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c'est ce qu'il affirme lui-même (1); c'est ce qu'attestent unanimement les ménologes, les biographes et les historiens ecclésiastiques. Si donc l'on se rappelle que saint Paul, au rapport de l'antiquité, prenait sur ses auditeurs un magique ascendant, si l'on se rappelle la haute théologie dont ila confié le secret à ses Epitres, on avouera que le disciple d'un tel maître dut faire des progrès rapides, et, pour employer un mot de saint Chrysostome (2), que le nourrisson de cet aigle dut prendre vers les choses divines un magnifique essor. Aussi est-il dit qu'il se distingua par sa science autant que par sa vertu, et qu'il fut choisi pour évêque de sa ville natale (3). Philosophe distingué, pieux et sa vant évêque appelé à justifier les dogmes du christianisme devant les nombreux sectateurs de Platon, d'Aristote et de Zénon, saint Deuys aborda, sans doute, les plus hautes questions qui tourmentaient la philosophie et leur donna une solution scientifique. La direction jusque-là imprimée à son génie et l'empire des circonstances le jetaient nécessairement dans cette voie. Si donc il a laissé quelques écrits, on devra y trouver le double caractère que revêtirent ses enseignements, les conceptions du philosophe et la foi pure du théologien. Or, il suffit de lire quelquesunes des pages qui lui sont attribuées, pour se convaincre que l'auteur de ces œuvres était également façonné aux spéculations philosophiques, et versé dans la science de la religion. Il disserte avec justesse et profondeur sur les plus incompréhensibles attributs de Dieu; la création, l'origine et la nature du mal sont admirablement expliquées. La hiérarchie des esprits célestes est présentée comme un reflet de la Trinité, et comme le type de notre Eglise terrestre. Les sacrements, canaux de la grâce, nous transmettent la charité, fleuve de feu qui jaillit du trône de l'Eterael, traverse tous les ordres des choses créées, et remonte à sa source, emportant vers leur principe tous les cœurs qu'a touchés le céleste incendie. Les mondes naturels et surnaturels sont décrits, leur différence établie, leurs rapports constatés; et emportée sur les ailes de la foi, la raison de l'écrivain franchit d'un vol tranquille et assuré des régions que nul regard n'a jamais contemplées qu'en tremblant. Au surplus, des hommes qui portent un beau nom dans la science et la religion ont donné à saint Denys un brevet authentique de philosophie et de théologie. Nul ouvrage de l'antiquité ecclésiastique ne fut si fréquemment traduit ou commenté que les écrits de notre Aéropagite. Scot Erigène en offrit une version latine aux Français du temps de Charles le Chauve. Le moyen âge en fit ses délices, et ils conquirent l'estime des plus renommés docteurs, Hugues de Saint-Victor, Albert le Grand, Alexandre de Halès, saint Thomnas. Marcille Ficin, que la Renaissance

(1) De div. Nom., cap. II, III, IV, VII. (2) De Sacerd., lib. iv.

EUSEB., Hist. Eccl., lib. iv, cap. 5.

DICTION. P PATROLOGIE. IL

appelait l'âme de Platon, enrichit de notes savantes plusieurs des traités de saint Denys. Enfin Bossuet lui emprunte parfois ces puissantes idées par lesquelles son génie élargit et illumine les questions.

« Puisqu'il a été prouvé d'un côté que saint Denys l'Aréopagite fut versé dans la science de la philosophie et du christianisme, et que, d'autre part, ses livres rapi ellent à la fois le philosophe et le docteur de l'Eglise, on doit conclure qu'ils ont ce signe intrinsèque d'autorité que nous avons indiqué en premier lieu. Il est vrai, la concordance que nous venons de signaler n'établit pas une parfaite certitude; mais la question ǹe comportant point une démonstration mathématique, on ne saurait l'exiger de nous; tout ce qu'on peut attendre, c'est que notre opinion soit marquée au coin de la vraisemblance, et même de la probabilité. Or, nous croyons que le lecteur la jugera telle. Ensuite, quoiqu'un faussaire donne sans doute à ses œuvres un semblant de légitimité, il ne faut pourtant pas traiter une œuvre comme supposée, par cela seul qu'elle a infiniment l'air d'être authentique. »

2° L'auteur aborde ensuite le second chef de sa question et s'efforce de prouver que le style des écrits qu'il examine, aussi bien que le fond des choses, rappelle les études et la position d'ailleurs connue de saint Denys.

