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ce district, où Kissengué les avait envoyés vendre des esclaves, et ils cherchaient à en profiter pour obtenir des présents, soit pour leur chef, soit pour eux-mêmes. Ils auraient pu créer aux voyageurs de grandes difficultés, mais se contentèrent de modestes cadeaux. Beaucoup mieux disposé, le chef de Hongolo offrit de les faire conduire jusqu'au Cassaï, pour trois tonnelets de poudre et quelques pièces de calicot. Ils engagèrent un neveu de ce chef, Camba N'Guchi, qui avait été retenu prisonnier chez les Tuchilangués, à l'époque du voyage de Schütt, et qui les accompagna, avec une escorte de 30 Quiocos armés, jusqu'à Muquengué. A dix journées de marche au nord de Hongolo, le chef Kitari leur refusa le passage à travers son pays, et menaça de les attaquer; mais les voyageurs lui ayant fait dire qu'ils accepteraient la guerre s'il leur suscitait des difficultés, il parlementa et les laissa passer moyennant l'abandon de cinq pièces de calicot. Le lendemain il leur apporta lui-même les présents ordinaires en vivres, et leur dit, qu'ayant le désir d'aller chez les Tuchilangués, il cheminerait avec eux. Quoiqu'ils s'attendissent à des désagréments plus graves de la part du chef Kahoungoulo, ils purent passer par son territoire sans être arrêtés. Seulement une chéfesse, Gina Bansa, vassale de Kahoungoulo, dont ils traversèrent le village, leur envoya un message conçu en ces termes : « Vous croyez que mon pouvoir est faible, et c'est pour cela que vous passez par mon pays, puisque l'autre blanc, (Schütt) a été obligé de rebrousser chemin près de Maï; mais vous vous trompez, ma puissance est aussi grande que celle de Mai; toutefois si vous payez bien, je vous laisserai passer. » En effet quelques cadeaux levèrent les difficultés.

Après 44 jours de marche, ils atteignirent le Cassaï, le 2 octobre, près de Kikessa, dans le Pendé, à une journée au nord de Maï, et déjà le lendemain ils passèrent, dans huit canots, le fleuve qui en cet endroit est très profond et a une largeur de 300 à 350 m. Arrivés sur l'autre bord, ils rencontrèrent le marchand Silva Porto, qui se rendait de Bihé à Cabau; là ils reçurent la visite d'un chef Tuchilangué, Kinguengué, qui trafiquait avec une caravane de Quiocos, et les pria instamment de ne pas aller chez Muquengué, son voisin, naguère encore son suzerain, mais de se rendre chez lui, disant qu'il les conduirait sans délai au lac Moucamba. Kinguengué leur faisant une bonne impression, il fut convenu que M. Wissmann irait avec lui, tandis que le D' Pogge se rendrait chez Muquengué. Les deux explorateurs se séparèrent donc; Wissmann, accompagné d'une petite escorte, prit avec Kinguengué une route méridionale, tandis que le D' Pogge se dirigea vers le Nord, et arriva chez Muquengué le 30 octobre.

Ce chef bienveillant le reçut avec une grande joie, et dès le premier jour lui dit avoir appris que son vassal rebelle, Kinguengué, avait offert de le conduire au lac, mais que c'était à lui, le plus âgé, le plus puissant et le chef légitime, qu'appartenait le pays, et qu'il le conduirait lui-même au Moucamba, et partout où il voudrait, quand cela leur ferait plaisir. Aussi fut-il de suite convenu qu'il l'accompagnerait d'abord au lac, puis, de là, jusqu'au Loualaba.

L'intention du D' Pogge était en effet d'explorer, jusqu'à l'extrémité septentrionale, le lac Moucamba, qui est à 10 journées de marche de Muquengué, et de gagner ensuite Nyangoué. D'après les renseignements qu'il obtint, la route, à partir du lac, conduit en 6 jours chez le chef de la tribu des Mobondés, Kachéché; de là il faut deux jours pour atteindre la rivière Loubilache, et deux autres jours encore pour arriver à la résidence du grand chef Mobondi, Foumo-Kole. Ses informations ne portaient pas plus loin.

