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en outre, la même année, 108 milliards, à l'intérêt de 4 milliards 860 millions de francs. Est-ce là ce qu'inspire ou ce que veut la démocratie, l'amour du peuple qu'on ne se lasse pas d'invoquer ? Il siérait, au moins, en présence de pareils chiffres, de se demander où l'on va.

Devrais-je citer d'autres faits contre le socialisme d'État? Hier encore, notre gouvernement et nos chambres prétendaient faire œuvre démocratique en décrétant une nouvelle législation, tout autoritaire, sur l'exploitation des mines. Cette législation met le capital à la merci du travail, les directeurs et leurs surveillants à la discrétion des ouvriers. Le résultat, c'est dès à présent qu'un profond malaise se répand dans les bassins houillers, et qu'un abaissement marqué des salaires et des profits s'y établit. Détourner la classe ouvrière des sentiments de liberté et de responsabilité, pour l'habituer à l'arbitraire et à l'assistance, voilà l'œuvre démocratique qu'on a accomplie! Nos gouvernants et nos législateurs ignorent donc que les anciens édits promulgués contre l'intérêt, n'ont pas été moins préjudiciables aux emprunteurs qu'aux prêteurs? Ils n'ont donc rien. lu des physiocrates, et avant tous autres de Turgot, sur les lois touchant le commerce des blés, ni des historiens de la révolution sur les mesures prises contre les accapareurs? Ils ne se sont donc pas aperçus des désastres créés par les faveurs données récemment aux grévistes, de la fermeture des ateliers et des moindres payes qui les ont suivies ? Je lisais dans l'un des derniers numéros de ce journal que les paysans du village de Sartany avaient imposé aux propriétaires riches de cette commune de n'employer que deux journaliers pendant la première semaine de la fauchaison, afin de ramasser plus aisément eux-mêmes leur foin. Cette mesure, que certainement applaudiraient la plupart de nos concitoyens, s'ils la connaissaient, sacrific néanmoins les intérêts populaires qu'elle semble protéger. Car si les riches de Sartany ne récoltent pas leur foin, ou le récoltent mal, quelle ressource leur resterat-il pour faire travailler? Est-ce qu'une perte de richesse profite jamais ? Toute interdiction semblable ne vaut pas mieux que celle faite sur nos marchés de vendre les blés aux meuniers avant certaines beures, ou que la taxe du pain. On approvisionne moins les marchés, de même que les capitaux se détournent de la boulangerie, qui demeure très arriérée et très intéressée à payer cher une partie de ses achats pour faire élever la taxe voilà tout. Nos révolutions se sont constamment accomplies au nom de la liberté, nous prétendons à tous les progrès, et nous restons fidèles à l'arbitraire, sans sortir des plus profondes ornières du passé. Je l'ai dit ailleurs, je crois, et tout le prouve, nous en

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sommes toujours à l'ancien régime, un plumet révolutionnaire à notre chapeau.

C'est surtout en lisant nos enquêtes ouvrières que l'on voit jusqu'où va notre ignorance économique et démocratique. On est vraiment confondu de cette ignorance en présence de notre dernière enquête parlementaire sur les travailleurs. Certes le rapport de la « commission du travail >> instituée en Belgique à la suite des grèves de Charleroi, laisse beaucoup à désirer. Il fait appel aussi à une réglementation insensée et à la plus funeste assistance; mais qu'il est supérieur au procèsverbal del'enquête, dont je parle ! Sir Henry Sumner Maine remarque la tendance des démocraties à tout simplifier, en se débarrassant et de chaque gêne et de chaque contrôle: cette enquête paraît en effet à tout instant faire appel à la dictature, le plus simple des gouvernenements. Or, c'est justement parce que la démocratie est portée à la violence et au despotisme, dont le terme extrême est le socialisme, qu'il importe surtout de propager les pensées et les mœurs de la liberté. Ce serait d'autant plus nécessaire en France, que nous avons le goût inné de l'uniformité, marque infaillible des petits. esprits, dit Montesquieu, laquelle dispose elle-même à l'arbitraire.

