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plantations; toutes les quatre fournissent du vin. Les Tuchilangués emploient les fibres des jeunes feuilles de l'une des espèces à tisser de belles étoffes. Le climat de Muquengué est plus chaud que celui de Moussoumbé, et salubre. Pendant un mois que le Dr Pogge y a résidé, quoique l'espace dans lequel il demeurait, avec 100 personnes au moins, fût très restreint, il ne s'est pas produit un seul cas de maladie. Les deux articles de commerce, offerts à bas prix par les Tuchilangués, sont les esclaves et le caoutchouc; les esclaves sont essentiellement des femmes; d'ailleurs la femme n'est à proprement parler que l'esclave de son mari. Le caoutchouc est très abondant et peu cher; on peut en acheter 2 à 3 kilog. pour 3 dés à coudre pleins de poudre. Le prix ordinaire d'une esclave adulte est d'une pièce de calicot, ou 2 kilog. de poudre, ou un mousquet. L'ivoire est rare; le grand marché en est à Cabau, à 8 jours de marche au N. N. O. de Muquengué, sur le Louloua.

Le D' Pogge n'a pu obtenir des renseignements positifs sur les limites du territoire des Tuchilangués. Muquengué prétend que son royaume s'étend vers l'est jusqu'au lac, et qu'au delà commence celui des Toukettés. Dans le pays des Tuchilangués se trouvent beaucoup de grands chefs indépendants, comme Muquengué, Kinguengué, etc., dont les chefs plus petits sont tributaires, comme dans le Lounda. Chaque village, ou plusieurs villages ensemble, forment une famille, les habitants se considérant en quelque sorte comme parents, et sympathisant aux joies et aux peines les uns des autres. Quand on arrive dans une localité, par exemple à Muquengué, et qu'on en demande le nom, on reçoit pour réponse : « ce sont les gens de Katchia, »> ou « ils appartiennent aux Katchias, ou à la famille des Katchias. » La ville peut avoir 1000 habitants, qui demeurent dans des huttes petites, carrées, rappelant les constructions européennes. Elle est située entre les sources de deux petites rivières, qui vont se verser au nord dans le Louloua, et fournissent une bonne eau potable, fraîche. La seule chose qui manquerait à une station établie à Muquengué serait une voie fluviale, qui permit d'explorer en bateau la région septentrionale encore inconnue. Près de Mouloumba, où le D' Pogge a exploré le Louloua, cette rivière a de 250 m. à 300 m. de large, mais ne paraît pas être très profonde, et, en aval comme en amont de cette localité, il y a des rapides. Un peu au nord de Mouloumba la rivière décrit un grand arc vers le N. O. Le D' Pogge a dû partir de Muquengué le 29 novembre. Il aurait voulu se mettre en route le 28, mais le chef lui demanda un jour de délai pour achever la construction d'une hutte fétiche, dans laquelle

devait être suspendue une chaîne de laiton, présent du docteur, et où il voulait déposer une boîte à musique que l'explorateur devait lui donner comme récompense, dans le cas où le voyage projeté au Loualaba réussirait. Le chef avait le plus grand respect pour cette boîte. Un des interprètes lui ayant persuadé que les sons de l'instrument étaient la voix du Fidi Moucoulo, le dieu des Tuchilangués, il écoutait avec dévotion le bruit que faisait cette pièce. Le docteur l'ayant fait jouer un jour devant lui, et l'huile manquant dans les rouages, les sons devinrent de plus en plus lents; le couvercle en fut levé à la grande stupéfaction de Muquengué qui, s'adressant à la multitude serrée autour de lui, lui dit que l'instrument ne jouait pas comme à l'ordinaire à cause du bruit que l'on faisait, la voix du Fidi Moucoulo voulant être respectée.

Le chef comptait prendre avec lui pour le voyage ses femmes, au nombre de 40 à 50; mais le Dr Pogge lui fit dire qu'il ne voyageait pas avec des femmes, qu'il l'autorisait cependant à en prendre quatre au plus, et qu'en outre sa suite ne devait pas dépasser 40 à 50 hommes; à quoi Muquengué répondit qu'il pouvait avoir, jusqu'au lac, une escorte plus nombreuse, l'entretien ne lui coûtant rien; il s'engagea à en renvoyer la plus grande partie. Le 27 novembre il donna une grande fête d'adieux, et fit distribuer sur la place du marché, où avaient lieu des danses, de la bière en abondance; les porteurs du Dr Pogge n'en reçurent pas moins de 15 grandes calebasses, aussi étaient-ils très gais; tout le camp retentissait de leurs chants. La fête devait durer encore le lendemain; le docteur avait dû prêter à Muquengué un bélier, qu'il avait fait acheter par ses gens au delà du Louloua, et dont le chef voulait manger publiquement afin de pouvoir, lui et ses gens, manger, pendant le voyage, de la chair d'animaux domestiques. Les relations des Tuchilangués avec les Quiocos et les Bangalas leur ont fait perdre une partie de leurs habitudes traditionnelles; par exemple la nouvelle génération ne se tatoue presque plus, tandis que les vieillards ont, à peu près tous, le corps orné de très beaux dessins.

