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M. Rouvier, Président du Conseil, Ministre des Affaires étrangères,

aux Représentants diplomatiques de la République française à Berlin et à Tanger.

Paris, le 24 novembre 1905.

A la suite de la comparaison des lettres adressées par le Makhzen à la Compagnie marocaine et à la Légation d'Allemagne, à Tanger, au sujet des travaux du port de cette ville, M. Rosen avait demandé à M. Révoil si nous étions disposés à reconnaître le bien fondé de la prétention allemande à ne plus nous opposer au commencement des travaux. M. Révoil a répondu, sur mes instructions, que le Gouvernement français ne s'opposait pas à ce que la concession Borgeaud Reuteman (travaux du môle) suivit son cours, mais réservait sans aucune restriction les droits de la Compagnie Marocaine vis-à-vis du Makhzen.

ROUVIER.

Le Comte de Saint-Aulaire, Chargé d'affaires de la République française à Tanger, à M. Rouvier, Président du Conseil, Ministre des Affaires étrangères. Tanger, le 1er décembre 1905.

Voici la traduction intégrale d'une lettre circulaire que les représentants des puissances à Tanger viennent de recevoir de Torrès:

<< Le représentant du Sultan à Tanger à M. Saint-René Taillandier, » Ministre de la République française au Maroc.

« Conformément à ce que je vous ai écrit précédemment pour vous > transmettre l'invitation du Makhzen à assister à la conférence où » doivent être discutées les réformes possibles qu'il se propose d'effectuer » dans l'empire chérifien ainsi que les moyens de faire face aux dépenses qu'elles nécessiteront, je vous informe que Sa Majesté a décidé que » la réunion demandée aurait lieu à Algésiras sur le territoire espagnol, > en considération des avantages qu'il y a en ce moment, à la tenir en » cette ville.

« Le Gouvernement espagnol ayant consenti à ce qu'elle ait lieu dans > la ville précitée et en raison de la gêne que causerait au Makhzen » l'ouverture de cette conférence avant le 20 décembre prochain, Sa » Majesté chérifienne en a fixé l'ouverture au 21 décembre. Elle > demande à votre gouvernement que vous y.preniez part avec les délégués chèrifiens le jour où cette conférence s'ouvriraˆ à Algésiras. << Fez, le 29 ramadan 1323 (26 novembre 1905).

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Signé: MOHAMMED BEN EL ARBI TORRES ».

D'après les indications fournies par le Ministre d'Espagne, la lettre à lui adressée ne présenterait avec la circulaire ci-dessus que des différences de forme provenant de ce qu'elle constitue une réponse à la note espagnole visant cette question.

ARCH. DIPL., T. 97. - 1906, VOL. 1, No 1.

SAINT-AULAIRE.

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M. Jules Cambon, Ambassadeur de la République française à Madrid,
à M. Rouvier, Président du Conseil, Ministre des Affaires étrangères.

Madrid, le 7 décembre 1905.

Le Sultan a indiqué dans sa réponse, au sujet de la réunion de la conférence, la date du 21 décembre. Le Gouvernement espagnol considère cette date comme celle à partir de laquelle les délégués marocains seront en mesure de prendre part à la conférence. En raison de la proximité des fêtes, il compte inviter les Puissances fermement pour le 5 janvier. Il télégraphiera à Tanger pour en aviser le Makhzen.

J. CAMBON.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS

Séance du 16 décembre 1905.

LA SITUATION EXTÉRIEURE

M. MAURICE ROUVIER, président du conseil, ministre des affaires étrangères: Messieurs, le 10 juillet dernier, j'ai fait connaître à la Chambre les premiers résultats des négociations engagées entre l'Allemagne et la France au sujet de la conférence marocaine.

Le Gouvernement de la République n'a accepté de participer à cette conférence qu'après s'être mis d'accord avec le gouvernement impérial sur les principes qui constituent la garantie indispensable des intérêts de la France au Maroc et de sa situation spéciale vis-à-vis de l'empire chérifien.

C'est cet accord que consacrait le protocole du 8 juillet. En le communiquant à la Chambre, je l'ai priée d'ajourner tout débat sur les affaires marocaines jusqu'au moment où je pourrais lui fournir de plus complètes explications: en effet, nous avions encore à déterminer le programme de la conférence et à le faire accepter de concert par le

sultan.

Le 28 septembre dernier, j'ai signé avec le prince Radolin un nouveau protocole, qui a fixé le projet de programme, en conformité des principes adoptés dans l'échange des lettres du 8 juillet.

A la date du 22 octobre, le sultan du Maroc a fait connaître à notre ministre à Fez et au ministre d'Allemagne qu'il adhérait au programme proposé et qu'il se ralliait au choix de la ville d'Algésiras, comme lieu de réunion de la conférence.

L'Espagne prêtant, de nouveau, à l'Europe son hospitalité, qu'elle pouvait d'ailleurs considérer dans l'espèce comme une tradition, il lui appartenait de convoquer les puissances.