« Le style, forme sensible de l'idée, porte l'empreinte du caractère personnel et des études antérieures de l'homme qui parle et qui écrit. Il le façonne à la ressemblance, et si j'osais le dire, à la taille des pensées qu'il exprime et revêt; il subit l'influence de l'école et du temps auquel un auteur appartient. Car à tous les peuples, à toutes les époques, à tous les esprits, n'échoit pas une égale part dans le patrimoine de la vérité, ni une égale justesse de sentiment dans l'appréciation du beau, ni un égal génie pour le reproduire. Chaque siècle, chaque homme a sa physionomie littéraire. Cette diversité prodigieuse semblerait au premier coup d'œil rendre parfaitement arbitraire le classement chronologique d'un livre d'après les seules données que fournissent le style, et, comme on le dit en peinture, le faire d'un auteur. Toutefois, si l'on observe que les phases subies par un même idiome sont en général bien tranchées, et qu'il est réellement impossible qu'une génération s'applique d'une part à renier ses idées, ses sentiments, son caractère propres, et de l'autre à dérober aux générations antérieures le secret de leur littérature, et à ne créer que des pastiches, on avouera que la forme artistique d'un monument littéraire est une assez sûre indication de sa date, et qu'un ouvrage porte dans le style dont il est écrit comme un extrait de naissance. Or, dans l'espèce, et en appliquant ces remarques aux livres dont nous recherchons l'origine, quel sera le résultat probable de nos investigations? Arriverons-nous à conclure qu'ils sont authentiques? Je le pense, parce que la forme litteraire qu'ils affectent est préci

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qu'il n'aurait jamais eu le cœur saisi par une de ces émotions puissantes qui ont besoin de parler une autre langue que celle de la vie matérielle et positive. Ainsi s'explique naturellement un des caractères les plus frappants du style de saint Denys, l'enthousiasme et le tou pindarique.

sément celle que pouvait prendre l'ouvrage composé par un philosophe converti du premier siècle. Qu'on parcoure, por exemple, le Traité des noms divins, où les questions discutées déjà par les anciens trouvaient naturellement leur place, et appelaient une solution philosophique, n'est-il pas vrai que les théories platoniciennes y apparaissent ramenées à l'orthodoxie et sous le vêtement de la religion nouvelle, tellement que, comme on avait dit de Platon que c'était Moïse parlant grec, on pourrait dire de saint Denys que c'est Platou parlant chrétien. Même on doit tenir compte de cette observation, si l'on veut comprendre parfaitement la doctrine de notre auteur: c'est ce qu'insinuent Nicolas de Cusa, saint Thomas et Marcille Ficin. Et il y a plus: cet air de famille est si prononcé qu'on a voulu en faire contre saint Denys le texte d'un reproche, soit pour l'accuser de paganisme, soit pour contester l'authenticité que nous défendons. Or, il ne serait pas étonnant que saint Denys eût été platonicien. Celui que les païens eux-mêmes nommaient, pour l'élévation et la pureté de sa doctrine, le dieu des philosophes, a bien pu entraîner et ravir les âmes qu'une sagesse et une droiture naturelles préparaient au christianisme. Les anciens Pères ont signalé la glorieuse analogie qui rapproche en quelques points la doctrine de Platon de celle de l'Evangile (1), et la plupart de nos docteurs sont passés de l'école du premier à la sainte discipline du second (2). On peut facilement croire que l'aréopagite Denys a parcouru les mêmes phases. Au moins c'est une manière très-naturelle d'expliquer la tournure platonicienne de ses conceptions, et rien absolument ne rend cette interprétation improbable ou illégitime. Il y a donc ici plutôt un préjugé en notre faveur qu'une arme contre nous. Qu'on lise ensuite, si l'on veut, les passages où saint Denys traite des Ecritures, des apôtres, de nos mystères, de Dieu et de ses attributs : la pompe, l'énergie, la répétition des mots, décèlent évidemment une âme qui essaie de donner libre cours à des pensées qui la remplissent, à des sentiments qui débordent en elle, comme tous les hommes qu'envahit un saint enthousiasme, une noble inspiration. Or, n'est-ce pas là ce qu'on pouvait, ce qu'on devait retrouver dans ce néophyte? Ramené de la philosophie au christianisme, sa conscience tressaillit sans doute sous le flot de ces sentiments dont l'âme est toujours inondée à la suite des grands et solennels changements qui bouleversent l'existence jusque dans ses profondeurs intimes, et creusent un autre lit à la pensée et aux affections. Vivement remué, il a voulu exprimer des joies si neuves par des paroles vives et hyperboliques; sa phrase a pris des allures de dithyrambe, et ses fortes convictions éclatent en superlatifs multipliés. Celui qui nierait la valeur de cette observation, c'est

