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tience du repos, dont il craignait les effets intérieurs : on remarqua dans ses réponses aux félicitations qu'on lui adressait de toute part, qu'il parlait moins de la paix continentale de la nécessité de pousser la

que

guerre maritime; plus la paix des mers, l'ouverture des ports et la renaissance du commerce étaient désirées par la nation, et plus il s'attachait à réveiller la haine et la jalousie contre la domination de la GrandeBretagne. A ces motifs politiques se joignait le ressentiment personnel, le dépit du conquérant de l'Égyptedont tous les efforts n'avaient pu y porter des secours capables de soutenir l'armée, et de conserver, au moins jusqu'à la paix générale, cette précieuse colonie vainement arrosée de flots de sang français,

On prêcha donc une espèce de croisade contre l'Angleterre; les orateurs du gouvernement, les autorités, les écrivains polémiques rivalisèrent de zèle, et toute la France retentit du vieil adage si souvent et si inutilement répété sur les deux rivages de la Manche, il faut détruire Carthage. L'ancien

projet d'une descente en Angleterre fut reproduit; cette éternelle menace n'était pas cette fois une simple démonstration: les difficultés excitaient l'audace de Bonaparte jusqu'à la témérité, elles aiguisaient son esprit; il ne fut jamais convaincu de l'impossibilité d'une telle expédition ; il conçut un vaste plan que nous aurons dans la suite occasion de développer: il en jeta seulement les bases dans l'intervalle entre la paix de Lunéville et la paix d'Amiens, et ne fit pour ainsi dire que des essais. Ils furent pourtant assez sérieux pour attirer l'attention du gouvernement anglais, et même pour l'embarrasser, à cause de l'attitude défensive qu'il fallut prendre dès l'ouverture de cette espèce de campagne d'observation des côtes respectives, et avant les attaques conduites par l'amiral Nelson, dont nous rendrons compte dans notre septième volume.

Tout ce qu'il restait de ressources à la marine fut mis en mouvement; on construisit avec activité, dans les grands arsenaux, et sur tous les chantiers; on en établit de

nouveaux; on fit divers essais de bâtimens légers, portant de l'artillerie du plus fort calibre. Divers camps furent formés sur les côtes de la Manche; le premier Consul y dìrigea principalement les corps de l'armée du Rhin qui avaient d'abord formé les garnisons des places, ou occupé des cantonnemens sur les frontières de l'est et du nord. La position de ces camps, barraqués à la vue des côtes d'Angleterre, la proximité de l'ennemi, les petits engagemens des bâtimens croiseurs, les travaux du génie et de l'artillerie pour mettre la côte dans un état formidable de défense, et protéger la navigation des flottilles, en hérissant le rivage de canons et de pièces à jet; tel fut le spectacle que Bonaparte offrit à ces braves déjà las du repos : il leur ouvrait une carrière de gloire pour eux toute nouvelle, en leur présentant d'autres hasards, d'autres dangers; il excitait leur courage, le retrempait par la discipline, et ranimait leurs espérances. Nous ne voulons montrer ici que le jeu du ressort politique : nous réservons à nos lecteurs une description

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plus détaillée de cette grande école de guerre: elle trouvera mieux sa place à l'époque où elle fixa l'attention de toute l'Europe, et influa sur ses destinées.

Malgré le peu d'importance de ces premiers préparatifs, le système de M. Pitt en fut ébranlé; sa persévérance à nourrir la guerre sur le continent avait amené le triomphe de la République ; ct le traité de Lunéville venait de consommer la ruine des alliés de la Grande-Bretagne, et le discrédit de sa politique. Seule maintenant dans la lice, il lui fallait concentrer ses forces, rappeler ses esca dres, et employer à sa propre défense, ne fût-ce que pour rassurer le commerce toujours. si prompt à s'alarmer, les forces qu'elle avait à son gré disséminées. Jamais depuis le com mencement de la guerre, le parti de l'opposi tion n'avait eu tant d'avantage; il demandait compte à l'habile ministre, dont la fortune avait trahi l'imperturbable constance, de l'or et du sang anglais prodigués pour arriver à de tels résultats.

Cependant Bonaparte, le plus terrible en

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nemi qu'ait jamais eu l'Angleterre, et qui menaça son existence jusqu'au jour où seul il détruisit lui-même la sienne, ne se bornait pas à la menace d'une invasion. Pendant que tout s'agitait pour cette téméraire entreprise, depuis les bouches de l'Escaut jusqu'à celles de la Gironde, il se préparait à rompre d'un seal coup les liens de la Grande-Bretagne avec le Portugal, pour mettre cette dernière puissance dans sa dépendance, et fermer l'entrée du Tage aux maîtres de la mer. Il dé cidait enfin l'Espagne, malgré sa répugnance, à déclarer la guerre à la cour de Lisbonne. Une réserve de trente mille hommes se ras semblait à Bordeaux : cette réserve était presque toute entière composée de troupes qui venaient d'Italie et qui, en descendant les Alpes, recevaient l'ordre de se diriger vers les Pyrénées. Là, comme vers le nord de la France, les soldats n'avaient point à déposer leurs armes; et leur humeur belliqueuse, soigneusement entretenue, n'avait pas à redouter les loisirs de la paix.

On voit que la continuation de la

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guerre

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