Le D' Pogge devait passer, le 29 novembre 1881, le Louloua au S. E. de Muquengué, et rejoindre à Carimba M. Wissmann, avec lequel il espérait pouvoir atteindre le Moucamba, puis Nyangoué. Si ce plan a réussi, ils doivent avoir déjà quitté cette localité, M. Wissmann, pour se diriger vers l'est et établir une communication avec les stations du Tanganyika, et de la région comprise entre ce lac et Zanzibar, le Dr Pogge, pour revenir à Muquengué. Il comptait que, si tout allait bien, le voyage de Nyangoué et retour lui prendrait six mois, et qu'il pourrait passer

encore six autres mois à Muquengué avant de se remettre en route pour l'Occident, à moins qu'une caravane de Malangé ne lui apportât des marchandises; dans ce cas il pourrait attendre à Muquengué qu'une nouvelle expédition allemande vînt l'y rejoindre.

CORRESPONDANCE

Nous avons reçu, le 1er octobre, de M. Juan-Maria Schuver, la lettre suivante : Ghébel Kouba (à trois journées à l'est de Famaka,

Monsieur,

à une journée au nord du Nil Bleu), 8 juin 1882.

J'ai répondu à votre bonne lettre que j'ai reçue, mi-avril, à Famaka, en vousenvoyant une description de mon voyage, de janvier à mars, dans les pays des nègres Amans et Ghomas, au sud-ouest de Fadasi. J'ai aussi demandé à M. le Rédacteur des Mittheilungen de Gotha, de vous faire parvenir une copie de ma carte du pays situé entre Beni-Shangol et le lac Baro. Je crains que lettres et carte n'aient été détruites par les bandes d'Arabes insurgés qui ont coupé la voie Famaka-Khartoum '. Nous avons appris qu'ils ont pillé un de nos courriers venant de Khartoum.

Depuis 40 jours que je suis de nouveau sorti de Famaka, j'ai exploré la frontière voisine, indécise et disputée, suivi le Nil Bleu sur un degré de longitude de cours inconnu; visité la tribu singulière des Sienetyo, d'origine ancienne, au teint jaune, habitant des crêtes de montagnes abruptes, et possédant une manière de se vêtir, des coutumes et une langue qui diffèrent complètement de celles des Gallas et des Abyssins; exploré la rivière Bolassa (nom abyssin; les indigènes et les Arabes l'appellent la Quisin), qui prend sa source à l'est et non au nord. Aujourd'hui je reviens d'une excursion au mont Kienien, en Abyssinie, habité par des Shangallas mêlés de quelques Abyssins, et situé à 70 kilomètres à l'est de ce lieu-ci. J'ai eu assez de peine à échapper aux soldats abyssins qui, me prenant pour un espion turc, voulaient m'emmener dans le Godjam chez Ras Adal. Demain je pars pour Abou Ramlé, à deux journées au nord de ce point-ci. Le cheik de la localité m'a adressé une invitation assez polie, et j'espère pouvoir explorer à peu près toutes les montagnes de cette région inconnue, avant de retourner à Famaka.

Ignorant si la route de Famaka à Khartoum est déjà libre, je me borne pour

'Nous nous sommes empressés de demander à M. le Dr Behm, rédacteur des Mittheilungen de Gotha, s'il avait reçu la carte et le rapport mentionnés dans cette lettre et qui ne nous sont point parvenus. Malheureusement ces documents ne sont pas non plus arrivés à Gotha.

aujourd'hui à ces quelques notes, réservant les détails ainsi que la carte pour le jour où le Soudan sera pacifié.

Agréez, je vous prie, Monsieur, l'assurance de ma considération distinguée.

Juan-Maria SCHUVER.

Famaka, 12 juillet 1882.

