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l'objet qui nous occupe, ainsi que plusieurs des notes de l'abbé Ledieu.

» Cet abbé fut accusé d'avoir livré au P. Quesnel le manuscrit de l'Avertissement de Bossuet qu'il possédait. Il s'en défendit dans une protestation que nous donnons d'après l'autographe; cette protestation, étant destinée à la publicité, est fort modérée et remplie de réticences.

» Mais le bon abbé parle plus franchement dans une note particulière dont nous possédons l'autographe et que nous donnons en son entier. Il y est prouvé que si c'est Lebrun, doyen de Tournai, qui a pris une copie du manuscrit de Bossuet, il ne l'a pu que par suite d'un abus de confiance du cardinal de Bissy luimême.

» Si l'on n'abandonne pas la fable du doyen de Tournai à cause des preuves qui la démentent, on n'osera sans doute plus la soutenir, par égard pour le cardinal de Bissy. Ils ne sont, du reste, coupables ni l'un ni l'autre.

» Enfin le P. Quesnel, en donnant le titre de Justification à l'Avertissement de Bossuet, a-t-il commis une fraude et un odieux mensonge, comme le lui a reproché de nos jours M. Poujoulat?

» Non. Il n'a pas commis de fraude parce qu'il a averti dans sa préface que le titre qu'il donnait au livre n'était pas de l'illustrissime auteur; il n'a pas commis de mensonge, parce que Bossuet a véritablement eu en vue de justifier son livre, comme le déclare formellement l'abbé Ledieu, et comme cela résulte du livre même de Bossuet.

>> Du reste, le mot justification peint si bien le caractère de l'ouvrage que, sur l'enveloppe de la copie destinée à l'imprimeur, l'abbé Ledieu a écrit lui-même Justification des réflexions morales. »

Voici encore ce que dit le même abbé Ledieu, au tome IV de son journal, 27 mars 1712: « Ce prélat (M. de Bissy, évêque de Meaux) a apporté de Paris un imprimé sous ce titre : Instruction pastorale de Ms les évêques de Luçon et de La Rochelle, au clergé et au peuple de leurs diocèses, sur le livre intitulé: Justification des Réflexions sur le Nouveau Testament, etc., composé par messire

Jacques-Bénigne Bossuet, évêque de Meaux. A La Rochelle, chez Pierre Mesnier, imprimeur de Me l'évêque, du clergé et dé la ville, 1711, et finit ainsi : Donné à Luçon le 14 du mois de mai 1711, signé : Jean-François, évêque de Luçon; Étienne, évêque de La Rochelle. Je viens de lire ce mandement, il est tout entier sur les procédés, et il n'y est aucunement question de doctrine. On y convient que feu M. Bossuet est auteur de la Justification; mais on soutient qu'il a changé de sentiment sur le Nouveau Testament du père Quesnel, et qu'il a dit à plusieurs personnes et même à un grand magistrat (M. Le Pelletier, ancien premier président du parlement) que ce livre ne pouvait être corrigé, tant il y avait à reprendre. On rapporte des extraits des lettres secrètes des jansénistes mêmes, par lesquelles ils avertissaient en 1700 le père Quesnel même que M. Bossuet se déclarait contre son livre. Il y a d'autres extraits des lettres de M. Villart au père Quesnel, et du père Quesnel à M. Villart, par lesquelles on voit le vrai dessein de l'auteur dans son livre, qui était principalement d'y peindre avec force et d'y répéter souvent les caractères de la persécution des fidèles, en y entendant les jansénistes persécutés, et les jésuites persécuteurs. De là et de semblables discours, les prélats prennent occasion de faire remarquer que le père Quesnel est toujours un vrai janséniste, qui ne cesse de traiter le jansénisme de fantôme; d'où ils recommandent d'autant plus aux fidèles d'éviter les réflerions morales du Nouveau Testament, comme remplies de ce poison, et ainsi du reste. Mais ils ne donnent aucune qualification à la Justification, et tout se tourne à la fin en exhortation, sans même défendre la lecture de ce livre, quoique ce soit la justification d'un autre livre qu'ils estiment pernicieux et par tout leur discours, ces prélats font entendre que feu M. Bossuet est auteur de cette Justification. »

La question qui se débat nous paraît si claire que nous supprimons les pièces justificatives.

