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l'affaire. Il congratula l'évêque de Plegmond sur les soins qu'il se donnait, pour extirper les désordres des ecclésiastiques d'Angleterre. Dans sa lettre à Jean, prélat romain, après lui avoir rappelé leur ancienne amitié, il le priait de lui ménager les bonnes grâces du Pape Etienne. Il adressa également deux lettres à Dadilon, archevêque de Cambrai : l'une pour l'inviter à l'assemblée, où devait se traiter l'affaire d'Hildegarde et d'Hermengarde; et l'autre pour Je remercier d'y être venu. Dans une lettre qu'il écrivit à Didon, évêque de Laon, il se plaignait qu'il eût refusé les sacrements de pénitence et d'Eucharistie à Walcher, qu'on allait faire mourir pour crime de lèsemajesté, quoiqu'il les eût demandés; il lui reprochait d'avoir défendu qu'on lui donnât la sépulture, ni qu'on fit des prières pour lui. I prouvait par des témoignages de l'Ecriture et des Pères que sa conduite à cet égard était répréhensible. C'est pourquoi il lui ordonne de faire enterrer le corps de Walcher dans le cimetière commun des fidèles, et de faire prier pour lui.

A divers abbés, etc. Il écrivit une lettre de consolation à l'abbé Etienne, qui s'était vu priver d'un évêché auquel il avait été nommé. Il reprit fortement Baudoin, comte de Flandre, des vexations qu'il avait exercées, soit contre des prêtres, soit contre des églises ou des monastères, en le menaçant des censures canoniques, et particulièrement de l'excommunication, s'il persévérait dans ses désordres. — Dans une autre lettre écrite au nom du concile tenu à Reims en 892, il le reprenait de son mépris pour les lois civiles et ecclésiastiques, de son avidité à s'emparer des biens de l'Eglise, usurpant des honneurs qui ne lui convenaient point, jusqu'à se donner le titre d'abbé. L'évêché de Senlis étant venu à vaquer, Foulques prescrivit au clergé et au peuple la manière de procéder à l'élection d'un évêque. Il en usa de même pendant la vacance du siége de Laon, et envoya au clergé de cette Eglise la formule de la lettre qu'il fallait écrire au roi Eudes, pour obtenir de ce prince la liberté d'une élection canonique. Les moines de Corbie, après avoir déposé leur abbé, l'avaient relégué en un lieu indécent et hors de l'enclos du monastère, sans aucun respect pour ses infirmités. Foulques les en reprit sévèrement, et leur montra qu'ils avaient outrepassé leur pouvoir en déposant un homme que son archevêque avait institué selon les règles et après avoir constaté la canonicité de son élection. Il leur commande de le recevoir chez eux et de l'honorer comme leur père, jusqu'à ce que lui-même représentat au roi la nécessité de lui donner un successeur, à cause de l'impossibilité où il était de gouverner par lui-même son monastère. Il y a beaucoup de feu, dans cette lettre; et en général on remarque un génie ardent dans la plupart de celles dont Flodoard nous a laissé des passages. Zélé pour les priviléges de son Eglise, Foulques fit

tous ses efforts pour les maintenir. Il ne se montra pas moins attentif à remettre en vigueur les canons des conciles, et il travailla toute sa vie à corriger les abus et à réformer les mœurs.

Au roi Alfred. Le P. Alford a rapporté dans ses Annales de l'Eglise anglicane, une lettre de Foulques au roi Alfred, qu'il dit avoir tirée des Annales manuscrites de Winchester. C'est une réponse à celle que ce prince lui avait écrite, pour lui demander le prêtre Grimbald, moine de Saint-Bertin, commie capable de rétablir les lettres dans ses Etats. Il demandait aussi quelques autres savants pour l'aider dans cette mission. On doute de l'authenticité de cette lettre, parce qu'il n'en est rien dit dans Flodoard, et que Grimbald y est qualifié d'évêque : ce qu'on ne lit point ailleurs. Ajoutons que Flodoard ne parle pas même de l'envoi de Grimbald en Angleterre événement qu'il n'aurait pas dû passer sous silence, puisqu'il ne pouvait que faire honneur à Foulques, s'il y avait eu part.

