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toujours d'une maniere qui ôte aux Jefuites l'avantage qu'ils en pourroient prendre ; ne reconnoiffent point qu'elle foit donnée à tous; expliquent les matieres de la Grace d'une maniere toute conforme à celle dont S. Auguftin les a expliquées, & avouent qu'il eft très-important d'en faire ufage pour la piété. Il faut néanmoins convenir que les défauts que nous avons relevés, n'ont été que trop répandus parmi la plupart des Dominicains. Dans toutes les attaques que les Vérités de la Grace ont effuïées, on a remarqué dans plufieurs d'entr'eux un certain efprit de politique & de ménagement, qui les a portés à déguifer & à altérer les vérités dont ils étoient dépofitaires, à mefure qu'elles ont été plus vivement attaquées. Ils fe font ainfi affoiblis, fous le fpécieux prétexte de les garentir des condamnations dont elles étoient menacées de la part des Jefuites, dont le crédit devenoit de jour en jour plus effraïant. M. Pafcal dans fa feconde Provinciale fait bien fentir le tort de ceux des Dominicains qui connoiffoient fi peu le prix du tréfor dont ils étoient en poffeffion, & à la défense duquel ils auroient dû tout facrifier. « Allez, mon l'ere, dit-il, votre Ordre a reçu un honneur qu'il ménage mal. Il abandonne cette Grace qui lui avoit été confiée, & qui n'a jamais été abandonnée depuis la création. du monde : cette Grace victorieufe qui a été attendue par les Patriarches, prédire par les Prophetes, apportée par Jefus Chrift, prêchée par S. Paul, expliquée par S. Auguftin le plus grand des Peres, confirmée par S. Bernard le dernier des Peres, foutenue par S. Thomas l'Ange de l'Ecole, transmise de

fui à votre Ordre, maintenue par tant de vos Peres, & fi glorieufement défendue par vos Religieux fous les Papes Clément & Paul. Cette Grace efficace qui avoit été mise comme en dépôt entre vos mains, pour avoir dans un faint Ordre à jamais durable, des Prédicateurs qui la publiaffent au monde jufqu'à la fin des temps, fe trouve comme délaiffée pour des intérêts fi indignes. Il eft temps que d'autres mains s'arment pour fa querelle. Il eft temps que Dieu fufcite des difciples intrépides au Docteur de la Grace, qui ignorant les engagemens du fiécle, fervent Dieu pour Dieu. La Grace peut bien n'avoir plus des Dominicains pour défetifeurs; mais elle ne manquera jamais de défenfeurs, car elle les forme elle-même par la force toute-puiffante. Elle demande des cœurs purs & dégagés, & elle-même les purifie & les dégage des intérêts du fiécle, incompatibles avec les vérités de l'Evangile. Penfez-y bien, mon Pere, & prenez garde que Dieu ne change ce flambeau de fa place, & qu'il ne vous laiffe dans les ténébres & fans couronne, pour punir la froideur que vous avez pour une caufe fi importante à fon Eglife. » Dieu s'eft en effet fufcité de nouveaux Dé XXXIX. fenfeurs, & cet ouvrage étoit déja bien Nouveaux avancé, lor que M. Pascal parloit ainfi. Il y défenfeurs avoit dès-lo d'autres perfonnes que les Do- que Dieu minicains, Ч i défendoient ces vérités d'une fafcite à fa maniere digne d'elles, & qui en conféquence caufe. étoient exposées à toute forte de calomnies & de violences, tandis que la plupart des Dominicains n'étoient attentifs qu'à tâcher de féparer leur caufe de celle de ces illuftres perfécutés. Nous parlons des célebres Théo

logiens connus fous le nom de MM. de Port Roïal, & de tous ceux qui dans les différens lieux, les différens Ordres, & les différentes conditions ont défendu la cause de la Vérité avec le même zéle, la même plénitude, & la même fincerité; par exemple, plufieurs favans Dominicains, Bénédictins, & autres membres de divers Ordres ; des Docteurs de Louvain & d'autres Facultés très-attachées à la faine Doctrine. Ces hommes admirables fentirent toute l'importance des Vérités qu'ils avoient le bonheur de connoître ; & rien ne fut capable d'en diminuer le prix à leurs yeux. Nous tâcherons de donner une idée Jurre de ces généreux Défenfeurs de la Vérité, de tous les fervices qu'ils ont rendus à l'Eglife, & de tous les combats qu'ils ont eus à foutenir pour conferver le précieux dépot de la faine Doctrine. Il y a d'autres grands évenemens antérieurs, que nous allons rapporter dans les Articles fuivans. Avant que de terminer celui-ci, nous croions devoir faire connoître en peu de mots Alvarès & Lemos, qui parurent avec tant d'éclat dans les Congrégations de Auxiliis.

