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paru profondément émus. Ils ont reconnu le caractère français sous ses traits véritables. » L'émotion des étrangers, qui bivaquaient sur la place du Carrousel, sur les quais, sur les boulevards, dut s'accroître, le soir, quand ils virent Paris se couvrir de brillantes illuminations, parmi lesquelles celle de l'hôtel Cambacérès se faisait remarquer 1, et, surtout le lendemain, quand, en face de leurs canons braqués et de leurs mèches allumées, le jardin des Tuileries fut envahi par une foule de jeunes femmes, de jeunes vierges (comme disent les récits officiels), qui, la tête couronnée de lis, chantaient Vive Henri IV! et dansaient des rondes populaires; mais il est peu probable que ce spectacle, quelque beau qu'il fût, relevât beaucoup aux yeux des étrangers le caractère national.

Est-il besoin de dire que, d'après les récits officiels, la joie des départements égala celle de Paris, et que, pour la troisième fois depuis un an, le palais des Tuileries vit défiler des députations et se succéder des adresses toujours pleines des mêmes protestations d'amour et de dévouement? On remarqua pourtant que ces adresses se divisaient en deux catégories : celles dont les signataires en avaient récemment signé d'autres en sens contraire, et celles dont les signataires étaient restés, pendant les Cent-Jours, purs de tout contact avec Napoléon; ceux-ci portaient, avec raison, la tête haute, et se targuaient de leur inviolable fidélité; ceux-là s'excusaient humblement sur la nécessité, où une autorité usurpatrice les avait placés, de comprimer leurs sentiments et de parler, d'écrire, d'agir contre leur opinion, « afin, disaient-ils, de ne pas laisser la France sans une bonne justice et sans une sage administration; mais l'oppression avait cessé, et rien ne les empêchait plus de professer publiquement leurs véritables principes2. »

Le jour même où Louis XVIII rentrait à Paris, Napoléon

Journal des Débats.

2 Adresse de la cour de cassation et d'une foule d'autres tribunaux et corps constitués.

s'embarquait à Rochefort; et, le 15 juillet, après de longues et tristes irrésolutions, il montait sur le Bellerophon, pour aller traîner, pendant six années encore, une vie oisive et maladive dans une île lointaine. Quitter l'île d'Elbe pour l'ile de SainteHélène, c'était, après tout, changer une prison pour une autre, et l'aventure des Cent-Jours n'avait pas sensiblement empiré sa condition; mais dans quel état laissait-il le malheureux pays sur lequel, quatre mois auparavant, il s'était soudainement abattu? En 1814, la France n'avait point été vaincue; elle avait été submergée après des efforts héroïques et prolongés pour arrêter le torrent qui l'envahissait de toutes parts. En 1815, elle venait de succomber du premier coup, presqu'à forces égales, dans une grande bataille, et une campagne de trois semaines avait décidé de son sort. En 1814, étonnés eux-mêmes de leur succès, les rois et les peuples l'avaient admirée, ménagée, et, quand ils s'étaient retirés, elle avait pu reprendre au milieu d'eux le rang qui lui appartenait. En 1815, les rois et les peuples étaient également âpres à la pressurer, à l'écraser, à la démembrer même, et elle était menacée du sort de la Pologne. En 1814, enfin, une ère nouvelle semblait s'ouvrir pour la France, revenue, après vingtcinq ans de discordes et de guerres, à son point de départ, à la monarchie constitutionnelle; et, au sein de cette monarchie, tous ses enfants étaient appelés à se réconcilier. En 1815, de nouvelles et ardentes divisions étaient venues aggraver les divisions anciennes, et la fureur des partis ensanglantait déjà plusieurs provinces. Voilà ce que, en s'embarquant sur le Bellerophon, Napoléon léguait au peuple qui, si imprudemment, lui avait confié ses destinées, au peuple qu'il avait gou-` verné en maître, et dont la grandeur et le bonheur, disait-il, lui étaient si chers! Voilà ce que, pour secouer l'ennui qui le consumait à l'île d'Elbe, il avait apporté à la France!

