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découvertes. C'est au mois de juin dernier que les Études religieuses nous apportèrent enfin l'article que nous attendions et dont nos lecteurs, déjà nombreux, ont droit d'être instruits.

Avant tout, ils pourront se convaincre que notre pensée première était loin de tendre au dénigrement. Nous n'avions pas dissimulé que Bossuet avait sucé avec le lait tous les principes des parlementaires, et qu'il les poussa, toute sa vie, bien au delà des bornes communes. Or, entre les tendances schismatiques des parlements et les doctrines romaines, il y a tout un abîme. Cependant lorsque nous vîmes le docteur de Navarre défendre la Sorbonne avec tant de vivacité contre les entreprises du Parlement de Paris, et dans une question où se trouvait débattue l'autorité pontificale, nous avons conclu, avec d'honorables écrivains, non pas qu'il fût devenu ultramontain, mais que l'éducation avait au moins momentanément changé ses premiers sentiments. L'abbé de Bourzeis lui-même semble parler dans le même sens, tout en laissant espérer que le docteur égaré par Cornet reviendrait de lui-même à résipiscence. Étions-nous dans l'erreur; Bossuet gauchit-il seulement en cette occasion, selon l'expression de l'agent de Colbert? C'est ce qu'affirme l'écrivain des Études religieuses, et nous reproduisons ses raisons.

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« Il ne faut pas croire, comme on l'a prétendu, que l'influence de Cornet fût assez puissante dans la maison de Navarre pour en bannir le gallicanisme, ou même le jansénisme. Sans rappeler ici les traditions gallicannes de cette maison, les noms si connus de ses docteurs Launoi et La Lanne, il suffit de dire qu'on y voyait entre autres un docteur fort influent, nommé Vaillant, qui avait voté pour Antoine Arnauld en 1656, et qui fut collègue de Bossuet dans la commission chargée d'examiner la bulle pon

1 Revue bi-mensuelle par les RR. PP. Jésuites, Paris, chez Albanel, rue de Tournon.

tificale en 1665. Ajoutons que l'agent de Colbert, dans son rapport de l'année 1663, juge Bossuet assez gallican pour bien tourner et assez utilement d'autres membres de la faculté de théologie. »

(Études religieuses.)

L'auteur de ces lignes nous dit que si le docteur Bossuet témoigna tant de chaleur en 1661, ce fut beaucoup moins pour les questions de doctrine que pour le maintien des priviléges de la Sorbonne. Cette assertion n'est nullement invraisemblable. Bossuet, toute sa vie, nourrit pour la Sorbonne une tendresse incomparable. Avec la Sorbonne, non-seulement il croit qu'on peut se passer du Pape, en matières doctrinales, mais qu'on peut juger le Pape lui-même.

Pour prouver le gallicanisme de Bossuet, dès l'année 1651, l'auteur de l'article qui nous occupe cite la thèse que le jeune docteur soutint en Sorbonne et dont le manuscrit subsiste encore aujourd'hui.

Cette pièce, l'auteur en convient, ne serait point par ellemême très-concluante, mais elle le devient, dit-il, si on la rapproche des autres ouvrages de Bossuet.

Le soutenant y parle assez explicitement du principat de l'Église romaine, de Pierre fondement de toute l'Église.... Mais il a commencé par exposer l'idée à laquelle il s'attachera jusqu'à son dernier soupir, l'autorité suprême et l'infaillibilité du corps épiscopal.

« Pour que les peuples ne flottassent point dans l'incertitude, le Christ institua des pasteurs principaux, principes quosdam pastores, c'est-à-dire, les évêques, auxquels il associa un collége de prêtres que les évêques emploieraient aux fonctions ecclésiastiques, en gardant néanmoins la présidence et le gouvernail des églises. Ce sont d'abord les apôtres qui exercèrent ce ministère, auxquels, par la suite, la série universelle des évêques,

episcoporum series universa, fut liée par la consanguinité de l'ordination... » Voilà bien les évêques chefs suprêmes de l'Église et les curés de droit divin. - Et plus loin : « D'où vient l'unité? De ce que l'évêque est dans le peuple et le peuple dans l'évêque; et de plus en ce que l'épiscopat est un, quoique dispersé, par l'accord qui règne dans le nombre. »

