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X V.

tême eft dangereux.

Les Thomiftes dont nous parlons, ne fe XXXVI. contenterent pas d'obfcurcir les vérités de la Subtilités Grace par des expreffions Moliniennes ; ils du fyftême les altérerent même par des fubtilités em- de l'état de pruntées du Molinilme. Les Jéfuites fai- pure natufoient un grand ufage du fyftême de l'état de re. Combien ce fyfpure nature. Il consiste à établir une derniere fin purement naturelle, & un ordre complet de devoirs naturels qui ont rapport à cette fin. Les Jéfuites foutiennent que cet état eft poffible, & que Dieu auroit pû créer l'homme pour une fin purement naturelle, & non pas pour jouir éternellement de lui. Dans cette fuppofition l'homme n'auroit été obligé que d'avoir des vertus naturelles. Ils traitent prefque d'hérétiques ceux qui nient la poffibilité de cet état. Ils font encore plus. Ils prétendent que nous fommes tout à la fois dans les deux ordres. Nous avons rapport, difent-ils, à l'ordre naturel, parce qu'en effet l'état naturel de l'homme eft d'être dans cet ordre. Nous fommes auffi dans l'ordre furnaturel, parce qu'il a plu à Dieu d'y élever Adam en le créant, & à Jelus-Chrift de nous y rétablir malgré le péché d'Adam. Ainfi nous avons deux fins aufquelles nous devons tendre, & deux fortes de devoirs à remplir. Les Jefuites font de ce dernier point un ufage d'une prodigieufe étendue dans la Morale: c'est la clef de tout leur systême. Nous pouvons auffi pécher en deux manieres, & Dieu nous aide par deux fortes de fecours: fecours naturels qui nous aident à remplir naturellement nos devoirs ; fecours furnaturels aufquels on donne fpécialement Tome X.

le nom de Grace, qui nous aident à accomplir furnaturellement les devoirs furnaturels. Par le moïen de cette malheureufe diftinction dont Pélage fe feroit bien accommodé fi elle eût été inventée de fon temps, on fouftrait à l'influence de Jefus-Christ une multitude d'actions, qui n'aïant pas la Grace pour principe, ne laiffent pas, dit-on, d'être bonnes dans leur ordre & exemptes de tout péché. Par-là on apprend à éluder tous les textes de l'Ecriture, qui établiffent que fans la Grace de J. C. on ne peut faire aucune action qui foit vraiment bonne.Jefus Chrift dit:Sans moi vous ne pouvez rien faire. Je diftingue, répond un Molinifte. Vous ne pouvez rien faire dans l'ordre furnaturel; je l'accorde. Dans l'ordre naturel; je le nie. Mais il eft aifé de mettre en poudre cette fubtilité, en démontrant que les vertus du prétendu ordre naturel, qui ne découlent pas de l'influence de Jefus-Chrift, font des actions & des vertus qui ne font pas fans tache aux yeux de Dieu. On fent bien que ce fyftême bizarre n'entre point aisément dans l'efprit des Fidé les. S'il étoit véritable, on devroit les en inftruire. Mais comme il eft faux & pernicieux, on fait très-bien de le leur laiffer ignorer. Il ne feroit propre qu'à jetter dans leur efprit des erreurs incompatibles avec la Religion. On leur apprend que Dieu les a créés pour aimer & fervir Dieu fur la terre & par ce moien obtenir la vie éternelle, qui confifte à voir & pofféder Dieu. On ne leur parle point d'une autre fin derniere, parce qu'il n'y en a point d'autre ; ni de devoirs d'un genre différent, parce qu'il n'y a d'auAres devoirs que ceux qui conduifent l'hom

me à cette jouiffance de Dieu, qui fait la félicité des Saints dans le Ciel.

XXXVII. Usage que font les Jefuites de ce

Le fyftême dont nous parlons ne pouvoit manquer d'être très-cher aux Jefuites, tant à caufe de leur Morale que de leur doctrine fur la Grace. Rien ne leur eft plus commode pour fyftême. La mettre des bornes au précepte de l'amour de Dieu; puifqu'ils foutiennent qu'il y a une Thomiftes plupart des infinité d'occafions, où l'homme n'eft pas qui admetobligé de fe propofer d'autre fin, que la fin tent ce mêde l'ordre naturel. Ils font entrer dans cette me fyftême fin naturelle tout ce qui leur plaît, jufqu'au n'en font plaifir des fens. Alors l'homme fuit fa defti- pas le inênation naturelle: il fuffit qu'en certains mo- me ufage.

