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de cette promesse, et obtint de Fénelon un écrit, dans lequel celuici exposait en effet toutes ses dispositions intérieures, et tout ce qui pouvait être compris dans une confession générale. Non content de prendre connaissance de cet écrit, Bossuet témoigna le désir d'en faire part à M. de Noailles, alors évêque de Châlons, et à M. Tronson; ce que Fénelon lui permit volontiers, mais sans préjudice du secret inviolable, pour tous les autres hommes, qu'il exigea très-expressément.

L'un des principaux points de la controverse était de savoir si l'opinion de la charité pure et désintéressée, sans aucun rapport avec la béatitude éternelle, sans aucun motif d'intérêt, était ou non une erreur. Bossuet pensait que la béatitude devait entrer comme motif spécifique, au moins secondaire, dans l'acte de charité; mais, arrêté alors par toutes les autorités imposantes qui parlaient en faveur de l'opinion de Fénelon, il sentait qu'il ne pouvait qualifier d'erreur le sentiment du jeune abbé, et il aurait voulu le ramener par confiance à l'opinion contraire. Fénelon répondait qu'il était prêt à renoncer à sa manière de voir, si Bossuet prononçait qu'elle était une véritable erreur; et c'est ce que Bossuet ne voulut point d'abord décider. « Vous n'avez, Monseigneur, lui écrivait Fénelon, qu'à me donner ma leçon par écrit, pourvu que vous m'écriviez précisément ce qui est la doctrine de l'Église, et les articles dans lesquels je m'en suis écarté, je me tiendrai inviolablement à cette règle1. »

Bossuet ne répondit à aucune de ces lettres, mais bientôt la nomination de Fénelon à l'archevêché de Cambray vint donner une tournure nouvelle à une affaire déjà fort compliquée.

Cette promotion fit naître à l'évêque de Chartres et à Mme de Maintenon, l'idée d'associer Fénelon aux conférences d'Issy, mais Bossuet avait déjà presque entièrement fixé ses idées sur les objets soumis à l'examen de la commission. Il avait profité des extraits de Fénelon sur les auteurs mystiques, et des judicieuses observa

1 DE BAUSSET, Hist. de Fénelon. Cette prétention de Bossuet de ne point séparer un motif, au moins secondaire, d'intérêt propre des actes de charité pure, montre assez combien il était étranger à la théologie mystique; c'est là ce qui jettera du louche sur toute sa doctrine, dans le cours de cette discussion.

tions de ses deux collègues, pour réduire à un certain nombre d'articles un corps de doctrine sur les voies intérieures. Il se flattait de l'avoir appuyé sur des principes assez solides et sur des autorités assez décisives pour tenir en respect les critiques ignorants des voies de Dieu, et pour redresser les mystiques visionnaires et indiscrets 1.

La rédaction se composait de trente articles; Bossuet les envoya à l'évêque de Châlons et à M. Tronson qui les signèrent avec empressement. Mais il en fut autrement de Fénelon, qui parut oublier l'assurance qu'il avait donnée d'une soumission aveugle, et déclara ces articles insuffisants pour lever certaines équivoques. Ce changement de conduite s'expliquait du reste assez naturellement. Fénelon, jusqu'alors simple prêtre, était disposé à s'incliner sans restriction devant la sentence des évêques, juges de la foi, mais, nommé archevêque de Cambray et devenu le collègue de Bossuet, il se crut en droit d'introduire dans la cause ses appréciations personnelles. Son hésitation dura peu, car, au bout de deux jours on lui communiqua l'addition de quatre articles qu'on intercala avec les trente déjà proposés; et il déclara que dès ce moment il était prêt à les signer de son sang 2.

Bossuet et l'évêque de Châlons étaient convenus de publier, aussitôt qu'ils seraient de retour dans leurs diocèses, les articles d'Issy, au moyen d'une ordonnance qui porterait en même temps condamnation des ouvrages de Mme Guyon.