FOULQUES, surnommé LE BON à cause de sa piété et de la douceur de son caractère, était le plus jeune des trois fils de Foulques le Roux, comte d'Anjou, à qui il succéda, selon la chronique de Tours, la seconde année du règne de Louis d'Outremer, c'est-à-dire, en 937. Dès son enfance on veilla avec le plus grand soin à son instruction. Il étudia la grammaire, l'éloquence, la philosophie, et passa pour un des seigneurs les plus lettrés de son siècle. Mais son application à l'étude ne l'empêcha point de se former aux exercices des armes, et de s'y signaler. I acquit la réputation d'un grand capitaine et eut part sans doute aux fréquentes victoires qu'Ingelger, le second de ses frères, remporta sur les Normands. L'éducation que Foulques avait reçue de ses parents, il eut soin de la faire donner à ses fils. Il en eut trois : Geoffroi, surnommé Grisegonesse qui, en sa qualité d'aîné, lui succéda et se rendit fameux par ses exploits militaires; Gui et Drogon, qui, après de brillantes études, devinrent successivement évêques du Puy en Velay. Avant même de porter le titre de comte d'Anjou, Foulques était ami particulier d'Abbon, seigneur de mérite et de piété, et père de saint Odon, depuis abbé de Cluny. L'amitié qu'il avait pour le père s'étendit sur le fils; Foulques le fit élever quelque temps auprès de sa personne, et lorsqu'Odon, après avoir embrassé l'état ecclésiastique, eut été nommé chanoine de Saint-Martin de Tours, il lui donna une maison près de l'église et lui fi assigner une pension sur le revenu de l'abbaye. La France jouissait d'une grande tranquillité lorsque Foulques succéda à son père; les Normands convertis à la foi et concentrés dans la Neustrie avaient cesse d'en troubler le repos. Il employa les mo ments de calme que lui donnait la paix à faire fleurir les arts et l'abondance. Il encouragea le défrichement des terres, favorisa la population et chercha à fixer près de lui

par des bienfaits, les hommes les plus savauts de son siècle. Il avait une dévotion singulière pour saint Martin de Tours, et il ne croyait pas déroger en prenant l'habit de chanoine dont il s'était fait donner le titre, et en chantant au choeur avec les clercs, ce qui supposait alors une instruction peu commune. Le roi Louis d'Outremer le raillait un jour de son goût pour les lettres et de ses habitudes cléricales. « Sachez, sire, lui dit Foulques, qu'un prince non lettré est un ane couronné. » Le zèle du pieux comte pour le service divin fut récompensé aux yeux des hommes par une mort aussi préci-use qu'édifiante. Après avoir reçu la sainte communion à la messe solennelle de la fête de Saint-Martin d'hiver, il retourna au chœur et se trouva mal. L'indisposition, qui ne paraissait que légère, le conduisit presque immédiatement au tombeau. Il mourut entre les bras des chanoines ses confrères, et fut enterré auprès de son père dans la même lise. Les auteurs sont partagés sur l'année de sa mort le chroniqueur de Tours la mel en 955, celui d'Anjou en 958, et Raoul Dicoto la renvoie encore plus loin; mais Bourdigné, au contraire, la place dès 949, et son opinion nous paraît plus probable. Il faut se souvenir que Foulques était plus Agé que saint Odon, qui cependant avait atteint sa soixante-troisième année lorsqu'il mourut en 942.

Sa dévotion envers saint Martin l'engagea a composer le peu d'écrits que l'antiquité ni attribue. Elle ne nous en fait point conmaitre d'autres que les douze répons qu'il t pour l'office de ce grand évêque. S'ils ment réellement tels qu'on nous les rerésente, ils valaient bien la peine d'être Conservés à la postérité. Peut-être en reste- quelque chose dans les différents offices du saint qui se célèbrent dans son église. On en loue non-seulement le sujet qui était pris de l'histoire, mais aussi l'élégance du style et l'harmonie des airs sur lesquels ils Pient notés. Foulques, qui avait étudié les arts libéraux, avait déployé dans ces chants tout ce que ses connaissances musicales avaient pu lui apprendre

Toutes les éditions de l'Histoire de la translation des reliques de saint Martin de la ille d'Auxerre à Tours reproduisent, sous e nom du comte Foulques, une lettre écrite ce sujet à saint Odon, abbé de Cluny, avec a réponse de ce dernier. Mais ces deux èces, ainsi que la relation qui les suit, nt reconnues aujourd'hui pour avoir été ventées par un seul et même auteur qui, ar cet artitice spécieux, a voulu en imposer la postérité. La lettre en particulier par aquelle l'imposteur, au nom de Foulques, Presse saint Òdon d'écrire l'histoire en queson, est une pièce étudiée et faite à loisir. artifice s'y montre à découvert, et la pluart des locutions, qui semblent familières l'auteur, suffisent pour en faire reconaitre la supposition. Cependant il faut youer que cette lettre est ancienne, puisque, és le commencement du x siècle, on la DICTIONN DE PATROLOGIE. II.

regardait comme un monument sincère et authentique. C'est ce dont ne faisait aucun doute l'auteur de l'Histoire des comtes d'Anjou.

