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Capucin contre Richer.

un exprès de Rome pour être le témoin de ce qu'il avoit envie de faire. Le Pape envoïa donc à Paris un Notaire Apoftolique, qui fut logé chez le P. Jofeph, à qui le Cardinal de Richelieu avoit donné un Hôtel en Ville, outre l'appartement qu'il lui avoit donné dans fon Palais. Quelques jours après l'arrivée de ce Notaire, Duval alla inviter Richer à diner chez le P. Jofeph de la part du Cardinal Miniftre. Le prétexte étoit de vouloir conférer avec lui après le repas fur quelques points de controverfe. Richer s'en excufa d'abord, fur fes indifpofitions & fur l'ufage où il étoit de ne manger jamais hors de chez lui. Duval lui dit qu'il avoit ordre de ne pas s'en retourner fans lui, & lui fit de fi vives inftances, que Richer fe laissa conduire, par déférence pour le Cardinal de Richelieu, dont Duval alléguoit l'autorité. Après qu'on fut levé de table, le Capucin fit entrer Richer dans une chambre avec Duval & le Notaire Apoftolique, & dit que la queftion de controverfe qu'on vouloit lui propofer, étoit celle de l'autorité du Souverain Pontife. Richer, qui ne favoit pas que l'inconnu devant qui il parloit, étoit un Italien & un Notaire Apoftolique, expofa fes fentimens avec beaucoup de modération & de clarté. Tout d'un coup le P. Jofeph tira un papier qui contenoit une rétractation toute dreffée. Il interrompit Richer en le lui montrant ; & d'un ton de voix qu'il éleva extraordinairement pour fervir de fignal à des gens apoftés & cachés, il lui dit : c'eft aujourd'hui qu'il faut ⚫mourir ou rétracter votre Livre. A ces mots on vit fortir de l'antichambre deux afsaffins,

qui fe jetterent fur ce vénérable vieillard, & qui le faififfant chacun par un bras, lui préfenterent le poignard l'un pardevant, l'autre par derriere, tandis que le P. Jofeph lui mit le papier fous la main, & lui fit figner ce qu'il voulut, fans lui donner le temps, ni de fe reconnoître, ni de lire le papier. La terreur fubite où le jetta la présence de la mort dont les affaffins le menaçoient, lui troubla la vue & l'efprit, deforte que fans être entierement certain de ce qu'il avoit fait, il croïoit néanmoins avoir signé la condamnation de fon Livre.

il ne

LVIII.

Dans le faififfement où il fe trouva, vit rien de plus preffé que de fe faire repor- Derniere ter chez lui. Il fe jetta fur fon lit accablé du maladie de coup qu'on venoit de lui porter par une fi Richer. Ses horrible noirceur. Là s'abandonnant aux grands fengémiffemens, & laiffant couler fes larmes timens de piété. en abondance, il fe croïoit indigne de vivre. Il pria Dieu d'accepter le facrifice qu'il lui offroit de la vie en expiation de fa faute. Il crut que fa priere alloit être exaucée, parce qu'il fentit auffi-tôt un friffon, qui fut suivi de l'accès d'une groffe fievre. Craignant que fes ennemis ne changeaffent les circonftances de fon action, il fe hâta de dicter tout ce qui s'étoit paffé, d'en lire & figner les copies & de les envoïer à fes amis. Au refte il avoit fait d'avance, comme nous l'avons vû, les proteftations les plus folemnelles & dans les formes les plus autentiques, contre les voies criminelles dont il avoit prévu qu'on pourroit le fervir pour arracher de lui une rétractation de fon Livre. Ses amis tâcherent -de le confoler, en lui faifant efpérer de la miféricorde de Dieu qu'une action où sa vo

LIX.

lonté avoit eu fi peu de part, ne lui feroit point imputée. Ce n'eft pas que la faute qu'il avoit faite ne fût réelle & grande, fur-tout aïant tant de lumiere & de piété ; mais il faut converrir auffi que les circonstances diminuoient la grandeur de cette faute. Richer voïant que fa maladie tiroit en longueur jugea que Dieu vouloit achever de le purifier par les fouffrances. Il fe prépara à la mort par tous les exercices d'une piété folide & éclairée, & accepta en efprit de pénitence toutes les amertumes d'une maladie longue & douloureufe. Il y avoit fept mois qu'il fouffroit, lorfqu'elle fut jugée mortelle par les Médecins. Ce fut alors que les Bourfiers de fon Collége, qui s'étoient presque toujours révoltés contre les reglemens de difcipline qu'il avoit faits, vinrent fe réconcifier avec lui, & lui donner des marques de leur vénération. Il les exhorta, de même que le Principal & les Profeffeurs, à s'acquitter toujours exactement de leurs devoirs. Enfuite fentant approcher fa fin, il demanda & reçut en leur préfence les Sacremens de l'Eglife avec une piété dont ils furent tous très-vivement touchés.

