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à ses disciples d'autre règle que celle de l'Evangile, leur aurait-il recommandé de persévérer dans celle qu'il avait empruntée lui-même à l'Evangile ? Si saint Benoit avait dit la même chose à ses disciples, comme il pouvait le faire avec autant de fondement, aurait-on dû en conclure qu'il ne leur a point donné de règle particulière distinguée de l'Evangile? D'ailleurs, la réponse même que saint Etienne veut que ses disciples fassent à ceux qui pourraient les interroger sur le genre de vie qu'ils menaient et les blâmer, est une preuve qu'il leur avait donné une règle particulière. Cette réponse comprend une partie des pratiques prescrites par ia règle, et qui ne sont point expressément dans l'Evangile, mais qui en ressortent cependant, bien loin d'y être contraires. Aussi leur était-il ordonné de répondre que si ce qu'ils faisaient n'était point conforme à l'Evangile, ils étaient prêts à se corriger et à le réformer.

il ne faut donc point confondre la Règle dont nous avons donné plus haut l'analyse, et que saint Etienne avait dressée en particulier pour ses disciples, avec les Maximes dont il s'agit ici, et qui sont communes à ses religieux et aux personnes qui venaient le consulter du dehors; c'est-à-dire que ces maximes renferment non-seulement des pratiques propres et particulières aux personnes engagées sous sa règle, mais encore des instructions générales qui conviennent également à tous les fidèles. Il est vrai que ce qui est prescrit dans la règle se retrouve dans ces maximes, qui sont au nombre de cent vingt-deux; mais il y a plusieurs choses aussi qui regardent moins les disciples de saint Etienne que les personnes qui venaient prendre ses avis; et il y en a beaucoup d'autres encore qui sont propres à tous les fidèles. On peut même dire en général de ces maximes ce que l'on a dit des Ascétiques de saint Basile le Grand, que, quoique l'auteur semble avoir eu principa lement en vue les personnes retirées du monde, cependant il n'y en a presque aucune qui ne soit à l'usage de tous les chrétiens, à quelque état et à quelque condition qu'ils appartiennent. Guillaume Dandina nous apprend que les maximes de saint Etienne de Muret furent recueillies après sa mort par Hugues de Lacerta, le plus célèbre de ses disciples, qui les avait souvent entendues de la bouche même de notre saint, dont il était un des assistants les plus assidus. Baillet vent qu'on les considère en même temps et selon l'esprit qui les a produites, en les tirant de leur source divine, et selon le corps dont elles sont revêtues, pour ne pas confondre ce qui appartient à saint Etienne avec ce qui n'est que de ses disciples. Du côté de l'esprit, dit-il, elles ne seront pas un mince sujet d'admiration à ceux qui, sans s'arrêter à la surface, voudront en pénétrer la profondeur. On sera surpris d'y trouver un si grand sens et tant de solidité, joints à l'élévation de l'esprit et à la délicatesse des pensées. Le tour mème

que le saint y prend, pour exposer les grandes vérités dans leur jour et les agréments dont il les accompagne, ne font que trop entrevoir une finesse de goût et une politesse que le renoncement au monde et l'habitation sauvage des bois et des montagnes n'avaient pu effacer. On y trouve un sel, une vivacité, un brillant même qu'on est loin d'attendre d'un homme humilié et étouffé, pour ainsi dire, depuis tant d'années, sous les austérités de l'esprit et les mortifications du corps. »