Muquengué est situé à peu près sous le 6° lat. S., entre 20° et 20°30' long. E. de Paris; Kinguengué doit être environ sous le 6°10' lat. S., à une dizaine de kilom. au S. E. de Muquengué. Cette dernière localité paraît au Dr Pogge préférable à Moussoumbé pour l'établissement d'une station. Le voyageur n'y est gêné en aucune manière dans ses desseins. Le chef, aussi bien que ses sujets, s'ingénie pour témoigner son amitié à l'hôte étranger. D'après la loi du pays, tout sujet de Muquengué doit fournir des vivres gratis à l'étranger. Sans doute, cette ordonnance n'est pas suivie très strictement, mais pendant le séjour du D' Pogge, il a toujours obtenu à très bas prix les vivres nécessaires. Les Tuchilangués lui ont en outre paru d'habiles agriculteurs; partout se rencontrent de vastes champs de manioc, de maïs, de fèves, etc.; ils cultivent aussi un peu de tabac, et beaucoup de chanvre, dont ils sont fumeurs passionnés. Leur pays est une plaine ondulée entre le Cassaï et le Louloua, partout fertile et richement arrosée. En certains endroits, les rivières ont tellement raviné le plateau, qu'elles lui ont donné l'apparence d'un pays montagneux. Du Cassaï jusqu'à moitié chemin de Muquengué règne la forêt vierge, entourant des clairières couvertes d'une herbe basse, et où les indigènes établissent leurs villages et leurs plantations; ils se servent de feuilles de palmier pour couvrir leurs habitations. La faune est pauvre; la végétation forestière, en revanche, est beaucoup plus riche qu'à la côte ou dans le Lounda; les arbres fruitiers abondent; il y a entre autres quatre espèces de palmiers, qui croissent sauvages dans les forêts, mais que l'on rencontre aussi dans les

plantations; toutes les quatre fournissent du vin. Les Tuchilangués emploient les fibres des jeunes feuilles de l'une des espèces à tisser de belles étoffes. Le climat de Muquengué est plus chaud que celui de Moussoumbé, et salubre. Pendant un mois que le Dr Pogge y a résidé, quoique l'espace dans lequel il demeurait, avec 100 personnes au moins, fût très restreint, il ne s'est pas produit un seul cas de maladie. Les deux articles de commerce, offerts à bas prix par les Tuchilangués, sont les esclaves et le caoutchouc; les esclaves sont essentiellement des femmes; d'ailleurs la femme n'est à proprement parler que l'esclave de son mari. Le caoutchouc est très abondant et peu cher; on peut en acheter 2 à 3 kilog. pour 3 dés à coudre pleins de poudre. Le prix ordinaire d'une esclave adulte est d'une pièce de calicot, ou 2 kilog. de poudre, ou un mousquet. L'ivoire est rare; le grand marché en est à Cabau, à 8 jours de marche au N. N. O. de Muquengué, sur le Louloua.

Le D' Pogge n'a pu obtenir des renseignements positifs sur les limites du territoire des Tuchilangués. Muquengué prétend que son royaume s'étend vers l'est jusqu'au lac, et qu'au delà commence celui des Toukettés. Dans le pays des Tuchilangués se trouvent beaucoup de grands chefs indépendants, comme Muquengué, Kinguengué, etc., dont les chefs plus petits sont tributaires, comme dans le Lounda. Chaque village, ou plusieurs villages ensemble, forment une famille, les habitants se considérant en quelque sorte comme parents, et sympathisant aux joies et aux peines les uns des autres. Quand on arrive dans une localité, par exemple à Muquengué, et qu'on en demande le nom, on reçoit pour réponse : « ce sont les gens de Katchia,» ou « ils appartiennent aux Katchias, ou à la famille des Katchias. » La ville peut avoir 1000 habitants, qui demeurent dans des huttes petites, carrées, rappelant les constructions européennes. Elle est située entre les sources de deux petites rivières, qui vont se verser au nord dans le Louloua, et fournissent une bonne eau potable, fraîche. La seule chose qui manquerait à une station établie à Muquengué serait une voie fluviale, qui permit d'explorer en bateau la région septentrionale encore inconnue. Près de Mouloumba, où le Dr Pogge a exploré le Louloua, cette rivière a de 250 m. à 300 m. de large, mais ne paraît pas être très profonde, et, en aval comme en amont de cette localité, il y a des rapides. Un peu au nord de Mouloumba la rivière décrit un grand arc vers le N. O. Le D' Pogge a dû partir de Muquengué le 29 novembre. Il aurait voulu se mettre en route le 28, mais le chef lui demanda un jour de délai pour achever la construction d'une hutte fétiche, dans laquelle

devait être suspendue une chaîne de laiton, présent du docteur, et où il voulait déposer une boîte à musique que l'explorateur devait lui donner comme récompense, dans le cas où le voyage projeté au Loualaba réussirait. Le chef avait le plus grand respect pour cette boîte. Un des interprètes lui ayant persuadé que les sons de l'instrument étaient la voix du Fidi Moucoulo, le dieu des Tuchilangués, il écoutait avec dévotion le bruit que faisait cette pièce. Le docteur l'ayant fait jouer un jour devant lui, et l'huile manquant dans les rouages, les sons devinrent de plus en plus lents; le couvercle en fut levé à la grande stupéfaction de Muquengué qui, s'adressant à la multitude serrée autour de lui, lui dit que l'instrument ne jouait pas comme à l'ordinaire à cause du bruit que l'on faisait, la voix du Fidi Moucoulo voulant être respectée.