(1) ARNOB., lib. 1 et 11 adv. Gent. (2) SAINT JUSTIN, CLÉMENT D'ALEX., etc.

« On remarquera également des locutions jusque-là inusitées, par lesquelles le docteur chrétien s'efforce de rendre la sublimité des enseignements évangéliques. La langue grecque se prêtait, il est vrai, à de semblables compositions de mots, mais celles qu'adopte généralement saint Denys n'avaient pas été consacrées par l'usage... Et il est infiniment regrettable que les idiomes modernes, tous formés sous l'influence du christianisme, n'aient pas donné des lettres de naturalité à certaines manières de dire exceptionnelles dont la théologie aurait besoin, et qu'ainsi nous soyons obligés d'user de la liberté qu'a prise l'écrivain grec et de faire, à son imitation, les barbarismes suivants Supra divin, supra céleste, translumineux, sur-essentiel, et d'autres encore... Comme chacun peut en juger, notre opinion rend assez heureusement compte de ces étrangetés de style que présentent parfois les œuvres de saint Denys. La lecture même rapide des livres qu'il a laissés convaincra que la façon d'écrire de l'auteur mérite d'être applaudie, quoiqu'on puisse bien ne pas la nommer absolument irréprochable. Parmi quelques taches qui sont comme le cachet de l'époque brillent des beautés nombreuses que n'aurait pas désavouées le siècle de Périclès... Mais ne serait-ce point une preuve de supposition que l'obscurité et la magnificence, deux caractères si marqués du style de saint Denys, etquene présentent nullement les autres écrits de nos premiers docteurs, et en particulier des apôtres ? En effet, rien de plus simple et de transparent comme la pensée et la diction d'Hermias, de saint Ignace, de saint Polycarpe. Or, ne doit-on pas rapporter à des époques diverses des œu vres de si diverse apparence? - D'abord, en ce qui concerne l'obscurité alléguée, la remarque qu'on nous oppose est fondée sur l'ignorance totale de l'antiquité, soit profane, soit ecclésiastique. Tout le monde sait avec quelle réserve la philosophie païenne distribuait ses oracles... chacun a rencontré au moins une fois dans ses lectures les logogriphes que Platon adressait à son royal adepte. Aristote dit qu'on doit revêtir d'ornements et rendre ainsi plus accessibles au vulgaire les choses qu'il lui importe de savoir, mais qu'il faut dissimuler sous des locutions mystérieuses les choses qu'il ne lui est pas permis de connaître. Tels furent du reste l'aveu et l'usage des poëtes et des philosophes.

«L'Eglise a pratiqué dans les premiers siècles cette même discipline du secret. C'était conforme aux exemples et aux enseignements du Seigneur; car il s'exprimait en figures et en paraboles, et il recom

mandait formellement à ses disciples une sage discrétion. Aussi les premiers apologistes du christianisme. Tertullien (1), Ori

gène (2), Athénagore (3), saint Justin (4), Clément d'Alexandrie (5), n'ont pas cru devoir faire à la religion le sacrifice du silence prescrit, ni décourager la calomnie par la divulgation positive des saints mystères. Il y a plus les pasteurs des peuples, dans leurs instructions aux catéchumènes, respectaient les limites posées par la tradition; et cette sorte d'interdit jeté sur les vérités les plus augustes de l'Evangile ne se levait qu'en faveur des initiés, comme nous l'apprennent saint Ambroise (6), saint Cyrille de Jérusalem (7), saint Basile (8), saint Grégoire de Nazianze (9), saint Jean Chrysostome (10), et saint Augustin (11).