FOULQUES, surnommé LE RECHIN, naquit en 1043, à Château-Landon en Gâtinais, de Geoffroi, seigneur du lieu, et d'Ermengarde, fille de Foulques Nerra, comte d'Anjou. Dès l'âge de dix-sept ans, le jour de la Pentecôte de l'an 1060, il fut armé chevalier par son oncle Geoffroi Martel, qui le chargea de défendre la Saintonge contre les aggressions des peuples voisins. Son oncle, en mourant, partagea ses Etats entre Foulques et Geoffroi le Barbu, son frère aîné. Foulques eut pour sa part l'Anjou et la Saintonge; mais peu satisfait de ce lot, il déclara la guerre à son frère, le vainquit et le fit prisonnier; puis l'ayant relâché à la demande du Pape Alexandre II, il s'empara une seconde fois de sa personne, sous un faux prétexte, et l'enferma au château de Chinon, où celui-ci termina ses jours. Evénement déplorable qui fut une source de divisions entre les seigneurs du pays, et de fâcheuses révolutions dans tout le comté d'Anjou et les contrées voisines. Foulques fut le seul qui en profita, en ajoutant à ses Etats la Touraine, dont il avait dépouillé son frère, ce qui le rendit un prince trèspuissant. Il fut en guerre avec Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, au sujet du comté du Maine; puis une seconde fois, par les menées du seigneur Jean de la Flèche, allié de ce prince et son ennemi déclaré; mais ils se réconcilièrent et vécurent depuis en bonne intelligence. Tandis que l'on fermait les yeux sur la conduite de Foulques à l'égard de son frère, une querelle qui s'éleva entre ce prince et Raoul, archevêque de Tours, faillit causer sa perte. Foulques, frappé d'excommunication, fut obligé de comparaître devant les commissaires nommés par le Pape Urbain II, et de leur rendre compte de sa conduite; mais ses grandes libéralités envers les moines et les gens d'église lui méritèrent l'indulgence de ses juges, et il fut déclaré absous de tous les reproches qu'on lui imputait. Au bout d'environ dixhuit mois, Urbain II, à son retour du concile de Clermont, passant par Angers pour se rendre à Tours, le comte Foulques l'y accompagna et assista à la procession solennelle qu'y fit ce Pontife. Il en reçut même en cadeau la rose d'or qu'il portait à la main pendant cette cérémonie. Il fut si sensible à cet honneur, que pour en mieux conserver le souvenir, il ne manqua jamais depuis de la porter tous les ans à la procession des Rameaux. Il prit même des mesures pour que ses successeurs en usassent ainsi après sa mort. Ce prince vécut jusqu'à l'âge de soixante-six ans et en régna au moins trente après l'emprisonnement de son frère. Il mourut le 14 avril 1109, et fut enterré dans l'église du prieuré de Levière à Angers, comme il l'avait réglé lui-même de son vivant. Foulques avait eu trois femmes : il répudia les deux premières, et Bertrade de

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Montfort, la troisième, le quitta après lui avoir donné un fils, pour épouser Philippe I", roi de France; c'est ce fils qui, sous le nom de Foulques, devint roi de Jérusalem.

SES ÉCRITS. Foulques est auteur d'une Histoire des comtes d'Anjou, qui commence au règne de Geoffroi Grisegonelle; mais malheureusement on n'a plus que la première partie de cet ouvrage et le commencement de la seconde. La perte en est d'autant plus regrettable que la partie qui nous manque était la plus intéressante, puisque Foulques l'avait consacrée à écrire sa propre histoire, qui ne se trouve que dispersée et très-imparfaite dans les autres écrivains du même siècle et des siècles suivants. On comprend d'ailleurs quel avantage a sur toutes les autres histoires celle qui n'a qu'un même personnage pour narrateur et pour héros.

