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ouvriers étrangers et l'administration, prenant les devants, a décidé, notamment à Paris et à Marseille, que ces voleurs du travail national » comme les nomme fraternellement M. Jules Guesde, ne seraient plus admis que dans la proportion d'un dixième à participer aux travaux publics. Ce n'est encore qu'un premier pas, mais il est clair qu'on ne s'arrêtera point en si beau chemin et que la prohibition des ouvriers étrangers sera le complément logique et le couronnement humanitaire de l'édifice de la protection. Nous voudrions pouvoir signaler en revanche, comme un progrès, l'établissement d'une bourse du travail à Paris. Nos lecteurs connaissent l'intérêt paternel que nous portons à cette institution; malheureusement, la bourse du travail, telle qu'elle a été organisée par les socialistes des chambres syndicales, avec la subvention du Conseil municipal, ne servira guère, selon toute apparence, qu'à créer des places de « fonctionnaires placiers. >>

Le socialisme ne s'épanouit pas seulement dans les congrès, les réunions publiques et les conseils municipaux, il pénètre dans les parlements et il trouve dans les gouvernements des auxiliaires sympathiques. Aux différentes variétés du socialisme collectiviste et anarchiste est venu se joindre le socialisme d'Etat, et ce cadet de la famille, tout en s'efforçant de supprimer ses aînés, leur emprunte, d'une façon peu délicate, leurs doctrines et leurs procédés.

Ah! doit-on hériter de ceux qu'on assassine?

Le parlement anglais, par exemple, n'a-t-il pas visiblement emprunté au socialisme les dispositions du nouveau land bill qui accorde aux tribunaux le droit de réduire suivant leur bon plaisir la rente des propriétaires? En vertu de ce bill socialiste, les fermages viennent d'être diminués de près de 50 0/0. Cela s'appelle, en bon français, une confiscation, et nous ne croyons pas que cela s'appelle autrement en anglais. Quand les socialistes voudront procéder à la «< nationalisation du sol » en Irlande et même en Angleterre, n'est-ce pas un précédent qu'ils pourront invoquer à bon droit ?

Au milieu de ce débordement de fausses doctrines et de pratiques véreuses, nous nous plaisons à signaler la résistance victorieuse que les électeurs suédois ont opposée à l'établissement des droits sur les denrées alimentaires. La Chambre des députés ayant été dissoute sur cette question, les électeurs ont élu 139 libre-échangistes contre 81 protectionnistes. Nous leur en faisons notre sincère compliment. Félicitons aussi la Chambre de commerce de Verviers de ne s'être pas laissé emporter par la réaction protectionniste, et d'avoir re

nouvelé résolument son vœu annuel en faveur de la suppression des douanes.

Nous pouvons enfin porter au maigre chapitre de notre actif de progrès économiques la constitution d'une «union internationale pour la protection des œuvres littéraires et artistiques» et le vote du peuple suisse, consulté par la voie du referendum, en faveur de l'extension du principe de la propriété aux inventions et aux modèles et dessins de fabrique. Joignons y une consultation du conseil de l'amirauté chinoise, concluant à l'établissement de chemins de fer en Chine « comme une protection pour les frontières et un stimulant pour le commerce des peuples», et nous aurons clos la trop courte liste de nos victoires et conquêtes.

Nous avons perdu cette année un des plus vaillants champions de la cause de la liberté commerciale, notre éloquent et aimable ami Raoul Duval; A. Batbie, l'ancien et distingué professeur d'économie politique à la faculté de droit, que la politique avait malheureureusement enlevé à la science; Arthur Mangin, le spirituel et savant collaborateur de l'Economiste français auquel il rendait compte des séances de la Société d'économie politique, et notre laborieux et regretté collaborateur Frout de Fontpertuis.

G. DE M.

LE MARCHÉ FINANCIER EN 1887

Si le fléau de la presse officieuse allemande et autrichienne venait à disparaître, si ces journalistes, affamés de nouvelles à sensation, cessaient de pratiquer la grande politique européenne, il y aurait lieu d'espérer une reprise des affaires dans l'année qui commence. Le terrain se trouve déblayé sur beaucoup de points; les symptômes qui indiquent la possibilité d'une amélioration s'accumulent. Malheureusement les nécessités de la grande politique ont arrêté à maintes reprises l'essor économique, commercial, financier en 1887. Dans un intérêt électoral, le public a été terrorisé au commencement de l'année; on a brandi le spectre de l'agression française afin d'arracher des votes aux électeurs du Reichstag, et ceux-ci en ont été récompensés par un surcroît de charges fiscales et militaires, par une augmentation des impôts indirects, de droits d'entrée sur les articles essentiels de l'alimentation, sur le seigle qui sert à faire le pain du pauvre. Après quelques mois de répit, les officieux berlinois sont montés à l'assaut du crédit de la Russie, que l'intervention de la Seehandlung avait contribué à consolider en 1884. Le mois de décembre enfin a vu s'élever un terrible fracas, destiné à secouer la paresse de l'Autriche, trop pauvre et trop lente à engloutir des millions dans des armements stériles, à faire passer une nouvelle loi militaire, enfin à montrer le mécontentement inspiré par la réserve et le refroidissement de la politique russe. Tandis que les bourses perdaient la tête, les diplomates et les gens bien informés ont conservé leur sang-froid et n'ont pas cru à l'imminence d'un conflit européen. Effrayer les rentiers est devenu un moyen de gouvernement; la manœuvre a été couronnée de succès, mais au détriment de la prospérité publique. En même temps on s'est enfoncé davantage dans le protectionnisme. En dépit de tout cela, il y a un retour d'animation : les recettes des chemins de fer sont meilleures dans presque tous les pays. Sur les réseaux français, il y a une augmentation, pour l'année 1887, de 22 millions de francs; en Allemagne, en Autriche on constate le même phénomène. Pour l'ensemble du réseau russe, pendant les neuf premiers mois, l'accroissement est de neuf pour cent. Aux Etats-Unis, il y a, pour 73 lignes, une augmentation de recettes de 13 0/0.

