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sins surtout, s'achemineront d'ici peu en quantité considérable vers nos marchés. Mais le trajet est long, la conservation des fruits difficile. Il faut de toute nécessité une quantité formidable de poudre de liège pour l'emballage. Or, il n'y a pas de liège en Australie, et nos amis Australiens nous demandent de les approvisionner en cette matière; c'est à nos liègeurs de conquérir ce marché. Il est bon et solide: ils peuvent donc y aller carrément. Souhaitons que cet appel soit enteadu pour les bonnes et cordiales relations qui doivent exister toujours plus étroites entre deux pays faits pour s'entendre et se comprendre.

A. M.

Nécrologie

Le 16 novembre 1918,est décédé à Dijon, des suites d'une congestion, un fonctionnaire bien connu de nombreuses générations de forestiers à la formation technique desquels il avait collaboré avec le plus grand dévouement M. Thiéry, Professeur de l'Ecole nationale des Eaux et Forêts en retraite.

François-Edmond Thiéry était né à Limey (Meurthe) le 16 septembre 1841. Entré à l'Ecole forestière en 1860 avec la 37 Promotion, il en sortit en 1862 comme Garde Général en stage à l'Inspection de Colmar nord. Chargé le 29 décembre de la même année de l'intérim du cantonnement de Massevaux, il fut promu sur place Garde Général le 26 juin 1863, et passa au cantonnement de Raon-!'Etape le 23 février 1865. Le 24 janvier 1872, il était appelé au service des Travaux d'art dans cette ville de Nancy où devait s'accomplir tout le reste de sa carrière. Affecté le 4 mars suivant à la 3e Commission (Meurthe et Moselle), il était élevé dans les mêmes fonctions au grade de Sous-Inspecteur, le 19 février 1874, et enfin c'est le 3 septembre 1879 qu'il fut nommé à l'Ecole forestière où il allait trouver sa vraie vocation et l'emploi de ses aptitudes spéciales. C'est qu'en effet M. Thiéry se sentait particulièrement attiré vers les sciences mathématiques, ainsi qu'en témoignait son titre, si peu répandu dans notre Corps, de licencié en cette matière. A l'Ecole, il se consacra donc à l'enseignement des mathématiques appliquées; d'abord répétiteur ou chargé de cours, il fut promu Inspecteur le 10 février 1882, et enfin le 10 juillet 1887 il devint Professeur titulaire et conserva cette qualification jusqu'au mois de septembre 1911, où il fut admis à la retraite à l'âge de 70 ans. Il continua du reste son Cours jusqu'au printemps de 1912.

M. Thiéry a donc consacré à l'Ecole près de 33 ans de sa vie : en

diverses circonstances il assuma la charge totale des deux Cours de mathématiques appliquées et s'en acquitta avec honneur; mais il était plutôt spécialisé dans l'enseignement de la topographie et de la conservation et restauration des montagnes. Nul ne saurait contester les progrès qu'il a réalisés à Nancy dans la première de ces deux matières, qui a fait de sa part l'objet d'importants ouvrages; et quant à la seconde, on peut dire sans exagération qu'il a été le véritable organisateur du Cours, préparé par des missions spéciales d'études qu'il avait remplies dans les régions montagneuses de la France. C'est sous son inspiration que depuis une trentaine d'années, les Elèves de deuxième année ont été conduits chaque été dans les Alpes pour y compléter leur instruction théorique sur cette grave question de la correction des torrents et sur les questions connexes. M. Thiéry a, pendant de longues années, accompagné les jeunes gens au cours de cette tournée qui a laissé, dans toutes les promotions qui y ont participé, les meilleurs souvenirs. Du reste, les dispositions naturellement courtoises et bienveillantes de ce Professeur n'avaient fait que se développer dans ses rapports avec les Elèves, et il y a des promotions où il jouissait d'une véritable popularité.

L'activité de M. Thiéry ne s'est pas limitée à l'enseignement, et il a publié de nombreux ouvrages qui ont fait à la fois honneur à leur auteur et à l'Ecole à laquelle il appartenait et parmi lesquels il convient de citer le Traité de mathématiques appliquées aux scieries et aux constructions; des Notices sur les instruments stadimétriques et les barrages curvilignes, « la Restauration des montagnes,correction des torrents et Reboisement », une Etude sur les petits chemins de fer forestiers, deux « Traités sur les instruments topographiques et les méthodes topographiques. » En outre, il a collaboré avec M. Petitcollot au rapport de la Commission chargée de faire des expériences sur la résistance des bois résineux, et avec M. Cretin à la publication (que la guerre seule a interrompue) d'une série d'articles de la Revue de mécanique sur les câbles transporteurs aériens.

