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valeur au salaire des cultivateurs et à la situation matérielle des paysans et, accessoirement, le salaire des cultivateurs à celui des autres ouvriers et au prix des denrées et autres produits agricoles; le prix est de quatre mille francs et le terme du concours est la fin de l'année 1889.

Le prix quinquennal fondé par feu le baron Félix de Beaujour portera, pour 1890, sur l'assistance par le travail: il y aura à étudier les différents systèmes, examiner leurs conséquences directes et indirectes, distinguer les utopies et les procédés pratiques et présenter le tableau des efforts accomplis et les moyens mis en œuvre pour prévenir la misère par le travail; le prix est de la valeur de six mille francs; la date pour la remise des mémoires est le 31 décembre 1889. Le concours Léon Faucher pour l'année 1891 est consacré à Vauban économiste; le prix est de la valeur de trois mille francs et le terme du concours fixé au 31 décembre 1890.

Section d'histoire. L'Académie rappelle qu'elle a proposé pour 1889 la question des Institutions politiques, judiciaires et financières du règne de Philippe-Auguste, exposées d'après la lecture et la critique des écrivains du temps et des chartes et diplômes publiés ou inédits de ce règne; le prix est de deux mille francs et la date pour l'envoi des manuscrits le 31 décembre 1888. Pour 1892, elle a donné ce sujet : la politique étrangère de l'abbé Dubois : les concurrents devront s'attacher à exposer, d'après les documents authentiques conservés dans les archives de France et d'Angleterre, la politique étrangère de l'abbé Dubois depuis ses premières négocations jusqu'à sa mort; ils en apprécieront les résultats au double point de vue de l'intérêt et de l'honneur de la France; le prix est de la valeur de deux mille francs; les concurrents ont jusqu'au 31 décembre 1891 pour remettre leurs travaux. Le concours Bordin pour 1 890 portera sur ce sujet : étudier l'histoire et la constitution de la propriété foncière chez les Grecs en s'arrêtant à la conquête romaine; le prix est de deux mille cinq cents francs et la date pour l'envoi des mémoires reculée au 31 décembre 1889. En 1888, l'Académie décernera le prix Jean Reynaud et en 1889 le prix Jules A udéoud, destiné à encourager les études, les travaux et les services relatifs à l'amélioration du sort des classes ouvrières et au soulagement des pauvres soit par des lois ou des actes administratifs, soit par l'initiative privée et le progrès de toutes les sciences. Le prix sera de neuf mille francs; les ouvrages parus depuis le 1er janvier 1880 seront admis à concourir; ils devront être déposés au secrétariat de l'Institut le 31 décembre 1888.

JOSEPH LEFOrt.

SIR HENRY SUMNER MAINE

Sir Henry Sumner Maine est mort à Cannes, le 5 février, à l'âge de soixante-cinq ans. La science des origines du droit éprouve en lui une perte irréparable et qui sera vivement sentie en France, où quatre de ses principaux ouvrages sont connus et prisés à une haute valeur. Nous voulons parler de l'Ancien Droit 1, des Etudes sur l'histoire des Institutions primitives, des Etudes sur l'ancien Droit et la coutume primitive, enfin des Essais sur le gouvernement populaire ^.

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La carrière de ir Henry Maine a été très laborieuse, très féconde et d'une unité scientifique parfaite. Professeur, assez jeune encore, à l'Université de Cambridge, il comptait déjà parmi les personnages marquants de l'Angleterre. Il était de ces écrivains qui, avec lord Cecil, devaient contribuer à mettre la Saturday Review au premier rang des organes de la presse britannique. Quand l'Ancien Droit parut en 1861, Darwin allait publier ou venait de publier l'Origine des espèces. On vit dans les procédés et dans le sujet même on ne sait quelle similitude: on crut et l'on dit que Sumner Maine allait créer la « paléontologie >> des lois, comme Darwin la paléontologie naturelle. C'était, en effet, dans l'étude des lois comme dans l'histoire des êtres, la victoire de la doctrine évolutionniste. C'était quelque chose de plus : l'avènement du génie saxon ami des accumulations d'exemples, choisis pour servir de base à des inductions rigoureuses.

