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Les héritiers Guasco répondaient en invoquant d'autres autorités, et notamment M. Toullier, Droit civil, no 636, qui s'exprime ainsi sur la question même qui nous occupe:

« Nous avons vu que l'on peut insérer dans un testament des actes d'une autre espèce, tels qu'une obligation, la reconnaissance d'une dette, etc. : on demande quelle est la force de ces reconnaissances. Cette question a été diversement résolue par les autenrs qui ont cherché des raisons de décider dans les lois romaines, d'où ils ont tiré des conséquences opposées. Il faut d'abord examiner quelle est la force de ces reconnaissances contre les héritiers du testateur, lorsqu'il ne les a point révoquées.

« Il faut distinguer: si elles sont faites en faveur d'une personne incapable de recevoir, elles sont suspectes de fraude, et sont considérées comme un legs déguisé (1). On présume que le testateur a cherché un prétexte pour voiler un legs qu'il ne pouvait faire. La reconnaissance est donc insuffisante, quelque circonstanciée qu'elle soit ; et quoique la cause de la detté y soit exprimée, la dette est présumée supposée, suivant la maxime Qui non potest dare non potest confiteri (2), celui qui ne peut donner ne peut reconnaître.

« Mais ce soupçon de fraude n'est qu'une simple présomption, qui cède à la preuve contraire; elle est d'ailleurs affaiblie par cette autre présomption, que personne n'est présumé se reconnaître débiteur quand il ne l'est pas. Ainsi, la reconnaissance faite dans un testament, en faveur d'un incapable, forme un commencement de preuve écrite, qui fait admettre la preuve testimoniale sur la réalité de la créance, comme l'enseigne Ricard (3).

Si le testament avait été révoqué par le testateur, la re

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(1) In dubio præsumitur testator quæsivisse prætextum legato. Cujas, in L. 88, § 10, ff., de Legatis, 2°; Furgole, des Testamens chap. 2, no 48; L. 27, ff., de Probat.; L. 37, § 6, ff., de Legat., 3°; Danty sur Boiceau, chap. 16, pag. 350.

(2) Danty, ibid.

762, 774, εt 3*

(3) Des Donations, re part., chap. 3, sect. 16, nos part., no 114; Duparc-Poullain, Principes du droit, tom. 9, p. 307.

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connaissance qui s'y trouvait contenue serait également révoquée, et n'aurait même pas la force d'un commencement de preuve par écrit, parce qu'elle n'est considérée que comme un legs, et que ce serait, contre toute raison, donner à une reconnaissance révoquée la même force qu'à une reconnaissance dans laquelle le testateur a persévéré jusqu'à la mort. >>

Du 10 Mai 1823, ARRÊT de la Cour royale de Corse, M. d'Aligny président, M. de Susini, conseiller-auditeur, pour le ministère public, MM. Biadelli et Casella avocats, par lequel :

« LA COUR,-Considérant qu'à l'époque où les parties de Casella ont introduit leur action, les droits qu'elles avaient à prétendre sur les successions paternelle et maternelle avaient été réglés sans contestation ni réserves; Que leur demande a été fondée sur la disposition du testament de Guasco père, du 10 brum. an 10, portant qu'ontre les 3,000 fr. reçus en dot d'Anne Prela, celle-ci luiavait apporté une somme de 10,000 fr.;-Considérant que cette déclaration a été rétractée par Guasco dans deux autres testamens postérieurs, de fruct. an 11 et brum. an 12, dans lesquels il n'énonce que la reconnaissance contenue en celui de l'an 10 n'avait d'autre objet que d'avantager son épouse; Considérant qu'à l'époque de cette première disposition, les époux étaient régis par la loi du 3 niv. an 2, qui prohibait les donations entre eux autrement qu'en usufruit, quand il existait des enfans du mariage; Considérant que les auteurs sont unanimes à reconnaître comme suspectes les reconnaissances de dettes, faites, surtout par testament, au profit des personnes incapables de recevoir à titre gratuit; - Considérant que, dans l'espèce, cette reconnaissance ayant étéfor-, mellement rétractée par Guasco, ne peut être, au profit des demandeurs originaires, un titre pour réclamer aujourd'hui le paiement de la somme mentionnée; -Considérant que, pour des faits antérieurs à la promulgation en Corse de l'ordonnance de 1667, et s'agissant d'ailleurs, suivant l'assi

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gnation des héritiers Santelli, de simulation et de fraude, la preuve par témoins pourrait être admise, à défaut de titreet même de commencement de preuve par écrit; mais que cette preuve ne peut, aux termes du droit ancien, comme d'après ceux du droit nouveau,être ordonnée que de faits pertinens et de nature à établir la vérité du fait principal; Que ceux articulés par les parties de Casella, tant en première instance que devant la Cour, n'ont point ce caractère; Considérant que, lesdites parties de Casella ne produisant point de titres à l'appui de leur demande, et n'articulant point de faits dont la preuve puisse être ordonnée, la cause doit être jugée dans l'état ; - Statuant sur les appels respectifs des parties, sans avoir égard à celui des parties de Casella, et faisant droit à celui incident des parties de Biadelly, met l'appellation et ce dont est appel au néant; émendant, déclare les parties de Casella non recevables, en l'état, dans leur demande contre celles de Biadelli, les en déboute avec amende.

COUR DE CASSATION.