La route étant encore coupée, j'ai retrouvé ici, à mon retour, les lignes qui précèdent. J'ai visité Abou Ramlé, qui changera un peu de place sur la carte, puis les montagnes de Minza et Diemr, habitées par les nègres Kidalo, les seuls parmi les races noires d'ici qui aient une affinité de traits avec les nègres du Nil Blanc. Depuis mon retour, le gouverneur Marno, autrichien, s'est tourné contre moi, a séquestré les armes de l'expédition, m'accusant d'être en communication avec les insurgés, de posséder des dépôts d'armes enfouies, et excitant contre moi les chefs de la campagne, ce qui m'a beaucoup gêné. Il aura un jour à répondre de ces faits devant le tribunal du Caire, mais, en attendant, il est à craindre qu'il n'indispose le gouverneur général contre moi, car, dans ces temps de crise, un homme accusé est un homme perdu, surtout depuis que des Grecs ont été surpris, à Kassala, en flagrant délit de contrebande d'armes qu'ils faisaient passer en grande quantité aux Abyssins.

Nous n'avons ni poste ni télégraphe, et les 50 bachi-bozoucks turcs de la garnison, mécontents de ne recevoir ni solde ni rations, décampent à l'improviste pour chercher des lieux plus propices. Espérons que leur sandchack (chef), vrai type kurde, avec sa petite tête ronde et lisse, tiendra sa parole, et enverra nos courriers à Khartoum. Nous restons ici avec 200 soldats noirs, plus ou moins de confiance, un gouverneur de paille, 4 canons, et une mitrailleuse qui tire jusqu'à un coup par minute. J.-M. S.

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D. FELIPE OVILO Y CANALES. LA MUJER MARROQUI. Deuxième édition, Madrid (Libreria de Fernando Fe), 1881, in-12, 215 p. et planches. En sa qualité d'officier du corps médical de l'armée, attaché à la légation d'Espagne à Tanger et membre du conseil sanitaire du Maroc, l'auteur a pu se faire ouvrir bien des portes ordinairement fermées aux Européens, et recueillir beaucoup d'observations, que d'autres, dans des conditions moins favorables, n'auraient pu faire. Aussi les détails dans lesquels il entre sur la position de la femme au Maroc, comme fille, épouse et mère, quelque exagérés que puissent paraître plusieurs d'en

On peut se procurer à la librairie Jules Sandoz, 13, rue du Rhône, à Genève, tous les ouvrages dont il est rendu compte dans l'Afrique explorée et civilisée.

tre eux, doivent-ils être admis comme parfaitement authentiques; l'auteur a d'ailleurs soin de citer, à l'appui de ses observations personnelles, les versets du Coran qui se rapportent à chacun des chapitres de son livre. Les plus grands obstacles à la civilisation au Maroc lui paraissent être la polygamie et l'esclavage, sources de corruption, de même que le divorce, autorisé par le Coran sur le simple consentement mutuel des époux. A la fin de son livre, M. Ovilo y Canales a consacré aux Juives marocaines un chapitre, dans lequel il proteste contre les faux bruits répandus pour porter atteinte à leur honneur en faisant douter de leur moralité.

LES TROIS VOYAGES DE MUNGO PARK AU MAROC ET DANS L'INTÉRIEUR DE L'AFRIQUE (1787-1804), racontés par lui-même. Paris (Maurice Dreyfous), in-12, 284 p., 2 fr. — Quoique Mungo Park soit surtout connu comme le premier Européen qui ait atteint le cours moyen du Niger, le voyage au Maroc, par lequel il débuta dans ses explorations du continent africain, a encore un grand intérêt, en ce qu'il nous permet de comparer ce qu'était ce pays à la fin du XVIIIe siècle, avec ce qu'il est aujourd'hui. Qu'on lise seulement, par exemple, son récit de la traversée de l'Atlas, en regard du voyage du Dr Lenz dans la même région', et l'on comprendra combien la sécurité y est moins grande de nos jours qu'il y a 90 ans. Quant aux deux expéditions de Mungo Park au Niger, au service de la Société africaine de Londres, de 1795 à 1804, puis à celui du gouvernement anglais, en 1805, elles captivent d'autant plus que ce sont les premières qui aient fourni à l'Europe des connaissances exactes, sur une partie du fleuve dont l'embouchure et les sources devaient être un mystère pendant si longtemps encore. On s'attache en outre au voyageur qui, malgré les difficultés : maladies, guerres des tribus, dangers de tous genres, va toujours de l'avant, pour remplir complètement sa mission, et raconte toutes ses aventures, avec une simplicité que peu de voyageurs ont su conserver à leurs récits.

VOM CAP ZUM ZAMBESI. DIE ANFÆNGE DER ZAMBESI MISSION, Von Joseph Spillmann. Freiburg in Breisgau (Herder'sche Verlagshandlung) 1882, in-8, 432 p., mit zahlreichen Illustrationen und Karten; 8 fr.Nos lecteurs sont déjà plus ou moins au courant des progrès de la mission romaine du Zambèze, dans le vaste champ assigné à ses travaux,

1 V. Deuxième année, p. 242-243.

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