Nier, comme on le faisait en 1814 et en 1815, le génie de Napoléon, serait insensé; mais le génie sans mesure, sans rè

gle, sans moralité, est un fléau plutôt qu'un bienfait pour les peuples. A quoi, en définitive, le génie de Napoléon l'avait-il conduit? à épuiser, après l'avoir asservie, la nation qui s'était livrée à lui; à faire subir à la ville de Paris, deux fois en deux ans, un outrage dont la vieille monarchie et la République avaient su du moins la préserver; à précipiter enfin la France dans un abime de malheurs, et à la laisser plus petite qu'il ne l'avait prise! Et pourtant tel est le prestige de la grandeur déchue, que Sainte-Hélène a bientôt fait oublier Paris, et que la pitié de la France s'est détournée de ses propres maux pour se porter sur ceux de l'homme qui l'avait perdue! Pour notre part, nous le disons avec l'auteur d'un livre remarquable sur la campagne de 1815': cette pitié nous paraît mal placée, et nous la réservons pour des souffrances moins méritées. Mais, si l'idolâtrie dure encore, sincère sous le chaume, calculée dans des régions plus hautes, la vérité se fait jour, l'histoire succède à la légende, et bientôt, au Napoléon idéal qu'avait rêvé l'imagination populaire, succédera le vrai Napoléon. Il ne nous appartient à aucun titre de devancer ici le jugement de la postérité; mais nous croyons que le président Lanjuinais le devançait quand, dans la discussion de l'adresse, il prononçait ces excellentes paroles « Appelez-le héros, si vous voulez; ne l'appelez pas grand homme. Le titre de grand homme suppose des qualités morales dont le titre de héros peut se passer*. »

Waterloo, par le colonel Charras.

2 Depuis que les deux premiers volumes de cette Histoire ont paru, un livre de la plus haute importance, les Mémoires du comte Miot de Melito, est venu éclairer d'une lumière toute nouvelle plusieurs des événements du Consulat et de l'Empire, et surtout le caractère et les desseins de Napoléon dans quelques circonstances critiques de sa vie. Qu'on lise dans le premier volume, à la page 183, la conversation du général Bonaparte avec M. Miot, à l'époque du traité de Léoben; à la page 178 et 195, l'exposé de ses vues avant et après le 18 fructidor; à la page 278, l'aveu sincère de la résolution

où il était, le lendemain même du 18 brumaire, d'écraser tous ceux qui lui résisteraient; à la page 307, après Marengo, son opinion sur les tentatives de paix et sur la mission qu'il devait accomplir dans le monde. Qu'on lise dans le tome II, à la page 109 et à la page 165, l'explication du dissentiment qui éclata entre ses frères et lui quand il fut question de substituer au Consulat un empire héréditaire; à la page 153 enfin, et à la page 226, l'exposition réfléchie des motifs qui le déterminèrent à faire enlever et à faire tuer le duc d'Enghien; qu'on lise tout cela, et que l'on dise s'il est possible de soutenir encore qu'il y a eu deux Bonaparte, celui du Consulat et celui de l'Empire. Et ce qui rend le témoignage de Miot plus imposant, c'est que le témoin est un serviteur éclairé, mais fidèle de l'empereur Napoléon, un serviteur qui a tout perdu le jour où l'Empire est tombé, et qui a passé la fin de sa vie dans la retraite.

CHAPITRE XI

PREMIER MINISTÈRE

Constitution du ministère.

Convocation d'une Chambre nouvelle.

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la Charte soumis à révision. Chambre des pairs. Difficultés extérieures et intérieures. Conduite des armées étrangères à Paris et dans les départements -Spoliation du Musée. Projets de démembrement de la France. - Licenciement de l'armée. Violente réaction royaliste. Massacres et terreur dans le

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Anarchie dans l'Ouest.

proscription préparées par Fouché. du Midi. Déclin du ministère. ports de Fouché.

Élections.

violentes des colléges électoraux.

des puissances étrangères.

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Démission forcée de Fouché. Ultimatum Démission de M. de Talleyrand acceptée par

Louis XVIII. Départ de Fouché. - Formation du nouveau ministère. - M. de Richelieu et M. Decazes. Légères concessions faites au duc de Richelieu et signature du nouveau traité de paix. - Opinion de l'Angleterre sur ce traité.

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Louis XVIII était monté sur le trône, non comme Fouché et Davoust le voulaient, par un vote des Chambres, en acceptant la cocarde tricolore, en signant un nouveau pacte avec la nation, mais purement et simplement, sans condition ostensible, par la force des armes étrangères; néanmoins Louis XVIII avait pris ou on avait pris pour lui certains engagements dont il ne pouvait s'affranchir; le premier de ces engagements était celui de constituer un véritable ministère.

Ce n'est pas du premier coup que, dans les pays mêmes où

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