Il ne voulut plus penfer qu'à Dieu & à fon Sa mort falut, & fe fit lire continuellement des prie& fon por res qu'il avoit compofées des endroits les trait.

plus touchans des Livres faints. Il y fut toujours attentif, jufqu'à ce qu'aïant prié son lecteur de le tourner fur le côté, il expira fi doucement, que perfonne ne s'en apperçut. Ainfi mourut ce célebre Docteur, le 28 Novembre 1630 entre fept & huit heures du matin dans la foixante-douzième année de fon âge. Il fut inhumé le lendemain dans la

thapelle de Sorbonne au côté droit du grand
Autel. Il avoit la taille fort haute, mais
libre, dégagée & bien remplie ; le tempéra-
ment robufte, la voix forte, les organes de
la vûe & de l'ouïe excellens; le front large
& fans ride; une complexion vigoureufe &
qui promettoit une plus longue vie, fi elle
n'eût point été abrégée par fes grandes étu-
des, les douleurs de la pierre, le mauvais
fuccès de l'opération, & les traverses conti-
nuelles que
lui attira fon attachement à la
vérité & à la justice. Les efforts que les enne-
mis ont fait pour l'attirer dans leur parti,
font affez connoître l'idée qu'ils avoient de
fa fcience & de fon mérite. Son courage &
fon intrépidité ont éclaté dans toute la con-
duite. Son défintéreffement a paru dans tou-
tes les actions de fa vie, de même que fon
zele pour l'ancienne & perpétuelle doctrine
de l'Eglife. A l'égard des mœurs, fes plus
mortels ennemis ont été forcés de rendre té-
moignage à fa vertu & à la pureté de la vie.
Son efprit étoit ferme & folide. Il avoit
beaucoup de critique, de goût & de difcer-
nement. L'Ecriture-Sainte, les Peres, & l'an-
cienne discipline de l'Eglife avoient été la
matiere de fes études continuelles.

XX.

LX.

On a imprimé en 1676 l'Apologie de Gerfon que Richer avoit compofée en 1605. Ses Ecrits. Elle contient les mêmes principes qui font dans fon livre de la Puiffance Ecclefiaftique & Politique, mais avec beaucoup plus d'étendue. Ĉet Ouvrage eft divifé en quatre parties. Il donne dans la premiere la définition de l'Eglife & le decret du Concile de Conf

tance touchant l'autorité des Conciles. II prouve que ce decret eft conforme aux principes de la loi naturelle. Il traite diverfes queftions qui ont rapport à la définition de l'Eglife. Dans la feconde partie, Richer parle du gouvernement Ariftocratique de l'Eglife, & commence par établir fon grand principe, que Dieu a donné la puiffance Eccléfiaftique à toute l'Eglife qui l'exerce par les Pasteurs. Il montre que l'infaillibilité n'appartient qu'à l'Eglife univerfelle & au Concile général qui la repréfente. Il prouve la néceffité des Conciles, & en fait voir l'autorité. Il établit que les regles de la Foi Catholique font l'Ecriture - Sainte, l'enfeignement de toutes les Eglifes, & la Tradition Apoftolique Il remarque que les decrets du Concile général font infaillibles dans les questions de droit, mais non dans les questions de fait, ni par conféquent dans la canonifa¬ tion des Saints. Il s'éleve en paffant contre la défenfe que l'on faifoit au peuple en certains lieux de lire l'Ecriture-Sainte. Il montre qu'il étoit très-permis d'appeller au Concile général du jugement du Pape. Il finit cette feconde partie en rapportant l'histoire & les Canons des Conciles, qui prouvent qu'on a toujours cru que le gouvernement de fEglife étoit Ariftocratique, & que ce n'est que du temps de Grégoire VII, qu'on a commencé à vouloir le rendre Monarchique.

Il traite dans la troifiéme partie de la primauté de S. Pierre, qu'il reconnoît être de droit divin, des Elections, de l'Ordre Hiérarchique, de la réfidence, & de l'exemption des Eccléfiaftiques. Suivant l'inftitution de Jefus-Chrift, les Evêques ont fuecédé aux

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