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Or si les Congrégations ont été laissées par le Concordat et même par les Articles Organiques sous le régime du droit commun, il est de toute évidence, que les mettre hors du droit commun c'est détruire le terrain présupposé par le Concordat, c'est porter atteinte à la liberté générale de la Religion garantie par le 1er article du Concordat, puisque cette liberté exige du moins l'application du droit commun à toutes les institutions catholiques et notamment à celles qui ont pour but l'éducation chrétienne et la prédication de l'Evangile.

La question des Congrégations n'est donc pas simplement une matière politique intérieure, mais aussi et avant tout une matière de politique religieuse. Dès lors, le Nonce se trouve et demeure dans le vrai terrain concordataire, évidemment présupposé par l'esprit du Concordat, soit lorsqu'il demande qu'on ne fasse pas une loi d'exception, mettant hors du droit commun les Congrégations, soit lorsqu'il demande qu'on ne fasse pas d'applications illégales de la loi exceptionnelle, et encore plus lorsqu'enfin il demande qu'on ne transforme pas celle-ci en mesure de proscription.

C'est de la sorte que le Nonce Apostolique travaille loyalement à la conservation de la paix religieuse et par là mème à la prospérité de la France, car on ne peut pas mieux prouver le désir sincère de maintenir le Concordat que par les efforts constants d'en sauvegarder l'esprit et la base politico-religieuse.

DOCUMENT XII.

B. LORENZELLI.

Lettre de Sa Sainteté Pie X,

à M. Loubet, Président de la République française.

2 décembre 1903.

Depuis le jour où la divine Providence a voulu nous élever au Souverain Pontificat, la situation douloureuse faite à l'Eglise catholique en France n'a point cessé de Nous préoccuper vivement. Nous voyons avec amertume que cette situation tend à s'aggraver chaque jour davantage; et c'est pourquoi Nous considérons comme un devoir impérieux de Notre ministère apostolique d'appeler sur ce point l'attention du premier Magistrat de la République.

Notre Prédécesseur Léon XIII, de sainte et glorieuse mémoire, dans sa sollicitude et sa bienveillance particulière pour la noble Nation française, tâcha autant qu'il lui fut possible de conjurer la loi contre les Congrégations religieuses, en démontrant combien elle était contraire aux règles de l'équité et de la justice, et en signalant les conséquences funestes qu'elle produirait non moins pour l'Eglise que pour la France. Malheureusement ni la parole si autorisée de l'Auguste Pontife, ni l'évidence des considérations qu'il faisait valoir ne purent rien; bien plus, le Gouvernement lui-même aggrava encore la loi dans l'application qu'il en fit: il alla jusqu'à refuser d'examiner, nonosbtant le vœu de la grande majorité des Conseils municipaux, les demandes d'autorisation que les Congrégations religieuses, avaient présentées aux pouvoirs publics, en se conformant à toutes les dispositions de la loi. C'est ainsi que durant ces derniers mois, Nous avons dû assister avec une profonde

douleur, aux événements qui se déroulèrent en France, le pays classique de la liberté et de la générosité, et qui, dans toutes les nations, produisirent sur l'opinion publique une impression de surprise et de tristesse. Des milliers de religieux et de religieuses, qui avaient hautement mérité de l'Eglise et de la France, qui ne sont coupables que de s'être dévoués à leur propre sanctification et au service de leur prochain en pratiquant les conseils évangéliques, ont été chassés de leurs pacifiques demeures, et réduits souvent à la plus dure misère; et puisque leur propre patrie leur enlevait le droit, que les lois garantissent à tous les citoyens, de se choisir le genre de vie à leur convenance, il se sont vus contraints à chercher un asile et la liberté en des terres étrangères. Qu'on ajoute à cela les attaques répétées contre l'Eglise catholique et le Saint Siège lui-même, malgré son attitude constamment et particulièrement pacifique et bienveillante à l'égard de la France et du Gouvernement de la République, les nombreuses suppressions de traitements, dûs pourtant en justice aux évêques et aux curés, la vacance prolongée des sièges épiscopaux, et personne ne pourra contester que la situation présente de l'Eglise en France ne soit exceptionnellement triste et douloureuse.

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Comme si ce n'était pas suffisant, on prépare maintenant contre l'Eglise d'autres mesures, tendant à priver du droit d'enseignement, à ses trois degrés, supérieur, secondaire et primaire, tout membre d'une Congrégation religieuse même autorisée. La singulière gravité d'une telle mesure n'échappe certainement pas, Monsieur le Président, à votre profonde pénétration. En fait la législation française reconnaît expressément à tout citoyen le droit d'enseigner, sauf quelques dispositions pour s'assurer de la compétence des maîtres et empêcher les abus possibles. Ceci posé, nous laissons à tout homme éclairé et impartial le soin de juger, si d'enlever un droit commun, sanctionné par les lois, à toute une classe de citoyens, soumis à toutes les charges, uniquement parce qu'ils sont religieux, ce n'est pas en même temps une offense à la religion, une injustice au détriment de ces citoyens, et une violation de ces principes de liberté et d'égalité qui sont à la base des constitutions modernes. Une exception pareille ne pourrait se justifier que s'il y avait une incompatibilité intrinsèque entre les vœux religieux et le ministère de l'enseignement, ou si l'on avait constaté des abus graves chez les religieux et religieuses, voués à l'enseignement. Mais, sans apporter beaucoup d'autres considérations, contre ces griefs et en faveur des congréganistes, on peut invoquer, et l'autorisation elle-même qui a été donnée par les Gouvernements successifs de la France, et la volonté des pères de famille qui en très grand nombre confient aux Instituts religieux l'éducation de leurs enfants.

