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hon; le temps où ils ont confpiré contre cette doctrine, où ils fe donnent les mouvemens les plus grands & font de prodigieux efforts pour la renverfer. » Lanuza remarque qu'il leur étoit ordonné par leurs Conftitutions publiées par S. Ignace, de fuivre la doctrine de S. Thomas, mais qu'ils faifoient directement le contraire, & s'y portoient avec une ardeur incroïable. C'eft, dit-il, ce que prouve évidemment les nouveautés qu'ils introduifent chaque jour, leurs railleries indécentes, & les Livres dans lefquels ils attaquent cette doctrine. Il leur reproche l'indigne ftratagême que plufieurs emploïoient, en fe donnant le titre d'Interprétes de S. Thomas, afin de combattre plus sûrement fa doctrine. Il remarque que Molina avoit fait ufage de cette rufe: « Ce qui n'empêche pas, dit-il, que Molina ne regarde comme fausse la doctrine de ce faint Docteur; & même après avoir reconnu que c'eft celle des Saints Peres, ce Jéfuite a la hardieffe de foutenir qu'elle donne lieu de regarder Dieu comme cruel. Ainfi Molina prétend qu'on tire de la doctrine des Saints Docteurs par une conféquence néceffaire, des propofitions blafphématoires. » Lanuza compare la méthode des Jéfuites qui fe donnoient pour interprétes de S. Thomas, lorfqu'ils attaquoient le plus ouvertement fa doctrine, à l'infolence des foldats, qui frappoient Jefus-Chrift au vifage, en même-temps qu'ils lui attribuoient le titre de Roi.

Adreffant enfuite la parole à Philippe II: «Que votre Majefté, lui dit-il, ne penfe pas, que la marche des Jéfuites eft lente & tranquille : car quoiqu'ils faffent femblant

de garder le filence fur les matieres de la Grace, il n'eft pas vrai néanmoins qu'ils le gardent. Au contraire, ils répandent leur doctrine dans des cahiers qu'ils diftribuent de tous côtés. Ils exhortent les Profeffeurs à l'enseigner, & les jeunes gens à s'y foumettre. Ils croient avoir remporté une grande victoire, s'ils réuffiffent à leur rendre fufpecte la doctrine de S. Thomas, en leur perfuadant, contre le jugement de l'Eglife, qu'elle n'eft point aflez Catholique. » Enfuite Lanuza aiant fait obferver que l'Eglife eft perpétuellement en garde contre les nouvelles doctrines, & qu'elle les tient pour fufpectes par cela feul, qu'elles font nouvelles; il fait voir comment on fe conduit dans les villes bien policées, quand on craint les maladies contagieufes, & foutient qu'on doit tenir la même conduite dans l'Eglife, puifque les erreurs font à fon égard, ce que la pelte eft par rapport aux Républiques. On doit prendre toute forte de précautions, & fe défier de ceux qui font légitimement fufpects ou inconnus; mais on agit tout autrement avec les anciens habitans, dont on connoît parfaitement l'état. L'Eglife de même reçoit fans examen & fans difcuffion la doctrine ancienne, approuvée dans les Conciles, enfeignée par les Saints Peres, & expliquée aux Fidéles par les Pafteurs. Telle eft, continue Lanuza, la doctrine de S. Thomas fur les matieres de la Grace, qui a été jufqu'aujourd'hui univerfellement reçûe, & qui n'a trouvé d'autres adversaires que Pélage, Céleftius, Julien, & les autres hérétiques de cette trempe. « Ainfi, conclud ce Théologien, il eft évident qu'on ne peut

mous interdire la profeffion pub'ique d'une telle doctrine, ou nous impofer filence; mais que toutes les précautions doivent être emploïées contre ceux qui introduisent des nouveautés fur cette matiere. C'est à eux qu'il faut fermer la bouche; ce font leurs Livres qu'il faut prohiber; ce font eux qui doivent fubir les examens. » Ici Lanuza rapporte un fait dont il avoit été témoin. Un partifan de Molina foutenoit dans une difpute publique La nouvelle doctrine. Un Théologien lui repréfenta, que fi cette doctrine étoit vraie, il s'enfuivroit que Saint Auguftin & les autres Saints Docteurs fe font donné une peine fort inutile, pour inftruire l'Eglife des Myfteres de la Grace. Le Jéfuite qui préfidoit à la difpute, répondit que l'on avoit beaucoup d'obligation à Molina, d'avoir trouvé par la pénétration de fon efprit, & d'avoir découvert aux autres, ce que perfonne avant lui n'avoit ni trouvé ni enseigné. J'entendis de mes oreilles ces paroles, dit Lanuza, & je fus faifi d'étonnement en voyant la patience de l'Eglife qui fouffre de pareils excès. Quod cùm prafens ipfe audirem, Ecclefia hujufmodi propudia fuftinentis tolerantiam obftupui.

