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sa famille et des premières personnes de la ville, le prélat y faisant toutes les bénédictions, qui aussi dîna au séminaire avec le célébrant, les officiers de l'évêché et tous les séminaristes; le repas clérical fait aux dépens du prélat. »

Plût à Dieu que le fruit eût répondu à tant de pieuse sollicitude! Nous avons dit que le nouveau prêtre fut nommé peu de temps après vicaire général et devint une puissance à l'évêché. Dans la prochaine assemblée du clergé, il figurera comme député du second ordre, pour la province de Paris.

Enfin nous trouvons, à peu près aux mêmes dates, un jugement sur le Télémaque de Fénelon, que nous devons ici mentionner.

« Le samedi précédent, au soir, il fut aussi fort parlé de Télémaque. Dès qu'il parut et qu'il en eut vu le premier tome, il le jugea écrit d'un style efféminé et poétique, outré dans toutes ses peintures, la figure poussée au delà des bornes de la prose, et en termes tout poétiques. Tant de discours amoureux, tant de descriptions galantes, une femme qui ouvre la scène par une tendresse déclarée et qui soutient ce sentiment jusqu'au bout, et le reste de même genre, lui fit dire que cet ouvrage était indigne non-seulement d'un évêque, mais d'un prêtre et d'un chrétien, et plus nuisible que profitable au prince à qui l'auteur l'avait donné. M. de Meaux en avait vu le manuscrit il y avait plusieurs années, et je l'avais ouï souvent en reprendre le style poétique. C'est qu'il s'était contenté de courir dessus sans attention, et ne s'était laissé frapper que des peintures outrées. Il avait cru que M. de Cambray avait eu tout au plus intention de proposer cet amusement à M. de Bourgogne, pour le divertir dans ses études et l'attirer à la lecture; il fut fort surpris de le voir imprimé 1, et ne douta pas que ses amis n'eussent pris le temps que la condamnation du livre des Maximes des saints était venue, pour le répandre dans le public et y conserver au moins à l'auteur la réputation du meilleur écrivain de la France, comme ils le prétendaient. Le manuscrit avait déjà fort couru, et depuis six mois 2 chacun avait dans Paris une grande curiosité de le voir. Voilà ce que M. de Meaux pensa de ce

1 Au mois de mars 1699. (Note de l'abbé LEDIEU.)

2 Octobre 1698. Idem.

roman dès le commencement, car ce fut là d'abord le caractère de ce livre à Paris et à la cour, et on ne se le demandait que sous ce nom le roman de M. de Cambray.

>> Depuis qu'on eut le deuxième et le troisième tomes, que M. de Meaux les lut à Germigny en été1, et dont il n'avait jamais rien vu, il jugea que le dessein de ce livre était pernicieux, et que l'auteur était bien hardi et bien téméraire de le donner au public. On sait, en effet, que M. de Cambray se plaignit d'abord de l'indiscrétion de ses amis, d'avoir fait imprimer l'ouvrage dans Paris même; ce fut une sagesse à d'autres aussi de ses amis de l'avoir supprimé d'abord; mais dans ce temps-là même on vit des lettres de M. de Cambray, où il mandait que puisque son Télémaque avait été publié, il ne pouvait s'empêcher de prendre soin lui-même d'une édition, afin qu'il parût tel qu'il était, et que d'ailleurs il était impossible de le retirer des mains du public. Ses amis y avaient bien pourvu, car il en vint tout d'un coup quatre ou cinq éditions et de tout l'ouvrage, de Paris, de Rouen, de Lyon et de Hollande, et celle enfin qui porte le nom de la ville de Liége, en petit caractère, divisée en dix livres avec des sommaires, faite par l'ordre et par les soins de l'auteur même, comme il l'avait promis.

» M. de Meaux trouva donc que les derniers livres de ce roman étaient une censure couverte du gouvernement présent, du roi même et des ministres. C'est ce que tout le monde y a vu, et le roi comme les autres. Pourquoi donc publier un écrit de cette nature, et à quoi bon pour M. de Cambray? « C'est encore apparemment, disait M. de Meaux, un dessein de ses amis, pour lui mériter dans le public, avec la réputation du meilleur écrivain, l'honneur d'avoir seul le courage de dire la vérité. » Cet entretien vint à propos de ce que je dis qu'il paraissait une clef et une critique de Télémaque, que l'on cachait avec un soin extrême, parce que le gouvernement et les maîtres comme les sujets y étaient déchirés impitoyablement. Ce sera, dit-on, l'ouvrage de quelque Français mécontent retiré en Hollande.

1 Aux mois de juin, juillet et août 1699. (Note de l'abbé LEDIEU.)

» Il paraît une nouvelle critique de Télémaque, meilleure que la précédente, où le style, le dessein et la suite de l'ouvrage, tout enfin est assez bien repris et dont on ignore l'auteur. Comme j'en faisais la lecture, j'ai dit que j'avais Sophronisme et les Dialogues que je trouvais d'un style plus supportable que Télémaque. « Il est vrai, dit M. de Meaux, mais aussi ce style est-il bien plat, et pour les Dialogues, ce sont des injures que les interlocuteurs se disent les uns aux autres 1. »

Si nous détachons de ce jugement une teinte de sévérité qui ne s'explique que trop dans la bouche de son auteur, nous ne pouvons nier qu'au fond il ne soit vrai. Quelle qu'ait été l'influence des fàcheuses idées du temps, nous ne concevons point qu'un prêtre, qu'un évêque, prélude ainsi au phalanstère moderne, se jette dans des utopies renouvelées de Thomas Moore, et aille chercher en plein paganisme le modèle de la civilisation et des bons gouvernements. Pour l'auteur du Télémaque, le christianisme semble ne point exister, et c'est là une aberration qu'on ne saurait trop amèrement déplorer. L'amour passionné qui a fait le principal succès de ce roman est au moins étrange, sous la plume d'un écrivain du caractère de Fénelon.