En cela la philosophie et surtout l'Eglise avaient de graves raisons, qui subsistent en tout état de choses et qu'on pourrait se rappeler utilement plus d'une fois dans la vie. Il y a tels esprits qui blasphèment ce qu'ils ne comprennent pas; il y a tels cœurs qui ne battent jamais que pour ce qui est ignoble; il y a telles gens que vous faites rire quand vous leur parlez le langage d'une conviction ardente. C'est ce qu'observent et développent les auteurs cités plus haut. C'est ce que comprit saint Denys, élève à la fois de la philosophie et du christianisme... Il s'enveloppa d'une obscurité préméditée, laissant au voile assez de transparence pour l'édification des intelligences fidèles, et assez de profondeur pour que les profanes ne pussent devenir indiscrets. C'est pourquoi ses livres rappellent en certains endroits ces passages énigmatiques des anciens philosophes, qui n'invitaient pas indistinctement tous les hommes au banquet de leur doctrine, et ces religieux discours de nos docteurs où la vérité, comme si elle craignait le Jegard irrespectueux d'un esprit mal préparé, se réfugie avec ses splendeurs dans une sorte de ténébreux sanctuaire. Loin donc qu'il y ait une preuve de supposition dans celle obscurité mystérieuse, on y doit voir au contraire une manifeste preuve de haute antiquité, la discipline du secret ayant existé dans l'Eglise dès le principe, et mème les raisons de la pratiquer étant beaucoup plus fortes pour les premiers siècles que pour les temps postérieurs. On ne peut non plus rien inférer contre nous de la magnificence du style qu'emploie saint Denys. Quand même son éloquence serait ornée avec ce luxe asiatique que lui reprochent les protestants Illyricus et Scultet, que s'en sui

(1) Apologet., no 7.
(2) Contra Celsum.
(3) Legatio pro Christianis.
(4) 1 et 11 Apologies.
Stromat., liber jus.

(6) De Mysteriis, et alibi.
Cateches. VI.

(8) De Spiritu Sancto.

(9) Oratio 35a et 42a.

(10) Homil. 18 in II ad Corinth.

(11) In Joan., tractatus II et alibi.

vrait-il? qu'un auteur des temps apostoli

ques a manqué de goût, conclusion qui dans l'espèce est parfaitement insignifiante et laisse intacte la question de l'authenticité... Au reste, il y a bien quelque étrange logique à dire qu'un livre ne remonte pas au temps des apôtres parce que le style en est obscur et plein de magnificence. Les protestants trouvent-ils donc si faciles à lire les Epitres de saint Paul aux Romains et aux Hébreux, si dénué de grandeur l'Evangile de saint Jeau, si simple et si claire l'Apocalypse? Cependant saint Pierre prononce que l'on ne comprend pas sans peine les écrits de son frère l'Apôtre des nations; les cent vingt-cinq discours que saint Augustin nous a laissés ne semblent pas tout à fait inutiles à ceux qui veulent pénétrer les oracles de saint Jean, et des hommes de foi et d'intelligence ont laborieusement commenté l'Apocalypse sans se flatter d'en avoir bien atteint le sens exact. Mais aussi pourquoi ces catholiques n'avaient-ils pas confiance en l'esprit propre ? L'auteur des ouvrages publiés sous le nom de saint Denys rappelle la part qu'il a prise à des événements contemporains; il cite les hommes. de son époque et les relations qui l'attachaient à eux, tellement que ces indications sont en conformité parfaite avec ce que nous savons d'ailleurs de saint Denys l'Aréopagite. Ainsi il se nomme disciple de saint Paul, ce qui est facilement admissible d'après ce qu'on lit dans les Actes des apôtres (1). I observa, dit-il, l'éclipse de soleil (2) qui eut lieu à la mort du Sauvear, phénomène miraculeux dont nous trouvons la preuve dans les Evangiles (3), dans Phlé gon cité par Eusèbe et dans Eusèbe luimême, etc., etc. I mentionne l'hospitalité qu'il trouva chez Carpus (4), le mène qui est cité par l'apôtre (5). Il rappelle que Timothée reçut avec lui les leçons de saint Paul (6), et que c'est à la prière de cet ami qu'il composa les deux livres de la hiérarchie ecclésiastique et des noms divins (7); or le premier fait a quelque rapport avec ce que les écrits inspirés nous apprennent de Timothée, et, en soi, le second est parfaitemeat croyable. Il écrit au disciple bienaimé exilé dans Pathmos (8), à Tite, élève de saint Paul (9), à Polycarpe, évêque de Smyrne (10), à Caius, dont il est question dans plusieurs endroits des saintes lettres (11), tous personnages évidemment con temporains. Les témoignages divers qu'il invoque en ses œuvres sont de même em pruntés aux hommes de son temps; ainsi

(1) Act., cap. xvII et xvIII. (2) Epist. ad Polycarp.

