Trèves vers l'an 640. L'éloignement des temps ajoutait beau coup aux difficultés d'un pareil travail, sur tout pour quelqu'un qui avait à cœur d'y mettre, autant que possible, toute l'exacti tude et toute la fidélité historique. Néan moins Etienne employa tout ce qu'il avait de sagacité à s'en acquitter de son mieux. Outre les mémoires que lui fournit le moine d'Helmershausen, dont nous avons parlé plus haut, il eut recours aux anciennes chroni ques et aux traditions du pays, deux sources aussi peu sûres que fidèles. Aussi, malgré toutes ses recherches, ne put-il réussir à trouver aucun monument particulier sur saint Modoald. Ceux-là, comme tant d'autres, avaient péri dans l'incendie que la ville de Trèves avait souffert de la part des barbares. Il fut donc réduit à se contenter de secours étrangers, qu'il avait tirés d'ailleurs, et avec lesquels il composa la Vie de notre saint. Elle est divisée en trois livres. Le premier contient la généalogie de son héros, qu'il suppose frère de la bienheureuse itte, ou Iduberge, femme de Pépin d'Héristal. Le second livre, qui est le plus prolixe, fait le détail de ses actions, et rapporte les cir constances de sa mort. Enfin, le troisième livre est consacré à l'histoire de ses miracles, excepté toutefois ceux qu'il o éra de son vivant et après sa translation. Il a mis à la tête de son ouvrage une assez longue épi tre dédicatoire adressée à l'abbé Tietmar et à toute la communauté d'Helmershausen. En y rendant compte de l'exécution de son dessein, il nous apprend que le motif qui faisait désirer avec tant d'ardeur à ce mo nastère éloigné de posséder une histoire de

saint Modoald, était la jouissance de ses reliques, qu'il avait obtenues de Brunon, l'un de ses successeurs, après les avoir longtemps postulées. Ceciarriva, en 1107, la vingt-septième année du gouvernement de l'abbé Tietmar. Ccette date, expressément marquée par l'auteur même de cette relation, suffit pour détruire l'opinion de ceux qui voudraient transporter à un autre Etienne, troisième du nom,t abbé de SaintJacques, l'honneur de cette Vie de saint Modoald. La raison est sans réplique, puisque Etienne III ne fut abbé qu'en 1134, c'est-à-dire longtemps après la mort de Tietmar, à qui l'écrit est adressé.

Cette histoire est suivie d'une longue relation rapportant tous les moyens qui furent mis en œuvre pour obtenir les reliques de saint Mo loald et de quelques autres saints, avec le récit de tout ce qui se passa sur la route de Trèves à Helmershausen, lors de leur translation, et même les premiers traits de l'histoire de cette abbaye. Il n'y a pas lieu de douter que, jusqu'au nombre LIX inclusivemment, cette relation ne soit due à la plume de l'abbé Tietmar ou de quelqu'un de ses religieux. C'est ce qui ressort visiblement de la dédicace qui se fit en tête. Elle est adressée à l'abbé Etienne et à toute la communauté de Saint-Jacques, au nom de Tietmar et de 'ses moines, qui, en reconnaissance de la Vie de saint Modoald qu'il avait composée pour eux, lui enyovaient la relation détaillée de tout ce qui s'était passé à la translation de ses reliques. Mais il se présente un doute touchant la suite de cette relation, telle qu'elle se lit depuis le nombre LIX jusqu'à la fin, Quelques critiques en font honneur à l'abbé Tielmar; mais Dom Mabillon et Dom Martène ne font aucune difficulté de l'attribuer à l'abbé de Saint-Jacques. Il y a mème beaucoup d'apparence qu'il a retouché l'histoire de la translation, comme l'abbé Tietmar l'en priait dans son épitre. Ce qui en fait porter ce jugement, c'est la ressemblance de style dans les deux pièces que nous venons de citer; style diffus, mais ileuri et assez bon pour le temps. Surius le premier a donné une édition incomplète de l'ouvrage de l'abbé Etienne; mais les successeurs de Bollandus T'ont fait imprimer sur des manuscrits qui le contenaient tout entier, On le trouve au 12 de mai dans ces deux recueils, mais Surius l'a enrichi de notes et fait précéder de quelques

observations.