Il y a lieu de croire que ces Maximes, telles que nous les avons, ne sont que la moindre partie de ce qu'on avait pu en recueillir. Cependant ce qui nous en reste offre une variété qui plait, avec un air de nouveauté qui font juger de la fécondité du génie de l'auteur. On en trouvera la preuve, dès le premier chapitre, dans la proposition que le saint faisait à ceux qui demandaient à être regus au nombre de ses disciples. Il ieur disait en riant qu'ils seraient renfermés dans une prison qui n'avait ni porte ni trou pour en sortir, et qu'ils ne pourraient retourner au siècle que par la brèche qu'ils y feraient eux-mêmes. Si ce malheur leur arri vait, il ne pourrait envoyer après eux pour les ramener, parce que tous ceux qui s'y trouvaient avaient les jambes coupées pour le siècle aussi bien que lui. Nous vou drions pouvoir nous étendre davantage el montrer par d'autres exemples les agré ments et la solidité des instructions que le bienheureux Etienne donnait à ses disciples et aux personnes du dehors que sa réputation attirait dans le désert de Murc Quelle lumière et quelle force dans ce qu'il disait à ses disciples sur les avantages de la vie religieuse, sur les tentations dans les quelles le démon tache de les faire tomber, sur les moyens de s'en garantir, sur la vaine gloire et ses funestes effets, sur l'ambition de commander ou d'enseigner les autres, sur la science nécessaire pour servir Dieu comme il veut être servi, sur la miséricorde que Dieu fait à celui qui entre en religion, sur le centuple promis dans l'Evangile & ceux qui quittent tout pour Jésus-Christ, On reconnaît à chaque trait un homme pé nétré et rempli de l'esprit de Dieu, et qui, suivant l'expression de l'Ecriture, répand comme une pluie les paroles de la sagesse. Là, il fait sentir au pécheur combien il est horrible de se séparer de Dieu; ici, il rassure le juste en lui montrant ce qui doit faire le sujet de sa confiance. Il apprend aux fidèles comment ils doivent se reposer des soins de cette vie sur le Seigneur. Il leur fait comprendre ses commandements et leur apprend lui-même combien ils sout doux et faciles à observer. Il leur enseigne l'obligation où ils sont d'aimer Dieu sans fin, et les moyens de posséder son amour et de le faire prévaloir sur toute autre chose. Il faudrait transcrire ces maximes en entier, si nous voulions rapporter tout ce qu'elles renferment d'utile et d'édi fiant sur plusieurs points importants de la

Lorale chrétienne. Mais nous pouvons dire, enénéral, qu'il est peu d'écrits en ce genre aussi instructifs, aussi lumineux et aussi exacts que le recueil des sentences de saint Etienne. Le style de ces maximes ne répond nullement à la beauté, à la justesse et à la solidité des pensées; ce qui donne lieu de croire qu'elles ont beaucoup perdu en passant par le canal de ses disciples, qui ne les auront point rendues avec la même netteté, la même force, la même beauté qu'ils les avaient reçues de leur saint instituteur. Quant à l'ordre et à la méthode dans lesque Is on les a rangées, on peut dire que les éditeurs n'ont suivi d'autre règle que leur caprice, en donnant à chacune le rang qui leur était assigné seulement par le hasard de leur découverte. Nous en avons deux éditions in-12, en latin et en français. La première est de 1704, et la seconde de 1707; toutes les deux de Paris. La traduction est de Baillet, justement estimé, et comme critique et comme littérateur. Ceux qui ignoreut la langue latine lui doivent de la reconnaissance pour leur avoir procuré les moyens de lire des instructions dont ils ne peuvent que tirer des fruits salutaires. Les érudits qui connaissent cette langue tireront encore de sa traduction bien des secours nécessaires pour l'intelligence de certains passages dont le sens est quelquefois interrompu ou suspendu. Le traducteur a remédié à ce défaut en suppléant à ce qui pourrait avoir été omis par ceux qui ont préparé le recueil, en achevant des pensées qui ne lui paraissaient point finies, en déterminant ou fixant un sens qui paraissait incomplet, en expliquant enfin, par l'addition de quelques mots ou par quelques phrases très-brèves, ce qui demandait à être développé. Cependant, pour rester fidèle à l'exactitude de sa traduction, et ne pas laisser confondre ces additions avec le texte original, il a eu soin de les renfermer entre des parenthèses; ce qui suffit pour les distinguer.

Nous trouvons encore quelques-unes de ses maximes ou instructions dans une courte Vie de ce saint fondateur, composée, selon le témoignage de Bernard Guidonis, par les soins d'Etienne de Lisiac, quatrième prieur de Grandmont. Cette Vie, intitulée : Sancti Stephani dicta et facta, est divisée en seize chapitres, qui ont été insérés dans 'Histoire du pieux fondateur de l'ordre de Grandmont, écrite par Gérard Ithier, qui remplissait les fonctions de prieur à l'époque de sa canonisation, c'est-à-dire en 1189. Dom Martène, en donnant au public la production de Gérard, s'étant aperçu de cet jouté par la différence du style et par la répétition des mêmes choses, a retiré ces Seize chapitres de l'ouvrage de Gérard et les a imprimés séparément. Parmi les maximes rapportées dans ces chapitres, il y en a quelques-unes qui sont les mêmes, et conçues à peu près dans les mêmes termes qu'elles se lisent dans le recueil complet dont nous venous de parler. C'est ce dont on peut se con