Un fait plus incontestable c'est que Bossuet, en 1665, défendit avec la plus déplorable ténacité les six articles imposés à la vraie Sorbonne, et se révolta ouvertement contre l'autorité du Saint-Siége. Voici à quelle occasion: Un Carme, sous le pseudonyme de Vernant, publia à Metz un ouvrage intitulé : La défense de l'autorité de Notre Saint Père le Pape, de nosseigneurs les cardinaux, les archevêques et évêques, etc. L'auteur formulait six propositions diamétralement opposées aux six articles de la Sorbonne : <«< Le pape n'est soumis qu'à Dieu seul, et la puissance papale n'a d'autres bornes que celles qu'y a mises la divine puissance. Si le pape n'était pas infaillible, il faudrait changer la profession de la foi : Je crois la sainte Église catholique et romaine. Les conciles ne sont réclamés que par les hérétiques et les schismatiques qui espèrent par là porter le trouble dans l'Église... Le Pontife romain est l'unique source de la puissance conciliaire et de toute juridiction... >>

Colbert, selon son habitude, déféra le livre à la Sorbonne, mais entendons-le bien, à la Sorbonne mutilée, persécutée, dispersée. La Faculté examina longuement ces propositions et les condamna comme fausses, erronées, téméraires, scandaleuses, opposées au concile de Constance, etc. Le pape Alexandre VII, justement offensé d'un procédé aussi audacieux, demanda au roi la révocation publique du jugement de la Faculté, ce qu'il ne put obtenir. Alors, par la bulle Ad aures, il cassa, motu proprio, les censures de la Sorbonne et défendit sous peine d'excommu

nication, ipso facto, de les approuver, de les enseigner, de les lire et de les garder. La bulle fut, de son côté, déférée au Parlement qui la supprima comme d'abus, et retournée à la Faculté qui nomma douze de ses membres pour l'examiner et faire un rapport. Nous avions bien lu tous ces détails rapportés par Bossuet, dans la Défense de la Déclaration, livre VI, chap. xxvII', mais nous ignorions que lui-même fùt un des commissaires; nous ignorions par conséquent quelle part il avait prise à ce singulier travail.

L'auteur que nous suivons nous apprend qu'il a vu de ses yeux le texte de la bulle pontificale et, en marge, les notes manuscrites de Bossuet; qu'il y a lu, entr'autres, ces mots fort significatifs Ily faut résister. A l'unanimité les douze docteurs conclurent au rejet de la bulle et la Faculté adopta leur avis. Les considérants sont étranges autant qu'on peut le supposer, et nous y reviendrons sans doute quelque jour.

Nous croyons avoir fidèlement analysé l'article des Études religieuses, et nous reconnaissons tout ce qu'il offre de vraisemblance; mais nous avons vu Bossuet varier sur trop de points pour affirmer positivement qu'il ne l'a pas fait, en cette occasion.

Le rédacteur des Études paraît croire que le livre de la Défense est d'une authenticité douteuse; c'est là une erreur que nous avons combattue.

HISTOIRE

DE

JACQUES-BENIGNE BOSSUET

ET DE SES ŒUVRES

LIVRE IX

COMPRENANT LA VIE INTIME DE BOSSUET; SON JUGEMENT SUR LES
AUTEURS CONTEMPORAINS, ET SES RELATIONS AVEC QUELQUES-
UNS D'ENTRE EUX. DE 1692 ▲ 1696.

CHAPITRE PREMIER

Vie intime de Bossuet à la cour et dans son palais épiscopal.

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- Sa vie solitaire. Soins qu'il met à observer les cérémonies de l'église, les règles du jeûne et de l'abstinence. Sa passion pour le travail. - Sa manière de travailler.

Bossuet, à l'époque où nous sommes arrivés, compte déjà soixante-cinq ans; la carrière qu'il vient de parcourir a été fertilement et diversement remplie. Quoique de graves événements restent encore à passer sous nos yeux, tout lecteur attentif peut déjà rassembler dans son esprit les traits principaux qui forment le portrait vrai de l'homme et de l'évêque, saisir les contrastes que présente ce caractère trop souvent inégal. Il est temps, ce nous semble, de pénétrer dans la demeure même de l'évêque de Meaux, et de le suivre, au milieu des détails de cette vie intime qui révèlent beaucoup de choses, et qu'on recherche assez avidement quand il s'agit d'une célébrité comme celle que réveille le nom de Bossuet.

T. III.

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