Bossuet fit paraître son Ordonnance le 16 avril 1695. Il y condamnait La Guide spirituelle de Molinos, la Pratique facile de Malaval, l'Analyse de l'oraison mentale du P. Lacombe, et trois autres ouvrages imprimés de Mme Guyon, son Moyen court, son Explication du Cantique des Cantiques, et la Règle des associés à l'enfance de Jésus. Tous ces ouvrages, à l'exception peut-être de l'Explication du Cantique des Cantiques, étaient déjà condamnés par divers décrets du Saint-Siége. En renouvelant cette condamnation, Bossuet eut l'attention de ne pas nommer Mme Guyon, par égard pour sa personne et pour les bonnes dispositions qu'elle témoignait.

1 DE BAUSSET, Hist. de Fénelon.

2 Voyez aux notes du livre le texte des articles d'Issy.

La veille même du jour où Bossuet publia son Ordonnance, il avait fait signer à Mme Guyon un acte d'adhésion pleine et entière anx articles d'Issy, et à la condamnation qui pourrait être faite de ses livres, par ceux à qui Dieu en a donné la puissance, notamment par MM. de Meaux et de Châlons. Par une autre déclaration, signée le même jour, elle protestait n'avoir dit ou fait aucune des choses qu'on lui imputait, et n'avoir jamais approuvé les principes de Molinos, qui regardent comme innocentes certaines actions abominables. Mais, quelque importantes que fussent ces déclarations, Bossuet n'en était pas satisfait. Il se croyait fondé à croire, ou du moins à soupçonner que Mme Guyon n'avait pas seulement erré dans les termes, mais encore dans le fond de la doctrine, et qu'elle avait été réellement infectée des erreurs contraires aux articles d'Issy. Dans le dessein d'obtenir d'elle un aveu formel de ces erreurs, il crut devoir lui faire, à diverses reprises, les plus fortes instances; mais jamais il n'en put obtenir d'autre réponse, sinon qu'elle ne pouvait faire cet aveu sans parler contre sa conscience; qu'elle n'avait jamais douté des vérités contenues dans les articles d'Issy, ni d'aucune autre vérité de la foi; qu'au reste, elle avait toujours soumis, comme elle soumettait encore, ses livres au jugement de l'Église, condamnant de tout son cœur les mauvaises expressions que son ignorance avait pu lui faire employer 1.

Bossuet revint plusieurs fois à la charge pour obtenir l'aveu qu'il croyait nécessaire, mais toujours avec aussi peu de succès. Enfin, désespérant d'éclaircir davantage cette affaire, et craignant peut-être de pousser trop loin la rigueur, frappé d'ailleurs des témoignages que rendaient à Mme Guyon la supérieure et les religieuses de la Visitation, qui se réunissaient pour vanter sa piété, sa douceur et sa résignation, il ne crut pas devoir hésiter à lui accorder le certificat le plus avantageux sur sa conduite, ses intentions et ses dispositions. « Nous, évêque de Meaux, dit-il dans cet acte, certifions à qui il appartiendra, qu'au moyen des déclarations et soumissions de Mme Guyon, que nous avons par-devers nous, souscrites de sa main, et des défenses par elle acceptées avec sou

1 DE BAUSSET, Hist. de Fénelon.

mission, d'écrire, enseigner, dogmatiser dans l'Église, ou de répandre ses livres imprimés ou manuscrits, ou de conduire les âmes dans les voies de l'oraison ou autrement : ensemble des bons témoignages qu'on nous a rendus, depuis six mois qu'elle est dans notre diocèse, et dans le monastère de Sainte-Marie; nous sommes demeuré satisfait de sa conduite, et lui avons continué la participation des saints sacrements, dans laquelle nous l'avons trouvée; déclarons en outre qu'elle a toujours détesté en notre présence les abominations de Molinos et autres condamnées ailleurs, dans lesquelles aussi il ne nous a point paru qu'elle fût impliquée; et nous n'avons entendu la comprendre, dans la mention qui en a été par nous faite dans notre ordonnance du 16 avril 1695. Donné à Meaux, le 1er juillet 1695. »