vaincre en comparant le troisième chapitre avec le cinquante-septième du recueil, et le quatrième avec le soixante-troisième. Ces chapitres, en effet, rapportent à peu près de la même façon les avis que saint Etienne donnait aux soldats, sur la manière dont ils pouvaient se sauver dans leur profession, avec quel esprit ils devaient faire les exercices militaires, et s'acquitter envers Dieu dans les services mêmes qu'ils rendaient à leurs princes. Mais il y en a d'autres, et spécialement dans le huitième chapitre de cette Vie, qui ne se trouvent point dans le Recueil des Maximes. Ce chapitre est intitulé: Qua ratione meretricibus et histrionibus bona temporalia largiebantur. Saint Etienne voulait qu'on soulageât ces sortes de personnes dans les besoins du corps, pour avoir occasion de leur procurer les biens de l'âme. « Si le pécheur, nous disait-il, est reçu avec des paroles dures, il croira que Dieu est cruel, et demeurera plus attaché à son péché; au contraire, s'il se sent soulagé dans les besoins de son corps, il écoutera plus volontiers ce qu'on lui prescrira pour le salut de son âme. » Le neuvième chapitre porte ce titre : Qua ratione confraternitates sæcularium hominum vitabat. Saint Etienne répondait à ceux qui lui proposaient ces sortes de confréries, que toutes les bonnes œuvres pratiquées par lui et par ses disciples étaient communes à tous les hommes, et qu'ils ne pouvaient point ajouter d'autres prières à celles qu'ils faisaient chaque jour. Ensuite, mais à ses disciples en particulier, et en leur rendant compte de ces propositions, il disait que ceux qui faisaient ces prières voulaient sans le savoir, et sous le spécieux prétexte d'un bien, les rendre coupables de simonie. « Mais à Dieu ne plaise, ajoutait-il, que nous vendions l'office divin! C'est être mercenaire que de prier lorsqu'on donne quelque chose, et de cesser ses prières lorsque cesse la rétribution. >>

Dom Montfaucon avait vu, parmi les manuscrits de l'ancienne bibliothèque de Saint-Victor, à Paris, une lettre de saint Etienne de Muret, sous ce titre : Stephani primi patris Grandimontanorum epistola. Nous ignorons si elle a jamais été im rimée.

ETIENNE, abbé de Vitteby et ensuite de Notre-Dame d'York, en Angleterre, nous apprend lui-même que, vivant dans le monde, il était lié d'une étroite amitié avec le comte Alain, fils d'Eudes ou Odon, duc de Bretagne. Une telle liaison avec un prince français donne lieu de penser qu'il était BasBreton ou Normand, et par conséquent Fran çais lui-même. Cette opinion se trouve encore confirmée par les fonctions d'abbé qu'il remplissait, à une époque et dans un royaume où les naturels étaient exclus des dignités ecclésiastiques. Toutefois, malgré les probabilités qu'elles nous présentent, nous sommes prêt, en cas de contestation, à faire bon marché de ces conjectures, en restituant l'abbé Etienne aux Aglais. Avant d'embrasser l'état religieux, Etienne avait