Je le répète, il faut au plus tôt abandonner les voies dangereuses de la réglementation, pour suivre celles de l'indépendance, de l'initiative et de la responsabilité individuelles. Il n'y a plus d'autre sauvegarde pour les sociétés. Quelque autorité qu'on s'attribue, on ne mènera plus «<les majorités démocratiques, sans patriotisme et sans conscience », pour emprunter le dédaigneux langage du Grand chancelier d'Allemagne, par des lois iniques ou des secours avilissants. Ne sont-ce pas partout les nations les plus libres et les plus riches, en grande partie parce qu'elles sont libres, qui sont les plus stables, comme les plus respectueuses des pouvoirs établis et des biens légiti mement gagnés? Si vous voulez juger des effets du socialisme d'Etat sur le travail, la propriété et la dignité des peuples, considérez les colonies européennes jusqu'à notre époque, les nations musulmanes et la France révolutionnaire.

(La fin au prochain numéro.)

GUSTAVE DU PUYNODE.

LA CIRCULATION MONÉTAIRE ET FIDUCIAIRE

AUX INDES ORIENTALES NÉERLANDAISES

I

De tout temps, la circulation monétaire aux Indes néerlandaises a laissé beaucoup à désirer, et même la période la plus déplorable sous ce rapport appartient à un passé relativement assez récent.

Lorsqu'en 1816 la Hollande rentra en possession de ses établissements de l'Archipel indien que la guerre lui avait fait perdre, les nouveaux administrateurs se mirent aussitôt à l'œuvre pour porter remède à un état de choses qui, en dépit des améliorations introduites pendant l'interrègne anglais, était resté des plus défectueux. Malheureusement, les bonnes intentions dont ils s'enorgueillissaient à bon titre dans leur décret du 14 janvier 1817, stipulant que le florin d'argent des Pays-Bas serait adopté comme étalon monétaire dans les colonies, se trouvaient paralysées d'avance par les mesures qu'on crut devoir prendre en même temps pour faciliter la circulation.

Dans ce but, on s'était proposé d'émettre non seulement des lettres de crédit portant intérêt, mais encore du véritable papiermonnaie avec faculté libératoire illimitée, et l'on eut beau promettre, comme il est énoncé dans le décret susdit, que pour maintenir ce papier au pair deux principes serviraient de règle sacrée, savoir: qu'en aucun cas le gouvernement ne ferait une émission disproportionnée de ce papier, et qu'aucune différence entre la valeur des espèces sonnantes et celle du papier ne seràit jamais tolérée tant pour les payements que pour les recettes à faire par le Trésor de l'État, les événements l'emportèrent sur la doctrine, car pour parer aux embarras financiers qui ne manquèrent pas de surgir dès l'avènement du nouveau gouvernement, l'émission du papier-monnaie reçut une telle extension qu'elle surpassa bientôt de plusieurs millions la somme que la mère-patrie avait mise à sa disposition, tant en lingots qu'en espèces.

Le crédit du papier émis dut naturellement s'en ressentir, et ce qui porta le désordre monétaire à son comble, ce fut le recours au

système du cuivre, qui avait prévalu dans les derniers temps de l'administration de l'ancienne Compagnie des Indes orientales, mais dont les effets désastreux avaient beaucoup diminué par suite d'une mesure très Judicieuse de l'administration anglaise, portant que personne ne serait tenu d'accepter en payement la monnaie de cuivre pour une somme de plus de 10 piastres.