Dans le mouvement du commerce extérieur, nous observons éga

lement des indices plus satisfaisants. Pour la Grande-Bretagne, du 1er janvier au 30 novembre 1887, en milliers de livres sterl.:

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Les deux tiers de l'accroissement d'importation sont de la laine et du coton, qui ont été réexportés à l'état de matière première; le transit via Angleterre a grandi contre 1886, mais dans l'exportation des produits indigènes, la moitié de la plus-value est composée de métaux bruts, métaux manufacturés et machines. On a la preuve d'une activité plus considérable dans l'industrie du fer et de l'acier. La majeure partie de cette augmentation d'exportation s'en est allée aux Etats-Unis, et l'on sait de quelle importance un grand débouché dans l'Amérique du Nord est pour la production européenne en général.

En France, pour l'ensemble des onze premiers mois, le mouvement des échanges accuse une augmentation de 39 millions à l'importation, de 46 à l'exportation en 1887 contre 1886. La situation des échanges reste moins avantageuse en France qu'elle ne l'est devenue en Angleterre. En Russie, l'exportation, favorisée par la baisse du rouble, a pris un grand développement en 1887, alors que l'importation était de plus en plus entravée par les surélévations de droits et la dépréciation du papier monnaie. En voici le tableau pour les onze premiers mois.

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Les importations de coton se sont élevées à 73.415.000 roubles, contre 53.902.000 en 1886 (7.687.000 pouds au lieu de 5.495.000). D'après nos avis de Moscou, les filatures russes sont pleinement occupées; elles ont vendu leur production jusqu'à l'automne avec un bon bénéfice. La récolte a d'ailleurs été très belle, et malgré la difficulté d'exporter en Allemagne, la situation générale de la Russie s'en ressent avantageusement.

La baisse générale des prix a continué à faire de lents progrès, jusqu'au mois de septembre. Depuis lors, il y a eu un changement marqué sur le marché des métaux, et les produits manufacturés du fer, de l'acier, du cuivre, du laiton en ont profité. Quelques autres matières premières ont également renchéri. Cette hausse est due, en grande partie, à la spéculation qui se fonde sur une diminution des approvisionnements et sur une demande plus considérable pour la consommation. Dans cet ordre d'idées, on connaît le rôle joué par les syndicats, les coalitions d'intéressés, qui ont pesé sur la production pour la restreindre, et qui s'efforcent d'amener la hausse des prix. On sait le succès de ces tentatives pour le cuivre, l'étain, le plomb. Parmi les céréales, l'orge est plus chère; le froment, l'avoine, meilleur marché. Le froment vaut 31 sh. 3 d. le quarter, à Londres, contre 35 sh. au début de 1887. En France, le quintal de blé se cote 23 fr. contre 21 fr. 50 en décembre 1886. L'Angleterre, la Belgique et la Hollande ainsi que Hambourg, Brème, paient leur blé moins cher que les pays protégés; si l'on compare les cours de Paris, de Berlin, d'une part, avec ceux d'Anvers, de Londres, d'Amsterdam, on voit que la différence équivaut à peu près au montant du droit. Le coton, le jute et le lin ont renchéri; la laine, le chanvre et la soie ont un peu reperdu de l'avance gagnée, il y a un an. Le sucre, le café, le pétrole, ont augmenté de prix.

Pour les filateurs anglais, l'année a été moins bonne que pour les tisseurs, qui ont fait d'assez bonnes affaires. Les constructeurs de navires ont reçu, vers la fin de 1887, plus de commandes et leurs chantiers ont de la besogne.

La fermeté du marché monétaire, qui s'était fait sentir dans les dernières semaines de 1886 et qui avait ouvert 1887, ne s'est pas maintenue; nous avons vu 1887 finir dans des conditions toutes différentes. Il y a un contraste à signaler entre les alarmes de la bourse de Berlin, à différents moments, et la politique d'escompte de la Banque d'Allemagne qui a opéré comme si elle savait que les appréhensions étaient artificielles. Au plus fort de la tourmente franco-allemande, elle a baissé le taux de son escompte. Les capitaux disponibles sont donc relativement abondants en ce moment;

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