Pour satisfaire à une demande du maghzen, la date du 15 décembre primitivement fixée, n'a pas été maintenue. Je suis fondé à penser que la conférence s'ouvrira dans les premiers jours de janvier.

J'avais également promis au Parlement, de placer sous ses yeux les documents concernant la question marocaine. Le Livre jaune qui vous a été distribué, vous permet d'apprécier, dans son ensemble, la politique suivie par la France au Maroc et les incidents qui en ont marqué la

dernière phase; tout esprit impartial y trouvera en même temps la preuve de la modération et de la légitimité de notre action. (Applaudissements).

La France, Messieurs, ne peut pas ne pas avoir une politique marocaine, la forme et la direction que prendra dans l'avenir l'évolution de l'empire marocain influeront d'une manière décisive sur les destinées de nos possessions de l'Afrique du Nord.

Depuis soixante ans le voisinage du Maroc a été pour l'Algérie une cause permanente de trouble et d'agitation. La sécurité de nos communications et de nos postes frontières; celle de nos sujets algériens, menacée par des excitations de toute nature; la présence constante sur nos confins des rebelles et des fugitifs de chaque insurrection; l'agression continue, non point de maraudeurs isolés, non point de bandes, mais de hordes de plusieurs milliers d'hommes; tout nous imposait la nécessité de réclamer que l'Etat limitrophe remplît ses obligations envers nous. Le Livre jaune, abondamment documenté, que nous vous avons remis, contient un tableau fidèle de nos efforts et des méthodes que nous avons appliquées à la résolution du problème. Nous avons longtemps espéré, nous avons pu même croire à certains moments, que nous obtiendrions du gouvernement marocain un concours efficace, une collaboration suivie. Les accords de 1901 et 1902 étaient les plus propres à assurer ce résultat. Mais, le gouvernement marocain, livré à lui-même, s'est montré hors d'état d'accomplir ses devoirs élémentaires envers les étrangers. Le désordre intérieur n'a pas cessé d'augmenter; la rebellion s'est installée au Maroc sur une importante partie du territoire et le Maghzen en est arrivé à un tel degré de faiblesse qu'il ne fait plus l'effort nécessaire pour garantir la sécurité des Européens.

Le danger de cette anarchie contagieuse, la légitimité de nos griefs, ont été reconnus par les puissances dont les intérêts, à des titres divers, sont, avec les nôtres, les plus importants au Maroc. Elles ont admis que les lourdes responsabilités du Maghzen à notre égard, s'ajoutant à notre position spéciale, nous autorisaient à nous présenter à lui, d'accord avec elles, non plus seulement en plaignants, mais en conseillers, reconnaissant que si nos conseils étaient écoutés, la civilisation générale en profiterait.

Telle était la situation quand l'intervention de l'Allemagne s'est produite. L'Allemagne n'a pas jugé suffisant d'être informée de nos accords: estimant que ses intérêts exigeaient qu'elle fût plus directement consultée, elle a appuyé officiellement le projet de conférence présenté par le sultan, qui en appelait ainsi de nos propositions à une consultation internationale.

J'ai considéré que, sous condition d'obtenir les garanties nécessaires, nous ne devions pas nous refuser aux tempéraments compatibles avec le souci de la dignité de la France comme avec la sauvegarde de ses intérêts essentiels (Très bien! très bien!), et que passer outre, c'eût été perdre le sentiment de notre responsabilité envers le pays. (Applaudissements). Nous entendions ne pas faire sortir la question marocaine des proportions qu'elle doit garder; nous avons accepté de nous rendre à la conférence.

Dans quelle situation nous y présentons-nous, et que comptons nous y faire ?

Il ne saurait plus y avoir de méprise aujourd'hui sur le caractère et la portée véritables des propositions que notre ministre à Fez a présentées à l'agrément du sultan. Ces propositions ne tendaient en aucune façon à introduire au Maroc un régime analogue à celui appliqué dans la régence de Tunis. D'autre part, nous n'avons jamais invoqué auprès du Maghzen un prétendu mandat de l'Europe (Applaudissements); M. Saint-René Taillandier a rempli avec une correction parfaite la mission qui lui avait été confiée (Très bien! très bien!) et qui ne mettait en cause, ni les droits souverains du sultan, ni la situation des puissances, telle qu'elle résulte des traités. (Applaudissements). Nous avions déjà tracé ces limites; nous n'avons donc qu'à rester fidèles à

nous-mêmes.

Ce n'est point une discussion de juristes qui s'ouvrira à la conférence. La question qui se pose devant elle est simple. Chaque puissance a des droits au Maroc : ils ne sont pas contestés. Chaque puissance y bénéficie des traités: il n'a jamais été question d'y porter atteinte. Chaque puissance, enfin, dans une mesure quelconque, peut faire valoir ses intérêts. Ces intérêts doivent être respectés. Mais ce que nous avons le devoir de montrer à la conférence, c'est la qualité spéciale de nos droits et l'importance de nos propres intérêts. (Applaudissements).

