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PROTOCOLE N° X.

SEANCE DU 29 AOUT 1905.

La séance est ouverte à 10 h. 55 du matin.

Etaient présents:

Pour le Japon:

Le Baron Komura et M. Takahira, assistés de MM. Soto, Adatci et Otchiai, Secrétaires de la Conférence;

Pour la Russie:

M. Witte et le Baron Rosen, assistés de MM. de Plançon, Korostovetz et Nabokoff, Secrétaires de la Conférence.

Les Plénipotentiaires ont procédé à la signature du Protocole de la séance précédente.

Sur la demande dn Baron Komura de savoir la réponse officielle du Gouvernement Russe au projet présenté par les Plénipotentiaires du Japon à la séance du 23 Août (Protocole No VIII), les Plénipotentiaires de Russie lui ont transmis une notice qui exprimait le consentement de Sa Majesté l'Empereur de Russie à céder au Japon aux conditions exposées dans la notice la partie sud de Sakhaline (Annexe No I).

Ayant pris connaissance de ce document les Plénipotentiaires du Japon ont déclaré qu'ils avaient une communication spéciale à faire à ce sujet, conformément aux instructions de leur Gouvernement, et ont présenté une notice (Annexes Nos II et III) portant que le Gouvernement du Japon est disposé à retirer sa réclamation de remboursement, « pourvu que la Russie reconnaisse comme un fait accompli l'occupation de l'Ile de Sakhaline par le Japon ».

Les Plénipotentiaires de Russie ont répondu qu'ils ne pouvaient consentir à la rédaction de cette dernière réserve vu l'ordre catégorique de S. M. l'Empereur, leur Auguste Maître, contenu dans la notice qu'ils viennent de présenter à la Conférence.

Alors le Baron Komura a déclaré que le Gouvernement du Japon, animé d'un sincère désir de rétablir la paix, consentait à laisser en la possession de la Russie la partie nord de Sakhaline, sans aucun remboursement, mais à condition que la frontière entre les deux parties de l'Ile suive le 50° degré de latitude nord et que la réserve sur les mesures militaires, contenue dans la notice russe, ainsi que l'engagement de garantir la liberté de navigation dans les Détroits de Lapérouse et de Tartarie, fussent réciproques.

M. Witte, prenant acte du consentement susmentionné du Japon, a répondu que la Russie n'avait pris jusqu'à présent et ne comptait prendre à l'avenir aucune mesure militaire sur le territoire ou sur les côtes de Sakhaline, de sorte qu'il n'y avait, à son avis, aucune raison pour entretenir des doutes à ce sujet, mais qu'il n'avait pas d'objections à donner à l'engagement en question une valeur récipropre conformément à l'avis du Baron Komura. En ce qui concerne la ligne frontière entre les deux parties de l'Ile, les Plénipotentiaires de Russie n'avaient pas d'objection, en principe, à ce que cette ligne suivît le 50° degré, mais ils estimaient qu'une délimination plus détaillée et plus conforme

à la configuration du pays devait être faite sur les lieux par une commission spéciale.

Les Plénipotentiaires du Japon ont répondu qu'ils partagaient cet avis, et la question fut réglée. Il y avait une autre question encore, se rapportant à Sakhaline, que les Plénipotentiaires du Japon ont cru devoir soumettre à la Conférence. C'était la question des colonies pénitentiaires russes dont le voisinage a toujours causé beaucoup d'embarras au Gouvernement Japonais, même quand elles étaient séparées de l'Ile de Hokkaido par un détroit. Les Plénipotentiaires du Japón espéraient que le Gouvernement de Russie voudra bien tenir compte de cette considération et ne pas maintenir des colonies pénitentiaires dans la partie nord de Sakhaline.