Foulques, entreprenant d'écrire pour la postérité, a eu soin de cousigner dans son ouvrage des circonstances que les autres écrivains négligent trop souvent de remarquer dans les leurs. Il débute par faire connaitre son nom, sa famille, les dignités qu'il a remplies, et l'époque à laquelle il a commencé à écrire. C'est ainsi que nous apprenons qu'outre la Touraine et l'Anjou, il fut aussi quelque temps maître des comités de Nantes et du Maine. Il y avait ving-huit ans passés qu'il était paisible possesseur de ses Etats lorsqu'il travailla à exécuter le projet qu'il avait conçu d'écrire une Histoire. Co passage de son écrit, rapproché d'un autre où il fait mention de la troisième année depuis la prise d'Antioche par les croisés, montre qu'il écrivait au plus tôt en 1101. Quant au dessein de l'ouvrage, il se propose d'y faire l'histoire de tous les comtes d'Anjou, depuis Ingelger qui avait reçu ce comté de la libéralité de Louis le Bègue, fils de Charles le Chauve, jusqu'au temps où il écrivait. Sur ce plan il distingue deux parties principales: la première qu'il consacre à parler de ses prédécesseurs, et la seconde qui devait comprendre sa propre histoire. Sans doute Foulques fut exact à suivre son plan; mais le manuscrit sur lequel on a imprimé son ouvrage ne s'est trouvé contenir que la première partie avec quelque chose des préliminaires de la seconde. Les feuilles qui contenaient cette dernière partie en avaient probablement été détachées, et sont peut-être aujourd'hui perdues sans

ressource.

Foulques, en écrivain prudent, plutôt que de s'exposer à rapporter des choses qu'il ignore, se contente de nommer tout simplement trois de ses prédécesseurs, Ingelger, Foulques le Roux, et Foulques le Lon, parce que, se trouvant trop éloigné du temps où ils avaient régné, il n'était pas assez instruit de leur histoire Comme nous l'avons dit, il ne commence donc, à proprement parler, la première partie de son ouvrage qu'à Geoffroi Grisegonelle; encore est-il fort succinct sur son article: ce qu'il en rapporte comme ce qu'il dit de ses successeurs, il témoigne

l'avoir appris de Geoffroi Martel, premier du nom, son oncle maternel. On voit par là qu'il n'a pas voulu se donner la peine de recourir aux anciens monuments, et qu'il ne parle ni de Torquace ni de Tertulle, que Jean, moine de Marmoutier, autre historien des comtes d'Anjou, donne à Ingelger pour prédécesseurs. Il ne dit rien non plus de Maurice, que cet écrivain fait succéder à Geoffroi Grisegonelle. Mais Foulques a raison en ceci, puisque Maurice, quoique le plus jeune des fils de Grisegonelle, mourut avant son père. L'ouvrage de Foulques, au reste, n'est, à le bien prendre dans sa première partie, qu'un abrégé d'histoire. Il y avait beaucoup plus de choses à dire sur Foulques Nerra, son aïeul, et Geoffroi Martel, son oncle, qu'il n'en rapporte en réalité. Mais ce qu'il nous en apprend porte un autre cachet de certitude que ce qu'en ont écrit les historiens qui lui ont succédé. A propos de Geoffroi Martel, il a touché quelques traits de sa propre histoire, en la liant ainsi naturellement à celle de son oncle, qui l'avait fait son héritier; mais il ne parle encore de lui qu'avec mesure, parce qu'il se préparait à en parler plus amplement dans la seconde partie.

Cependant il crut devoir la faire précéder de la relation de quelques événements singuliers arrivés de son temps et concernant T'histoire générale. C'était le goût alors, la mode si l'on veut, d'observer les phénomènes qui se produisaient dans le ciel et d'en instruire la postérité; ce qui se pratiquait, comme nous aurons l'occasion de Tobserver plus d'une fois, plutôt en astrologue qu'en astronome. Or, suivant les expressionsmènes de Foulques, il y avait eu alors une espèce de chute d'étoiles, dont toute la France avait été témoin; ce qui apparemment n'était rien autre chose que la lumière boréale, fort peu connue en ces temps-là. On ne manqua pas de prendre ce phénomène comme le présage de quelque calamité publique. Aussi notre historien assure-t-il qu'il fut suivi d'une grande mortalité et d'une disette extrême dans tout le royaume. «< Dans la seule ville d'Angers, dit-il, il mourut cent des premiers citoyens, et plus de deux mille personnes du petit peuple. » Un autre événement général que Foulques a fait entrer dans son Histoire, c'est la première croisade dont il donne un abrégé fort exact, depuis le passage du Pape Urbain II par Angers, où il prêcha la guerre sainte, jusqu'au siége à la prise d'Antioche. C'est la que finit le manuscrit tel que les mutilations nous To laissé. Cependant, comme il y fait mention de la troisième année qui suivit le départ de cette expédition, il est à présumer qu'il y continuait l'histoire des croisés, au moins pendant ces trois ans, c'est-à-dire jusqu'en 1101. Dès le commencement de ce récit, Foulques nous apprend lui-même l'honneur que lui fit à Tours le Pape Urbain, en lui présentant la rose d'or.