Nos droits tout d'abord. Il ne s'agit pas du régime de notre frontière algérienne, qui reste du ressort exclusif de la France et du Maroc; c'est là une réserve explicitement sanctionnée par le protocole du 8 juillet et confirmée le 28 septembre.

Mais la situation particulière que nous occupons au Maroc ne résulte pas seulement de la contiguïté de nos frontières; notre droit a une portée plus générale. Il consiste en ceci que la France est puissance musulmane dans l'Afrique du Nord; que nous avons à y maintenir et y préserver notre autorité sur une population de 6 millions d'indigènes en contact avec 700.000 colons européens que la communauté de langue, de religion, de race, qui rapproche cette population de celle du Maroc, la rend sensible à toutes les excitations que peut développer dans l'Etat voisin, soit l'absence de gouvernement régulier, soit la constitution d'un gouvernement hostile. Nous sommes donc fondés à réclamer l'existence dans l'empire chérifien d'un pouvoir à la fois traditionnel et obéi partout, et, d'autre part, à nous assurer que ce gouvernement ne sera jamais amené à user de son autorité pour menacer notre territoire et troubler notre colonie. (Applaudissements).

Rien n'est plus réel que ce droit. Il n'atteint aucun droit étranger; il garantit celui de toutes les puissances civilisées.

Nous invoquerons encore auprès de la conférence une autre considération celle de nos intérêts qui figurent au premier rang des intérêts européens; le développement de notre commerce, le nombre de nos nationaux et de nos entreprises, le chiffre des capitaux français engagés au Maroc justifient cette affirmation. Ce sont là des faits. Cependant sur ce terrain de l'activité économique et de la libre concurrence, nos traités avec l'Angleterre et l'Espagne, nos arrangements du 8 juillet et du 28 septembre derniers avec l'Allemagne montrent que nous désirons un régime libéral assurant une complète égalité de traitement à toutes les entreprises de commerce et d'industrie. (Très bien! très bien!).

La reconnaissance d'une situation spéciale, résultant des faits les plus évidents, admise par les puissances les plus intéressées, inscrite aux derniers accords que nous avons conclus avec le gouvernement impérial ne peut donc porter préjudice à personne.

Je viens d'indiquer à la Chambre la nature et la position exacte de la question: l'indépendance de l'empire marocain, la restauration et la réforme d'un maghzen nous paraissent toujours les deux conditions fondamentales de l'œuvre que réclame l'état actuel du Maroc. Si on ramène la question marocaine à ses éléments essentiels, il apparaît avec évidence qu'elle engage un intérêt national: qu'elle s'impose à notre politique sous peine de compromettre la grande œuvre entreprise par la France depuis trois quarts de siècle dans le nord-ouest de l'Afrique et qui lui a coûté de si lourds sacrifices.

Des négociations qui ont abouti aux accords des 8 juillet et 28 septembre, nos droits sont sortis, sinon tous reconnus, du moins tous préservés. Ces négociations ont pu être laborieuses; je tiens à prendre acte de leur résultat que l'Allemagne et la France aient réussi à franchir ces deux premières étapes dans le règlement des difficultés qui ont failli un moment troubler leurs relations, c'est là un fait que je me reprocherais, pour ma part, de laisser dans l'ombre au cours de ces explications. (Très bien! très bien !).

D'ailleurs, des droits aussi légitimes, des intentions aussi modérées que les nôtres ne sauraient se heurter, d'aucun côté à une opposition irréductible. Nous attendons avec calme les résultats de la conférence. Messieurs, la politique extérieure de la France est facile à définir: Fidèle à une alliance restée hors de toute atteinte, à des amitiés précieuses exemptes de toute arrière-pensée, désireuse d'entretenir avec tous des relations courtoises, et même réciproquement confiantes, la France sûre d'elle-même, gardant la conscience de la noblesse de son histoire et de ses destinées, ne vise, nous l'affirmons hautement, qu'à sauvegarder ses droits, ses intérêts et le plein exercice de sa liberté. (Vifs applaudissements prolongés sur tous les bancs).

M. LUCIEN HUBERT. Je demande la parole pour présenter une motion préalable.

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. Hubert.

M. LUCIEN HUBERT Après l'assentiment unanime qui vient d'accceillir la déclaration de M. le président du conseil, il paraîtra sans doute à la Chambre plus sage de remettre au budget des affaires étrangères une discussion qui aujourd'hui serait plus brillante qu'utile. (Vifs applaudissements sur un grand nombre de bancs).

M. PAUL BERTRAND (Marne). Nous nous associons à la proposition si sage, si prudente de notre collègue. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs).

M. DENYS COCHIN. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. Denys Cochin.

M. DENYS COCHIN. Messieurs, j'avais demandé la parole sur les douzièmes et je puis dire que mon initiative avait provoqué ce débat. J'avais pris au mois de juillet la même initiative, mais avec moins de bonheur. Au mois de juillet j'ai tenu à prendre la parole parce que j'ai

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