Suivant la ci-devant coutume de Normandie, devait-on considérer comme radicalement nulle l'aliénation de l'immeuble dotal faite par le mari et la femme conjointement, en sorte que l'ate par lequel le détenteur, actionnė depuis par la femme, lui délaisse cet immeuble ne soit passible que du droit simple d'enregistrement? (Rés. nég. ) Au contraire, l'acte de délaissement ou le jugement qui l'ordonne est-il seulement l'effet d'une clause résolutoire qui le soumet au droit proportionnel? (Rés.aff. )

LARÉGIE DE L'Enregistrement, C. LES MARIÉS LEverrier.

La dame Leverrier, conjointement avec son mari, avait vendu au sieur Boudet, le 20 brum. an 12, une pièce de terre à elle appartenante, comme provenant de la succession de son père, ce qui en faisait un immeuble dotal.

Depuis, la dame Leverrier, s'étant fait séparer de biens d'avec son mari, a actionné les héritiers du sieur Boudet en Jés olution de la vente. En exécution d'an jugement duri

bunal civil de Bayeux, du 24 nov. 1820, qui a prononcé cette résolution, les héritiers ont délaissé l'immeuble revendiqué, et la dame Leverrier en a repris la possession.

Dans cet état, la Régie a décerné contre la dame Leverrier une contrainte en paiement du droit proportionnel auquel ce jugement donnait ouverture; mais, par autre jugement dug juill. 1821, le même tribunal l'a déchargée de cette contrainte, en se fondant sur ce qu'il était de principe immuable, sous l'empire de la coutume de Normandie, que le bien de la femme était inaliénable; que l'art. 538 de cette contume, qui déclarait valable la vente du bien dotal, ne portait aucune atteinte à ce principe, puisque, d'après les art. 539 et 540, il suppose le cas où la femme profite réllement de la vente; de sorte que, dans ce cas, retrouvant l'équivalant de ce qu'elle a perdu, c'est comme s'il n'y avait jamais eu d'aliénation; mais que, cessant la conversion, au profit de la femme, des deniers de la vente ou sa récompense sur les biens de son mari, l'aliénation du fonds dotal était évidemment nulle; que cette nullité résulte nécessairement de l'option laissée à l'acquéreur de délaisser la chose ou d'en payer une seconde fois le prix d'où il suit que ce n'était qu'au moyen de ce second paiement qu'il s'opérait une nouvelle vente valable; - Que le droit conféré à la femme par la coutume est un droit réel, nn droit de revendication, qui donne lieu à une actiou équipollente à l'action en réintégrande, ainsi que l'a consacré un arrêt de la Cour de cassation, da 30 av. 1811; que, par conséquent, le jugement du 24 nov. 1820, qui remet la dame Leverrier en possession de son bien dotal indûment aliéné, n'a opéré, en faveur de cette dame, aucune mutation de propriété.

Sur le pourvoi de la Régie, ce jugement, que les sieur ct dame Leverrier se sont efforcés de justifier par le développement de ses motifs, a été cassé ainsi qu'il suit.

Du 10 Mars 1823, ARRÊT de la section civile, M.Brisson président, M. Boyer rapporteur, MM. Teste-Lebeau et Barrot avocats, par lequel :

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Sur les conclusions conformes de M

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« LA COUR, Joubert, avocat-général;-Vu les art. 538, 539et 540 dela coutume de Normandie; l'art. 68, § 3, no 7, de la loi du 22 frimaire an 7, et l'art. 69, § 7, n° 1er de la même loi; - Attendu que, suivant les articles précités de la ci-devant coutume de Normandie, l'aliénation de l'immeuble dotal, faite par le mari et la femme conjointement, n'était pas nulle d'une nullité radicale, puisqu'au contraire, l'art. 538 de cette coutume déclarait expressément que tels contrats sont bons et valables, et que seulement les art. 559 et 540 accordaient, dans ce cas, à la femme une action pour obtenir sa récompense sur les biens de son mari, et subsidiairement l'autorisaient à actionner le détenteur de l'immeuble dotal, lequel avait l'option de lui délaisser cet immeuble, ou de lui en payer le juste prix à l'estimation; Attendu qu'il suit de là que l'acte par lequel le détenteur actionné par la femme, en vertu de l'art. 540 de la coutume, lui délaisse l'immeuble dotal, n'est pas un acte portant résolution de contrat pour cause de nullité radicale; qu'un tel acte est seulement l'effet d'une cause résolutoire, et ne rentre pas par conséquent dans l'application de l'art. 68, § 3, no 7, de la loidu 22 frim. an 7, qui ne soumet au simple droit fixe de 5 francs que les actes ou jugemens portant résolution de contrats pour cause de nullité radicale ; — Et qu'ainsi le jugement attaqué, en déchargeant, dans l'espèce, la défenderesse de la contrainte décernée contre elle en paiement du droit proportionnel dont était passible le jugement du 24 novembre 1820, qui a prononcé la résolution de l'acte de vente du 20 brum. an 12, et en vertu duquel la défenderesse est rentrée, d'après l'option faite par le sieur Boudet, acquéreur de son immeuble dotal, dans la possession de cet immeuble, a violé l'art. 538 de la coutume de Normandie, faussement appliqué l'art. 68, §5, no 7, et directement violé l'art. 69, § 7, n° 1er, de la loi du 22 frimaire an 7 ; -CASSE, etc. »

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