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bleffat ni mon devoir, ni la prétendue tendreffe de confcience de Chigi. Comme dans les grandes converfations que j'avois cues avec lui dans les fcrutins, il m'avoit pénétré, ce qui lui étoit fort aifé, parce que je ne me couvrois pas auprès de lui, il avoit connu que je n'approuvois pas qu'on s'entêtât pour les perfonnes ; & qu'il fuffifoit d'éclaircir la vérité. Il me témoigna entrer de fui-même dans ces fentimens; & j'eus fujet de croire qu'il étoit tout propre par fes maximes à rendre la paix à l'Eglife. 'Il s'en expliqua lui-même affez publiquement & raifonnablement : car Albizzi, Penfionnaire des Jéfuites, s'étant emporté même avec brutalité contre l'extrémité, difoit-il, de l'ef. prit de faint Augustin, Chigi prit la parole avec vigueur; & il parla comme le refpect que l'on doit au Docteur de la Grace le requiert. Cette rencontre raffura absolument Barberin. Dès qu'il eut pris fon parti, nous commençâmes à mettre en œuvre les matéiaux que nous n'avions fait jufques-là que difpoferLa fuite fit voir combien le Cardinal Barberin avoit eu raifon de tout craindre du dévouement de Chigi à la Société des Jéfuites.

XX.

Election

caractere.

L'élection fe fit le 8 d'Avril (1655) & Chigi prit le nom d'Alexandre V II. Le Cardinal de Retz dit que, lorfqu'il s'approcha à d'Alexanfon tour pour lui baifer les pieds dans la céré- dre VII.Son monie de l'adoration, le nouveau Pape lui dit en l'embraffant, fi haut que les Ambaffadeurs d'Efpagne & de Venife & le Connétable Colonne l'entendirenr: Signor Cardinal de Retz, ecce opus manuum tuarum. L'eftime que l'on avoit pour Alexandre VII étoit

Tom. V.

pag. 156.

générale, & l'on s'en promettoit un glorieux Pontificat. Tout le monde crut qu'il alloit gouverner l'Eglife de la maniere la plus édifante. On venoit de tous côtés pour rece voir fa bénédiction. Chacun vantoit sa modeftie & fes auftérités. On peut juger néan moins par un trait que l'on trouve dans les Mémoires du Cardinal de Retz, que cette modeftie n'étoit pas fort merveilleufe. Ce Cardinal ne fachant comment il devoit vivre à Rome, confulta Chigi fur le dessein qu'il avoit d'éviter l'éclat & la pompe. « Non, non, repondit Chigi, il y a ici beaucoup de gens qui aiment à affaffiner ceux qui font à terre le pauvre Cardinal Chigi qui vous parle, qui n'a que cinq mille écus de rente, & qui eft fur le pied des plus gueux des Cardinaux Moines, ne peut aller aux fonctions fans quatre caroffes de livrées, roulans enfemble, quoiqu'il foit affuré qu'il ne trouvera perfonne dans les rues qui manque en fa fonne au refpect que l'on doit à la pourpre. » Qu'on juge du luxe des autres Cardinaux par la fimplicité de Chigi. Il commença fon Pontificat d'une maniere fi propre à faire impreffion fur le peuple, qu'il augmenta les efpérances qu'on avoit conçues de lui. Il continua de jeûner deux fois la femaine, comme il avoit fair étant Cardinal. Le lendemain de ton élection il repouffa rudement Dona Olympia, qui étoit venue le féliciter. bl défendit à fes parens de venir à Rome fans fa permiffion. If fit mettre fous fon lit fon cetcueil qu'il avoit fait faire, afin d'avoir plus fouvent occafion de penfer à la mort. On dit même qu'il buvoit dans une taffe faite d'un crâne, & qu'il méloit de la cendre avec fa

a per

nourriture. Il défendit aux Cardinaux de porter le deuil, même de leurs pere & mere. Il eut foin auffi dès les premiers jours de fon Pontificat de preferire un habit particulier aux Caudataires des Cardinaux. Le Cardinal de Retz voyant le Pape débuter par de fi petites chofes, dit que le facré College étoit pris pour dupe, & qu'Alexandre ne feroit jamais qu'un fort pauvre homme. Les grands hommes, ajoute-t-il, peuvent avoir, de grands foibles, mais il y en a dent ils ne font pas fufceptibles; & je n'ai jamais vu, par exemple, qu'ils ayent entamé un grand emploi par des bagatelles. Il eft vrai qu'il y avoit des chofes plus preffées que de régler l'habit des domeftiques qui portoient la queue des Cardinaux.

