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rité reconnue de tous, telle que l'aristocratie anglaise. En France, malgré l'éclat dont jouissent encore quelques familles consacrées par l'histoire, une aristocratie pareille n'existe pas; les Bourbons travaillaient à la refaire, sans songer qu'ils essayaient une entreprise impossible; les aristocraties ne se font pas par décret, et ils tournaient contre eux la nation entière, dont ils blessaient le sentiment le plus cher, l'amour de l'égalité.

Malheureusement pour ces princes, rien ne pouvait leur être plus funeste que l'attitude de leurs alliés naturels, de la noblesse et du haut clergé. Les nobles, ceux-là surtout qui avaient besoin de légitimer, à force de dévouement, une usurpation trop récente, se montraient intolérants, dédaigneux, affectaient de partager la nation en deux classes bien distinctes qui n'auraient été ni du même sang, ni de la même nature. Dans le clergé s'était formée, sous l'impulsion des congrégations religieuses, une école qui ne se lassait pas d'exalter le pouvoir absolu, de maudire la révolution française et les droits qu'elle a consacrés. Sur les débris de l'Eglise gallicane, dont elle condamnait l'indépendance à l'égard du saint-siége, cette école hautaine et emportée tendait à établir, avec les doctrines ultramontaines, une puissante théocratie jalouse de dominer dans le temporel comme dans le spirituel, et rêvait pour la royauté soumise à l'Eglise, un pouvoir absolu. Aujourd'hui, presque tous les partis, successivement vaincus, ont appris dans la défaite à apprécier les avantages de la liberté, et se sont habitués à respecter chez leurs adversaires des droits dont ils ont reconnu la nécessité. Mais sous la Restauration, tant de sagesse n'existait pas encore, et si quelques hommes plus modérés essayaient de désavouer ces doctrines menaçantes, leur voix était étouffée par les cris d'un parti aussi bruyant qu'insensé.

Les ennemis de la Restauration, c'est là ce qui la perdit, n'ont jamais cru à sa sincérité, à cause des prétentions qu'étalaient ses plus zélés partisans, comme le souvenir et la persistance de ces prétentions suffiraient encore aujourd'hui pour rendre le retour des Bourbons impossible.

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Ainsi s'évanouit la chimère de ceux qui peuvent songer confier à ces princes les destinées de la France, en leur demandant des garanties sérieuses pour l'établissement de la liberté. Nous savons tout ce qu'il y a de sincère dans ces illusions que nous honorons sans pouvoir les partager; nous ne sommes pas insensibles au prestige que peut exercer une dynastie qui a régné pendant tant de siècles avec un éclat incomparable. Sans doute il semble naturel que des princes occupant le trône au nom d'une autorité consacrée par de nombreuses générations, rassurés sur leur existence, et confondant la prospérité du pays avec celle de leur maison, fussent les plus propres à respecter et à augmenter l'indépendance de la nation. La sécurité du prince est la garantie la plus naturelle de la liberté du peuple. Mais cette sécurité existerait-elle encore après deux révolutions pour les Bourbons deux fois détrônés? On ne refait ni la majesté d'un trône abattu ni la confiance des souverains en des sujets révoltés. Les Bourbons d'ailleurs ne pourraient, malgré tous leurs efforts, ni satisfaire ni dompter les passions que réveillerait leur retour, qu'entretient leur souvenir. Autour d'eux se formerait sans cesse la conspiration de tous les intérêts qui se rattachent à l'ancien régime, à un ordre de choses dont la France ne veut plus.

Est-ce à dire que la Restauration n'ait pas quelquesdroits à notre reconnaissance? Ce ne serait pas honorer un grand pays comme la France que de supposer qu'elle aurait pu supporter quinze ans un gouvernement déplorable, lors

même qu'il lui resterait la triste consolation de l'avoir renversé. La politique extérieure des Bourbons ne fut jamais sans dignité, même au milieu des misères de l'invasion; le drapeau blanc a abrité de son ombre l'indépendance de la Grèce, et au moment même où il tombait à Paris, il flottait victorieux sur les murs d'Alger humilié. A l'intérieur, l'administration était probe et zélée. Les chambres, dans les cas où la politique n'était pas trop engagée, se montrèrent en général ménagères des deniers publics. La liberté, toujours traitée en suspecte, ne fut pourtant jamais complétement étouffée, et si la Restauration avait été plus tyrannique, elle aurait été moins facile à renverser (1). Elle a aimé et encouragé les arts; elle leur a donné surtout le plus grand des stimulants, l'émulation née de l'indépendance. Aussi à cette époque l'esprit humain s'est-il honoré par de vrais chefs-d'œuvre dans les lettres et dans les arts. Enfin, par ses publicistes et ses orateurs ainsi que par le spectacle de son gouvernement, la Restauration nous a enseigné l'avantage de la publicité et du contrôle exercé par la nation, et a laissé dans tous les cœurs un amour impérissable pour les principes de la liberté. Ces principes, sans doute, peuvent, dans un moment de crise, être sacrifiés à la crainte d'une perturbation sociale, mais ils sont destinés à refleurir, parce qu'ils sont également nécessaires à la dignité des peuples et à celle des gouvernements qui les dirigent.

(1) Avec plus de mauvaise volonté que de vigueur, la Restauration, après 1816, fut peu oppressive en fait plutôt qu'en droit. Les lois étaient alors plus terribles que les mœurs. La liberté individuelle ne fut garantie qu'à partir de l'année 1818; la liberté de la presse fut moins heureuse. Si l'on a la patience d'additionner toutes les lois contre les livres et les journaux, on trouve qu'en 15 ans la liberté de la presse n'a légalement existé que 23 mois!

Malgré le souvenir de nos défaites, la Restauration fut généralement accueillie avec faveur parce qu'elle nous apportait la liberté. Louis XVIII comprit que toute sa force était dans la charte, il mourut sur le trône. Charles X l'oublia, il acheva sa vie dans l'exil. La faute de ce prince fut également funeste à sa dynastie, qu'elle perdit, et à la France qu'elle rejeta dans le hasard des révolutions Le plus grand malheur de notre pays est d'avoir pendant longtemps été condamné à n'arriver à la liberté que par la violence, presque toujours impuissante à rien fonder. Que ces brusques secousses, d'ailleurs sujettes à de terribles retours, fassent place au développement régulier et pacifique d'institutions sagement progressives, le triomphe de la liberté et la grandeur de la France sont assurés à jamais.

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