Voyez not. 4, à la fin.

CHAPITRE III

Assemblée du clergé de France en 1700. s'occuper de matières théologiques. Questions jansénistes.

- On obtient du roi la permission de Disposition générale des esprits. —

L'assemblée du clergé, en 1700, forme le pendant de l'assemblée de 1682, moins la célébrité. L'intrigue qui avait joué un si grand rôle dans le précédent conciliabule, revit tout entière dans celui-ci, et en descendant de plusieurs degrés l'échelle de la dignité. Il est profondément douloureux de voir Bossuet errer dans ces sentiers fuyants, se mettre en campagne contre des savants vénérables et contre une compagnie célèbre à laquelle lui-même avait autrefois payé un juste tribut d'éloges. La partialité présente toujours un odieux caractère, et quand elle s'étale au profit de l'erreur, elle devient tout à fait condamnable 1.

L'assemblée de 1700 devait être d'environ trente-quatre ou trentesix membres, archevêques et évêques, représentants d'évêques absents, députés du second ordre. Comme toutes les assemblées, elle n'avait d'autre objet que d'approuver les comptes du clergé, voter des subsides et régler en commun certaines mesures d'administration temporelle. Aucune convocation extraordinaire n'avait été faite; elle se trouvait donc réduite à son expression la plus

1 Dans l'exposé historique que nous avons à retracer, notre guide presque exclusif sera le Journal de l'abb Ledieu. Ce n'est pas seulement un auteur contemporain, c'est un témoin qui a tout vu de ses yeux, tout entendu de ses oreilles, depuis le fond obscur de la coulisse, jusqu'au grand jour du théâtre. Qu'il ait coloré de sa passion et imprégné de son mauvais esprit la narration qu'il fournit, nous ne le pouvons nier; mais la vérité de l'histoire s'en degagera toujours assez facilement, pour que le lecteur puisse tenir la balance et distribuer équitablement les parts. Comme en tout il faut des bornes et conserver à l'histoire sa dignité, nous prévenons que nous avons élagué ailleurs beaucoup de citations qui se présentaient sous notre plume. Si M. de Bausset a pratiqué l'art des suppressions, il s'est ici montré particulièrement habile. Il tenait en main les manuscrits de Ledieu, mais il a mieux aimé rendre son histoire obscure, incomplète, fausse mème, que d'emprunter ce qui pouvait blesser la majesté de ses héros et ternir la fraicheur candide de ses tableaux de fantaisie.

simple; mais, comme en 1682, elle fut dominée par les intrigants et les courtisans, amenée à des actes qu'elle ne prévoyait en aucune manière et dont peut-être elle eut peu la conscience. Pour expliquer les raisons de cette transformation subite, inattendue, d'une réunion de comptables en concile souverain, il est nécessaire d'entrer dans d'assez longs détails.

Si, comme le dit le proverbe populaire, Satan jette avec succès ses filets dans les eaux troubles et bourbeuses, les événements le servaient à merveille. La discorde quiétiste avait mis le feu aux esprits; le jansénisme, déjà fort puissant, relevait la tête, redoublait d'activité pour enrôler de nouveaux prosélytes sous sa bannière; le pays était inondé de ses émissaires; ses écrits, imprimés à l'étranger, circulaient partout et sous toutes les formes 1. Ces publications furent dénoncées au roi, qui ne dissimula point son mécontentement. Du reste, l'esprit du monarque était assiégé avec assez d'habileté pour qu'il lui fût difficile d'échapper au piége où l'on voulait le prendre.

Nous avons vu qu'en 1682, au moment où l'assemblée se disposait à porter les censures demandées par Bossuet, elle fut brusquement congédiée par le roi, et que les demi-dieux de la veille déposèrent leur foudre en reprenant docilement et subitement le chemin de leurs diocèses. Mais l'évêque de Meaux avait gardé son

1 Lorsque nous avons dit que le jansénisme était un ordre, une société occulte et organisée, comme le carbonarisme et la franc-maçonnerie, nous n'avons rien avancé qui ne fût vrai. Les mémoires de Legendre ne laissent pas le moindre doute sur ce sujet. (BOUIX, Revue du 20 août 1865.) « M. Arnauld en avait été général. Depuis sa mort, l'ordre était gouverné, sous le titre de prieur, par le P. Pasquier-Quesnel, prêtre de l'Oratoire de France... » Cet ordre avait ses finances; le trésor, connu sous le nom de boîte à Perrette, et qui se transmettait fidèlement de la main à la main, était parfaitement rempi; des agents circulaient dans toute l'Europe, les plus actifs étaient à Paris et à Rome, où siégeait le fameux du Vaucel; la secte avait ses mots de passe, ses chiffres, son vocabulaire. Bossuet s'appelle M. du Perron; le roi, M. des Marets; le cardinal de Janson, M. Laffin; le P. La Chaise, le P. Regnault; Quesnel est désigné sous le nom de M. de Fresne, et ainsi de beaucoup d'autres. C'était de mode, à l'époque où nous parlous. La boîte à Perrette, que nous venons de mentionner, subsiste encore; seulement elle a subi d'assez fortes réductions. La loi ne reconnaissant pas le fidéi-commis, des héritiers, moins scrupuleux que leurs pères, se sont attribué la part qu'ils trouvaient dans la succession, et les tribunaux leur ont donné gain de cause.

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