M. Witte a répondu que cette question n'était pas de sa compétence, qu'elle relevait du domaine de l'Intérieur et qu'il ne pouvait prendre sur lui aucun engagement à ce sujet. Il croyait cependant pouvoir affirmer que si le Gouvernement de Russie trouve nécessaire de maintenir à Sakhaline des colonies pénipotentiaires, il ne manquera pas de prendre en même temps toutes les mesures pour que ces colonies ne puissent devenir une source de désagrément pour les voisins.

La question de Sakhaline étant reconnue suffisamment élucidée, les Plénipotentiaires ont laissé aux soins des Secrétaires de préparer la rédaction de l'article X.

M. Witte a ensuite suggéré l'idée que la Conférence ayant décidé tontes les grandes questions de principe et étant arrivée aux questions secondaires et de détail, il serait opportun d'inviter les délégués à prendre part aux travaux de la Conférence. Il tenait à inviter pour la séance de l'après-midi MM. de Martens, Chipoff, Pokotiloff et Yermoloff. Les Plénipotentiaires du Japon ont répondu qu'ils n'avaient aucune objection à l'invitation des délégués susnommés à la Conférence et qu'ils se réservaient de profiter du même droit quand ils le trouveront nécessaire. Le Baron Komura a ajouté qu'il se proposait au préalable de soumettre à la Conférence quelques questions de principe qui devraient à son avis, être réglées par les Plénipotentiaires séance tenante. Ces questions concernaient:

1o Le mode d'évacuation de la Manchourie.

La 2o détermination du point de démarcation entre les lignes de chemins de fer respectifs en Manchourie.

3o La protection de la ligne du chemin de fer.

Concernant le premier point il avait été stipulé dans l'article II (Protocole No III) que l'évacuation de la Manchqurie se ferait conformément aux dispositions d'un article additionnel. En vue de cette stipulation le Baron Komura a proposé à la Conférence un plan spécial élaboré par le Gouvernement du Japon (Annexes Nos IV et V) et a prié les Plénipotentiaires de Russie d'examiner ce plan et de donner leur avis à ce sujet ou bien de suggérer quelque autre projet.

M. Witte a répondu qu'il ne pouvait former de projets concernant l'évacuation, que c'était une question spéciale, qui dépendait en grande partie de la capacité de transport du chemin de fer et des conditions locales et qu'il ne pouvait ici que tracer les bases principales d'un arrangement. Ces bases peuvent être formulées comme suit. 1o l'éva

cuation doit se produire de manière à ce que la quantité de troupes japonaises et russes qui restent en Manchourie à chaque époque, soit à peu près égale; 2. les troupes doivent être retirées d'abord des positions frontales; 3. ces principes doivent servir de base à une convention concernant le mode et les périodes d'évacuation qui doit être conclue par les Commandants en chef.

Le Baron Komura a dit qu'il n'avait aucune objection à ne mentionner dans le traité que les principales bases de l'arrangement en question, et a demandé de proposer un projet, à quoi M. Witte a acquiescé.

La seconde question soulevée par le Baron Komura était celle du point de démarcation entre les lignes du chemin de fer respectives, dont il s'agit dans l'article VII. Cette question avait été ajournée jusqu'à la réception d'informations précises sur l'existence d'un embranchement de chemin de fer entre Kouen-Tchen-Tsy et Girin (Protocole N° V). La réponse ayant été reçue et portant que l'embranchement en question n'existait pas encore, les Plénipotenciaires de Russie ont consenti à déclarer que, vu cet état de choses, ils n'avaient pas d'objection à ce que les Japonais construisent un embranchement partant de Kouan-TchenTsy ou de toute autre station qui sera en leur posssssion jusqu'à Girin. Il a été décidé ensuite que la ville de Kouan-Tchen-Tsy servirait de point de démarcation entre les lignes respectives et que l'Article VII devrait être complété en conséquence.

La troisième question concernait la protection du chemin de fer manchourien. Dans une notice présentée à la Conférence (Annexes Nos VI et VII), les Plénipotentiaires du Japon ont proposé de conclure un arrangement spécial en forme de protocole annexé au traité de paix dans lequel il serait que les deux Gouvernements se réservaient le droit de maintenir des gardes du chemin de fer en nombre n'excèdant pas cinq hommes par kilomètre.