donc vécu dans le monde et à la cour; mais Dieu lui fit bientôt connaître le danger où il était d'y perdre son âme. Fidèle au premier attrait de la grâce, il brisa, quoique avec peine, les liens qui l'y retenaient, et se retira à Vitteby, au diocèse d'York, solitude autrefois très-célèbre, par deux monastères que les ravages et les incursions des Danois avaient forcé d'abandonner. Guillaume, baron de Percy, seigneur du lieu, l'avait donné à un saint homme nommé Reinfrid, brave officier qui avait été au service de Guillaume le Conquérant. Reinfrid y avait déjà rassemblé quelques solitaires avec lesquels il menait une vie sainte, et qu'il gouvernait sous le titre de prieur, lorsqu'Etienne vint se jeter entre ses bras. Reinfrid lui donna l'habit relig eux en 1078, et peu de temps après il lui confia l'administration du temporel. Etienne s'acquitta de cet emploi avec tant de sagesse, que Reinfrid voulut encore se décharger du soin du spirituel. Etienne, après avoir longtemps refusé, se rendit à la sollicitation de Lanfranc, archevêque de Cantorbéry, et de Thomas, archevêque d'York, et peut-être plus encore aux ordres du roi qui le forcèrent d'accepter. Il travailla avec succès à remettre les terres en valeur, à rétablir la discipline monastique et à cultiver les belles-lettres. Mais les vexations du baron de Percy, jaloux de l'état florissant d'un terrain qu'il avait donné lui-même, les incursions continuelles des pirates et de quantité de brigands qui ravageaient le pays, le forcèrent d'abord à se retirer avec ses religieux à Lestingham,dans un domaine de la couronne, à peu de distance de Vitteby, puis enfin près de la ville d'York, où le comte Alain, son ancien ami, lui avait offert l'église de Saint-Olaw avec quatre acres de terre pour y bâtir un monastère. Le roi agréa ce nouvel établissement d'autant plus volontiers que la ville était alors dans un grand débordement, et qu'il comptait sur l'exemple de ces saints solitaires pour adoucir les mœurs d'une population accoutumée à répandre le sang. L'archevêque d'York souleva quelques difficultés qui furent apaisées presque aussitôt par Guillaume le Conquérant. Ce prince étant mort peu de temps après, en 1087, Guillaume le Roux, son successeur, qui avait rassemblé son parlement à York, alla voir Etienne à Saint-Olaw. Le trouvant trop à l'étroit, il lui donna un fonds pour y bâtir une nouvelle église, et des revenus pour l'entretien des religieux qu'il affranchit à toujours de toute imposition. Le comte Alain, de son côté, abandonna le bourg qu'il possédait auprès de la ville, et, renonçant à tous ses droits, il plaça le monastère sous la protection immédiate du roi Guillaume, en le priant d'en être luinême le défenseur. Ce généreux ami de l'abbé Etienne ne survécut que peu de temps à cette dotation et mourut dans le cours de la même année, c'est-à-dire en 1088. L'année suivante 1089, à la prière d'Etienne, comte de Richemont, le roi Guillaume le Boux confirma cette fondation et posa la première

pierre de la nouvelle église, sous le titre de Notre-Dame d'York. Tel fut le commencement de ce monastère. Etienne le gouverna avec cette sagesse dont il avait donné des preuves en tant de circonstances, depuis l'époque de sa fondation, 1088, jusqu'à l'an 1112 qui fut celui de sa mort.

Harpsfeld, dans son Histoire ecclésiastique d'Angleterre, témoigne qu'Etienne travailla avec succès au rétablissement de la discipline monastique, presque entièrement ruinée par les incursions des Danois, et qu'il composa un écrit sur les moyens de la remettre en vigueur. Cet écrit ne nous paraît être autre chose que sa relation touchant la fondation du monastère de Notre-Dame d'York, qui se trouve imprimée dans le Monasticon anglicanum. Cette histoire est écrite en style du temps, mais avec beaucoup de netteté, de candeur et un parfum de piété remarquable. L'auteur y fait le détail de toutes les traverses qu'il eut à essuyer pour rélablir le monastère de Vitteby et pour fonder celui de Notre-Dame d'York; ce qui fait comme deux parties de cette petite narration. C'est apparemment ce qui a donné occasion à Boston, et aux Centuriateurs de Magdebourg après lui, d'attribuer deux écrits différents à l'abbé Etienne, quoiqu'il n'en ait laissé réellement qu'un seul, traitant en deux parties distinctes du rétablissement et de la fondation des deux monastères dont nous avons parlé. Nous ne pensons pas que ce récit d'Etienne ait eu primitivement d'autre édition que celle que nous avons indiquée plus haut; il vient d'être reproduit dans le Cours complet de Patrologie.

ETIENNE, chanoine régulier de Pébrac en Auvergne, florissait vers l'an 1120. Jacques Branche, dans ses Vies des saints d'Auvergne et du Velay, les auteurs de la Gallia christiana et les continuateurs de Bollandus conviennent assez unanimement de cette époque de son existence; mais ils ne sont pas également d'accord sur le temps précis auquel il composa la Vie de saint Pierre de Chavanon, fondateur et premier prévôt du prieuré de Pébrac, qui fut érigé plus tard en abbaye. Il entreprit ce travail par les ordres de Ponce de Montrouge, qui en fut le second abbé, à la mort de Bernard de Chasnac, en 1118. Il est assez vraisemblable que ce fut vers l'année 1120 qu'il engagea Etienne à écrire la Vie de saint Pierre de Chavanon. Cependant, en tête d'un manuscrit de Pébrac, adressé aux Bollandistes en 1663, par le P. François Boulard, assistant de la congrégation de Sainte-Geneviève, il est marqué que cette Vie fut composée vers l'an 1130. Le titre en est ainsi conçu : La Vie de saint Pierre, premier prévôt de l'église de Notre-Dame de Pébrac, au diocèse de Saint-Flour, en Auvergne, composée vers l'an 1130. Il est vrai que ce titre a été ajouté au manuscrit par une main étrangère, au moins deux cents ans après sa composition. Néanmoins il est à présumer que l'auteur de cette remarque ne l'a faite que sur l'autorité de quelque ancien manuscrit tiré de cette abbaye. Du