Parmi les autres écrits de l'abbé Etienne, on compte particulièrement un Répons en l'honneur de saint Benoit, qui commence par ces mots: Florem mundi, et un autre en l'honneur de l'apôtre saint Jacques le Majeur. Comme il était fort habile musicien, il se plaisait à faire de ces sortes de pièces; et il parait qu'il en composa effectivement un grand nombre, dont l'existence ne nous est pas autrement connue.

ETIENNE DE MURET (Saint), fils du vicomte de Thiers, en Auvergne, et de Candide, son épouse, naquit en cette ville en 1048, et fut élevé avec beaucoup de soin

dans la piété et dans les lettres. Il n'avait que douze ans lorsqu'il fit avec son père le voyage d'Italie, et tomba malade à Bénévent. Le vicomte, obligé de poursuivre sa route, le laissa entre les mains de Milon, qui devint plus tard archevêque de Bénévent, et, comme lui, originaire de la maison d'Auvergne. Milon prit soin du jeune Etienne et se chargea de perfectionner son éducation. Il y avait alors dans la Calabre une congrégation de religieux soumis à la règle de Saint-Benoit et qui vivaient dans la plus stricte observance. Milon, qui connaissait leur vertu, avait coutume d'en faire l'éloge et ne cessait de les proposer pour modèles. Ses discours tirent impression sur l'esprit du jeune Etienne et lui inspirèrent le désir de les imiter; il se retira même parmi eux, et y vécut quelque temps, mais sans toutefois prendre l'habit monastique. I en sortit pour se rendre à Rome. Il était alors àgé de vingt-quatre ans, et il en passa quatre à la cour du pape Alexandre II, sollicitant la permission d'élablir un nouvel ordre sur le modèle de la congrégation qu'il avait visitée dans la Calabre. Il ne put l'obtenir, parce que la faiblesse de son tempérament faisait craindre que l'en treprise ne fût au-dessus de ses forces. Mais ayant renouvelé ses instances sous Grégoire VII, ce Pape, pour récompenser sa persévérance, se rendit à ses vœux, et lui accorda, par une bulle donnée la première année de son pontificat, la permission d'établir un ordre monastique, selon la règle de Saint-Benoit. Il revint alors en France, et, après un séjour assez court dans sa familie, il renonça à tous les biens et à tous les honneurs de ce monde pour s'ensevelir dans la solitude et se livrer à la pénitence. Il choisit le désert de Muret, près de Grandmont, au territoire de Limoges. Là, s'étant construit une petite cabane avec des branches d'arbres entrelacées, il se consacra à Dieu d'une manière toute spéciale, et avec des formules extraordinaires, puis il scella sa consécration en se passant au doigt un anneau, le seul objet qu'il se fût réservé de tous ses biens paternels. Etienne passa la première année de sa retraite seul et sans aucune consolation humaine. La seconde année, deux compagnons se joignirent successivement à lui; mais leur exemple fit peu d'impression; chacun se montra beaucoup plus curieux de les admirer que pressé de les imiter. Etienne n'avait encore qu'un très-petit nombre de disciples, lorsqu'il reçut, en 1111, Hugues de Lacerta, qui fut le plus célèbre; ce qui montre qu'on ne peut guère placer le commencement de l'ordre de Grandmont que vers la fin du xr siècle. Nous n'entreprendrons pas de faire ici le détail des actions de saint Etienne, ni de parler de l'austérité de sa pénitence, de ses jeûnes, de ses veilles, de son humilité, de sa charité, de sa sagesse, de sa prudence, de la solidité des instructions qu'il donnait à ses disciples, des lumières que Dieu répandait dans son esprit pour les conduire à des miracles par lesquels le ToutPuissant fit connaître la sainteté de son şer

