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synthèse. Or la forêt est une chose éminemment synthétique. Est-ce à dire qu'il ne serait pas agréable aux forestiers d'avoir eu le temps d'apprendre à fond la botanique alors même que cela ne leur serait pas indispensable? Non, assurément. Il serait préférable « pour la figure à faire dans le monde » que les agents pussent nommer chaque herbe des bois la connaissance du nom latin de toutes les plantes ne nuirait pas aux forestiers dans la considération publique, c'est certain. Mais si l'on entre dans cette voie, les géologues vont dire que les forestiers doivent connaître aussi à fond la géologie et la minéralogie, etc., car enfin toutes les sciences seraient utiles au forestier, on ne peut le nier. Mais alors combien d'années d'études faudra-t-il? Le reproche le plus sérieux que l'on ait fait aux projets de M. Marcel Taillis, c'est d'allonger les études de deux ans. Si l'on a trouvé que quatre ans ce serait trop pour former un forestier (alors qu'on reste quatre ans à l'Ecole vétérinaire!), quels cris ne poussera-t-on pas en apprenant que les études dureront dix ans ! Et dix ans, sera-ce suffisant?

Le forestier, dit-on, ne se plaît pas en forêt parce que la botanique lui cache ses mystères. Si ce raisonnement est exact, comment expliquer que les vieux forestiers, encore plus ignorants que nous, aillent plus souvent dans les bois? Soyons logique.

Dans l'impossibilité où l'on est d'avoir des agents savants en botanique, savants en géologie, savants en droit, savants en l'art de l'ingénieur, à 2,000 francs d'appointement, soyons heureux que pour ce prix modeste, et discuté encore, le gouvernement trouve pour gérer ses bois un personnel aussi éclairé, aussi dévoué, aussi instruit, aussi viril que le personnel forestier.

<< Parmi les auteurs, dit M. Reini, qui ont déterminé et décrit les diverses espèces et variétés d'arbres, on est étonné de ne trouver aucun forestier..... Ne devrait-il pas se trouver dans le corps forestier quelques naturalistes en

renom occupant les premiers rangs dans le monde scientifique. »

Voilà deux reproches bien sévères, et bien injustes. Pour occuper le premier rang dans le monde scientifique, il faut toute une vie de travail consacrée à une spécialité, il faut des loisirs, il faut des moyens pécuniaires d'étude. Le forestier a-t-il tout cela à lui? Il n'a rien. Que dirait-on d'un gérant de domaine agricole qui, pour atteindre le premier rang dans le monde scientifique, délaisserait la ferme pour pâlir sur son microscope.

Il est vraiment admirable que dans la situation qui leur est faite, il se soit trouvé parmi les forestiers des hommes capables de mener de front leur carrière et l'étude d'une science spéciale: s'ils n'occupent pas le premier rang dans les sciences, parce que tout le monde ne le peut, et qu'ils ont toujours péché par excès de modestie, est-il donc vrai qu'on n'ait pas trouvé d'agents forestiers pour décrire les arbres et étudier les sciences naturelles en général?

Eh quoi! ce n'est donc pas un forestier que M. Mathieu, l'auteur de la Flore forestière, ce précieux monument de la botanique française y a-t-il un livre analogue, dépassant cette flore descriptive des essences arborescentes et ligneuses? Les élèves des trente promotions que M. Mathieu a charmés de son enseignement si clair, si méthodique ne ratifieront pas cet injuste.oubli. Eh! quoi ce ne sont donc pas des forestiers que M. Dubois, l'auteur de la magnifique monographie du Chêne du Blaisois, M. Renou, l'écrivain du Cèdre, et M. Gand, et M. Maire, et M. Bert, et M. Rousset (Écorces à tan), et M. Guinier qui, ce mois même, a publié une brochure sur des faits de végétation! Ce n'est donc pas un forestier que le savant mycologue d'Arbois de Jubainville, et tant d'autres que j'oublie : sans parler de ceux qui se sont fait un nom dans les autres sciences naturelles, comme M. Garnier et M. Fabre.

Il est inutile d'insister; cette nomenclature sèche et brève suffit à montrer que M. Reini est sévère pour ses camarades.

Au surplus, le corps forestier n'a pas besoin que je le défende à ce point de vue. On a pu lui reprocher sa fierté, les envieux lui reprochent son aristocratie, sa bonne éducation qu'on confond avec une couleur politique, mais l'estime générale dont il jouit le place, malgré sa modestie, à un très haut rang.

PAUL SYLVE.

LES ARBRES DYNASTIQUES.

Dans le numéro de la Forêt du 6 août 1885, M. Chartal consacrait un article aux arbres plantés en commémoration du mariage de Napoléon Ier avec Marie-Louise et de la naissance du roi de Rome, et demandait ce que sont devenus ces arbres dynastiques.

Au moment même où paraissait cet article, nous écrit M. Guinier, M. Mathieu, bibliothécaire de la ville de Gap, retrouvait à la bibliothèque le procès-verbal de la plantation d'arbres dynastiques dans la forêt de Boscodon par l'inspecteur Gontard. Cette pièce a été très obligeamment communiquée par M. Mathieu à l'abbé Guillaume, secrétaire de la Société d'études des Hautes-Alpes. Nous en empruntons le texte au bulletin de cette société.