reste, rien n'empêche de penser qu'Ftienne commença d'écrire son histoire vers l'an 1120 et qu'il ne l'acheva qu'en 1130. Elle est précédée d'une épître dédicatoire adressée à l'abbé Ponce, par les ordres duquel il avait entrepris ce travail. Il ne prend luimême, dans cette dédicace, que le titre de serviteur de Jésus-Christ.

Il s'en faut qu'Etienne nous ait donné une Vie aussi détaillée et aussi complète qu'on était en droit de l'attendre d'un écrivain domestique, et en quelque sorte contemporain; car saint Pierre n'était mort tout au plus qu'en 1080, et il semble que s'il n'avait pas eu l'avantage de voir lui-même le saint homme, il avait vu au moins quelques-uns de ses premiers disciples, et conversé avec plusieurs de ceux qui avaient vécu avec lui. Ce biographe s'est plutôt attaché à ce qui lui a paru éclatant et propre à relever par le merveilleux la sainteté de son héros, qu'à entrer dans les détails de sa vie. Il semble n'avoir eu d'autre but que de rapporter ses actions extraordinaires et qui tiennent du miracle. Du reste, ce défaut n'est par particulier à Etienne; il a été imité par presque tous les auteurs de légendes et de panégyriques.

Cette Vie a été publiée d'abord par dom Luc D'Achery, sur un manuscrit qu'il tenait du P. Nicolas de Boissi, savant Génovefin et prieur de Saint-Quentin près Beauvais. Les continuateurs de Bollandus l'ont insérée ensuite dans leur grande collection au 9 de septembre, après l'avoir collationnée sur la copie du manuscrit de Pébrac dont nous avons parlé, et qui diffère en beaucoup de choses de celui dont s'est servi dom D'Achery. On lit, en effet, dans l'imprimé, certains traits qui ne se trouvent point dans le manuscrit, comme on en trouve également en celui-ci qui ne se lisent point dans l'autre; mais ces omissions et ces différences n'intéressent ni le fond de l'histoire, ni l'ordre de la narration. La copie du manuserit de Pébrac et la Vie, telle que l'a imprimée dom D'Achery, s'accordent assez pour la substance des faits et pour les circonstances. Le P. Branche, comme nous l'avons dit plus haut, a donné en français la Vie de saint Pierre de Chavanon, niais sans s'astreindre au simple rôle de traducteur; c'est pourquoi les continuateurs de Bollandus témoignent qu'ils n'out pu vérifier lequel des deux manscrits est le plus conforine à l'original. Il ne faut donc point prendre à la lettre ce qui est dit dans le second volume de la Gallia christiana, que le P. Branche a traduit cette Vie et l'a insérée dans son recueil des Vies des saints d'Auvergne. Nous venons de voir que l'autur de ce recueil n'est ni un pur copiste, Hi un simple traducteur. A la suite de cette Vie, les Bollandistes ont publié une hymne rimée contenant les miracles du saint. Cette hymne l'emporte de beaucoup sur la prose rimée qu'Etienne a insérée dans son histoire, et dontelle fait également partie. Néanmoins Jacques Branche la croit d'un auteur

plus ancien, et elle ne se trouve point dans l'édition de dom Luc D'Achery.

