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remboursement paraît si incertain et, tout au moins, si éloigné, en présence surtout de la formidable menace d'un compte qui grossit annuellement dans des proportions inconnues par le double effet des capitaux qui s'accumulent et des intérêts qui se capitalisent; il faut envisager à la fois toutes ces causes de ruine pour mesurer ce que pésent dans une telle situation les quelques économies qu'une commission du budget peut réaliser et pour toucher du doigt les impossibilités dont nous parlions au début de ce travail. Le maintien dans nos budgets de ces diverses causes de dépenses croissantes entraînera fatalement la double nécessité de pratiquer, comme par le passé, un système d'emprunts permanents et d'accroître le produit de l'impôt. Quelques lois ont été déjà votées dans ce but, de nouvelles mesures plus importantes sont proposées. L'examen de ces projets divers nous entraînerait trop loin; nous ne nous y'attarderons pas au trement que pour signaler l'importance des réformes proposées par la commission du budget en ce qui touche le dégrèvement des droits sur les vins et la distraction des dettes dans l'application des droits de succession. L'excellence de ces réformes considérées en ellesmêmes ne saurait être sérieusement contestée; la suppression des douanes intérieures serait d'une portée économique considérable et ce n'est que par des raisons d'ordre politique et financier que l'on peut en combattre l'adoption. On doit regretter que la situation budgétaire commande une prudence excessive en tout ce qui touche aux sources des revenus publics et reconnaître que l'état de nos finances met le pays dans des conditions absolument défavorables à son développement économique. Il est contraire à tout progrès économique de frapper indistinctement et sans mesure la richesse acquise, l'épargne et la consommation d'une part, et, de l'autre, l'activité, la production et les échanges; de multiplier les voies de transport au delà de la limite où ces dépenses contribuent effectivement à l'accroissement de la fortune publique ; en un mot, de faire absorber par l'Etat une part notable de l'épargne française et, par là, de réduire presque à un minimum l'initiative et l'activité des citoyens.

MICHEL LACOMBE.

4o SÉRIE, T. XLI.

15 février 1883.

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LES COMMISSIONS DU BUDGET

ET LA COMPTABILITE

Nous ne pouvons mieux faire que d'approuver le soin avec lequel la Chambre des députés épluche le budget présenté par les ministres. Les économies s'imposent aujourd'hui avec une puissance indiscutable, si nous ne voulons pas voir la France perdre ses forces actives. L'élévation de l'impôt, dans une mesure que nous ne pouvons prévoir, à la suite de l'accroissement continu de la dette, est un mal dont un gouvernement prudent doit faire sa principale préoccupation. Suffit-il de discuter dans leurs plus petits détails les prévisions budgétaires pour atteindre le but que poursuit la Chambre des députés, celui de faire des économies? Nous ne le pensons pas et nous voudrions examiner, en comptable, les raisons qui nous font douter de l'efficacité de ce moyen. La discussion préparatoire du budget est sans doute un des premiers devoirs des députés, mais l'exécution du budget voté, la surveillance directe des opérations qu'il comporte, ne sont pas moins utiles que sa discussion préparatoire.

Aujourd'hui, quand la loi budgétaire est votée, voici ce qui arrive. Les ministres sont dotés des sommes qui sont présumées être nécessaires au fonctionnement des services et le Ministre des finances est chargé d'y pourvoir au moyen du budget des recettes de toute nature que la loi réclame des contribuables. Après l'exercice clos, la Cour des comptes juge les écritures et les actes des agents et remet à la Chambre des députés le résultat de ses travaux, que cette dernière accepte et sanctionne toujours après un examen sommaire. Les contribuables qui demandaient un budget en équilibre et qui ont payé leurs impôts devaient se croire dégagés, mais ils apprennent qu'il y a déficit et qu'il faut faire un emprunt pour consolider la dette flottante dont le budget ne parle pas, et qui est destinée, dans nos mœurs financières, à équilibrer, momentanément bien entendu, les recettes et les dépenses du ministère des finances.