viteur, avant et après sa mort. Nous nous contenterons de rapporter un trait de profonde humilité, qui rappelle assez celle du saint précurseur de Jésus-Christ. Quelque soin qu'il eût pris de vivre caché aux yeux des hommes, sa réputation s'était étendue au loin. Peu de temps avant sa mort il reçut la visite de deux cardinaux, légats du SaintSiége en France, et qui devinrent plus célèbres dans la suite, lorsque l'un d'eux, nommé Grégoire, fut élu Pape sous le nom d'Innocent II, et l'autre, Pierre de Léon, antipape sous le nom d'Anaclet II. Ces deux prélats, après s'être instruits de sa règle, lui demandèrent si ses disciples et lui étaient chanoines, moines, ou ermites. « Nous sommes, répondit le saint, des pécheurs conduits dans ce désert par la miséricorde divine, pour y faire pénitence. » Mais il ajouta, que quoique leur faiblesse ne leur permit pas d'atteindre à la perfection de ces saints ermites, qui passaient autrefois des semaines entières dans la contemplation, sans prendre aucune nourriture; cependant, comme ils s'étaient tant soit peu éloignés de la voie large, en s'efforçant d'imiter leurs frères qui servaient Dieu dans la Calabre, ils attendaient avec confiance la miséricorde de Jésus-Christ au jour de son dernier jugement. Les deux cardinaux, édifiés de la réponse d'Etienne, donnèrent à sa prudence et à son humilité les éloges qu'elles méritaient, et témoignè rent qu'ils n'avaient jamais rien vu de semblable et que l'Esprit saint parlait par sa bouche. Quelques jours après leur départ, Etienne tomba malade ses disciples lui ayant demandé comment, après sa mort, ils pourraient vivre dans une aussi grande pauvreté, il leur fit cette belle réponse : « Je vous laisse Dieu à qui tout appartient, et pour l'amour duquel vous avez tout quitté, jusqu'à vous-mêmes. Si, en aimant la pauvreté, vous restez constamment attachés à lui, sans jamais vous écarter du vrai chemin, sa providence aura soin de vous et il vous donnera tout ce qui vous est avantageux; si au contraire, contre tous mes vœux, la poursuite des biens temporels devait vous éloigner de lui, je ne veux point, sous prétexte de vous faire subsister, vous laisser des armes pour le combattre. » Le cinquième jour de sa maladie, il se fit porter dans la chapelle, où après avoir entendu la messe, reçu l'extrêmeonction et ensuite le corps et le sang de Jésus-Christ, il expira au milieu de ses disciples, en répétant ces paroles: Seigneur, je remets mon esprit entre vos mains. Etienne de Muret, à l'exemple de son patron, le premier des martyrs, saint Etienne, n'eut et ne voulut avoir d'autre titre que celui de diacre, et mourut dans cet ordre, le 8 de février 1124, à l'âge de quatre-vingts ans. Après sa mort, les Augustins de Limoges contestèrent à ses disciples la propriété du terrain qu'ils occupaient et les forcèrent d'abandonner Muret. Ils emportèrent avec eux le corps de leur fondateur, seul trésor qu'ils eussent à dé placer, et vinrent s'établir en un lieu voisin appelé Grandmont, d'où l'ordre a pris le nom

qu'il a conservé dans la suite des temps. Dieu fit connaître la sainteté de son serviteur par un grand nombre de miracles. Le Pape Clément III lui décerna un culte public, en le mettant au rang des saints, par une bulle datée du 13 mars 1189. Ce fut à cette occasion que Gérard, prieur de Grandmont, composa la Vie de son saint fondateur. Nous en parlerons en son lieu.