ETIENNE DE BAUGÉ prit son surnom de la petite ville de Baugé en Anjou, dont Gauceram, son père, était seigneur. Son enfance et sa jeunesse nous sont complétement inconnues; nous ne commençons à rencontrer quelques documents sur sa personne que vers l'an 1112, époque de son élévation sur le siége épiscopal d'Autun. On le voit, trois ans après, assister au concile de Tournus, assemblé par Gui, archevêque de Vienne et légat du Saint-Siége, pour terminer l'affaire des deux églises de Saint-Jean et SaintEtienne de Besançon, qui se disputaient le titre d'église métropolitaine. La même année 1115, il reçut une lettre du pape Pascal II, dans laquelle ce pontife lui marque qu'il prend l'église d'Autun sous sa protection, et la confirme dans tous ses biens et priviléges. En 1129, il fut du nombre des prélats qui assistèrent à la cérémonie du sacre de Philippe, fils du roi Louis le Gros. Sa piété envers saint Lazare, patron de son diocèse, se signala par le magnifique mausolée qu'il lui fit ériger l'an 1131, après avoir transféré son corps de l'ancienne église dans la nouvelle. Il eut pour saint Bernard un attachement solide, et qui se manifesta surtout par la cession qu'il fit au saint abbé de la terre de Fontenai, près de Montbard, pour y bâtir un monastère. Ce fut de son temps, et probablement par ses soins, que les chanoines de Saint-Symphorien d'Autun embrassèrent la vie régulière. En considération de cette réforme, i augmenta leurs revenus, et ne cessa jamais de se montrer leur protecteur. Peu content d'honorer et de favoriser la profession religieuse, il résolut de l'embrasser lui-même; et dans ce dessein, après avoir abdiqué en 1136, il choisit pour retraite l'abbaye de Cluny. Il y acheva saintement ses jours avec le titre de simple moine, et non pas, comme l'avance Pictet, dans la dignité d'abbé, dont il ne fut jamais revêtu. Pierre le Vénérable, qui reçut son dernier soupir, fait son éloge en ces termes dans une lettre qu'il écrivit à Humbert, son neveu, archidiacre d'Autun : « Ce respectable prélat, dit-il, a tout méprisé, noblesse, famille, faste, dignités, fortune, pour suivre Jésus-Christ pauvre et humilié. Après avoir persévéré dans cet état avec une ferveur des plus saintement soutenues, il a rendu l'es, rit entre mes bras. Pleins de vénération pour un si saint personnage, ma communauté et moi nous lui avons rendu les honneurs funèbres qui convenaient à son rang et à son mérite. » Il est enterré derrière le chœur, sous une tombe marquée du numéro xx, avec une épitaphe gravée vis-à-vis sur le mur. Ce n'est que par conjecture qu'on fixe la date de sa mort au 7 de janvier 1140.

SES ÉCRITS. Nous avons dans les trois grandes Bibliothèques des Pères un Traité du sacrement de l'autel, qui porte le nom d'Etienne d'Autun. Bellarmin, Possevin et Lemire placent cet auteur deux siècles plus tôt; mais il est certain qu'il n'y eut po.nt

d'Etienne sur le siége d'Autun avant le XII siècle. Dans le cours de ce siècle, on en trouve deux celui dont nous venons de parler et un autre qui mourut le 28 mai 1189. Reste à savoir encore auquel des deux on doit attribuer cet ouvrage. Dom Mabillon, avec la foule des critiques, se prononce en faveur du premier, fondé principalement sur ce que Pierre le Vénérable le qualifie d'homme recommandable par la sagesse de sa doctrine. Il faut avouer que ce sentiment ne porte pas sur une raison absolument décisive; mais comme nous n'en avons aucune pour le combattre, nous ne croyons pas devoir nous en écarter.