Un économiste, M. Vraye, qui a étudié avec soin notre budget, définit ainsi la dette flottante: « Il y a des capitaux, tels que ceux des départements, des communes, des caisses d'épargne, des administrations publiques, que le Trésor ne pourrait refuser de recevoir en dépôt. Une fois ces capitaux entrés dans ses caisses, le Trésor les doit. Voilà la

dette. Et comme la somme de ces capitaux s'élève ou s'abaisse selon l'importance des dépôts et des retraits qui en sont faits, elle n'est jamais fixe, elle est flottante, d'où la dénomination de dette flottante employée dans le budget.

<< Mais ce n'est là qu'une partie de la dette flottante. Il arrive que pour le service de la Trésorerie, alors que les rentrées de l'impôt sont inférieures aux payements qui sont à faire, le Trésor a besoin de ressources momentanées. Ces ressources, le Trésor les trouve d'abord dans les comptes courants des Trésoriers payeurs généraux; ensuite par l'émission des bons dits du Trésor dont on peut restreindre ou augmenter l'importance en en modifiant l'intérêt, c'est-à-dire en abaissant cet intérêt quand les capitaux sont abondants et en quête de placements, en l'augmentant pour les attirer quand ils sont rares et ne s'offrent pas ».

Il ajoute plus loin : « On a déjà dit que la dette flottante pourvoyait aux ressources momentanément nécessaires quand les recettes ne s'effectuent pas aussi vite que l'exigent les payements réclamés, mais ces besoins passagers sont loin d'absorber la masse des fonds versés en compte courant et en dépôt ou provenant de l'émission des bons du Trésor. C'est pourquoi le Trésor emploie la plus grande partie, environ neuf dixièmes en moyenne, des capitaux de la dette flottante à couvrir les déficits accumulés des exercices précédents; un dixième à peu près est employé à fournir au Trésor les ressources qui lui sont provisoirement utiles. » Enfin il ajoute : « A quoi sert la dette flottante? La dette flottante sert aux besoins passagers et transitoires de la Trésorerie; mais dans sa généralité, elle sert à couvrir, à masquer pour un temps les déficits des budgets ».

Il est extrêmement rare que le budget des dépenses réalisé soit inférieur au budget voté. Cela s'est-il jamais vu ? Mais il est d'habitude que ce budget soit dépassé par des imprévus de toute nature. Le contraire a lieu pour le budget des recettes qui sont toujours inférieures aux prévisions. C'est alors surtout que la dette flottante intervient et que la dernière phrase de l'économiste que nous venons de citer est juste. A côté du budget voté fonctionne un instrument de crédit laissé absolument à la discrétion du Ministère des finances et dont on ne s'occupe que lorsqu'il devient nécessaire de payer les dettes contractées par son moyen, de consolider la dette flottante.

La Chambre des députés est le délégué direct des contribuables; elle le prouve en entrant de plus en plus dans les détails du budget: elle use de son droit. Mais si ce droit ne lui est pas contesté, pourquoi la conséquence serait-elle mise en doute? Voter les dépenses devrait donner le droit de contrôler l'exécution des dépenses et le contrôle en devrait être permanent.

Le Ministre des Finances qui reçoit la loi budgétaire, n'a qu'un rôle bien défini à remplir, c'est de l'exécuter dans la mesure du possible en appuyant sa responsabilité sur celle des Ministres ordonnateurs entre les mains desquels on a ouvert les crédits demandés et autorisés et dont ils usent au mieux sans doute de leur administration, mais aussi sous la pression des circonstances et des événements. Le budget des recettes lui donne les ressources prévues pour faire face aux besoins, mais il a à sa disposition les bons du Trésor et la dette flottante, dont il peut user sans contrôle. Il doit être prêt à payer les sommes qui lui sont réclamées et qui sont régulièrement ordonnancées. On ne saura ce qui s'est passé que lorsqu'il faudra demander un emprunt pour régulariser la dette flottante, puisque la Chambre n'a aucun moyen de savoir au jour le jour l'état de cette dette et que la Cour des comptes n'a d'autre but que de s'assurer que les mouvements ont été faits suivant les règles de la comptabilité publique.