La nouvelle administration hollandaise était d'un avis contraire. Partant de l'idée que les besoins de la population indigène étaient par trop restreints pour que l'or et l'argent lui pussent être de quelque utilité, et qu'au contraire « il était dans l'intérêt des bons habitants < de ces contrées d'augmenter autant que possible la circulation de la monnaie de cuivre », comme il est dit dans un document officiel inséré dans le « Bulletin des lois » de l'année 1818 (no 46), — le gouvernement se mit à effectuer la plus grande partie de ses payements en cuivre, en duiten (dutes), de malencontreuse mémoire, importées de Hollande, en ne cessant d'en faire frapper en même temps à l'hôtel des monnaies alors établi à Sourabaia, et cela en quantités tellement fortes que, de 1816 jusqu'en 1843, il fut mis en circulation plus de 4.700 millions de dutes, sans compter les dutes de contrebande que des industriels de Birmingham trouvaient moyen d'écouler, à leur grand profit, dans nos colonies. Dans peu de temps, la bonne monnaie disparut presque entièrement de la circulation. L'argent était étalon de nom; mais de fait, le cuivre formait le seul moyen d'échange à la disposition du public et, pour faciliter les transactions, le gouvernement prit la résolution d'introduire dans la circulation des billets représentés par du cuivre que la Banque de Java (créée en 1828 dans le but d'améliorer la circulation monétaire) fut forcée, sous peine de révocation de son privilège, d'émettre pour une somme de trois millions de florins d'abord et de six millions ensuite, nonobstant les protestations sérieuses des directeurs auxquels le gouvernement avait confié la gestion du nouvel établissement. Comme on aurait pu le prévoir, la situation n'en devint que plus embrouillée. A l'égard des billets remboursables en cuivre, le public se montra encore plus méfiant qu'à l'égard des pièces de cuivre, qui encombraient la circulation de telle manière que bien souvent les payements un peu considérables ne purent s'effectuer que par charretées. En général, le cuivre-métal faisait prime sur le cuivre-papier, tandis qu'il y avait de la monnaie de cuivre qu'on ne pouvait changer sans perte contre d'autre numéraire du même métal, tellement grande était la variété des différentes sortes de dutes introduites dans la circulation.

Pendant une longue série d'années, nos colonies restèrent exposées

à toutes les misères d'une circulation monétaire dépréciée et défectueuse, car ce n'est qu'en 1845 que le gouvernement s'avisa de porter remède à un état de choses devenu absolument intolérable. Déjà le cours du change avait monté de 30 à 35 0/0, le Londres se vendant au commencement de l'année 1844 de fl. 15 à fl. 15 1/2 la livre sterling, qui ne valait que fl. 12 environ au pair, tandis que la cote de 75 0/0 sur Amsterdam indiquait qu'il fallait payer à Batavia fl. 133 courant des Indes pour obtenir une lettre de change de fl. 100 courant des Pays-Bas. Ce fut aussi à cette époque que la position de la Banque de Java devint des plus critiques par suite de l'écoulement presque entier de son encaisse métallique. A plus de sept millions de florins de billets émis elle n'avait à opposer qu'un encaisse tout à fait insignifiant, et indubitablement elle aurait fait faillite si le gouvernement, qui en vérité était le principal coupable 1, ne lui fût venu en aide en décrétant le cours forcé des billets, avec défense à tous les tribunaux de prendre connaissance des actions qu'on pourrait intenter à la Banque.

La situation était donc aussi grave que difficile, lorsqu'en septembre 1845, le gouverneur général Rochussen arriva à Java pour y prendre les rênes du gouvernement. Financier habile et économiste de bon aloi, il comprit qu'il fallait rompre tout d'abord avec les errements de ses prédécesseurs quant à la nécessité du cuivre pour les besoins de la circulation, et, d'accord en cela avec les vues du gouvernement de la mère-patrie, il ne tarda pas à remédier au mal par des mesures décisives qu'il a expliquées lui-même de la manière suivante dans sa déclaration écrite présentée à la commission d'enquête tenue à Paris en 1866, sur les principes et les faits généraux qui régissent la circulation monétaire et fiduciaire 2.

« Je fis créer du papier-monnaie de l'État des récépissés d'un florin, cinq florins, dix florins, vingt-cinq florins, cent florins et cinq cents florins. Je les fis offrir en échange contre du cuivre, qui fut déposé dans les grandes villes de l'île; ces récépissés eurent cours légal et furent échangeables à Java contre du cuivre, mais en Hollande contre de l'argent, en payement de lettres de change du gouverneur général sur le département des Colonies à La Haye ou sur son agent, la Société de Commerce d'Amsterdam. Le taux du cours

111 est de fait que le gouvernement retira le dépôt de cuivre confié d'abord à la Banque en garantie du papier-cuivre émis par son intermédiaire, de sorte qu'à un moment donné les fonds destinés au recouvrement de cette émission extraordinaire faisaient entièrement défaut.

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