SES ÉCRITS.-Après tous es critiques, nous mettrons au premier rang, parmi les écrits de saint Etienne, l'acte remarquable par lequel il s'est consacré à Dieu. Il est trop court et trop édifiant pour ne pas le rapporter ici tout entier. Le voici : « Moi Etienne, je renonce au démon et à ses pompes; je m'offre à Dieu et je me remets entre les mains du Père, du Fils et du Saint-Esprit, un seul Dieu en trois personnes, vivant et véritable. » Tel est cet acte, tel qu'Etienne l'écrivit; puis après avoir passé à son doigt un anneau, comme marque de l'alliance qu'il voulait contracter avec Jésus-Christ, il mit cet acte sur sa tête et dit : « Dieu tout-puissant et miséricordieux, Père, Fils, et Saint-Esprit, un seul Dieu en trois personnes, qui vivez et régnez éternellement, moi frère Etienne, je vous promets, que dès ce moment ce désert est la demeure et le temple où je vous servirai dans la foi catholique. C'est pour cela que je mets cet acte sur ma tête et cet anneau à mon doigt, afin qu'au jour de ma mort cette promesse et cet acte me servent de bouclier et de défense contre les embûches de mes ennemis. Rendez-moi, Seigneur, je vous en supplie, la robe nuptiale; daignez me mettre au nombre des enfants de votre sainte Eglise, et lorsque mon âme se séparera de mon corps, revêtez-la de la tunique de votre charité, et faites-la entrer dans la salle du festin des noces de votre Fils, pour régner avec tous vos saints. Sainte Marie, mère de Jésus-Christ Notre-Seigneur, je remets à votre Fils et à vous, mon âme, mon corps et mon esprit. »>

Règle. Saint Etienne a laissé à ses disciples une règle distribuée en soixante - quinze chapitres, et précédée d'un prologue trèspathétique et tout empreint des grands principes de religion dont l'auteur était pénétré et dans lesquels il avait été instruit. «Toutes les règles des divers ordres religieux, dit-il, ne sont que des ruisseaux et non la source de la religion; ce sont des feuilles et non la racine. Il y en a une qui est la règle des règles, et l'origine de toutes les autres, c'est l'Evangile. C'est là que tous les fidèles ont puisé et qu'ils puiseront jusqu'à la fin des siècles, pour y trouver les moyens d'observer les commandements de Dieu et d'arriver à la perfection. » Il veut que ses disciples répondent à ceux qui seraient curieux de savoir quelle est la règle dont ils font profession, qu'ils n'en observent point d'autre que l'Evangile. Si on leur faisait voir qu'elle contient quelque chose tant soit peu contraire à l'Evangile, il veut que l'on corrige la règle, quoiqu'il assure n'y avoir rien mis que par l'avis des docteurs et des personnes de la

plus grande piété, et après avoir consulté avec un soin religieux les règles des Pères pour s'y conformer. Cette règle contient plusieurs statuts excellents. La pauvreté et Tobéissance y sont recommandées comme le principal fondement de la vie religieuse. Le quatrième est remarquable par la défense que ce législateur fait à ses disciples, d'avoir des églises et de recevoir aucune rétribution pour des messes. Les jours de dimanches et de fêtes, l'entrée de leur oratoire est interdite aux séculiers, parce qu'il convient qu'ils assistent aux offices dans leurs propres églises. Tout commerce et tous procès sont défendus par le quinzième chapitre. Le cinquante-quatrième, qui confie le soin du temporel aux frères convers, a occasionné dans l'ordre de Grandmont des troubles qui ont fili le renverser. Dans le cinquantesixième, on voit quelle était la charité du saint instituteurà l'égard des malades, pour le soulagement desquels il ordonne qu'on vende même les ornements de l'église. Néanmoins il leur interdit l'usage de la viande, sans exception. Il prescrit un jeûne perpétuel depuis l'Exaltation de la sainte Croix jusqu'à Pâques, excepté le dimanche et le jour de Noël; avec cette différence aussi que, pendant le carême, l'unique repas se faisait après Vêpres, et dans les autres temps après None: depuis la fête de la Toussaint jusqu'à Noël, il prescrit la même abstinence que pour le carême; dans les autres jeûnes il permet l'usage des œufs et du fromage. L'élection du prieur de Grandmont se devait faire par tout l'ordre; deux religieux de chaque monastère se rendaient au lieu de l'élection, où on en choisissait douze, six clercs et six convers, qui élisaient le prieur. Cette règle a été approuvée par plusieurs Papes, dont quelques-uns ont inodité différents articles; elle a été mitigée en particulier par Innocent IV, l'an 1247, aprés le concile général de Lyon; et par Clément V, à Avignon, en 1309.