Suites fu

mens il s'éleve à la fin furnaturelle. C'eft neftes de par-là qu'ils trouvent le moïen de rendre in- leur affoinocent ce qu'il y a de plus corrompu dans bliffement l'homme. Leurs Cafuiftes prennent la défenfe fur ce point, des mouvemens même de la concupifcence, en difant qu'ils font de l'ordre naturel. Par le même fyftême ils éludent les textes les plus formels de l'Ecriture & de la Tradition. Dieu ne doit pas la Grace, & peut ne pas la donner. Mais alors il n'exige point de l'homme des devoirs de l'ordre furnaturel. Il est donc aifé de voir pourquoi ce fyftême eft fi fort de leur goût, pourquoi tous leurs Théologiens l'embraffent. Il ne tient pas à eux que croie qu'il a été décidé par l'Eglife. Ils voudroient faire valoir fur ce point les Bulles contre Baïus, dont nous avons parlé dans le Volume précédent. Il étoit néceffaire de donner quelque idée d'un fyftême qui entraîne après foi des fuites fi funeftes. Ce n'eft pas qu'on ne puiffe en admettre le fans en faire l'ufage qu'en ont fait les Jefuites. Depuis les Congrégations de Auxiliis, la plû

nom,

l'on ne

part des Thomiftes, qui ont admis les ter mes de Grace fuffifante & de pouvoir prochain, ont auffi reconnu la poflibilité de l'état de pure nature. Ils y ont été conduits par les principes des nouveaux Scolastiques, par des vûes politiques, & par un refpect exceffif pour les Bulles contre Baïus, données par le Pape Pie V, qui étoit de leur Ordre. Les Jefuites étoient charmés de voir leurs adverfaires admettre du moins en apparence un fyftême qui leur étoit fi précieux. Quoique les Thomiftes aïent été très-éloignés de faire de cette opinion l'ufage qu'en faifoient les Jefuites, il eft certain qu'ils n'ont pas toujours affez connu l'obligation de rapporter toutes les actions à Dieu, & qu'ils n'ont point eu des idées affez juftes de la néceffité & de l'étendue du précepte de l'amour de Dieu. Quand on s'imagine qu'il peut y avoir un état dans lequel on n'eft point obligé de tendre à une fin furnaturelle, il eft bien aifé de s'imaginer auffi qu'il y a des actions dans la vie de l'homme qui appartenant à cet état, peuvent fans péché n'être pas rapportées à Dieu. L'état de nature pure a conduit les Thomiftes dont nous parlons, à reconnoître que la Grace fuffifante eft donnée à tous. Il eft vrai que c'eft dans un fens opposé à celui des Moliniftes. Mais néanmoins rien n'eft plus contraire à la faine Théologie, aux principes de S. Auguftin & même à l'expérience, que de prétendre que tous les hommes ont une Grace excitante. Scimus, dit S. Auguftin, gratiam non omnibus hominibus dari. Čes Thomiftes ne favent à quoi réduire cette Grace qu'ils difent être commune à tous. Mais les Jefuites ne laiffent pas

de

regarder comme un avantage de ce qu'ils fe réuniffent avec eux fur le langage, quelque diverfité qu'il y ait entr'eux dans les fenti

mens.

XVI.

niere d'an

En parlant des affoibliffemens de certains XXXVIII. Thomiftes, nous avons dit qu'ils traitoient Défauts de les vérités de la Grace d'une maniere trop plufieurs féche & trop fpéculative. Plufieurs en effet Thomiftes n'appercevoient pas les liaisons qu'elles ont dans la maavec le cœur & avec la piété. Dès qu'on noncer les n'inftraifoit plus les peuples de ce qui eft vérités de l'ame de la Religion, on ne pouvoit plus la Grace. former en eux qu'une piété fuperficielle, & D'autres cé à-peu près femblable à celle que les Péla- lebres Thogiens auroient pû inspirer. La plûpart des miftes éviThomiftes donnerent encore dans un autre tent avec foin ces dédéfaut. Ils firent peu d'attention que la Grace fauts. Belreçûe eft un mouvement du cœur, & non un les paroles fimple confentement qui ne réfideroit que que M Pafdans la fuperficie de la volonté. Ils ne l'envi- cal adresse fagerent pas à l'exemple de S. Augustin, aux precomme une fainte délectation un faint miers. amour, qui fait que l'ame fe plaît dans le bien, plus ou moins vivement, felon que la Grace eft plus ou moins forte. Au reste nous n'avons garde de dire que tous les Dominicains foient tombés dans tous les défauts que nous avons remarqués. Dieu s'en eft toùjours réservé parmi eux qui ont connu la Vérité dans fon étendue, & qui l'ont défendue avec beaucoup de zéle & de dignité. Plufieurs de leurs Théologiens les plus célebres n'admettent point l'état de pure nature, ou n'en font aucun ufage; ne fe fervent du terme de Grace fuffifante, qu'en s'expliquant

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