Dom Luc d'Achery a inséré ce qui nous reste de cet ouvrage dans le tome de son Spicilege, sous ce titre: Historie Andeyaren

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sis fragmentum. L'abbé de Marolles l'a traduit en fra. çais et publié dans ses Histoires des anciens comtes d'Anjou, avec la chronique du moine Jean de Marmoutier et la relation de la construction d'Amboise, en un volume in-4°, Paris, 1681.

FOULQUES DE DEUIL.-Foulques, prieur de Deuil, dans la vallée de Montmorency, au commencement du x siècle, était contemporain et ami d'Abailard. Il n'est connu que par la lettre de consolation qu'il lui adressa, après la violence exercée sur lui, et lorsque celui-ci était allé cacher ses larmes et sa honte dans l'abbaye de Saint-Denis. Cette lettre, où les motifs de consolation sont presque aussi singuliers que l'événement qui y donnait lieu, existe, et se trouve parmi les œuvres d'Abailard, publiées par Duchesne. Nous en donnons ici l'analyse.

Elle roule sur deux points principaux: les dangers attachés à la bonne fortune et les avantages qui résultent de la mauvaise. La première produit l'orgueil, l'amour du monde et l'oubli de Dieu. Le prieur Foulques montre à son ami qu'il avait fait une triste expérience de cette vérité. Il lui rappelle à cette occasion la grande affluence d'écoliers, qui de toutes les parties de l'Europe accouraient se ranger autour de sa chaire, et qui, après l'avoir entendu, ne tarissaient plus sur son compte, et s'en allaient publiant partout l'éloge de son génie. Il lui parle des avantages que sa figure, ses manières agréables et l'enjouement de sa conversation lui donnaient auprès des femmes, des jalousies qui s'élevaient entre elles à son sujet, et des efforts qu'elles faisaient pour l'attirer à elles et le gagner. « Au milieu de tant de prospérités, lui dit-il, comment vous êtes-vous conduit? quel usage avez-vous fait de ces talents qui ne vous étaient donnés que pour acquérir la véritable sagesse? Hélas! au lieu de les faire servir à une fin si noble et si légitime, vous en avez abusé pour vous livrer à la vanité la plus ridicule; c'est au Joint, s'il faut en croire ceux qui ont fréquenté votre école, que vous ne craigniez pas de vous élever au-dessus de tous les grands hommes qui avaient cultivé les sciences divines et humaines avant vous. Mais Dieu qui, par sa miséricorde toute-puissante, dissipe quand il lui plaît le vent de l'orgueil poar y substituer la vertu solide de l'humilité, et qui sait également appliquer aux autres maladies de l'âme les remèdes qui leur conviennent, Dieu, dis-je, a eu compassion de vous : il a guéri l'enflure de votre cœur et subjugué l'insolence de vos yeux par cette salutaire mutilation. »

Mais comme Abailard pouvait objecter que son humanité avait été ainsi dégradée, Foulques lui rappelle qu'un philosophe comme lui, loin de s'arrêter aux aveugles préjugés da vulgaire, ne doit consulter en tout que la droite raison et la pure vérité. Là-dessus it entre dans un détail circonstancié des avantages spirituels ou temporels qu'il doit savoir retirer de son état. Les avantages spirituels seront d'abord : de le retenir dans les

