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DE LA

RESTAURATION.

LIVRE PREMIER.

PREMIÈRE RESTAURATION.

INTRODUCTION.

La révolution de 1789 était la conséquence légitime et nécessaire du dix-huitième siècle. La décomposition de l'ancienne société française, commencée sous Louis XIV, hâtée par les désordres de la régence et les honteuses faiblesses de Louis XV, ne pouvait être arrêtée par les réformes timides d'un roi, qui, après le départ de Turgot et de Malesherbes, restait le seul honnête homme de sa cour. La monarchie avait peu à peu perdu tous ses soutiens. Ruinée par son faste insolent, la noblesse, depuis qu'elle n'allait plus périr sur le champ de bataille, ne savait que servir, et formait autour du souverain un cortège d'illustres mendiants. Le trésor public ne suffisait plus à ses exigences. Le clergé, sur lequel pesait le souvenir du cardinal Dubois,

de Tencin, de Tressan, et de tant d'autres prêtres indignes, avait, au moins à la cour et dans les grandes villes, perdu la direction des âmes. En chaire, il n'osait plus annoncer les dogmes du christianisme, et la chapelle de Versailles avait entendu un orateur sacré prendre pour sujet de sermon : l'éloge de la politesse. Le haut clergé, à la fois intolérant et incrédule, donnait, par ses persécutions contre les jansénistes, les protestants et les philosophes, et par le scandale de ses mœurs, le spectacle d'une contradiction qui n'échappait à personne ; il était à la fois odieux et ridicule. L'opinion publique avait également abandonné le Parlement. Longtemps ce corps tout-puissant s'était rendu populaire par sa résistance à la royauté; mais il avait perdu toute autorité depuis qu'on l'avait vu défendre, à son tour, ses priviléges contre les réformes les plus salutaires, et repousser avec énergie contre Machault l'égalité de l'impôt, contre Turgot la liberté du commerce et la liberté de conscience. Les réformes du chancelier Maupeou et le procès Goësman achevèrent de le perdre; il ne se releva jamais du coup que lui avait porté Beaumarchais.

En face de cette société corrompue et dégradée, s'était peu à peu élevée la nation, enrichie par le commerce, protégée dans sa dignité par le travail et les bonnes mœurs, initiée par les philosophes à des idées de réforme, et que le sentiment de ses forces excitait à la conquête du pouvoir. Voltaire lui avait enseigné la tolérance religieuse, le respect de l'humanité, l'indépendance absolue dans les idées; Montesquieu lui avait révélé, dans l'Esprit des lois, les secrets ressorts des constitutions, et les vrais fondements de la liberté civile; enfin, Rousseau, dans les transports de son éloquence passionnée, attaquant et maudissant la civilisation comme la source de tous nos maux,

conseillait à l'homme de fuir la société, et de se rejeter dans la nature pour revenir à une égalité primitive, à une fraternité universelle. Aux paradoxes les plus étranges, à l'admiration la plus aveugle des républiques de l'antiquité, il mêlait la sensibilité la plus vive, et remplissait ses ouvrages de contradictions qui, lorsque ses disciples furent au pouvoir, coûtèrent à la France des flots de sang. Ces trois grands hommes furent les précurseurs et les oracles de la Révolution française; c'est d'eux qu'elle reçut les idées qu'elle représenta tour à tour : liberté de conscience, liberté civile et politique, égalité entre les citoyens, fraternité entre les hommes et les peuples.

Nul ne soupçonna d'abord quelles différences séparaient ces principes, et quels orages devait soulever l'application de maximes aussi généreuses. Par eux-mêmes ou par leurs disciples, Voltaire, Rousseau, Montesquieu remplirent de leur voix la fin du dix-huitième siècle, et imposèrent leurs doctrines à ceux mêmes qui devaient, quelques années plus tard, les repousser et en périr. La noblesse et le clergé étaient convertis à la philosophie; les femmes mêmes cédaient à l'entraînement général, et mettaient à la mode les opinions nouvelles. Ces idées avaient d'ardents protecteurs jusqu'autour du roi; le comte de Provence était un esprit fort, et le comte d'Artois triompha des résistances de Louis XVI pour faire autoriser la représentation de Figaro. La révolution de 1789 ne surprit donc personne à ses débuts, et le langage qu'elle parlait était dans toutes les bouches; les événements seuls vinrent creuser un abîme entre ceux qui voyaient dans les idées nouvelles des théories ingénieuses, d'agréables paradoxes, et les hommes convaincus qui voulurent les appliquer. La lutte éclata dès les premières séances de l'Assemblée constituante. Le tiers état, sou