Quand l'heure de la retraite eût sonné, M. Thiéry se fixa à Nancy, et resté en pleine possession de ses forces physiques et intellectuelles, il poursuivit ses travaux, et notamment publia une deuxième édition de son ouvrage sur la Restauration des montagnes. Il continuait d'ailleurs à entretenir avec l'Ecole les meilleurs rapports, et de longues années semblaient lui être promises. La guerre vint: M. Thiéry demeura d'abord à Nancy et y subit les poignantes émotions du début, alors que la bataille se livrait à une douzaine de kilomètres seulement et que la me

nace de l'invasion allemande planait sur la ville. Quand celle-ci commença à être bombardée par un canon à longue portée, notre ancien maître dont le logement se trouvait dans la zone dangereuse et qu'aucun devoir ne retenait en Lorraine, se réfugia à Dijon où devait le frapper le mal implacable qui l'a emporté. Du moins, lui qui avait tant d'attaches avec l'Alsace où il avait passé le début de sa carrière et où il s'était marié, eut la consolation d'apprendre le retour de cette province à la mère Patrie; et même, détail touchant, c'est le jour de l'armistice, alors qu'il revenait de faire un achat pour pavoiser son logement que l'hémiplégie l'a terrassé ; et quand on le trouva étendu au pied de son lit, il tenait encore entre ses mains les drapeaux tricolores qu'il venait d'apporter.

Il reprit sa connaissance mais non l'usage de la parole, et ne survécut que cinq jours. A défaut de parents proches et du Personnel de l'Ecole retenu à Paris et d'ailleurs non prévenu, les membres de la grande famille forestière en résidence à Dijon ont accompagné la dépouille mortelle jusqu'au cimetière de cette ville, en attendant qu'elle soit ramenée en Lorraine. M. le Conservateur Mathey conduisait le deuil, entouré de M. le Conservateur Lombard, de MM. les Inspecteurs de Longueville, de Villaucourt et Gourier, de MM. les Inspecteurs adjoints de Larminat et Defoin et de tous les préposés sédentaires. L'Ecole forestière est très reconnaissante aux camarades dijonnais de l'avoir ainsi remplacée pour rendre les derniers devoirs à un homme qui, parla durée particulièrement longue et la distinction de ses services, avait acquis des droits incontestables à sa gratitude et dont elle gardera fidèlement le souvenir.

E. V.

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André Barthélemy.

Bien que la Revue des Eaux et Forêts ait surtout le devoir de consacrer la mémoire des agents de l'Administration qui sont morts pour la France au cours de cette guerre, il convient aussi, croyons-nous, de faire une place dans ce Livre d'or dont elle réunit les éléments, aux élèves libres de notre Ecole qu'unissaient à leurs camarades les liens d'une confraternité d'études et l'amour de la forêt française. C'est à ce titre que nous reproduisons ici le discours prononcé par le capitaine Perdrizet, chef du service forestier du secteur de Thann (Alsace), le 17 octobre 1918, au cimetière d'Urbès, lors des obsèques d'André Bar

thélemy. On trouvera dans ces paroles émues tout ce qui devait être dit sur la carrière, hélas! si courte, de notre infortuné camarade; je n'y ajouterai que quelques mots, en raison des relations particulièrement étroites que j'ai eues avec lui, d'abord au moment de son entrée à l'Ecole, puis dans les quelques années qui précédèrent le grand conflit actuel.

Barthélemy appartenait à une famille qui, lors de l'annexion, voulut ne pas déserter le sol natal, pour conserver, dans le pays qui nous était momentanément arraché, le souvenir et le culte de la patrie française. Je ne sais rien de plus beau qu'un pareil dévouement, particulièrement honorable pour ceux auxquels leur fortune eût permis d'échapper à toutes les persécutions et à toutes les tristesses qui les attendaient de la part de l'Allemand vainqueur. Pour les fils surtout de ces familles alsaciennes et lorraines, le séjour dans leurs foyers créait des situations infiniment délicates et des froissements redoutables. André Barthélemy en fit l'expérience lorsqu'il voulut entrer, avec sa nationalité d'Alsacien-Lorrain, à notre Ecole forestière. Peu de temps après avoir achevé à Nancy ses années d'études, il se faisait réintégrer dans la nationalité française et il se consacrait tout entier à la gestion de ses forêts situées sur le versant lorrain des Vosges, qu'il avait accrues par des acquisitions importantes, et qu'il administrait avec un sens très avisé de praticien et d'économiste éclairé. Très frappé des avantages que pouvait procurer aux particuliers propriétaires de bois un groupement destiné à la défense de leurs intérêts, il fut un des principaux adhérents du Comité des forêts et l'un des plus actifs promoteurs du Syndicat lorrain de ces propriétaires, dont il connaissait mieux que personne les aspirations et les besoins.