Le vote du projet de loi qui vient d'être présenté à la Chambre des Députés, entraînerait du même coup, avec la liquidation de leurs biens, la suppression des Congrégations religieuses qui n'ont d'autre but que l'enseignement et l'éducation de la jeunesse, et qui ont été autorisées pour ce seul objet. De cette façon, on aurait à peu près consommé en France la destruction de ces Instituts religieux qui, par la saine éducation de la jeunesse, fondement de toute société humaine, furent toujours un élément de patriotisme, de civilisation et de progrès. Et puisque c'est sur eux que reposaient principalement le prestige et l'influence morale

de la France à l'extérieur, spécialement en Orient, la France viendrait à manquer de plus en plus des moyens nécessaires pour remplir dans le monde cette mission civilisatrice qui lui a été assignée par la Providence et pour laquelle elle a constamment obtenu l'appui des Pontifes Romains. Le Saint Siège, tenu par l'ordre de Dieu même à pourvoir à la diffusion de l'Evangile, se trouverait dans la nécessité de ne point s'opposer à ce que les vides produits dans les rangs des missionnaires français soient comblés par des missionnaires d'autres nationalités.

En voyant cette longue série de mesures toujours plus hostiles à l'Eglise, il semblerait, Monsieur le Président, qu'on veuille, comme certains le croient, préparer insensiblement le terrain pour en arriver non seulement à séparer complètement l'Etat d'avec l'Eglise, mais, si c'est possible, à enlever à la France cette empreinte du christianisme qui a fait sa gloire dans les siècles passés. Nous ne pouvons Nous persuader que les hommes d'Etat qui gouvernent actuellement les destinées de la France, nourrissent de tels projets qui entraîneraient fatalement à l'intérieur la plus grave perturbation religieuse et à l'extérieur une diminution du prestige et de l'influence morale de la France. Pour Nous, si par malheur de telles éventualités devaient se produire, certes Notre cœur, qui aime tendrement la Fille aînée de l'Eglise, en éprouverait une profonde douleur: mais en même temps, Nous devons l'ajouter en toute franchise, le Saint Siège, poussé à ces extrémités, plein de confiance dans la vitalité de l'Eglise en France, ne manquerait à aucun des devoirs que lui imposeraient et sa mission divine et la nature des circonstances, laissant à d'autres la responsabilité des conséquences qui pourraient en dériver.

Nous avons voulu, au début de Notre Pontificat, Monsieur le Président, vous ouvrir Notre cœur ; Nous avons la confiance que vous-même, avec la noblesse de caractère, l'élévation de sentiments, le vif désir de pacification religieuse dont Nous vous savons sincèrement animé, vous voudrez faire valoir toute l'influence qui vous vient de votre haute situation, pour éloigner de l'Eglise de nouveaux préjudices et épargner à la France de nouvelles agitations religieuses. Dans le ferme espoir que Nos désirs seront réalisés, grâce à votre intervention, Nous vous donnons de tout cœur à Vous, Monsieur le Président et à votre famille, la bénédiction apostolique.

DOCUMENT XIII. M. Loubet, Prédident

de la République française, à Sa Sainteté Pie X.

Très Saint Père,

Paris, le 27 février 1904.

Son Excellence Monseigneur le Nonce Apostolique m'a remis la lettre personnelle, que Votre Sainteté m'a fait l'honneur de m'écrire pour me signaler avec quelle appréhension Elle voit les pouvoirs publics saisis de projets relatifs aux Congrégations, à la liberté de l'enseignement et aux pénalités applicables au clergé.

Votre Sainteté pense que les projets dont Elle examine les conséquences, s'ils étaient votés, semblent indiquer qu'ils tendent à réaliser

la séparation complète de l'Eglise et de l'Etat. Elle croit qu'il s'en suivrait une très grave perturbation religieuse à l'intérieur et une diminution de l'influence morale et du prestige de la France à l'étranger.

J'ai déjà eu l'honneur de répondre à Sa Sainteté Léon XIII, 11 y a quelques années, que personne plus que moi ne désirait le maintien de la paix religieuse et la loyale exécution du Concordat, qui règle les rapports de l'Eglise et de l'Etat: j'ajoutais que je reconnaissais les efforts faits par Sa Sainteté pour assurer la soumission du clergé de France aux lois du pays.