Lanuza fe plaint enfuite de ce que l'on introduisoir une méthode dangereuse & contraire à celle que l'Eglife avoit toujours fuivie. « Il s'eft élevé, dit-il, plufieurs difputes entre les Théologiens des différentes Ecoles: cependant aucun des partis n'a jamais demandé cette impofition de filence. »>Les Peres Jéfuites font les premiers qui l'ont follicitée. L'Auteur s'étend fur les maux qu'il prévoïoit devoir naître de cette conduite des Jéfuites. Dien veuille, dit-il, que quand on voudray

pour

remédier, il foit encore temps. Il rapporte l'ar ticle de leurs Conftitutions, qui les foumet dans les queftions de doctrine, à la décifion de leur Société. Comme s'il n'y avoit fur la terre ni Pape ni Eglife; ou comme fi la Société des Jéfuites avoit reçu la promeffe de l'Infaillibilité. Il parle de la pente qu'ils avoient à introduire de nouvelles maximes; & des indignes moïens qu'ils emploïoient décrier leurs adversaires. Si on les laiffe continuer, dit-il, ils viendront à bout de bannir toute faine doctrine: Quidquid demum fana doctrina eft, eliminabunt. Il décrit la paix qui régnoit en Espagne, lorfqu'on y enfei gnoit uniquement la doctrine de S. Auguftin & de S. Thomas fur l'efficacité des Secours divins, & l'oppofe au trouble & à la divifion que chacun remarquoit, depuis que Molina & fes Confreres avoient préféré les inventions de leur propre efprit, fanaticos propria vertiginis partus, aux fentimens des Saints Peres. « Je crois, dit encore Lanuza, que cette impofition de filence, durera longtemps. La raison en eft fenfible; c'eft que les Jéfuites font tous leurs efforts, pour empêcher que l'on en vienne à une décifion, fa chant bien que la doctrine des Thomiftes qui établit l'efficacité des Secours divins pour chaque bonne action, ne peut jamais être condamnée, puifque c'eft la doctrine de S. Auguftin fondée fur une multitude de Textes de l'Ecriture. Ils fentent bien au contrai❤ re, que fi l'on prononçoit un Jugement, ce feroit pour condamner la doctrine de Molina » (La fuite a fait voir, que fi la doctrine de S. Auguftin tirée de l'Ecriture, n'a point été condamnée par l'Eglife, comme il eft

impoffible qu'elle le foit jamais, elle a pa éprouver des obfcurciffemens & des attaques, aufquelles Lanuza ne fe feroit point attendu. La hardiefle des Novateurs a augmenté avec le temps, & ils fe font vûs à la fin en état de faire des entreprises aufquelles ils ne penfoient peut-être point alors. Il étoit naturel que l'erreur, aiant d'abord demandé à être tolérée, voulût enfuite regner, & même regner feule. Ses partisans ont ofé dans la fuite donner le nom de Novateurs à ceux qui défendoient contre eux la doctrine perpétuelle de l'Eglife, & ils ont emploïé plus d'un fiécle à préparer affez le terrain, pour s'imaginer pouvoir effaïer de demander une décifion qui leur fût favorable: mais nous favons que jamais l'erreur ne prévaudra dans l'Eglife, & ne pourra glorifier avec fondement d'avoir en fa faveur un véritable jugement de l'Eglife univer felle.)

I I I.

fe

IV. Commen

xiliis. Ce

que l'on

Le Roi Philippe II aïant reçu cette importante Requête, renvoïa les Parties au Pape; qui mit au commencement de l'année fuivan- cement des te 1598, des modifications au filence qu'il Congrégaavoit impofé. Il établit en même-temps les tions de Au célébres Congregations, appellées de Auxiliis, parce que l'on y examina la nature des Secours examine que Dieu donne à l'homme, pour lui faire dans les faire le bien. Elles ont duré environ neuf an- premieres. nées fous les Papes Clement VIII & Paul V. Le premier nomma des Examinateurs dès le mois de Novembre 1597; mais les Congregations ne commencerent à fe tenir folemnellement que le deuxième de Janvier de l'an

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