L'administration de la France coûte trop, dit-on. Est-ce par suite de son organisation, est-ce par suite du laisser-aller dans les dépenses? On n'en sait pas grand'chose. Cependant nous approuvons fort les députés qui demandent un examen sérieux de cette administration. Ceci est une affaire d'avenir. Pour le présent et en attendant, nous voudrions voir prendre des mesures qui permissent de prémunir le pays contre le laisser-aller des dépenses. Chaque ministre cherche à obtenir le plus de crédits possible, et souvent il reste en fin d'année à utiliser des crédits sans emploi. Pourquoi la Chambre, comme un bon administrateur, ne veillerait-elle pas sur les ordonnateurs? Elle seule pourrait le faire efficacement. Eh bien! il existe un moyen de contrôle réel et direct et c'est à la comptabilité que nous devons le demander. C'est dans l'organisation d'une comptabilité d'État que se trouve le remède.

Nous avons essayé à plusieurs reprises de démontrer que nous n'avons d'autre comptabilité publique que celle du ministère des finances. On laisse en dehors de cette comptabilité d'argent celle des autres valeurs, malgré son importance, agissant en cela comme le ferait le chemin de fer de Paris-Lyon-Méditerranée, par exemple, s'il ne tenait pour toute comptabilité que celle de sa caisse sans se préoccuper de ses relations extérieures et de ses mouvements intérieurs si nombreux et si considérables. Nous ne reviendrons pas sur ce sujet. Nous dirons seulement que la comptabilité d'État, comme elle est tenue par la Suisse et comme l'Italie est parvenue à la faire par des méthodes que nous n'avons pas à juger, devrait être la synthèse de toutes les comptabilités publiques, réunies en un ensemble logique, donnant une situation de la fortune publique et permettant d'en suivre les fluctuations. Qu'on n'aille pas s'imaginer que c'est un double, une copie sous une autre forme des

écritures infinies de notre comptabilité actuelle que nous demandons. Loin de nous la pensée d'augmenter le personnel et les frais de notre administration. Nous allons essayer de fixer les idées à ce sujet par une comparaison.

Les grandes affaires industrielles et commerciales, les chemins de fer par exemple, ont un nombreux personnel; elles ont des écritures originaires d'exploitation considérables, des mouvements de fonds et de matériel très détaillés, et malgré cela, elles centralisent dans un bureau composé de quelques employés, dans un journal et dans un grand livre uniques, tous ces mouvements. Elles obtiennent de ces deux livres des situations mensuelles qui montrent avec exactitude l'état de leur capital. Je citerais des affaires de premier ordre où avec trois ou quatre personnes on centralise et contrôle les écritures de centaines d'employés. C'est ce que nous voudrions voir organiser sous le titre de comptabilité d'État, à la Cour des comptes, et nous voudrions que la Chambre des députés, administrateur de la France, puisqu'elle autorise les budgets, exigeât à intervalles réguliers et rapprochés, que la situation de cette comptabilité lui fût soumise. Une situation de ce genre bien entendue, laissant la possibilité de descendre de l'ensemble aux détails ou de remonter des détails à l'ensemble, permettrait à nos représentants d'échapper aux surprises de toute sorte et surtout à celle de la dette flottante. Une commission de spécialistes choisie parmi eux, s'il y en a, et qui prendrait son rôle à cœur, saurait bien vite à quoi s'en tenir sur l'exécution des budgets et sur leur préparation.

Oui, il faudrait organiser la comptabilité d'État à la Cour des comptes: il faudrait qu'elle pût présenter des situations mensuelles de son grand livre à une commission spéciale chargée de l'examen et du contrôle de cette situation au moyen du rapprochement des comptabilités de détail des écritures d'ensemble, et nous aurions avisé au plus pressé. La Cour des comptes, par le bureau de la comptabilité d'État, établi sous sa surveillance, se trouverait dégagée d'un travail long et fastidieux, celui de la vérification des additions et des calculs de l'innombrable quantité de pièces qui lui arrivent à la fin de chaque exercice et on peut juger du nombre de ces pièces par celui du Ministère de la marine qui, pour la seule comptabilité matières des arsenaux, dépasse le chiffre annuel de cinquante mille. Le bureau de la comptabilité d'État suivant et résumant chaque mois, dans son grand livre, les écritures de tous les services, dûment vérifiées, ne laisserait plus à la Cour que son rôle réel à remplir, celui de juger les actes des agents. Sans connaître par le détail la manière dont elle fait vérifier les pièces de comptabilité qui lui sont soumises, nous pourrions affirmer que le bureau de la comptabilité d'État, par le rapprochement facile qu'il ferait des mouvements con

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