Le chef comptait prendre avec lui pour le voyage ses femmes, au nombre de 40 à 50; mais le Dr Pogge lui fit dire qu'il ne voyageait pas avec des femmes, qu'il l'autorisait cependant à en prendre quatre au plus, et qu'en outre sa suite ne devait pas dépasser 40 à 50 hommes; à quoi Muquengué répondit qu'il pouvait avoir, jusqu'au lac, une escorte plus nombreuse, l'entretien ne lui coûtant rien; il s'engagea à en renvoyer la plus grande partie. Le 27 novembre il donna une grande fête d'adieux, et fit distribuer sur la place du marché, où avaient lieu des danses, de la bière en abondance; les porteurs du Dr Pogge n'en reçurent pas moins de 15 grandes calebasses, aussi étaient-ils très gais; tout le camp retentissait de leurs chants. La fête devait durer encore le lendemain; le docteur avait dû prêter à Muquengué un bélier, qu'il avait fait acheter par ses gens au delà du Louloua, et dont le chef voulait manger publiquement afin de pouvoir, lui et ses gens, manger, pendant le voyage, de la chair d'animaux domestiques. Les relations des Tuchilangués avec les Quiocos et les Bangalas leur ont fait perdre une partie de leurs habitudes traditionnelles; par exemple la nouvelle génération ne se tatoue presque plus, tandis que les vieillards ont, à peu près tous, le corps orné de très beaux dessins.

Le D' Pogge devait passer, le 29 novembre 1881, le Louloua au S. E. de Muquengué, et rejoindre à Carimba M. Wissmann, avec lequel il espérait pouvoir atteindre le Moucamba, puis Nyangoué. Si ce plan a réussi, ils doivent avoir déjà quitté cette localité, M. Wissmann, pour se diriger vers l'est et établir une communication avec les stations du Tanganyika, et de la région comprise entre ce lac et Zanzibar, le Dr Pogge, pour revenir à Muquengué. Il comptait que, si tout allait bien, le voyage de Nyangoué et retour lui prendrait six mois, et qu'il pourrait passer

encore six autres mois à Muquengué avant de se remettre en route pour l'Occident, à moins qu'une caravane de Malangé ne lui apportât des marchandises; dans ce cas il pourrait attendre à Muquengué qu'une nouvelle expédition allemande vînt l'y rejoindre.

CORRESPONDANCE

Nous avons reçu, le 1er octobre, de M. Juan-Maria Schuver, la lettre suivante : Ghébel Kouba (à trois journées à l'est de Famaka,

Monsieur,

à une journée au nord du Nil Bleu), 8 juin 1882.

J'ai répondu à votre bonne lettre que j'ai reçue, mi-avril, à Famaka, en vousenvoyant une description de mon voyage, de janvier à mars, dans les pays des nègres Amans et Ghomas, au sud-ouest de Fadasi. J'ai aussi demandé à M. le Rédacteur des Mittheilungen de Gotha, de vous faire parvenir une copie de ma carte du pays situé entre Beni-Shangol et le lac Baro. Je crains que lettres et carte n'aient été détruites par les bandes d'Arabes insurgés qui ont coupé la voie Famaka-Khartoum 1. Nous avons appris qu'ils ont pillé un de nos courriers venant de Khartoum.

Depuis 40 jours que je suis de nouveau sorti de Famaka, j'ai exploré la frontière voisine, indécise et disputée, suivi le Nil Bleu sur un degré de longitude de cours inconnu; visité la tribu singulière des Sienetyo, d'origine ancienne, au teint jaune, habitant des crêtes de montagnes abruptes, et possédant une manière de se vêtir, des coutumes et une langue qui diffèrent complètement de celles des Gallas et des Abyssins; exploré la rivière Bolassa (nom abyssin; les indigènes et les Arabes l'appellent la Quisin), qui prend sa source à l'est et non au nord. Aujourd'hui je reviens d'une excursion au mont Kienien, en Abyssinie, habité par des Shangallas mêlés de quelques Abyssins, et situé à 70 kilomètres à l'est de ce lieu-ci. J'ai eu assez de peine à échapper aux soldats abyssins qui, me prenant pour un espion turc, voulaient m'emmener dans le Godjam chez Ras Adal. Demain je pars pour Abou Ramlé, à deux journées au nord de ce point-ci. Le cheik de la localité m'a adressé une invitation assez polie, et j'espère pouvoir explorer à peu près toutes les montagnes de cette région inconnue, avant de retourner à Famaka.

Ignorant si la route de Famaka à Khartoum est déjà libre, je me borne pour

'Nous nous sommes empressés de demander à M. le Dr Behm, rédacteur des Mittheilungen de Gotha, s'il avait reçu la carte et le rapport mentionnés dans cette lettre et qui ne nous sont point parvenus. Malheureusement ces documents ne sont pas non plus arrivés à Gotha.

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