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CHAPITRE XII

LA CHAMBRE INTROUVABLE

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Ouverture de la session. - Discours du roi et adresses des deux Chambres. - Pre'mières réunions parlementaires. Loi de sûreté générale. · Loi des cris séditieux. Discussion et adoption de ces deux lois. Loi des cours prévôtales. — Proposition contre l'inamovibilité de la magistrature. - Discours de M. RoyerCollard. État des esprits en France. PrésenProcès du maréchal Ney. tation de la loi d'amnistie. Évasion de M. de Lavalette et colère du parti ultraroyaliste. Rapport de M. Corbière et discussion de la loi d'amnistie. - Discours de MM. de la Bourdonnaie, Royer-Collard et de Serre. Rejet des catégories et de la confiscation proposées par la commission. Bannissement des régicides. Condamnation de Travot. — Propositions individuelles. — Dotation du clergé. Registres de l'état civil. — Université. Constitution définitive de la majo

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rité ultra-royaliste. La cour et le ministère. Loi des élections. de M. de Villèle. Question du renouvellement intégral. — Principe du gouvernement parlementaire, combattu par MM. Royer-Collard, de Serre et Decazes, défendu par MM. de la Bourdonnaie, de Villèle et Corbière. Défaite du ministère. - Budget. Question de l'arriéré. Bois du clergé. ministère.

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Capitulation du Inquiétudes de la diplomatie étrangère et lettre du duc de WellingRejet de la loi d'élections par la Chambre des pairs Nouveau Rupture violente entre le ministère et la majorité.

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Rapport Rapport de M. de Kergorlay sur la dotation du Brusque clôture de la session.

clergé. Discours de M. de Serre. · tère de la Chambre de 1815.

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La Chambre élue en août 1815 ne ressemblait à aucune de celles qui l'avaient précédée. On y remarquait trente-trois membres de l'ancienne Chambre des députés, dix-sept membres de la Chambre des représentants, et quelques hommes, tels que M. Pasquier, M. Royer-Collard, M. de Bonald, M. de

Barante, M. Bourrienne, qui s'étaient distingués soit dans l'administration, soit dans le professorat, soit dans les lettres; elle se composait d'ailleurs d'anciens émigrés, peu habitués à représenter la France; de gentilshommes de province, consciencieux et ignorants, pleins d'honneur et de préjugés ; de bourgeois qui, en 1814, avaient pris ou reçu du roi des titres auxquels ils tenaient d'autant plus qu'ils étaient plus récents, et qui se croyaient obligés de payer leur bienvenue, dans l'ordre de la noblesse, par un amour plus ardent pour l'ancien régime, par une haine plus vive des hommes et des choses de la Révolution; enfin, d'un grand nombre de magistrats, de négociants, de propriétaires qui, soit comme membres des conseils municipaux, soit comme officiers de la garde nationale, avaient donné des preuves, pendant les CentJours, de leur dévouement à la cause royale. Certes, quatre mois auparavant, on n'aurait pas cru que les colléges électoraux de l'Empire pussent produire une telle Chambre, et Louis XVIII, qui devait la dissoudre dix mois plus tard, avait raison, dans la première effusion de sa joie, de la qualifier : CHAMBRE INTROUVABLE.

La plupart des députés nouveaux avaient un grand avantage sur leurs prédécesseurs : celui de n'avoir pas servi plusieurs pouvoirs, épousé plusieurs causes; celui de croire qu'en politique comme en toute chose il y a du bien et du mal, et que le gouvernement des États n'est pas un champ ouvert à toutes les évolutions de l'esprit de système et de l'intérêt personnel. Peu de jours, d'ailleurs, suffirent à montrer que, parmi ces hommes, inconnus à tout le monde, et qui ne se connaissaient pas euxmêmes, il se trouvait des hommes d'un vrai mérite. Malheureusement pour la France et pour eux-mêmes, ils arrivaient à Paris avec une passion dans le cœur, avec une idée fixe dans l'esprit. Châtier sévèrement, cruellement l'attentat du 20 mars, et se venger ainsi des hommes de la Révolution, voilà quelle était leur passion; refaire, autant que possible, la société moderne

III.

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sur le patron de la société ancienne, et rétablir, dans leurs parties principales, les institutions renversées en 1789, voilà quelle était leur idée fixe. A leurs yeux, en un mot, la Révolution était toujours une révolte, et l'ordre né de cette Révolution, le renversement de toutes les lois divines et humaines. En essayant de remettre chaque chose et chaque homme à sa place, on ne faisait pas seulement un acte salutaire, on accomplissait un rigoureux devoir, un devoir de conscience.

De tels projets devaient nécessairement rencontrer dans la Chambre même de grandes résistances. Au début, tous les sentiments parurent pourtant se confondre dans un sentiment unique, la satisfaction de voir enfin l'opinion royaliste maîtresse du gouvernement, et autorisée à parler, à agir officiellement au nom de la France. Ce fut donc avec une allégresse à peu près universelle que Louis XVIII fut accueilli, quand il vint, le 7 octobre, ouvrir la session, environné de tous les princes de sa famille et des hauts dignitaires de l'État. Le contraste entre cette séance et celle du 18 mars saisissait tous les esprits, touchait tous les cœurs, et quand le roi, d'un ton simple et digne, fit allusion aux maux affreux qu'une usurpation éphémère avait attirés sur la France, le cri de Vive le roi! retentit par toute la salle. Les paroles de haine et de vengeance qui, depuis deux mois, remplissaient toutes les adresses, tous les écrits des royalistes, n'obtinrent pas un mot de réponse; Louis XVIII, au contraire, appuya fortement sur le respect dû par tous les pouvoirs à la Charte constitutionnelle.