(3) Math., xxvn; Marc, xv, 23, etc. (4) Epist. 11, 6.

(5) Epist. ad Timoth.

(6) De div. Nom. c. 1,

Ibid., cap. n.

(8) Epist. x.

(9) Epist. IX.
(10) Epist. v.

(11) Act. Apost. XIX, 29, etc.

s'appuie-t-il de l'autorité de saint Paul, de Hiérothée, que l'on connaît peu du reste (1), de saint Barthélemi (2), de saint Ignace (3). Enfin ce qu'il dit du chant dans les églises (4) est une nouvelle preuve de sa haute antiquité, car on voit, d'après un passage de la Hiérarchie ecclésiastique, qu'en ce temps n'existait pas encore l'alternation des chœurs, qui cependant prit naissance à Antioche sous l'inspiration de saint Ignace, son contemporain, se répandit bientôt parmi les chrétientés de l'Asie occidentale, et fut universellement adoptée sous Constantin.

« Si donc il faut en croire la parole de notre écrivain, il n'y a pas le moindre doute à conserver sur l'authenticité des œuvres que nous examinons. Si, au contraire, on veut les traiter comme apocryphes, il faut alors opposer des raisons graves, irréfutables à des assertions multiples et posi

tives. >>

Après avoir réfuté les objections de ses adversaires, qui toutes se résument dans l'exposé que nous avons emprunté plus haut au travail du docteur Henri Ritter, M. l'abbé Darboy conclut ainsi : « Les assertions de saint Denys sont expresses; elles se trouvent confirmées d'ailleurs par des faits, ou positivement avérés, ou facilement croyables. Les textes ambigus que l'on invoque contre nous peuvent recevoir une interprétation plausible, qui appuie notre opinion, ou du moins ne la ruine pas. Il résulte de là que les écrits attribués à notre Aréopagite ont un troisième caractère intrinsèque d'authenticité. En accusant de faux l'auteur de ces livres, ils deviennent totalement inexplicables, et la parole d'un homme en aucune circonstance possible ne sera une garantie de vérité. Nous l'avons dit et prouvé plus haut; si l'on ajoute foi aux paroles de notre écrivain, la date de son existence est clairement fixée, et nous sommes suffisamment éclairés sur l'origine de ses ouvrages. Il est contemporain des apotres, disciple de saint Paul, ami de saint Jean. Il a vu les funérailles de la Vierge Marie; il a été en rapport avec de pieux et illustres personnages. Or, ces citations sontelles inexactes, oui ou non? Eh bien! non! cet homme n'est pas, ne peut pas être un imposteur! En effet, à moins d'être fou, on ne trompe pas sans motifs. Ensuite, il n'y a jamais motifs de Courberie pour une âme honnête et loyale. On ne se fait imposteur que par méchanceté ou par faiblesse; dans le premier cas, on veut le mal par le mal; dans le second, on emploie le mal comme moyen du bien. Mais les esprits droits et les coeurs fermes vont au bien par le bien, c'est-à-dire, par la vérité. Or, il est absolument impossible d'assigner un motif quelconque à la fraude qu'on suppose en notre auteur, et il est facile de prouver que tous

(1) In opera sanct. Dyon.
(2) De mystic. Theolog., 1.
(3) De div. Nom., cap. IV.