Le certificat que la supérieure et les religieuses du monastère de la Visitation de Meaux donnèrent à Mme Guyon, le 7 juillet suivant, était encore plus honorable; elles y joignirent, deux jours après, une lettre qui renfermait les expressions les plus fortes de leur estime et de leurs regrets, au moment où Mme Guyon venait de les quitter, avec la permission de Bossuet, pour se rendre aux eaux de Bourbon 1.

Telle fut la première phase de cette affaire du quiétisme. La soumission de Mme Guyon, la signature de Fénelon au bas des articles d'Issy, ramenèrent, pour un temps, le calme et la sécurité dans les esprits. Fénelon et Bossuet continuèrent à correspondre entre eux sur le ton de leur ancienne amitié.

« Il n'y a rien de nouveau en ce pays-ci, écrivait Fénelon, sinon que vous n'y êtes plus, et que ce changement se fait sentir aux philosophes. Je m'imagine qu'après les fêtes, s'il vient de beaux jours, vous irez revoir Germigny paré de toutes les grâces du printemps. Dites-lui, je vous supplie, que je ne saurais l'oublier et que j'espère me retrouver dans ses bocages avant que d'aller chez nos Belges, qui sont extremi hominum. »

On vit bientôt un nouveau témoignage de l'accord de leurs sentiments dans l'empressement que mit Bossuet à devenir le consé

'DE BAUSSET, Hist. de Fénelon.

crateur du nouvel archevêque de Cambray 1. Cette cérémonie, dans laquelle Bossuet fut assisté par les évêques de Châlons et d'Amiens, eut lieu dans la chapelle de Saint-Cyr, le 10 juillet 1695.

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CHAPITRE IV

Reprise du

Vacance du siége de Paris. Nomination de M. de Noailles.
Nouveaux débats entre Bossuet et Mme Guyon.

quiétisme.

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Le 6 du mois d'août de cette même année, la mort de M. de Harlay fit vaquer l'archevêché de Paris. Trois prélats occupaient alors l'opinion et semblaient s'imposer au choix du monarque, Bossuet, Fénelon, et M. de Noailles, évêque de Châlons.

Fénelon se trouvait en quelque sorte hors de cause par sa nomination récente à l'archevêché de Cambray, et plus encore par les nuages et les soupçons qui s'étaient élevés sur sa doctrine. Les vœux publics étaient nombreux en faveur de Bossuet, mais le choix de la cour se fit bientôt connaître, et ce fut M. de Noailles qu'il reçut à l'archevêché de Paris. Aux yeux de l'observateur attentif, cette préférence n'a rien qui puisse surprendre. Des préjugés, qui étaient alors puissants, ne permettaient pas à un homme sans naissance de parvenir aux premières dignités de l'Église ou de l'État. Déjà nous avons vu Bossuet, un peu avant sa nomination au siége de Condom, écarté de l'évêché de Beauvais alors vacant, parce que, disait-on, un évêché-pairie ne pouvait tomber en roture. Et en vertu de ce principe, un roturier, fût-il Bossuet luimême, ne pouvait prétendre ni à un archevêché, ni à la pourpre romaine. Le blason primait la science et la vertu. C'est là, selon nous, l'unique raison qui retint Bossuet à Meaux, pendant toute sa carrière. Il était admis à la cour comme une lumière et comme un ami, mais l'étiquette n'en permettait pas davantage. Les historiens de Bossuet, M. de Bausset entre autres, ont essayé de nier

1 Nous adoptons, quoiqu'elle ne soit plus suivie, l'orthographe de Cambray, employée du temps de Fénelon, afin d'éviter la confusion.

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