Le Pape changea bientôt de mours & de conduite. Il fe laffa d'une vie trifte & réguliere. Il fe livra infenfiblement au pouvoir de fes parens, & fe flatta que le foin du bien public n'étoit pas incompatible avec l'intérêt particulier. Il céda à la paffion qu'il avoit pour les beaux bâtimens & les ornemens fuperflus. Il s'occupoit, jufqu'à fe rendre ridicule, de tout ce qui avoit de l'éclat & du brillant. Il fe fit faire des habits, des meubles, & des équipages magnifiques, avec des caroffes & des livrées fuperbes. Au commencement de fon Pontificat, il aimoit tant à donner audience, qu'il admettoit même ceux de la lie du peuple qui fe préfen-. toient. Il s'en lassa bientôt; car oubliant les obligations d'un Prince & d'un Pasteur, il dédaignoit tout, jufqu'à ne pas donner audience aux principaux Miniftres des Couronnes. Après avoir montré une eutiere in

XXI.

Ses défauts.

différence pour les parens, il les combla de richeffes & de dignités. Dom Mario fon frere fut fait Gouverneur de l'Etat Eccléfiaftique. Flavio Chigi fut nommé Cardinal Patron, c'est-à-dire, Surintendant de toutes les affaires. Sigifmond Chigi, fils orphelin d'un autre frere du Pape, fut gratifié de plufieurs bonnes penfions, jufqu'à ce qu'il für en âge d'être créé Cardinal avec quelque bienfeance. Auguftin Chigi, frere de Sigif mond, destiné à être le foutien de la Maifon, fut marié à une très-riche niéce du Prince Borghese. Un des fils de la fœur du Pape fut fait Cardinal; l'autre qui étoit Che→ valier de Malte, fut fait Général des Ga leres.

Voici ce que dit le Cardinal de Retz dur changement qu'il trouva dans le Pape à fon retour des eaux de S. Caffien, qui font en Mém. Tom. Tofcane. « Il ne tenoit plus rien de fa pré

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Surv.

tendue piété que fon férieux quand il étoit à l'Eglife: je dis fon férieux, & non pas fa modeftie; car il paroiffoit beaucoup d'orgueil dans fa gravité. Il ne continua pas feulement l'abus du népotifme, en faifant venir fes parens à Rome il le confacra en le faifant approuver par les Cardinaux, auxquels il en demanda leurs avis en particulier, pour ne point être obligé de fuivre celui qui pourroit être contraire à fa volonté. Il étoit vain jufqu'au ridicule, & au point de fe piquer de fa nobleffe, comme un petit noble de la Campagne, à qui les Elus la contefterøient. Il étoit envieux de tout le monde fans exception Le Cardinal Cefy difoit qu'if le feroit mourir de colere, à force de lui dire du bien de S. Léon. Il ne difoit pas un mor

de vérité; & le Marquis Riccardi, Ambaffar deur de Florence, écrivit au Grand Duc ces propres paroles: Infine, Sereniffimo Signore, habiamo un Papa, chi non dici mei una parola de verita. Il étoit continuellement appliqué à des bagatelles. Il ofa propofer un prix public pour celui qui trouveroit un mot Latin, pour exprimer chaife roulante ; & il paffa une fois fept ou huit jours à chercher fi Mufco venoit de Mufca, ou fi Mufca venoit de Mufco. M. le Cardinal Imperiali ayant dit au Cardinal de Retz ce qui s'étoit paffé en deux ou trois affemblées qui s'étoient tenues fur ce fujet, celui-ci crur qu'il exagéroit pour fe divertir; mais il perdit cette pensée dès le lendemain: car le Pape ayant envoyé querir les Cardinaux, Rapaccioli & de Retz, & leur ayant commandé de monter avec lui dans fon caroffe, il les tint trois heures entieres que la promenade dura, fur les minucies les plus fades que la critique la plus baffe d'un petit Collége eût produites.Rapaccioli, qui étoit un fort bel efprit, dit au Cardinal de Retz, quand ils furent fortis de la chambre du Pape où ils le reconduisirent, qu'auffi-tôt qu'il feroit retourné chez lui, il diftilleroit le difcours du Pape, pour voir ce qu'il pourroit trouver de bon fens dans une converfation de trois heures, dans laquelle il avoit toujours parlé tout feul. Il eut une affectation quelques jours après, qui parut être d'une grande puérilité. Il mena tous les Cardinaux aux fept Eglifes; & comme le chemin étoit trop long pour le pouvoir faire avec un auffi grand cortége dans le cours d'une matinée, il leur donna à dîner dans la Réfection de S. Paul; & il les' fit fervir en

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