(4) De Eccles. hierarch., cap. II.

les motifs imaginables n'auraient jamais vaincu en lui le respect pour la justice et la vérité. Car que voulait-il en écrivant ? Prétendait-il recommander de fausses doctrines, et chercher pour sa secte un glorieux et puissant patronage dans le nom de saint Denys? Mais ses livres sont purs de toute erreur. Il sonde, d'un sage et hardi regard, les dogmes les plus redoutables, et pénètre les régions habitées par les anges. Nous lui devons d'heureuses explications de quelques oracles de nos Ecritures, et des aperçus profonds sur le sens caché des sacrements. Il parle de Dieu, de sa nature, de ses attributs avec une élévation et une exactitude que peut-être aucun docteur n'atteignit; car il surpasse, au dire de plusieurs, saint Grégoire de Nazianze et saint Augustin par la splendeur de sa doctrine et la majesté de son élocution. Les plus renommés théologiens ont loué son orthodoxie irréprocha ble. Il ne fut donc pas prédicateur de l'hérésie; c'est un fait matériel dont tout le monde peut se convaincre et que personne ne saurait nier. Il n'a donc pas écrit pour propager l'erreur. »

Mais, soldat de la vérité, n'a-t-il pas voulu la servir par le mensonge? Nous répondrons que les faits combattent cette supposition et que la saine logique ne l'autorise pas. Entre plusieurs raisonnements de M. Darboy pour établir cette opinion, nous n'en reproduirons ici que quelques-uns.

« L'allégation du nom de saint Denys, à la tête des œuvres qui lui sont attribuées, devenait alors une duplicité parfaitement inutile; car les vrais croyants de tous les siècles ont admis que le témoignage d'un seul docteur, surtout quand il parle non point comme organe de la tradition, mais comme écrivain qui philosophe, ne suffit pas à fonder les décisions de l'Eglise, ni conséquemment notre foi. Ses assertions en matière de dogmes sont confrontées avec l'enseignement général conformes, on les reçoit; opposées, on les rejette; ainsi le sceau de la catholicité ne leur est imprimé qu'après cette épreuve, où elles figurent, comme chose contestable encore et non comme règle souveraine. Quand donc apparurent les œuvres attribuées à saint Denys, elles subirent cet examen. Si elles eussent combattu le langage des Pères, on les eût réprouvées; parce qu'elles furent admises, on doit conclure qu'elles reproduisaient la doctrine antique. Mais, en ce cas, à quoi bon l'imposture que supposent nos adversaires?... Un écrivain plein de génie, comme celui dont il s'agit, ne se fût pas appliqué à combiner une foule d'odieux et ingrats mensonges. Et par ce que la fourberie devenait évidemment inutile, il n'est pas vraisemblable qu'il l'ait commise. De plus, comment cet esprit si remarquable, qui disserte avec tant d'élévation sur la nature du bien et du mal, a-t-il pu ignorer qu'on ne sert point Dieu par l'hypocrisie et le mensonge, et que ce qui n'est pas ne saurait protéger ce qui est, ni le mensonge servir de sauve-garde à la vé

s'ils en reconnaissent l'existence, du moins ils en rendent toute application impossible; car si cet écrivain a menti, alors un homme d'intelligence peut agir sans motif, un homme de cœur peut être fourbe; ou si cet écrivain n'a ni intelligence ni cœur, alors, les mots n'ont plus aucun sens fixe et la parole d'un homme ne saurait jamais être le reflet de sa pensée.

« On a vu que les doctrines, le style, les assertions, le caractère de l'auteur des livres attribués à saint Denys, prouvent assez bien qu'ils ne sont pas apocryphes. Tels sont donc les titres d'origine que ce monument porte en lui-même. Venons maintenant à la conviction des érudits sur cette matière; leurs témoignages donneront à notre sentiment un haut degré de probabilité, peutêtre une certitude morale.

