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DEUXIÈME PARTIE.

CHAPITRE V.

Réformes économiques opérées à la suite de la Révolution de 1789. — Suppression des corporations et des douanes intérieures. — Effets de ces dernières. Discussion du nouveau tarif. L'Assemblée constituante n'adopte pas le premier projet de la Commission. Elle lui ordonne d'en présenter un plus libéral.

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Tarif du 15 mars 1791.

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Rupture du traité de commerce avec

l'Angleterre. Rétablissement des prohibitions par la Convention nationale, à titre de mesures de guerre. Erreurs économiques de cette Assemblée. Un décret du Directoire. Chaptal et la liberté du commerce. Décret de 4806 prohibant l'importation des toiles de coton. - Explications fournies sur cette mesure au Corps législatif par le tribun Perrée. Détails donnés à ce sujet par le Mémorial de Sainte-Hélène. Le blocus continental. Décrets de Berlin et de Milan. - La contrebande prend des proportions prodigieuses. -Singulier régime des licences. Illusions de Napoléon sur les effets du blocus continental. · Crise commerciale. - Secours au commerce et aux fabricants de Paris, d'Amiens, de Rouen, de Saint-Quentin, de Gand. - Quelques fonctionnaires font de grandes fortunes au moyen des licences. - Justification du blocus continental par Napoléon. Opinion de M. Mollien à ce şujet.

La révolution de 1789 brisa les liens qui entravaient, depuis des siècles, le commerce et l'industrie, paralysaient l'activité nationale, et décourageaient tout esprit d'initiative. Au nombre des objets sur lesquels se porta l'attention des premières assemblées figurèrent les corporations, les douanes intérieures, le tarif. Sur les deux premiers points, il ne pouvait y avoir de dissentiment. En ce qui concernait les corporations, l'édit de 1766, dans lequel Turgot avait si nettement caractérisé les abus, constaté les droits, et que le Parlement, faisant cause commune avec tous ceux qui jouissaient

de quelque privilége, poursuivit de son opposition la plus aveugle, cet édit célèbre avait depuis longtemps fixé l'opinion des hommes éclairés et désintéressés. L'Assemblée nationale supprima donc, par un décret du 2 mars 1791, les corporations, maîtrises et jurandes, ainsi que tous les offices dont les titulaires avaient pour mission d'inspecter les ouvrages industriels. En même temps, elle établit la contribution des patentes, destinée à indemniser le trésor du revenu que lui rapportaient les réceptions des maîtres et compagnons, et la vérification des produits manufacturés.

La suppression des douanes intérieures, ces restes barbares de la féodalité, ne pouvait aussi rencontrer d'opposition. Le rapport qui fut présenté à l'Assemblée nationale 1 constatait les améliorations que Colbert avait introduites en 1664 dans ce régime, et l'impossibilité où il s'était trouvé, par suite de l'opposition de diverses provinces, de reculer la ligne des douanes jusqu'aux frontières du royaume. Le rapporteur faisait connaître en outre qu'il avait été maintes fois question de mettre à exécution le projet de Colbert, mais que toujours quelque nouvel obstacle s'y était opposé, et que les plus étranges, les plus fàcheuses vexations avaient continué de peser sur le commerce. Ainsi, une marchandise expédiée par terre de la Bretagne, de la Guyenne, de la Flandre ou de l'Artois, pour la Provence, était assujettie à huit déclarations et à un même nombre de visites; elle acquittait sept droits différents, changeait deux fois de voituriers, éprouvait des retards infinis, des avaries, sans compter les chances de saisies et de procès. Bien plus, tandis que

1 Rapport fait à l'Assemblée nationale, au nom du Comité du commerce et de l'agriculture, sur la suppression des droits de traites perçus dans l'intérieur du royaume, le reculement des douanes aux frontières et l'établissement d'un tarif uniforme, par M. Goudard, député de Lyon (Procès-verbal de l'Assemblée nationale, t. XXVIII, du 19 août au 1er septembre 1790). Dans les premières années de sa publication, le Moniteur ne reproduisait ni les rapports ni les discussions auxquelles ils donnaient lieu. La collection du Procès-verbal de l'Assemblée, où l'on trouve au moins les rapports, est très-précieuse pour l'étude de cette époque. Plus tard, le Moniteur ayant publié in extenso les travaux législatifs, rapports, etc., les procès-verbaux de l'Assemblée devinrent moins complets.

les douanes intérieures affectaient les marchandises françaises d'un droit de 10 à 15 pour 100, les marchandises anglaises qui, par suite du traité de 1786, circulaient alors en France, ne payaient, disait le rapporteur, par le vice des déclarations, qu'un droit de 5 à 8 pour 100.