bornes de la modestie, en ne lui permettant plus de se préférer orgueilleusement à tout le reste du genre humain; ensuite de le rendre maître de plusieurs de ces passions malheureuses qui tourmentent tous les hommes, mais terrassent de préférence ceux qui mettent son aventure au rang des plus grands malheurs; enfin, d'éteindre dans la chair les ardeurs de la volupté, qui répandent souvent, même dans les âmes les plus saintes, d'épaisses vapeurs qui les troublent et interrompent le cours de leurs méditations. « Délivré de ces mouvements importuns, et de leurs suites peut-être plus importunes encore, vous pouvez maintenant, lui dit-il, sans craindre les distractions involontaires, Vous recueillir tout entier en vous-même, et rechercher, avec une pleine liberté, les secrets de la nature. » Au nombre des avantages temporels qu'il doit retirer de ce qu'il appelle sa honte, il place en première ligne la situation où il se trouve, et qui va devenir pour lui une source de profits et d'épargnes. Jusque-là la débauche avait tellement absorbé le gain considérable qu'il retirait de ses leçons, et l'avait réduit à une misère si grande qu'il ne lui restait plus que des haillons lorsque son malheur lui est arrivé. Mais désormais, ce qu'il pourra gagner avec la permission de ses supérieurs, deviendra un bien dont il aura la jouissance, et qui n'ira plus se précipiter et s'enfouir dans ce gouffre honteux. Il lui compte aussi pour beaucoup l'accès facil que sa nouvelle position va lui ouvrir dans toutes les maisons, incapable désormais de causer de l'ombrage aux maris, dont il était auparavant la terreur. Enfin, pour dernière consolation, il lui remet devant les yeux la consternation universelle que sa disgrace avait répandue dans toutes les classes de la société; tous les ordres religieux et tous les ordres civils, chanoines, clercs, magistrats, bourgeois, tous regardaient leur ville comme souillée par l'effusion de son sang. Mais il lui peint surtout les femmes déplorant ce malheur avec autant d'amertume que si la guerre leur eût enlevé un époux ou quelque chose de plus cher encore. «Un deuil si général, lui dit Foulques, un deuil si vivement caractérisé ne doit-il pas vous faire oublier la perte que vous avez faite? Tant qu'on reste heureux, on ignore si l'on est véritablement aimé; mais vous avez aujourd'hui un gage de l'affection publique, auquel vous eussiez préféré vous-même toutes les richesses imaginables si vous l'aviez pu prévoir. Nescit se felix amari. Habes arrham dilectionis ir te; quam si prius agnovisses, nullas meo judicio divitias illi comparabiles æstimares. »

Foulques avait ouï dire que, mécontent du jugement ou plutôt des modifications que l'évêque et le clergé de Paris voulaient apporter postérieurement à la sentence qui condamnait ses assassins, Abailard pensait à poursuivre sa vengeance jusqu'en cour de Rome. Il fait tous ses efforts pour le détourner de ce dessein. I lui représente qu'à Rome toutest vénal; que la justice suit at

ne s'y rend qu à prix d'argent, et que, ne pouvant espérer de ses parents ni de ses amis des sommes assez considérables pour être sûr de réussir, il court risque de ne rappor ter d'un voyage si pénible et si dispendieux que la honte d'avoir échoué.

Cette lettre est le seul monument qui ait transmis le nom de Foulques à la postérité. Elle prouve qu'il ne manquait ni d'érudition ni de talent pour écrire.

FOULQUES, en latin Fulco, que la ressemblance de noms a fait confondre quelquefois avec Foulcher de Chartres, et même avec le comte Foulques, roi de Jérusalem, ne nous est connu que par un poëme historique en trois livres, qu'il composa sur la première croisade. On ne possède aucuns renseignements sur son origine, mais on croit qu'il vivait en même temps que le cardinal Gilon, qui s'est exercé sur la même matière, c'est-àdire dans les commencements du xir siècle. Voici le début de cet ouvrage :

Inclyta gesta ducum perscribere magnanimorum
Feri animus, patrum qui fortia facta suorum
Non solum magnis successibus æquiparare,
Sed majore fide certarunt exsuperare.
Ardor inest, inquam, sententia fixaque mente
Versibus et numeris transmittere posteritati,
Qualiter instinctu Deitatis et auspice cultu
Est agressa via memorando nobilis actu,
Quo sacrosancti violantes jura sepulcri
Digna receperunt meriti commercia pravi.

