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XI. Nouvel

Bourbon, premiere femme du Duc de Longueville, Princeffe d'une éminente vertu, forma avec M. Zamet Evêque de Langres, le Inftitut du deffein d'inftituer un Ordre de Religieufes S. Sacrement goûté particuliérement confacrées à l'adoration du par les ReMyftere de l'Euchariftie, & qui par leur ligieufes de affiftance continuelle devant le S. Sacrement, Port-Roïal. reparaffent en quelque forte les outrages que lui font tous les jours & les blafphêmes des Proteftans, & les communions facrileges des mauvais Catholiques. Ils communiquerent tous deux leur penfée à la Mere Angelique, & la prierent, non-feulement de les aider à former cet Inftitur, mais même d'en accepter la direction, & de donner quelques-unes de fes Religieufes pour en commencer avec elle l'établiffement. Cette propofition fut d'autant plus de fon goût, qu'il y avoit déja plus de quinze ans que cette même affiftance continuelle devant le S. Sacrement avoit été établie à Port-Roïal, d'abord pendant le jour feulement, & enfuite pendant la nuit même. Toutes les Religieufes de ce Monaftere aïant appris un fi louable defsein, furent touchées d'une fainte jaloufie de ce qu'on fondoit pour cela un nouvel Ordre, au lieu de l'établir dans Port-Roïal. Elles demanderent avec inftance que fans chercher d'autre Maifon que la leur, on leur permît d'ajouter les pratiques de cet Inftitut aux autres pratiques de leur Regle, & de joindre en elles le nom glorieux de Filles du S. Sacrement à celui de Filles de S. Bernard. La Princeffe étoit d'avis de leur accorder leur demande; mais l'Evêque de Langres perfifta à vouloir un Ordre & un habit particulier.

Ce Prélat étoit un homme zélé, mais d'un

cet Inftitut.

XII. efprit fort inconftant & fort borné. Il avoit Caractere plufieurs fois changé le dessein de Ton Inftide l'Evêque tut. Il vouloit d'abord en faire un Ordre de Langres de Religieux plus retirés & encore plus aufauteur de teres que les Chartreux; puis il jugea plus à La Mere propos que ce fut un Ordre de filles. Sa preAngelique miere vue pour ces filles, étoit qu'elles fuss'y confa- fent extrêmement pauvres; & que pour mieux cre avec honorer le profond abbaiffement de Jefusquelques Chrift dans l'Euchariftie, elles portaffent unes de fes fur leur habit toutes les marques d'une gran filles.

de pauvreté. Enfuite il imagina qu'il falloit attirer la vénération du peuple par un habit qui eût quelque chofe d'augufte & de magnifique. Mais la Mere Angelique défira que tout fe reffentît de la fimplicité religieufe. Il avoit fait divers autres reglemens dont la plûpart eurent befoin d'être rectifiés. La Mere Angelique voïant fes incertitudes, eut un fecret preffentiment que cet Oidre ne feroit pas de longue durée. Mais après qu'on eut reçu de Rome la Bulle où elle étoit nommée Supérieure, & où il etoit ordonné que ce feroit des Religieufes tirées de l'ort-Roial qui en commenceroient l'établiffement, elle fe mit en devoir d'obéir. La Bulle nommoit aufli trois Supérieurs ; fçavoir M. de Gondi Archevêque de Paris, M. de Bellegarde Archevêque de Sens, & l'Evêque de Langres. Ce dernier comme Fondateur & grand Directeur de Religieufes, eut la principale conduite de ce Monaftere. La Mere Angelique entra donc avec trois de fes Religieufes & quatre poftulantes dans la Maison deftinée pour cet Inftitut. Cette Maison étoit dans la rue Coquilliere qui eft de la paroiffe de S. Euftache; & le Saint-Sacrement y fut

mis avec beaucoup de folemnité. Bientôt après on y reçut des Novices, & ce fut l'Archevêque de Paris qui leur donna le voile. La nouveauté de cet Inftitut donna occasion à bien des difcours ; & dans ces commencemens la Mere Angelique eut à effuïer beaucoup de peines & de contradictions. Son principal chagrin étoit de voir l'Evêque de Langres prefque toujours en différend avec l'Archevêque de Sens, qui ne pouvoit compatir avec lui. Leur défunion éclata fur-tout à l'occafion du Chapelet fecret du S. Sacrement. Comme cette affaire fit alors un fort grand bruit, & que les ennemis de PortRoïal s'en font voulu prévaloir dans la fuite contre ce Monaftere, il eft bon d'expliquer en peu de mots ce que c'étoit que cette que

relle.

