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LETTRE

DE MONSEIGNEUR L'ÉVÊQUE DE VERSAILLES

A M. L'ABBÉ RÉAUME.

Évêché de Versailles, le 3 novembre 1869.

Monsieur le Chanoine,

Il y a deux catégories de grandes renommées, celles que le temps consacre et consolide, et celles qu'il altère. Après quatorze siècles, saint Augustin est debout dans sa gloire; après six siècles, saint Thomas d'Aquin est debout dans la sienne. La statue qui leur a été dressée dans tous les cœurs catholiques est plus résistante que le granit et le bronze. Elle est et restera toujours inaccessible aux coups du temps. Pourquoi ne le dirais-je pas? La statue élevée à l'Aigle de Meaux n'est ni d'une telle fusion, ni d'une telle trempe. Sans doute elle est imposante et durable, immortelle si l'on veut, en tant qu'elle s'appuie sur le savoir et l'éloquence; mais elle a perdu et elle perd chaque jour de son lustre et de sa solidité, en tant qu'elle exprime une doctrine; et cela par le fait d'une critique qui pourrait paraître sévère, mais qui n'est que juste. Il y a sept ans, j'encourageais l'auteur d'un livre qui a fait du bruit, et je lui disais La réputation d'un pape tel que Grégoire VII n'est-elle pas plus précieuse aux yeux des catholiques que celle d'un écrivain quelconque, s'appelàt-il Fleury ou Bossuet?

Je vous félicite donc à votre tour, monsieur le Chanoine, d'avoir cherché à découvrir la vérité sur le grand docteur du gallicanisme. Vous vous y êtes appliqué d'une manière consciencieuse; vous avez été guidé par le flambeau de la vraie théologie, qui est la théologie romaine; vous avez dit vos pensées avec droiture et non

T. III.

a

sans courage. Bien des préjugés devront tomber à la lecture de votre livre. Si l'on concilie difficilement certaines louanges traditionnelles, que vous répétez, avec les reproches que vous arrache l'évidence et qui jaillissent d'un cœur plein de foi, on y verra votre amour de l'impartialité, et on s'enhardira à aller plus avant. On arrivera ainsi tôt ou tard à une lumière complète sur l'homme dont il s'agit.

Je vous salue bien affectueusement,

+ PIERRE, évêque de Versailles.

AVANT-PROPOS

(Voir tome II, chapitres II et III).

Puisque les circonstances nous obligent à refaire un avantpropos, nous avouerons, tout d'abord, que nous n'avons pu réaliser le doux songe des esprits naïfs, c'est-à-dire, mettre le cap sur cette terre heureuse et encore inabordée où tout le monde plaît à tout le monde. Quelques lecteurs, qui nous avaient témoigné leur sympathie pour les éloges que nous avions donnés à Bossuet, considéré comme écrivain et comme orateur, ont paru surpris de ne pas rencontrer l'équivalent, dans notre second volume. Ils trouvent que nous portons des jugements trop sévères sur le père des quatre articles, et qu'ainsi nous nous sommes mis en contradiction avec notre passé.... Si la logique exige, comme conclusion rigoureuse, qu'un homme soit déclaré infaillible par le fait même qu'il est grand écrivain et sublime orateur, nous avouerons notre tort. Si au contraire la logique permet, sans en être aucunement blessée, de conclure qu'un grand écrivain et un grand orateur peut n'être qu'un médiocre théologien, et de plus qu'un savant théologien peut encore

enseigner de mauvaises doctrines, notre conscience sera moins alarmée.

La première voix résonnait encore à nos oreilles, quand une . seconde vint nous accuser d'avoir conservé trop de ménagements, envers un homme de parti dont les fàcheuses tendances avaient produit tant de mal en France et dans une notable partie de l'Europe... Si nous avons loué Bossuet, ce n'est ni par complaisance, ni par caprice, mais bien par un sentiment de vieille et profonde admiration. Si plus tard nous avons cru devoir prononcer des jugements moins favorables, c'est que nous y étions contraint par la vérité, qui prime, selon nous, toute grandeur, toute puissance et toute réputation. Le rôle de l'historien consiste principalement à exposer les faits, tels qu'il les connaît, et avec les preuves qui les rendent ou certains ou au moins vraisemblables, c'est ensuite au public à les contrôler, et à former son opinion.

Un écrivain, devenu beaucoup trop célèbre, nous reproche de n'avoir su ni sentir ni rendre le génie de Bossuet.... Cette critique vient caresser doucement notre cœur; car nous serions bien désolé d'avoir senti et rendu le génie de Bossuet, à la façon et au goût du personnage dont il est question.

Si nous n'avions eu à raconter que ce qui précède, nous nous serions, à coup sûr, dispensé de prendre la plume. Mais nous avons à retracer ici des choses plus sérieuses.

Lorsque notre deuxième volume était sous presse, nous fùmes averti qu'un savant religieux se livrait à d'intéressantes recherches, concernant le gallicanisme de Bossuet. Nous nous empressâmes de demander communication de ce travail, non pour le publier assurément, mais pour éclairer notre marche et revenir, au besoin, sur le chemin que nous venions de parcourir. L'auteur jugea bon de nous dérober à la fois et son nom et ses

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