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XVII.

XL. Thomas de Lemos de l'illuftre Famille des Thomas Lemos en Efpagne, nâquit l'an 1545 à Ribade Lemos. davia, ville de Galice. Aiant perdu fou pere Ses princi- & fa mere dans fon bas âge, il fut élevé pales actions.

par

les foins de fon frere aîné, qui lui fit faire fes études dans fa maison Il entra dans l'Ordre des Dominicains malgré fa famille, & fe confacra tout entier à l'étude de la Théologie. Il étoit à Valladolid, lorsque les Dominicains attaquerent les erreurs des Jefuites

Tur la Grace en 1594. 11 défendit dès-lors avec zéle la doctrine de S. Thomas, & combattit celle de Molina. Il fut envoïé en 1600 au Chapitre général de l'Ordre, qui fe tenoit à Naples. Il y fit foutenir une Thèfe fur la Grace, dédiée au Cardinal d'Avila. Cette action d'éclat aïant manifefté la fcience profonde & fes rares talens, il fut chargé par le Chapitre d'aller à Rome foutenir avec Alvarès l'ancienne doctrine, & combattre les nouveautés des Jefuites. Il y arriva dans le temps que les Confulteurs aïant achevé l'examen des propofitions de Molina, travailloient par ordre du Pape à revoir leurs cenfures. Les Jefuites propofoient alors un accommodement, & fe fervoient du P. Arriba Cordelier, pour en faire goûter au Pape un projet, où l'on promettoit de concilier les deux Ecoles. Lemos fit voir dans un Ecrit qu'il préfenta à Clément VIII, combien cet accommodement étoit illufoire. Ce premier Ouvrage de ce favant Dominicain parut en 1600 à la fin du mois d'Août. Peu de temps après, il réfuta l'Ecrit que les Jefuites adrefferent aux Univerfités d'Italie pour accufer de Luthéranifme & de Calvinisme la doctrine des Dominicains. Il foutint dans les Congrégations tout le poids de la dispute, tant dans celles qui fe tinrent en 1601, où les feuls Confulteurs fe trouverent, que dans celles aufquelles affifterent les Papes Clément VIII & Paul V avec les Cardinaux. Ces Papes prenoient un plaifir fingulier à entendre parler ce grand homme. Il compofa en même-temps plufieurs Ecrits contre ceux que les Jefuites publioient. Lemos avoit foixante ans, lorfque cette célebre difpute fut terminée sous

Gy

ges.

XLI.

Paul V. Il s'y étoit acquis tant de réputation, que le Pape & le Roi d'Efpagne lui offrirent des Prélatures, qu'il refufa. Il fut choifi pour Confulteur général en 1607; & le Roi Catholique lui donna une penfion qu'il accepta, pour n'être point à charge au Couvent de la Minerve, où il continua de travailler fur les matieres de la Grace. Il y mourut âgé de quatre-vingts-quatre ans le 23 d'Août 1629. Il avoit perdu la vûe trois ans auparavant.

Lemos a lui-même fait un Journal des AcSes Ouvra- tes des Congrégations, dans lequel il rapporte avec exactitude les queftions propofées, les objections & les réponses faites de part & d'autre. Comme il écrivoit chaque jour tout ce qui fe paffoit, il ne lui eft prefque rien échappé de tout ce qui s'eft dit. On y voit un caractere inimitable de candeur & d'ingénuité. Cet important Ouvrage fut imprimé à Rheims fous le nom de Louvain en 1702. L'autre grand Ouvrage de Lemos a été imprimé à Beziers fous le nom de Liége en 1676. C'eft un Recueil de plufieurs Traités fur la Prédeftination & fur la Grace, intitulé: Panoplie de la Grace, divifé en quatre Tomes, qui compofent deux gros in-folio. La premiere partie du premier Volume renferme fix Traités hiftoriques. On y trouve l'hiftoire de Pélage, de Celeftius & de Julien ennemis de la Grace, celle des Manichéens, des Luthériens & des Calviniftes ennemis de la liberté. On y voit tout ce que Saint Auguftin a fait pour combattre le Pélagianifme & les condamnations de cette héréfie par les Conciles, par les Papes & par les Ordonnances des Empereurs. Le favant Théologien prouve que Pélage reconnoiffoir

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