rité. L'enfance connaît cette loi et la suit instinctivement; et s'il lui arrive parfois de a violer, elle en atteste encore l'existence par l'embarras de sa physionomie et la pudeur de son front. Quand même le philosophe eût perdu de vue, le chrétien se fût rappelé sans doute ce noble principe que l'Evangile avait popularisé dans le monde. On n'a pas le droit de supposer que l'auteur du traité des Noms divins et de la Hiérarchie ecclésiastique ait ignoré une doctrine que tous nos livres expriment, dont nos églises ont toujours retenti. Et non seulement il l'a connue, mais il l'a suivie. Car l'homme sincèrement religieux apparaît dans ses ouvrages aussi bien que l'écrivain distingué. Sa parole grave et pieuse commande le respect son regard s'est exercé aux contemplations les plus sublimes; les choses divines lui sont familières. Or, cette science intime et profonde de la vérité ne s'acquiert point par l'imagination ou par un effort de génie; Dieu la donne à qui détache son esprit et son cœur des choses terrestres. Il répugne donc d'admettre que cet homme sanctifié, et en qui la lumière divine déborde avec tant de richesse et d'éclat, ait voulu ternir la pureté de sa conscience par l'hypocrisie. Quelle gloire y a-t-il donc devant Dieu et devant le monde, quel avantage pour cette vie et pour l'autre dans une lâche imposture? Quelle fascination peut exercer sur un cœur droit le hideux plaisir de tromper? J'en demande pardon à ces illustres saints, mais conçoit-on que les Basile, les Chrysostome, les Augustin, à côté des solennels exseignements de la foi, à la suite d'un énergique cri d'amour, nous racontent du même style et avec le même accent des faussetés insignes? Cette induction légitime et concluante à leur égard, ne l'est pas moins à l'égard de notre auteur. La piété, mère de la véracité, respire dans ses écrits; il n'est donc ni juste ni possible de penser qu'il ait sacrifié au mensonge. »

« Qu'on y fasse attention, dit l'auteur en terminant cette première partie de son travail, il faut embrasser ces suppositions gratuites, étranges, il serait permis de dire, absurdes. Car il ne suffit pas d'alléguer contre nous quelques faibles difficultés, plus ou moins fondées sur un texte dont l'authenticité se prête également aux conclusions de la saine critique et aux insinuations de la mauvaise foi; on doit encore émettre une opinion où tout se tienne, et qui ne croule pas sous le poids de sa propre invraisemblance. Or, on nous avouera que nos adversaires font de leur prétendu saint Denys un personnage monstrueux, zélé pour la vérité et pour le mensonge, pieux et hypocrite, intelligent et stupide, manière de sphinx placé au seuil de l'histoire ecclésiastique, uniqueent pour préparer des tortures aux Sauaise à venir; car personne n'a pu dire encore dans quel but il se serait enveloppé d'énigmes, pourquoi il aurait fait de son Dom un problème. Par là ils abolissent les lois morales qui gouvernent les esprits; ou

« § 2. Un livre est-il, ou n'est-il pas de tel auteur ? c'est là une question de fait. Par suite, elle peut et doit se résoudre, comme toutes les questions de fait, par le témoignage. De là vient qu'outre les caractères d'authenticité ou de supposition qu'un monument littéraire présente par lui-même, il existe un autre ordre de documents quiéclairent etdirigent les critiques. Ce sont les assertions des contemporains ou des hommes graves qui ont consciencieusement étudié la matière et pris une opinion. Or, trois choses donnent surtout du poids aux témoignages la valeur intellectuelle et morale de ceux qui prononcent, le nombre des dépositions, et la constance avec laquelle les siècles réclament contre quelques rares contradicteurs. En général on doit apprécier aussi la force des motifs qu'exposent parfois les défenseurs d'un sentiment. Mais dans l'espèce nous n'avons pas à nous préoccuper de cette face de la question, soit parce qu'il nous serait impossible de découvrir les raisons qui en fait déterminèrent nos patrons, soit parce qu'elles furent sans doute identiques avec celles que nous avons nousmêmes précédemment exposées. C'est pourquoi il suffit qu'on s'en tienne aux trois points de vue indiqués, et qu'on apprécie à leur juste valeur la force d'esprit et la probité des savants que nous citerons, leur nombre, la continuité et la constance de leurs suffrages. Afin d'établir parmi cette foule de textes un ordre qui donne à la discussion de la lucidité, nous croyons devoir rappeler les témoignages des érudits, en suivant le cours des siècles, et descendant de l'époque où nous plaçons saint Denys jusqu'aux temps où nous sommes. Telles sont donc les dépositions de la science, tel est le jugement de la critique sur la question qui se débat ici.

« Aucun texte ne se rencontre dans les crits des plus anciens Pères qui établisse positivement et péremptoirement l'authenticité des livres attribués à saint Denys l'Aréopagite. Cependant Guillaume Budé, nommé savant par les savants eux-mêmes, et proclamé par Erasme et Scaliger ses rivaux comme le plus grand helléniste de la

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