« Cette Charte, dit-il, que j'ai méditée avec soin avant de la donner, à laquelle la réflexion m'attache chaque jour davantage, que j'ai juré de maintenir, et à laquelle vous tous, à commencer par ma famille, allez jurer d'obéir, est sans doute, comme toutes les institutions humaines, susceptible de perfectionnement; mais aucun de nous ne doit oublier qu'auprès de l'avantage d'améliorer est le danger d'innover. » Par cette

phrase, le roi indiquait clairement l'intention de revenir jusqu'à un certain point sur l'ordonnance du 13 juillet, et de ne pas soumettre à révision tous les articles de la Charte mentionnés dans cette ordonnance; mais, comme s'il eût craint de refroidir ainsi l'enthousiasme d'une partie de ses auditeurs, il eut soin de leur présenter aussitôt un programme dans lequel il plaçait en première ligne le devoir de faire refleurir la religion et d'épurer les mœurs : « Je ne me flatte pas, ajouta-t-il en terminant, que tant de bien puisse être l'ouvrage d'une session; mais si, à la fin de la législature, on s'aperçoit que nous en ayons approché, nous devons être satisfaits de nous, et, pour y parvenir, je compte sur votre coopération la plus active. >>

C'était encourager dans la Chambre un espoir que nourrissaient déjà beaucoup de ses membres, l'espoir d'échapper au renouvellement partiel, et de garder le pouvoir pendant plusieurs années.

Une seule pensée douloureuse, celle de l'occupation de la France par l'étranger et de la convention qui venait d'être virtuellement conclue, se mêlait à la joie des députés; mais ce point délicat fut touché par le roi avec beaucoup de tact, et quand il parla « de la profonde peine qu'il avait dû ressentir, >> son émotion se communiqua à toute l'Assemblée.

Néanmoins, lors de la prestation du serment, un incident inattendu put faire pressentir les luttes qui devaient suivre. Après que les princes, Monsieur compris, eurent juré fidélité au roi, obéissance à la Charte constitutionnelle et aux lois du royaume, on fit, selon l'usage, l'appel des pairs et des députés. Or deux pairs, M. Jules de Polignac et M. de la Bourdonnaie, et un député, M. Domingon, ne voulurent prêter serment qu'avec de certaines réserves. « Je demande, dit M. Domingon, à mon seigneur et roi la parole pour... » Avant qu'il pût achever, M. de Richelieu l'interrompit, et, averti que, d'après les usages de l'ancienne monarchie, personne ne pou

vait prendre la parole sans la permission expresse du roi, M. Domingon, après quelque hésitation, prêta le serment demandé; mais, à la Chambre des pairs, comme on le verra plus tard, l'incident eut de plus graves conséquences. L'appel nominal, un moment interrompu, ayant été repris, le ministre de l'intérieur, M. de Vaublanc, qui faisait l'appel des députés, prit sur lui d'omettre le nom de Fouché, ce qui était une grave irrégularité; «< ce nom, a dit plus tard M. de Vaublanc, aurait produit une scène violente que je voulais éviter 1. » Ainsi, tandis que Fouché, ambassadeur à Dresde, allait représenter le roi dans cette ville, un ministre du roi n'osait pas prononcer son nom dans la Chambre des députés !

Ni la vérification des pouvoirs, qui, selon l'usage alors établi, eut lieu en séance secrète, ni la formation du bureau, n'altérèrent l'harmonie qui paraissait régner dans la Chambre, et c'est à peine si quelques choix purent indiquer l'esprit qui devait l'animer. M. Lainé était le président généralement désigné, et en présentant avec lui le prince de la Trémoille, M. de Grosbois, M. Chilhaud de la Rigaudie, M. de Clermont MontSaint-Jean, la Chambre savait qu'elle accomplissait une simple formalité. Les quatre vice-présidents qu'elle choisit ensuite, M. de Grosbois, M. Bellart, M. de Bouville, M. Faget de Baure, n'appartenaient pas à la même nuance d'opinion, mais passaient pour également royalistes. La nomination des quatre secrétaires, M. de la Maisonfort, M. Hyde de Neuville, M. Cardonnel, M. Tabarié, était un peu plus significative, tandis que, soit par l'effet d'un accord tacite, soit par hasard, la nomination des deux questeurs, M. Maine de Biran et M. de Puyvert, tenait la balance égale entre les deux opinions qui bientôt devaient partager l'Assemblée. Comme chacun s'y attendait d'ailleurs, M. Lainé fut choisi par le roi, et prononça, en montant au fauteuil, un discours grave et triste, mais plein de sentiments

1 Mémoires de M. de Vaublanc.

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