<< Est-ce assez d'entraves, poursuivait-il, et tout, dans no<< tre régime financier, ne porte-t-il pas l'empreinte de la << servitude? Ces visites insoutenables, ces formalités dont << l'omission expose à tant de vexations, personne n'en est <«< exempt. A chaque barrière locale, déclaration, visite et «< acquittement de droits. Qui n'a éprouvé tout ce que ce << régime a de révoltant? Et les droits intérieurs, dont je n'ai << fait qu'indiquer les principaux inconvénients: ils sont au « nombre de trente-cinq... Mais bientôt les Français, libres, << feront librement le commerce. »

La suppression des douanes intérieures fut prononcée sans opposition par un décret du 5 novembre 1790.

La fixation des droits sur les marchandises importées, la question de savoir si toutes les marchandises étrangères devaient être admises sur le territoire français, donnèrent lieu à de longs travaux dans le Comité de commerce et d'agriculture, et à une controverse sérieuse dans le sein de l'Assemblée nationale. Pour la première fois, les deux systèmes de la liberté commmerciale et de la restriction, de la protection modérée et de la prohibition, se trouvèrent en présence avec le pays pour juge.

Le rapporteur de l'Assemblée se rangea parmi les partisans de la prohibition. Il exposa que le but du Comité avait été d'affranchir, et en même temps de protéger l'industrie et le commerce; que la liberté lui avait cependant paru devoir être réglée, et qu'il n'avait nullement partagé l'opinion dangereuse de ceux qui, séduits par cette pensée que tous les hommes sont frères, voulaient renverser toutes les barrières levées entre les nations commerçantes; que, dans tous les cas, un pareil système devait avoir pour correctif une réciprocité générale et absolue; que, sans cela, le pays qui l'adopterait le premier en deviendrait la victime; qu'il décou

ragerait chez lui l'agriculture, l'industrie et le commerce, au profit de ses rivaux; et que, par suite, il condamnerait ses artisans à s'expatrier ou à vivre misérables.

« Votre Comité d'agriculture et de commerce, ajoutait le <«< rapporteur, n'approfondira pas davantage un système qu'il croit inutile de combattre corps à corps, devant les << représentants de la nation, et dans les circonstances criti<«<ques où nous sommes.

« La combinaison d'un tarif rédigé, non dans un esprit << fiscal, mais en vue de protéger et de défendre la main« d'œuvre nationale contre l'industrie étrangère, fut une << des plus heureuses et des plus belles opérations du minis«tère de Colbert. C'est à la sagesse de ses tarifs d'entrée et « de sortie que l'Angleterre doit, en grande partie, la pros« périté et l'étendue de son commerce. Nous nous sommes « attachés à ramener ce tarif à la pureté primitive de son «< institution, et nous croirons avoir rempli vos vues, si pous « vous présentons les moyens de procurer à l'industrie natio« nale les plus grands avantages possibles sur l'industrie « étrangère.

<«< Nous sommes convaincus que vous atteindrez ce but, << en mettant des entraves à l'introduction de tous les objets « que nos propres fabriques peuvent fournir à notre con«<sommation, d'où résulte la nécessité de quelques prohi<«<bitions; mais, pour la majeure partie des articles, nous << proposons de vous borner à établir des droits dont l'objet « est de favoriser la concurrence de nos manufactures avec <«<les manufactures étrangères, pour les articles que nous ne « pouvons ou que nous ne devons pas nous dispenser d'ad<< mettre. Au contraire, nous appelons par un affranchisse<«<ment absolu les matières premières dont nous sommes « dépourvus. >>

D'après ces principes, le rapporteur proposait de prohiber les diverses productions que nos propres fabriques pouvaient fournir à la consommation. Il faisait observer que les étoffes de soie et les ouvrages composés des mêmes matières ne pouvaient être prohibés avec trop de sévérité dans l'intérêt

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