M. Witte a fait observer qu'il serait difficile à présent de déterminer le nombre des gardes nécessaires; ce nombre devrait être plus considérable au début, tant que l'on n'est pas sûr de l'attitude de la population chinoise, il pourrait être diminué ensuite à mesure que l'ordre normal s'établirait en Manchourie. Il serait donc plus pratique de dire que les deux Gouvernements se réservaient le droit de maintenir en Manchourie des gardes de chemin de fer dont le nombre sera fixé de commun accord en conformité de l'extension de la voie.

Le Baron Komura était du même avis en principe, mais il estimait nécessaire de faire un arrangement définitif à ce sujet.

Vu la phase dans laquelle les négociations venaient d'entrer, M. Witte a émis l'avis qu'il serait opportun de prendre des mesures afin de faire cesser immédiatement les hostilités. Il a proposé de télégraphier aux Gouvernements respectifs en les priant de donner les ordres nécessaires aux Commandants en chef pour les autoriser à déclarer une suspension d'armes et à s'entendre pour établir un armistice.

Le Baron Komura a dit qu'il demanderait par télégraphe des instructions de son Gouvernement à ce sujet et que jusqu'à la réception d'une réponse il ne pouvait donner d'avis d'une manière précise.

La séance a été levée à midi et demi.

La séance est réouverte à 3 heures.

Etaient présents outre les personnes mentionnées en tête du Protocole MM. de Martens, Chipoff, Pokotiloff et Yermoloff.

Le Baron Komura a attiré l'attention de la Conférence sur l'opportunité de régler les questions ci-dessous et a présenté pour chacune de ces questions une notice en langue anglaise avec traduction française:

1. Echange des prisonniers de guerre (Annexe Nos VIII et IX).

2. Relations de commerce entre les deux Puissances (Annexes Nos X et XI).

3. Arrangement pour les services de raccordement des chemins de fer japonais et russes en Manchourie (Annexe Nos XII et XIII).

4. Echange des ratifications du Traité de Paix (Annexos Nos XIV et XV).

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Avant d'aborder ces questions, les Plénipotentiaires ont échangé des vues sur la forme et la substance du Traité de Paix qui allait être conclu. Il a été décidé, afin de terminer cette œuvre dans le plus bref délai, 1. que le traité serait non pas préliminaire, mais définitif, 2.qu'il contiendrait toutes les dispositions nécessaires qui pourront être réglées à cette Conférence, et en laissant seulement les questions de detail ou ayant un caractère local, ne permettant pas un règlement immédiat, aux soins de Commissions spéciales qui auraient à se conformer dans leur travail aux principes arrêtés dans le Traité de Paix.

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Procédant à l'examen de la première question soulevée par le Baron Komura sur l'échange des prisonniers de guerre (Annexes Nos VIII) et IX) M. Witte a fait observer que, sauf la rédaction française, il n'avait pas d'objection en principe au texte de l'article proposé à ce sujet par les Plénipotentiaires du Japon, mais comme il pourrait se faire que calcul des dépenses réelles et directes effectuées par le Japon, la composition des comptes ainsi que l'examen éventuel par les autorités russes de ces documents exigent un certain laps de temps, il pense qu'il serait imposible de fixer dans l'article même la date exacte à laquelle devraient être payés les comptes des dépenses. M. Witte a ajouté qu'aussitôt que ces travaux seraient terminés, le Gouvernement Russe procéderait au versement de la somme établie, dans un délai de quelques jours. Le Baron Komura consentant à dire dans l'article que ces comptes << seront payés dans le plus bref délai », cette rédaction a été adoptée par la Conférence.