A LA GLOIRE DE NAPOLÉON LE GRAND

Nous, Laurent-Balthazard GONTARD, inspecteur des eaux et forêts du département des Hautes-Alpes, voulant célébrer, autant qu'il est en notre pouvoir, l'heureux événement du mariage de S. M. impériale et royale Napoléon le Grand, et partager le zèle de nos camarades que nous a fait connoître Monsieur le Conseiller d'Etat, Directeur général des eaux et forêts, par sa circulaire du 4 juin dernier, avons résolu d'exécuter une plantation d'arbres de telle espèce qu'ils puissent rappeler, dans plusieurs siècles, les vertus et les hauts faits du monarque chéri qui ramena le bonheur et la

paix au sein de notre patrie, et qui, par son alliance avec la plus illustre des princesses de l'Empire, affermit à jamais l'édifice de prospérité qu'il avoit déjà élevé à la plus grande comme à la plus reconnoissante des nations. Pour donner à ce projet l'exécution convenable nous avons choisi la forêt impériale la plus accessible et la plus à portée d'une ville, ainsi que de plusieurs grandes communes de ce département; celle de Boscodon, que l'on voit aisément de la grande route d'Espagne en Italie, nous a paru réunir ces divers avantages locaux, et le plateau La Faurie, situé directement en face de la grande route et à environ deux cents. mètres d'élévation au-dessus de son niveau, être l'endroit le plus convenable pour laisser appercevoir les arbres plantés. La ville d'Embrun n'est qu'à huit kilomètres de ce local, la commune des Crottes, à cinq, et celle de Savines, chef-lieu de canton, à six. Après avoir préalablement examiné quelle forme le terrein permettoit de donner à cette plantation, nous avons arrêté qu'elle seroit circulaire avec une avenue pour y parvenir; qu'au milieu d'un cercle, de soixante mètres environ de circonférence, seroient placés deux chênes, consacrés l'un à S. M. l'Empereur Vapoléone, l'autre à S. M. l'impératrice Marie-Louise; que le rondeau seroit composé de dix arbres, dont trois chênes, trois ormes et quatre tilleuls, et l'avenue, de deux chênes et dix-huit tilleuls, dont neuf tilleuls et un chêne par chaque rang; tous les arbres devant être espacés de cinq mètres, au moins, les uns des autres, les deux du centre s'en trouveront à dix mètres environ de distance de tous les côtés; la largeur de l'avenue est de six mètres, sa longueur de cinquante. Quinze jours avant la plantation nous avons fait ouvrir les trous sur un mètre quarré en tous sens.

Le jour pris de concert avec M. Pellerin, sous-inspecteur de l'arrondissement, nous nous sommes transporté ensemble dans la forêt impériale de Boscodon, le mardi trente octobre mil huit cent dix, avec MM. Meissas, sous-préfet de l'arrondissement d'Embrun; Dongois, maire de la ville

d'Embrun, priés par nous d'honorer cette cérémonie de leur présence; accompagnés des sieurs Cousseau, garde-général de l'arrondissement de Briançon, Sanières, garde-général de celui de Gap, et Delaup, garde-général communal à Embrun.

A notre arrivée sur la limite de la forêt, une réunion de gardes impériaux et communaux, qui s'étoit formée par les soins du sous-inspecteur et sous les ordres d'André Rebattu, chef d'embrigadement, s'est trouvée sur ce point et a salué par une décharge de mousqueterie. De suite nous avons ordonné au sieur Cousseau, le plus ancien des généraux, de passer l'inspection des armes et de prendre le commandement de cette brigade jusqu'à la fin de la cérémonie; à quoi il a obtempéré. Nous avons aussitôt accédé le plateau de Clos La Faurie; y étant, il a été procédé de suite à la plantation des deux chênes du centre représentant l'union de LL. MM. II. RR. L'arbre Napoléon a été placé directement en face et en vue de la grande route; l'arbre MarieLouise, près de là, du côté de l'avenue. MM. Meissas, sous-préfet, Dongois, maire, et Gontard, inspecteur, se sont occupés de ce soin, bien cher à leurs cœurs, et ont couvert les racines de ces deux arbres avec la terre végétale, préparée à cet effet. Trois salves succesives de mousqueterie ont annoncé aux habitants des campagnes voisines le moment de cette intéressante cérémonie. Après quoi, l'inspecteur des forêts prenant la parole, a dit :

<< Messieurs,

« Quelle est touchante, combien elle émeut doucement « le cœur, la circonstance qui nous rassemble aujourd'hui. « Ce n'est point l'adulation qui commande ces hommages; << c'est le respect, c'est l'amour filial qui les inspire; c'est le « sentiment qui les rend. En effet, Messieurs, n'est-ce pas « une fête de famille ? N'est-ce pas un jour d'allégresse pour << tous les Français, que celui où leur souverain, leur père,

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