Ce Chapelet fecret étoit un petit écrit de XIII. trois ou quatre pages, contenant des penfées Affaire du affectueufes fur le Myftere de l'Euchariftie; Chapelet ou pour mieux dire, c'étoient comme des fecret du S. Sacrement. élans d'une ame toute pénétrée de l'amour de Dieu, dans la contemplation de fa charité infinie pour les hommes dans ce Myftere. La Mere Agnès de qui étoient ces pensées, n'avoit gueres fongé à les rendre publiques. Elle en avoit fimplement rendu compte au Pere de Gondren fon Confeffeur, depuis Général de l'Oratoire, qui pour fa propre édification lui avoit ordonné de les mettre par écrit. Il en tomba une copie entre les mains d'une fainte Carmelite nommée la mere Marie de Jefus. Cette Mere étant morte un mois après, on fit courir fous fon nom cet Ecrit qui avoit été trouvé fur elle; mais on fut bientôt qu'il étoit de la mere Agnès. L'Evê

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que de Langres le trouva merveilleux, & en
parla avec de grands fentimens d'admira-
tion. L'Archevêque de Sens qui en avoit été
fort touché d'abord, commença tout-à-coup
à s'en dégoûter. Il le donna même à exami-
ner au Docteur Duval Supérieur des Carme-
lites, & à quelques autres Docteurs à qui on
ne dit point qui l'avoit compofé. Ces Doc-
teurs jugeant à la rigueur de certaines ex-
preffions abftraites & relevées, telles que
font à-peu-près celles des Myftiques, le con-
damnerent. D'autres Docteurs confultés par
l'Evêque de Langres l'approuverent au con-
traire avec éloge; de forte que les efprits
venant à s'échauffer & chacun écrivant pour
foutenir fon avis, la chofe fut portée à Ro-
me. Le Pape ne trouva dans l'Ecrit aucune
propofition digne de cenfure; mais pour le
bien de la paix, & parce que ces matieres
n'étoient pas à la portée de tout le monde, il
jugea à propos de le fupprimer ; & il le fut
en effet. Il faut avouer qu'il y avoit dans cet
Ecrit des expreffions peu exactes. Comme les
Quiétiftes n'avoient point encore paru, les
Myftiques étoient moins fur leurs gardes, &
ne voïoient rien que d'innocent dans certai-
nes façons de parler, dont les Quiétistes ont
abufé.

XIV. L'Abbé de S. Cyran fut un des Théologiens L'Evêque qui prirent la défenfe du Chapelet fecret, en de Langres expliquant avec beaucoup de lumiere ce qui donne M. pouvoit avoir befoin d'éclairciffement: il ne l'Abbé de S. connoiffoit point alors la Mere Agnès, & Cyran pour avoit été même préoccupé contre le ChapeConfeffeur aux Reli- let fecret à caufe des différends qu'il avoit gieufes du caufés; mais l'aïant trouvé très-bon, il avoit S. Sacre- pris lui-même la plume pour défendre la

ment.

vérité, qui lui fembloit opprimée. Il n'avoit point mis fon nom à fon Ouvrage, non plus qu'à fes autres Livres. Mais l'Evêque de Langres aiant fi que l'Ouvrage étoit de lui, l'alla chercher pour le remercier. A mefure qu'il le connut plus particuliérement, il admira fa rare piété & fes grandes lumieres ; & comme il n'avoit rien plus à cœur que de porter les Filles du S. Sacrement à la plus haute perfection, il jugea que perfonne au monde ne pouvoit mieux l'aider dans ce deffein que ce grand ferviteur de Dieu. Il le conjura donc de venir faire des exhortations à fes filles, & même de les confeffer. L'Abbé lui réfifta affez long-temps, fuiant naturellement ces fortes d'emplois, & fe tenant le plus renfermé qu'il pouvoit dans fon cabinet, où il paffoit, pour ainfi dire, les jours & les nuits, partie dans la priere, & partie à compofer des Ouvrages qui puffent être utiles à l'Eglife. Enfin les inftances réitérées de l'Evêque lui paroiffant comme un ordre de Dieu de fervir ces filles, il s'y détermina.

XV.

S. Cyran.

Dès que la Mere Angelique l'eut entendu parler des chofes de Dieu, & qu'elle eut Eftime de reconnu combien étoit sûre la voie par la- la Mere quelle il conduifoit les ames, elle crut re- Angelique trouver en lui le faint Evêque de Genève pour M. de par qui elle avoit été autrefois conduite ; & les autres Religieufes eurent auffi en lui la de Langres L'Evêque même confiance. En effet, pour nous fervir s'indifpofe ici du témoignage public que lui a rendu M. contre lui. de Laval Evêque de la Rochelle, plus recommandable encore par fa piété que par fa naiffance : « Ce favant homme n'avoit point d'autres fentimens que ceux qu'il avoit puiLés dans l'Ecriture-Sainte & dans la Tradi

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