En effet, de tout ce qui précède on doit conclure:

1° Que M. de Noailles avait fait du livre de Quesnel sa propre chose;

2° Que Bossuet accepta ce même livre comme un trésor, et que,

ses corrections exécutées, il le regardait comme tout à fait exempt d'erreurs et surtout des erreurs janséniennes que les jésuites et les bénédictins de Saint-Vannes y avaient signalées; que, selon lui, ces contredisants n'étaient nullement fondés dans leurs accusations, et que le livre au contraire renfermait tout ce qu'on peut désirer pour l'édification, l'instruction et la consolation des fidèles.

Si tout cela ne constitue pas une approbation formelle du livre, une vraie justification de son auteur, il faut renoncer à parler français. Ledieu, qui mentionne l'ouvrage en plus de dix endroits de son journal, n'emploie pas d'autre mot que celui de justification. Au surplus le lecteur sera juge quand il aura parcouru le travail de l'évêque de Meaux.

Que Quesnel ait obtenu l'approbation de son livre par surprise, peu importe. La question est de savoir s'il l'a travestie, et il nous paraîtrait difficile de le prouver. Pour notre compte, nous nous défions de Quesnel, mais nous avouons que nous sentons bien distinctement ici la main de Bossuet. Évidemment l'illustre auteur s'est trompé, gravement trompé. Son tort a été surtout de ne pas relire attentivement le livre de Quesnel avant de prendre feu contre les contredisants, et surtout contre l'auteur du problème : « Nous ne croyons pas, dit-il, qu'on attende une sèche réfutation de cet ouvrage de ténèbres, qui n'était digne que du feu; mais plutôt, à l'occasion de la calomnie et pour la tourner au profit de ceux à qui, comme dit l'Apôtre, tout réussit en bien, une explication fructueuse des principes de piété dont on a fait la matière d'une accusation odieuse. Car pour l'ouvrage en lui-même, dont les principaux magistrats se sont rendus les vengeurs, leur condamnation en était prononcée dans ces paroles de la loi : « Vous ne maudirez point le grand pontife de Dieu, ni le prince de votre peuple.» (Exod., 22-28.)

Nous en demandons pardon à l'évêque de Meaux, mais le grand pontife de Dieu n'était pas à Paris, il était à Rome. Dieu, qui l'a placé comme sentinelle vigilante et juge infaillible de la foi, avait prévu que des évêques puissants et doctes se laisseraient surprendre par l'astuce des hérétiques, et il l'a commis pour redresser leurs jugements et paître le troupeau dans la vraie foi. Si Bossuet,

au lieu de prononcer des paroles de colère contre l'auteur du problème, en avait appelé au siége de Pierre, il aurait reçu de ce haut lieu des lumières et des règles que la plus belle éloquence reste impuissante à donner. Car enfin qui avait raison des accusateurs ou des apologistes? Le prétendu trésor, malgré M. de Noailles et ses habiles théologiens, malgré les corrections demandées, n'en contenait pas moins plus de cent propositions « séditieuses, scandaleuses, téméraires, impies, blasphématoires, souvent condamnées, sentant manifestement l'hérésie jansénienne, hérétiques elles-mêmes, renouvelant manifestement plusieurs hérésies.... » Voilà en quels termes le pape Grégoire XI condamna les réflexions morales, d'abord par un décret de l'an 1708, ensuite par la célèbre constitution Unigenitus, donnée en 1713 aux applaudissements de toute l'Église. Le roi Louis XIV lui-même avait cru devoir poursuivre la condamnation de ce détestable livre. Écoutons ce que dit là-dessus le janséniste Ledieu :