tenu par la minorité libérale du clergé et de la noblesse, sut imposer son autorité à ses adversaires. Malgré eux, malgré le roi lui-même, partagé entre ses scrupules pour les droits de la couronne et son amour pour le peuple, l'Assemblée constituante accomplit sa tâche, et jeta les fondements de la société nouvelle sur les ruines de la féodalité vaincue. Mais la Révolution ne devait pas donner seulement l'égalité à la France; elle avait aussi à établir la liberté; ses ennemis l'en empêchèrent. La Constituante l'avait essayé, malgré les premières excitations du combat. Elle avait remis le pouvoir aux assemblées primaires, et laissé aux départements et aux communes l'organisation indépendante qui seule peut créer et conserver la liberté; mais le temps manqua à l'accomplissement de son œuvre. L'Assemblée législative était animée de passions plus ardentes, et les événements la jetèrent bientôt dans les plus grandes violences. Le roi, traité d'abord en suspect, devint un ennemi qu'il fallait dépouiller de son autorité; le sang coula le 10 août; il coula à longs flots aux journées de septembre; au milieu de la guerre civile, il n'y avait plus de place pour la liberté. La Convention le sentit bien. Quand elle eut préparé une constitution qui promettait la liberté à la France, elle en ajourna l'application jusqu'à la paix, jusqu'au jour où la patrie victorieuse et tranquille n'aurait plus à craindre un seul ennemi, ni au dedans, ni au dehors; ce jour ne devait jamais arriver. La Convention, au milieu des excès qui la souillèrent, a eu une grande gloire; elle a sauvé la France; elle ne lui a pas donné, elle ne pouvait pas lui donner la liberté. Excitée, au contraire, par les ardeurs de la lutte, à renverser tout ce qui menaçait de lui résister, la Convention supprima hardiment les pouvoirs établis en dehors d'elle, fit peser sur les départements le joug d'une terrible

servitude, et, par un système exagéré de centralisation, absorba toutes les forces vives de la nation. Elle réussit d'autant plus facilement, que, dans ses tendances à l'unité, elle ne faisait que continuer l'œuvre commencée depuis plusieurs siècles par la monarchie. Le pouvoir royal avait déjà, par la main de ses intendants, supprimé partout les administrations locales, qui entretenaient dans les provinces un esprit d'indépendance. Les pays d'état s'étaient successivement vu enlever tous leurs priviléges; les droits seigneuriaux avaient été partout abolis, et des magistrats, fidèles aux traditions du droit romain, imposaient partout l'autorité uniforme de la loi et du roi. La république acheva ce que la monarchie avait commencé, et en complétant l'unité administrative et politique de la nation, prépara aux ambitieux un admirable instrument de despotisme. La France n'avait plus qu'à attendre un maître : il se présenta bientôt.

Le Directoire justifia par sa faiblesse les rigueurs de la Convention. Sous un gouvernement sans force et sans dignité, la guerre civile se réveilla. Jacobins et royalistes, tous les partis vinrent à leur tour lui disputer le pouvoir et ensanglanter Paris, tandis qu'au dehors les armées de la république perdaient leurs chefs les plus braves, et subissaient d'humiliantes défaites. Enfin, aux reproches d'incapacité s'ajoutaient pour la plupart de ces chefs les plus graves accusations contre leur probité, cette vertu la plus nécessaire dans un pays où l'on se plaît à honorer la pauvreté chez ceux qui gouvernent. Fatiguée des agitations stériles de la place publique, honteuse de ses défaites, lasse de ses maîtres, la France attendait avec impatience qu'un chef énergique vînt assurer son repos; c'est en ce moment que Bonaparte revenait d'Egypte. Le vainqueur de Toulon, illustré par ses succès en Italie, avait été chercher en Orient

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