Concernant la deuxième question relative à l'établissement des relations de commerce entre les deux Puissances (Annexes Nos X et XI), les Plénipotentiaires du Japon ont exprimé dans leur notice que les traités de commerce entre le Japon et la Russie ayant été annulés par la guerre, il serait nécessaire d'insérer dans le Traité de Paix un article spécial stipulant que les Puissances adopteront comme base de leurs relations commerciales jusqu'à la conclusion d'un nouveau traité le système du traitement réciproque sur le pied de la nation la plus favorisée.

M. Witte a fait remarquer qu'il croyait que la guerre une fois terminée, tous les traités et conventions qui étaient en vigueur avant la guerre

reprenaient leur force, la guerre suspendant seulement leur force exécutoire, mais qu'il voudrait s'assurer de l'opinion de M. de Martens. M. de Martens à expliqué qu'il est d'usage d'insérer dans le traité de paix un article spécial portant que les traités qui existaient avant la guerre rentreraient de nouveau en vigueur.

Le Baron Komura a fait observer que l'usage même d'insérer un tel article prouve qu'on ne considérait pas comme un principe du droit international la remise en vigueur des traités par le fait même de la conclusion de la paix. Il prouverait au contraire le principe de l'annulation et non pas de la suspension de la force des traités par le fait de la guerre. Dans le cas présent, il y aurait deux moyens; soit faire revivre par un article spécial le traité qui était en vigueur avant la guerre, soit conclure un nouveau traité. Mais, estimant qu'il était plus avantageux pour les relations commerciales entre les deux pays de conclure un nouveau traité, il proposait de stipuler dans le Traité de Paix que, jusqu'à la conclusion d'un nouveau traité les deux Puissances adopteront la règle ci-dessus indiquée.

M. Witte a répondu qu'il avait aucune objection à l'élaboration d'un nouveau traité, au lieu de faire revivre l'ancien, mais qu'au point de vue pratique il serait préférable pour les deux Parties de dire simplement que les traités qui existaient avant la guerre entreront de Rouveau en vigueur et continueront à être exécutoires jusqu'à la conclusion d'un nouveau traité.

Le Baron Komura a dit qu'il était préférable de conclure un nouveau traité, en stipulant le traitement des relations commerciales jusqu'à cette conclusion suivant la manière proposée par lui, parce qu'il y avait quelques détails dans l'ancien trailé, qui ne pourraient peut-être pas être remis en vigueur au point de vue des intérêts commerciaux des deux pays. Il a ajouté qu'un nouveau traité à conclure ne diffèrerait pas seusiblement, en principe, de l'ancien traité et que telle était d'ailleurs l'intention du Gouvernement Japonais. M. Witte a répondu qu'il consentirait à la proposition du Baron Komura, mais qu'il croyait nécessaire qu'on dit clairement dans l'article que le nouveau traité à conclure aura somme base l'ancien Traité de 1895. Le Baron Komura ayant consenti à l'insertion de cette pensée dans l'article, la question a été réglée.

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M. Witte a cependant fait remarquer que le dernier passage de l'article proposé, sur la nomination d'un consul à Vladivostock devrait être traité à part et ne pas figurer dans le traité de Paix. Il a ajouté que le consentement à cette proposition serait une concession unilatérale de la part de la Russie, et que par conséquent, pour y consentir, il lui faudrait probablement demander la nomination de consuls russes dans un port analogue japonais. Le Baron Komura a fait remarquer que cette question avait été l'objet de discussions prolongées entre les deux Puissances antérieurement à la guerre et que par conséquent il voulait la résoudre à cette occasion, mais qu'il n'avait aucune objection à ce qu'elle fût renvoyée à l'époque de la négociation du traité de commerce, Les Plénipotentiaires ont décidé d'adopter cet avis.

Concernant la troisième question, sur l'arrangement des services de raccordement des chemins de fer japonais et russes en Manchourie (Annexes No XII et XIII) les Plénipotentiaires de Russie ont accepté le projet d'article proposé par les Plénipotentiaires du Japon.

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