L'éditeur de Rouen qui a publié cette règle, et Baillet, dans sa préface sur la traduction des Maximes de saint Etienne, avancent qu'il se contenta d'instruire ses disciples par ses paroles et par son exemple, sans jamais rien écrire; ils disent que sa règle a été recueillie après sa mort par Pierre de Limoges, et rédigée dans la forme où elle est par Gérard, septième prieur de Grandmont. Mais Dom Mabillon, et après lui Dom Martène, dans une addition qu'il a faite à son manuscrit, Soutiennent que cette prétention ne repose sar aucune autorité, et qu'il suffit de lire celte règle avec quelque attention, pour être persuadé que le véritable auteur est saint Etienne, qui s'y découvre lui-même, tant dans le prologue que dans les chapitres 9, 11. 14.

On a douté aussi pendant longtemps que saint Etienne de Muret et ses premiers disciples eussent fait profession de la règle de Saint-Benoit. Trithème, Yepez, Haeftenue, Lewire, Choppin et plusieurs autres ont été pour l'affirmative. Le P. Mabillon lui-même

a d'abord suivi ce sentiment, dans sa préface

sur la seconde partie des Actes du vi' siècle; mais ayant examiné ensuite avec plus d'attention les fondements sur lesquels cette opinion est appuyée, il en a reconnu le peu de solidité, et toujours conduit par l'amour du vrai, il a changé d'avis. Il est inutile de rapporter ici les raisons qui font voir que saint Etienne de Muret n'a suivi ni la règle de Saint-Benoit ni celle de Saint-Augustin, mais qu'il en a dressé une particulière. Le lecteur peut consulter là-dessus ce que dit Dom Martène dans sa préface au VI volume de sa grande Collection, où il parle de l'ordre de Grandmont et de ses commencements. Il nous suffit de dire que, quelle que fût la règle de ce saint instituteur, ses disciples firent l'admiration et l'étonnement du siècle par leur sainteté. Tous les écrivains qui en ont parlé en ont dit des choses merveilleuses. C'étaient des anges, selon l'expression de Pierre de Celles, qui était persuadé que la moindre prière de ces saints solitaires pouvait lui procurer le secours du Ciel. Jean de Salisbury, auteur contemporain, nous les représenté comme des hommes qui, s'étant élevés au-dessus des nécessités de la vie, étaient parvenus à vaincre non-seulement la cupidité, mais la nature même. Etienne de Tournay n'en parle pas avec moins d'éloges. Il les appelle Bons hommes, nom qui leur fut donné comme pour marquer le caractère particulier de leur piété; de sorte qu'on appelait Boni-hominias les maisons qu'ils habitaient. La règle de Saint-Etienne a été imprimée à Dijon, en 1645, petit in-12, sous ce titre Regula sancti Stephani confessoris, auctoris et fundatoris ordinis Grandimontensis. Albert Barny, vicaire général de l'ordre, la fit réimprimer à Paris, in-18, en 1650, et y joignit les Maximes de saint Etienne, recueillies par ses disciples; les constitutions et les statuts dressés dans le chapitre général tenu en 1643, et enfin l'office du saint fondateur. Eustache Viret l'a publiée à Rouen, en 1671.

Maximes. — Indépendamment de sa règle, nous avons aussi de saint Etienne des maximes et des instructions qui n'ont été recueillies par ses disciples qu'après sa mort. Baillet prétend que les disciples de saint Etienne présentèrent ce recueil et voulurent le faire accepter pour l'unique règle de leur institut, qui, selon lui, n'en avait effectivement pas d'autre alors que l'Evangile, c'està-dire la règle commune de tous les disciples de Jésus-Christ, et le Testament laissé à tous ses enfants. « A dire vrai, ajoute-t-il, ces maximes ne sont autre chose que les maximes de l'Evangile même; et l'on peut juger que saint Etienne n'avait pas eu intention de donner une autre règle à ses disciples, puisqu'à la fin de ses jours illes exhortait encore à persévérer dans la règle qu'il avait prise de l'Evangile pour les conduire : Tantum in regula, de Evangelio per me sumpta, perseveretis. » Ces paroles, citées par Baillet, ne semblen-enes pas prouver le contraire de ce qu'avance ici le célèbre critique? Si absolument Etienne n'avait donne,

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