L'ouvrage est partagé en vingt chapitres, précédés d'une préface, dans laquelle l'auteur s'applique à faire voir que les sept ordres sont représentés par les sept dons du Saint-Esprit. En parlant de la tonsure, il prét nd qu'elle est d'institution apostolique, et la fait venir originairement des Nazaréens. Les cinq premiers chapitres sont em, loyés à traiter des quatre ordres mineurs et du sous-diaconat. Dans le sixième, supposant que ces ordres ont été institués par JésusChrist, l'auteur explique comment il a exercé les fonctions de chacun d'eux en particulier. Les chapitres suivants, jusqu'au onzième, traitent du diaconat, du sacerdoce et de la signification mystique des ornements sacerdotaux. Par rapport aux diacres, Etienne avance qu'ils peuvent remplacer le prêtre en certaines occasions, pour le baptême, par exemple, pour la communion et même pour la confession. Notre plan n'exige point que nous discutions les raisons sur lesquelles l'auteur s'appuie pour accorder aux diacres la dernière de ces trois prérogatives, en l'absence des prêtres. On trouve des textes semblables à celui-ci dans plusieurs anciens monuments de l'Eglise latine, sans parler de la lettre de saint Cyprien aux prêtres et aux diacres de Carthage sur la réconcilation des tombés, textes dont l'obscurité subsistera toujours, du moins en partie, tant qu'on n'y apportera pas d'autre solution que celles des scolastiques. La suite de l'ouvrage renferme une explication détaillée et trèsinstructive de toutes les parties qui composent la liturgie. Etienne insiste principalement sur le canon de la messe, et propose différentes questions relatives à la présence réelle, qu'il résout d'une manière aussi précise qu'orthodoxe. Il est à remarquer qu'il est un des premiers qui ait employé le terme de transsubstantiation pour exprimer le changement des matières eucharistiques. Nous disons un des premiers, car Hildebert est, à proprement parler, le premier auteur connu qui se soit servi de cette expression. . Dans le dernier chapitre, il parle des additions faites à la messe en divers temps par les souverains pontifes. Ce chapitre ne fait pas preuve qu'il fût très-versé dans l'histoire ecclésiastique. Les éditeurs des Bibliothèques des Pères ne sont ni les seuls ni les premiers qui aient mis au jour ce traité de notre auteur, Jean de Montholon, chanoine et

chantre de l'église d'Autun, les avait devancés par l'édition qu'il publia en un volume in-4, Paris, 1517.

Les auteurs de la Nouvelle Gaule chrétienne nous ont également conservé deux autres pièces de notre prélat. La première est en forme de lettre pastorale adressée au clergé et au peuple de son diocèse. Etienne y déclare avoir pris l'abbaye d'Oignies sous sa protection, et défend de porter ailleurs qu'à son audience les procès que l'on voudra susciter à cette maison. La seconde est une charte par laquelle il concède une église à l'abbé et à la communauté de Citeaux, e considération, dit-il, de la bonne odeur qu'ils répandent en tous lieux. Ces deux écrits sont sans date.

ETIENNE, surnommé HARDING, troisième abbé de Citeaux, né en Angleterre d'une famille noble, fit ses premières études et prit l'habit religieux au monastère de Schirburn. Il en sortit pour passer en Ecosse et de là en France. Après avoir achevé sa rhétorique et sa philosophie dans les écoles de Paris, il eut la dévotion d'aller à Rome visiter les tombeaux des apôtres. Il se fit accompagner d'un jeune ecclésiastique de ses amis, avec lequel il garda, pendant tout le temps de son voyage, un silence rigoureux, qui n'était interrompu de temps en temps que par la psalmodié et la récitation du psautier, qu'ils ne manquèrent jamais de réciter tout entier tous les jours, malgré les incommodités de la route et quelque accident qui pût leur arriver. A leur retour en France, Etienne s'arrêta à l'abbaye de Molesme, où il ne put retenir son compagnon de voyage. Cependant cette abbaye tomba bientôt dans un extrême relâchement, effet d'une dangereuse abondance. Saint Robert, qui en était abbé, en remit la direction au prieur Albéric, et s'exila dans la solitude de Vinay. Albéric ne tarda pas à suivre Robert dans sa retraite, et le fidèle Etienne se vit forcé de les rejoindre tous les deux presque immédiatement. Toutefois, il leur offrit ses secours pour une réforme, et ils revinrent ensemble à Molesme; mais le peu de succès qu'obtint cette nouvelle tentative les ayant découragés, ils allèrent, avec dix-huit reli gieux du même monastère, jeter, en 1098, les fondements de l'abbaye de Citeaux, dans une forêt au diocèse de Châlons. Avec la permis sion du légat du Saint-Siége et la protection du duc de Bourgogne, ils vinrent heureusement à bout de leur entreprise. Saint Etienne eut beaucoup de part à ce nouvel établissement, non-seulement par son exem ple et ses conseils, mais aussi par tout ce qu'il fit pour l'affermir et lui donner sa perfection, en sorte qu'il peut être considéré comme un des principaux fondateurs de l'ordre de Citeaux. Saint Robert, qui en avait été élu premier abbé, ne remplit ces fonctions que jusqu'à l'année suivante, où des ordres du Pape l'obligèrent de retourner à Molesme. Albéric, qui le remplaça, ne se croyant pas capable de supporter seul un si pesant fardeau, le partagea avec Etienne, qu'il fit

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