Il se faisait, dans les sciences sociales, un travail de renouvellement. On s'y appliquait à la fois, avec prudence et hardiesse, la psychologie, la logique, l'économie politique, l'archéologie, la philologie, la théogonie même devenaient des branches de l'histoire du genre humain. On s'efforçait de tirer de leur nuit les vieilles sociétés orientales; les anciennes religions n'étaient plus considérées seulement comme des mythologies bonnes à inspirer les poètes, et ce qu'on leur demandait désormais, c'était moins la légende des dieux qu'elles célébraient que l'histoire des hommes qui les avaient imaginées et pratiquées. L'Angleterre était un foyer d'activité intellectuelle: Darwin donnait l'impulsion générale et, si l'on peut dire, l'outil pour la reconstruction des sciences;

1 L'Ancien Droit, traduit par J.-G. Courcelle-Seneuil, Paris, Guillaumin, in-8°, 1874.

Etudes sur l'histoire des Institutions primitives, Thorin, in-8°, 1880. Etudes sur l'ancien Droit et la coutume primitive, Thorin, in-8°, 1883. * Essais sur le gouvernement populaire, Thorin, in-8°, 1887.

Herbert Spencer entreprenait cette œuvre immense d'où sont sortis les Principes de sociologie; dans le vaste domaine qui s'ouvrait à l'exploration, sir Henry Maine ferma son champ et ne s'arrêta plus qu'il ne l'eût défriché.

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Ce champ, c'est l'histoire du droit. M. Courcelle-Seneuil, dans la préface qui précède sa traduction, observe que le droit et son histoire avaient été, avant sir Henry Maine, « l'objet de travaux importants et de véritables découvertes, mais que ces découvertes partielles étaient énoncées avec obscurité, trop mêlées de conjectures et d'erreurs pour ne pas être contestées et, dans une certaine mesure, contestables. Ce que l'Ancien Droit apportait, c'était non pas des découvertes partielles sur plusieurs points, pour plusieurs époques, en divers pays, mais une explication complète, universelle, «< humaine » d'un petit nombre des faits qui composent la vie historique de l'humanité. D'une telle explication, toute conjecture était bannie, si elle n'avait pour fondement des témoignages irrécusables et si elle n'en découlait pas par une suite nécessaire, si elle ne prolongeait pas, en quelque sorte, un phénomène positif. Les scrupules de la critique étaient une garantie de vérité; en écartant la conjecture, Sumner Maine évitait une chance d'erreur. Il ne lui restait qu'à formuler clairement ce qu'il avait pensé logiquement. John Stuart Mill proclame qu'il y a réussi : « Voici, dit-il de l'Ancien Droit, voici un livre profond, écrit dans une langue de cristal ».

Sans doute, on pourrait reprocher à sir Henry Maine, et M. CourcelleSeneuil l'a fait avec raison, certaines réticences, certaines omissions, volontaires le plus souvent; on pourra l'accuser (d'autres y verront un mérite) d'avoir trop circonscrit ses recherches; on niera qu'il ait dit le dernier mot de l'histoire du droit. Mais qui donc, en quoi que ce soit, est sûr d'avoir dit le dernier mot ? Il n'en demeure pas moins acquis que· l'Ancien Droit a fait avancer notablement, s'il ne l'a pas créée, l'archéologie juridique, et qu'à entrer dans les détails, les chapitres sur l'équité et le droit naturel, sur la propriété primitive, sur l'histoire primitive des délits et des crimes, sont des modèles qu'on n'égalera pas de sitôt. Quoi de plus frappant que la page où Sumner Maine montre comment la propriété féodale se rattache à l'emphytéose par la tenure romaine des agri limitrophi? On sait qu'entre les grandes forteresses placées sur les lignes du Rhin et du Danube, qui protégèrent longtemps la frontière de l'empire contre ses voisins barbares, s'étendait une suite de terres, les agri limitrophi, occupées par les vétérans de l'armée romaine, à titre d'emphytéotes.

« L'Etat romain, dit sir Henry Maine, était maître du sol, mais les soldats le cultivaient sans être troublés, tant qu'ils se tenaient prêts à répondre à l'appel pour le service militaire, si l'état de la frontière l'exi

geait. En réalité, une sorte de service de garnison, sous un régime ressemblant beaucoup à celui des colonies militaires de la frontière austroturque, avait remplacé la rente perpétuelle, qui était la redevance de l'emphytéote ordinaire. Il semble impossible de douter que ce soit là le précédent copié par les rois barbares qui fondèrent la féodalité. Ils avaient vu fonctionner l'emphytéose pendant quelques centaines d'années, et un grand nombre de vétérans qui gardaient la frontière étaient eux-mêmes, il ne faut pas l'oublier, d'origine barbare et parlaient probablement les langues germaniques. La proximité d'un modèle si facile à imiter explique d'où les rois francs et lombards tirèrent l'idée de s'assurer le service militaire de leurs soldats en leur donnant des terres de leurs domaines; elle explique peut-être aussi la tendance à l'hérédité qui se montra immédiatement chez les bénéficiers, parce que l'emphy téose, quoique pouvant être ramenée aux termes du contrat originel, passait pourtant à l'ordinaire aux héritiers de l'emphytéote. Le devoir de respect et de gratitude pour le supérieur féodal, l'obligation de l'aider à doter sa fille et à armer son fils, l'obligation d'être sous sa tutelle en minorité et plusieurs autres détails de la tenure doivent avoir été littéralement empruntés aux relations que le droit romain établissait entre le patron et l'affranchi, c'est-à-dire entre l'ancien maître et l'ancien esclave ».