J'ai le très grand regret de constater qu'un certain nombre de membres du clergé et de congrégations, malgré les instructions pontificales, au lieu de se renfermer dans leur mission, se sont lancés dans les luttes politiques et ne craignent pas, même à l'heure présente, de critiquer avec passion et violence le Gouvernement Républicain et les lois du pays.

Quelle que soit l'opinion personnelle du Président de la République sur ces questions, Votre Sainteté ne peut, en faisant appel à lui, perdre de vue le rôle qui lui est assigné par la Constitution Française.

Le Président doit se renfermer dans son irresponsabilité constitutionnelle en ce qui concerne les mesures gouvernementales, et s'abstenir de tout acte personnel. Il ne peut qu'offrir ses conseils aux ministres, et j'ai conscience de ne pas avoir manqué à ce devoir. Quant aux lois et résolutions parlementaires, le Président n'y intervient que par les ministres, qui sont eux-mêmes obligés de compter avec les majorités des deux Chambres.

C'est avec la plus grande tristesse que j'ai vu récemment des archevêques et des évêques s'adresser par des lettres rendues publiques au Président pour protester contre certains projets de loi, alors qu'ils ne peuvent ignorer quelle est la loi constitutionnelle du pays. Ils se sont trompés s'ils ont pensé faire peser sur lui la responsabilité de ces projets et de ces mesures, et ils ont, en agissant ainsi, fourni l'occasion à ceux qui ont présenté ou soutiennent ces projets, de donner à la lutte un caractère plus irritant.

Malgré tout, j'ai l'espoir que les passions se calmeront et que la paix se fera dans les esprits, surtout si le clergé suit les sages instructions de Votre Sainteté.

Je remercie Votre Sainteté du témoignage d'estime et de confiance dont Elle m'a honnoré en m'adressant sa lettre personnelle. Je La remercie aussi de la bénédiction apostolique qu'elle a daigné, à cette occasion, donner à ma famille et à moi, et je La prie d'agréer l'humble expression de ma haute vénération et de mon profond respect.

EMILE LOUBET Président de la République.

DOCUMENT XIV. - Mémoire remis par M. Nisard, Ambassadeur de France, au Cardinal Secrétaire d'Etat de Sa Sainteté.

L'Ambassadeur de France près le St. Siège ayant eu l'honneur d'entretenir le Secrétaire de Sa Sainteté, d'une question relative à l'interprétation du Concordat, en matière de nomination d'évêques, croit devoir, suivant le désir qui lui en a été exprimé, rappeler à Son Eminence, le sujet de cette conversation.

Depuis longtemps, des difficultés se sont élevées au Conseil d'Etat, à l'occasion de la rédaction des bulles d'institution canonique, délivrées par la Chancellerie pontificale aux évêques préconisés au Consistoire et soumises à l'enregistrement du dit Conseil. Ces difficultés se sont renouvelées récemment au sujet de la nomination des évêques d'Annecy et de Carcassonne. Dès lors le Gouvernement de la République ne pouvait qu'être désireux de procéder à un échange de vues avec la Chancellerie pontificale afin d'arriver à une entente sur la question qui lui semblait ainsi s'imposer à leur commune attention, c'est-à-dire sur l'emploi dans les bulles dont il s'agit, de la formule Nobis nominavit. En effet, aux yeux des jurisconsultes qui composent le Conseil d'Etat, la formule nominavit qui se trouve reproduite dans les actes exécutoires du Concordat, est la seule qui réponde exactement aux termes de la Convention de l'An IX.

Ce n'est pas d'ailleurs la première fois que cette question a fait l'objet de pourparlers entre les deux Hautes Parties Contractantes.

Si, en vue de maintenir la formule du Nobis, la Chancellerie pontificale s'est appuyée sur des arguments historiques tirés de ce qui se passait sous l'Ancien Régime, ces considérations n'ont pas empêché la Cour de Rome de reconnaître en 1872 qu'il y avait avantage à supprimer, sur notre demande le mot pruesentavit qui se trouvait adjoint aux mots Nobis nominavit. Le Gouvenement de la République est trop persuadé que le St. Siège apprécie, comme lui, l'intérêt qui s'attache à une nouvelle entente, pour ne pas conserver l'espoir que l'esprit de conciliation qui l'a guidé il y a vingt ans, le conduira aujourd'hui à ne pas insister sur le maintien du mot Nobis, et à adopter une formule plus en harmonie avec les droits respectifs des deux Hautes Parties Contractantes, tels qu'ils sont fixés par les articles 4 et 5 du Concordat.

Rome, 21 décembre 1902.

DOCUMENT XV. Memorandum de S. E. le Card. Secrétaire d'Etat à M. Nisard, Ambassadeur de France.

Le Saint Siège n'a point manqué d'examiner avec une grande attention le mémoire que Nisard, ambassadeur de France, a remis le 20 décembre dernier dans le but de fixer les points d'une conversation antérieure que, par ordre de son gouvernement, il avait eu avec le Cardinal Secrétaire d'Etat sur la teneur des Bulles épiscopales en France. Dans ce mémoire l'on fait allusion en premier lieu aux difficultés que l'enregistrement des bulles épiscopales a rencontrées en France dans le passé et qu'elle

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