Lorsqu'éclata la déclaration de guerre, André Barthélemy, dont les sentiments d'ardent dévouement pour la France étaient connus, devait se croire à l'abri de tout soupçon injurieux dans sa patrie recouvrée; au lieu de cela, dans la fièvre des premiers jours de la guerre, il se vit en butte à de stupides dénonciations facilement réduites à néant, mais auxquelles il fut néanmoins très sensible; et plus d'une fois encore, dans l'exercice des fonctions auxquelles il était appelé au service de l'armée française, il eût à souffrir, précisément à cause de sa connaissance de la langue allemande, de ceux qui affectaient de confondre avec le Boche le bon Alsacien et le fidèle Français qu'il avait toujours été. Pendant ce temps, ses belles forêts de la vallée de Celles étaient saccagées et sa maison de la Planée détruite par les obus allemands. Il se vengea de toutes ces misères en faisant jusqu'au bout son devoir,

comme le montre si bien, dans le discours qui va suivre, celui qui fut à la fois son chef et son ami.

CH. GUYOT.

Discours prononcé aux obsèques de l'Interprète stagiaire André Barthelemy, par le capitaine Perdrizet, Chef du service Forestier du secteur de Thann, au cimetière d'Urbès le 17 octobre 1918.

Mon Commandant, Messieurs,

Au nom de la mission militaire administrative en Alsace, je viens dire un dernier adieu à l'interprète Stagiaire André Barthélemy, attaché au service forestier du secteur de Thann, mort pour la France à l'hôpital militaire d'Urbès, des suites d'une maladie contractée en service commandé.

Une amitié vieille de 20 ans m'unissait étroitement à mon si regretté collaborateur, et cette amitié s'était resserrée encore par suite des circonstances de la guerre qui nous avaient unis depuis trois ans dans les mêmes services. C'est dire à quel point j'ai été à même d'apprécier la générosité de son cœur d'or, la droiture de son caractère si loyal, de son vif amour pour la forêt natale, le grand patriotisme éclairé de son âme alsacienne qui faisaient de lui le fils si dévoué, l'époux si tendre, le père de famille si parfait, l'ami le plus sûr, le collaborateur le plus précieux, le patriote alsacien doublement français.

C'était une nature un peu grave et charmante, douce et résolue, consciencieuse et réfléchie. En lui brillaient toutes les vertus solides et aimables de ce pays d'Alsace qui l'avait vu naître. Ces qualités qu'il avait héritées de sa famille et de son milieu reposaient sur un fonds d'exquise simplicité, don infiniment rare qui est la marque infaillible des âmes d'élite.

Né en 1881 à Saales (Alsace) d'une vieille famille alsacienne où les traditions d'honneur et de loyauté n'ont d'égales que l'attachement irréductible pour la France, André Barthélemy avait fait toutes ses étu les à Nancy, études complétées par les cours qu'il était venu suivre, au titre Alsacien-Lorrain, à l'école nationale des Eaux et Forêts, avec la 760 promotion. C'est là où j'ai commencé à le connaître, à l'apprécier, à l'aimer.

Grand propriétaire forestier en territoire annexé, Barthélemy n'hésita pas à sacrifier la brillante situation qui l'attendait dans son pays natal, pour servir dans l'armée française. Avec son jugement sûr, ses qualités merveilleuses d'observation, il prévoyait la guerre. Aussi, fut-il, parmi les premiers Alsaciens qui vinrent au 2 août 1914 se ranger sous le drapeau français, alors que son père, le vieux Maire de Saales, était emprisonné par les Allemands. Venu sur sa demande au front d'Alsace, au service forestier de l'Administration militaire, pour lequel le désignaient plus particulièrement ses connaissances techniques et sa situation d'Alsacien, Barthelemy sût rapidement s'y faire apprécier. Il meurt à la veille de voir se réaliser le rêve de toute sa vie aller retrouver, sous l'uniforme d'Officier français, son vieux père et toute sa famille dans l'Alsace redevenue française.

C'est une grande et belle âme de chrétien, d'Alsacien, d'homme, d'ami de camarade dont nous déplorons aujourd'hui la perte si cruelle.

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