Que de pages pareilles nous aurions pu citer aussi justement que celle-là, non moins fortes et non moins séduisantes par la plénitude et l'ampleur du raisonnement! Dans toutes comme dans celle-là, apparaissent la méthode et le plan de Sumner Maine, méthode qui ne craint pas de recourir à la comparaison, qui, au contraire, s'en aide largement et cherche dans les modes les plus en retard des sociétés contemporaines ces vestiges du passé, transformés pour faire le présent; plan qui unit d'une union étroite l'histoire des personnes et l'histoire des biens et qui de leur double évolution fait une seule évolution, plaçant ainsi l'homme au centre de toute chose et au sommet de toute science, par l'affirmation que tout, autour de l'homme, part de lui, aboutit à lui ou se résume en lui.

Le succès de l'Ancien Droit fut éclatant et est resté durable. Le livre de sir Henry Maine est, depuis lors, devenu classique, et le conseil des études historiques, à Cambridge, l'a porté sur le catalogue des ouvrages désignés pour le concours de 1878. Mais, dès le lendemain de sa publication, sir Henry Maine était célèbre et se voyait comblé de dignités et de charges officielles. La reine l'envoyait aux Indes occuper, comme jadis Macaulay, un fauteuil de membre juriconsulte près du suprême gouvernement. Un instinct irrésistible, tel qu'en ont les savants de génie, poussait Sumner Maine vers la péninsule du Gange. C'était là, Henry

Maine le devinait, le sol sacré, mystérieux, le sol du grand enfantement. Il eût paru à de moins clairvoyants que ces fonctions plus actives dussent détourner le philosophe de ses voies. Sumner Maine en tira le moyen de s'y engager plus avant et fit de ces fonctions mêmes les auxiliaires de sa tâche. Durant sept ans passés à Calcutta, en pleine période de réformes, la promulgation des codes anglo-hindous à peine faite, tandis qu'on s'occupait d'achever ces codes et qu'on les amendait encore, sir Henry Maine n'eut pas à prendre part à l'élaboration de moins de deux cent trente-cinq lois où il s'agissait de concilier l'histoire avec la vie, la tradition avec le progrès, de fondre et de mêler ensemble deux mondes dont toutes les parties semblaient si différentes.

Ce fut pour l'esprit exercé et curieux de Sumner Maine, esprit puissant dans l'analyse et prompt aux reconstitutions, une occasion excellente de découvrir l'ordre caché sous les apparences opposées, et de saisir, au berceau de la race aryenne, le secret de son développement. Il aperçut nettement que ces deux mondes étaient les fragments séparés d'un même monde, fragments dont l'un était resté immobile, pendant que l'autre n'avait cessé de se mouvoir. Le point de départ et le point d'arrivée lui donnaient les points intermédiaires; il surprenait dans le germe l'évolution complète. Il avait cherché dans le temps la loi des sociétés primitives; il lui avait suffi de s'écarter dans l'espace pour qu'elle lui fût révélée. Il rapportait de ce champ de mort des ferments de résurrection. Tout l'Occident allait s'éclairer pour lui de cette vision d'Orient.

Rentré en Angleterre en 1869, sir Henry Sumner Maine fut appelé successivement au conseil métropolitain de l'Inde, puis à l'une des chaires de droit de l'Université d'Oxford. D'Oxford, il retourna à Cambridge, où il succèda à sir William Harcourt comme professeur de droit international. En 1877, il fut promu à la Mastership, au TrinityCollege de cette même université de Cambridge. En 1886, M. Gladstone lui offrit la place de Chief-clerk à la Chambre des Communes, vacante par la démission de sir Erskine May; mais Henry Maine refusa sa chaire, disait-il, ne lui laissait pas de loisirs.

C'est qu'il avait une noble et trop rare façon de comprendre les devoirs de l'enseignement. Chacune de ses leçons était originale; il s'ingéniait au prix de quels efforts! à en faire autant de morceaux irréprochables d'érudition et de philosophie. On peut les examiner toutes; il n'en est pas une d'où ne jaillisse quelque lumière sur quelque difficulté abandonnée auparavant. La connaissance qu'il avait acquise de l'Inde l'avait comme armé d'un flambeau; la connaissance qu'il acquit de l'Irlande vint à son tour utilement accroître sa force d'investigation.

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