Pour donner une idée succincte de ces trois livres, qui ne renferment rien qu'on ne rencontre ailleurs, nous dirons que dans le premier, après avoir raconté l'étonnante révolution que la prédication de la croisade produisit dans toutes les âmes, l'auteur nomme les principaux chefs de cette expédition, décrit leur départ et marque la route que chacun d'eux fit prendre à la division qui marchait sous ses drapeaux. Dans le second, il rapporte les différentes aventures qui arrivèrent aux croisés pendant leur marche jusqu'aux portes de Constantinople; entin la troisième rappelle les différends entre Godefroi de Bouillon, général en chef de toute l'armée qu'il avait réunie en Thrace, et l'empereur Alexis Comnène, différends dont la pacification laissa le chemin libre aux croisés pour aller à Nicée. C'est là que s'arrête la narration de Foulques qui, pour apprendre la suite de cette expédition gigantesque, renvoie au poëme de Gilon par ces quatre

vers:

Hæc de principiis callis Hierosolymitani
Scripsimus, ut nostræ permissum rusticitati.
Cætera describit domnus Gilo Parisiensis,
Cujus turpatur nostris elegantia nugis.

Cette espèce de poëme, ou si l'on veut de chronique rhythmée, se trouve à la fin du tome IV des Historiens français, d'André Duchesne, et précède immédiatement l'ouvrage de Gilon.

FRANCON ou FRANKON, scholastique, ou, comme on disait alors, écolâtre de Liége, florissait en 1066. Quelques-uns, et Du Boullay entre autres, imités en cela par un savant du

XVII siècle, en font un disciple de Fulbert de Chartres; mais il y a loin du mois d'avril 102), époque de la mort de ce prélat, jusqu'en 1083, où Francon vivait encore. Il est vrai que le fameux Bérenger, qui avait étudié sous le même maître, prolongea au delà de ce terme sa longue existence. Malgré cela, au témoignage des historiens modernes, nous préférous celui des anciens qui lui font faire ses études dans l'école de l'Eglise de Liége, sous le célèbre Adelman, savant religieux de l'abbaye de Stavelo, et le présentent comme son successeur. Devenu écolâtre à son tour, il soutint l'honneur de cette dignité par l'intégrité de ses mœurs et par un grand fonds d'érudition et de savoir. Il était philosophe, mathématicien, astronome et musicien très-distingué. Mais l'étude des lettres humaines et le goût des arts ne l'avaient poist détourné des saintes Ecritures, dans lesquelles on dit qu'il était fort instruit. Sigebert, son contemporain, assure qu'il commença à se faire connaître comme savant dès l'an 1047. Il est vrai, au moins, qu'il avait écrit sur la quadrature du cercle avant 1055, époque de la mort d'Hériman, archevêque de Cologne, à qui son ouvrage est dédié. Francon vécut au moins jusqu'en 1083, et remplissait encore la place d'écolâtre à la cathédrale de Liége. Ce fut en cette année que Henri, son évêque, et Hériman de Metz, le choisirent pour assesseur et le conduisirent avec eux à l'abbaye de Saint-Tron, où des troubles s'étaient élevés au sujet de l'élection d'un abbé pour succéder à Adelard II qui venait de mourir. La mémoire de notre pieux scholastique y était encore si célèbre plusieurs années après sa mort, que le chroniqueur de ce monastère n'a pu nous apprendre cette particularité de sa vie sans faire son éloge en des termes pompeux, mais fondés sur la vérité : Affuit, dit-il, et magnæ vitæ et nominis Franco, magister scolarum sancti Lamberti religiosus. On ignore en quelle an

née il mourut.

SES ÉCRITS. On a de Francon un Traité sur la quadrature du cercle, dédié, comme nous l'avons déjà dit, à Hériman, second du nom, et archevêque de Cologne. Recherche aussi vaine que pénible, et dans laquelle avaient échoué tous les anciens philosophes, ce qui a fait dire si spirituellement à Aristote que si cette connaissance est à la portée de l'esprit humain, il faut qu'il ait été bien maladroit, puisqu'il n'est pas encore parvenu à l'acquérir. Francon ne fut pas plus heureux que ceux qui l'avaient précédé, et il est probable que ceux qui viendront après lui ne le seront pas davantage. Il fut aidé dans son travail par Falchalin, savant moine de SaintLaurent de Liége, qui, après avoir étudié sous l'écolâtre Louis l'Ancien, y dirigeait alors les écoles. Giles d'Orval, écrivain du XIII siècle, parlant de cet écrit de Franco, dit qu'il se trouvait dans la bibliothèque de son monastère. Trithème ne pourrait, comme il le fait, le qualifier d'ouvrage ingénieux et excellent, subtile opus et egregium, s'il n'avait existé de son temps, et s'il n'en avait eu con

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