« Il nous est venu de Paris un arrêt du conseil d'État, le roi y étant, donné à Marly le 11 novembre 1711, par lequel, pour certaines grandes et sages considérations, il est défendu à tous imprimeurs et libraires, de plus imprimer, vendre et débiter le Nouveau Testament en français, avec des réflexions morales, etc..., c'est-à-dire le Nouveau Testament du père Pasquier Quesnel. On dit à ce sujet que M. le cardinal de Noailles a été sollicité de la part du roi, par M. le curé de Saint-Sulpice de Paris, d'abandonner ce Nouveau Testament, d'en retirer son approbation, et même de le condamner, et de rendre aux jésuites de Saint-Louis leurs pouvoirs; et qu'ayant tout refusé, disant que sa conscience ne le lui permet point, le roi a fait faire l'arrêt ci-dessus dans son conseil, disant que sa conscience l'engageait à supprimer ce livre, contre l'avis de M. de Pont-Chartrain, chancelier de France, et de M. d'Aguesseau, procureur général, disant l'un et l'autre que c'était agir contre les intérêts du roi et de sa couronne, en approuvant ainsi tacitement la condamnation de ce livre, faite à Rome par un bref qui est contre la liberté de l'Église gallicane; à quoi on dit que le roi a répondu que sa conscience lui est plus chère que sa couronne. On ne doute point que tout ce manége ne soit joué par le

père Tellier, confesseur du roi, qui se vante d'obtenir de Rome une bulle dans les formes contre le Nouveau Testament du père Quesnel, et pour y parvenir, il se servira de cet arrêt qui fait voir la disposition du roi à recevoir la bulle et à la faire recevoir par tous les évêques, et publier par tout le royaume. Mais on ne croit pas qu'il obtienne de bulle, le pape n'étant pas content de la manière dont les évêques ont reçu sa dernière bulle contre le jansėnisme, en se déclarant juges avec le pape de la doctrine condamnée. Au reste, on croit communément que M. l'évêque de Meaux aura été d'avis de l'arrêt du conseil contre le Nouveau Testament du père Quesnel, car il affecte fort de dire que ce livre ne vaut rien, et qu'il est incorrigible. On ajoute néanmoins qu'il a promis à M. le cardinal de Noailles de ne point faire de mandement pour condamner ce livre nommément dans son diocèse. On croit aussi que les jésuites, n'ayant pu obtenir de Rome une bulle en forme contre ce Nouveau Testament, ont pris le parti de l'arrêt du conseil pour le supprimer en France.

» M. le cardinal de Noailles ne laisse pas avec cela de paraître en public, d'aller même à Versailles à l'audience du roi, de donner lui-même ses audiences à Paris, et de faire toutes ses fonctions épiscopales. M. le duc de Noailles, son neveu, revenu nouvellement d'Espagne, paraît à la cour depuis peu, et dans la même union avec le cardinal son oncle. »>

Un peu plus loin, l'auteur trahit toute sa pensée dans les lignes suivantes :

« Cet éclat fait espérer que ce cardinal (le cardinal de Noailles) l'emportera sur les jésuites, et que le Nouveau Testament du père Quesnel, qu'il a approuvé, ne sera point condamné à Rome. Car le roi demandait cette condamnation, et maintenant on assure qu'il a déclaré qu'il ne s'en veut plus mêler, et que Mme de Maintenon a fait entendre au père Tellier, confesseur, que pour ménager la santé du roi il se gardât bien de lui parler davantage de toutes ces querelles et disputes de religion. On assure même que ce père a été très-mortifié de tout ceci, et qu'il en a bien rabattu de son air triomphant et insultant. Dieu en soit loué! Amen 1. »

1 Journal, tom. III, p. 301.

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