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leur chef accepté par Henri III comme héritier légitime du trône de France, tout cela ne suffirait pas pour expliquer la formidable révolte de la Ligue; elle fut une insurrection née en partie des fautes politiques, en partie des abus dont le roi se rendit coupable en matière de finances; la démonstration de M. Robiquet est irréfutable; il est même permis de dire que cet aperçu est presque neuf, car, jusqu'ici, l'on n'avait guère insisté sur cette cause de la Ligue.

Il y a une partie du livre qui mérite d'être signalée tout spécialement : c'est celle relative aux rentes de l'Hôtel-de-Ville à cette époque. La matière est si peu connue qu'il n'est pas sans utilité de s'y arrêter; l'analyse de l'exposé de M. Robiquet servira d'ailleurs à montrer l'intérêt de son travail.

Jusqu'à la mort du roi Henri II, on ne connaissait que les rentes dites des aides et gabelles parce qu'elles étaient assignées principalement sur les aides et gabelles, les domaines et les recettes générales ou particulières. A Paris, les premières aliénations de rentes faites par François Ier, en septembre 1522, étaient garanties par le produit des fermes du bétail à pied fourché et l'impôt du vin vendu au quartier de la Grève. A la fin du règne de Henri II, l'Hôtel-de-Ville avait déjà 630.000 livres à servir, déduction faite des rachats opérés en vertu des contrats. Lors de l'avènement de François II, Catherine de Médicis, conseillée par le chancelier de l'Hôpital, entreprit de combler le déficit du Trésor, qui était considérable, mais les trois Ordres paraissaient peu disposés aux sacrifices. Aux Etats-Généraux d'Orléans, le 10 décembre 1560, l'orateur de la Noblesse et celui du Tiers-Etat soutinrent que le Clergé ne devait posséder aucun bien temporel et qu'il convenait de vendre ceux qu'il possédait pour acquitter les dettes de l'Etat, sauf à donner des pensions aux ecclésiastiques. Le Clergé craignit une spoliation violente et l'assemblée des prélats, réunie à Poissy, offrit au roi, en vertu de la délibération du 10 septembre 1561, 4 décimes pendant six ans, soit 1,493,885 livres par an; une convention qui, bien que signée à SaintGermain-en-Laye le 21 octobre, prit le nom de convention de Poissy, chargea le Clergé de payer pendant six années 1.600.000 livres par an pour le rachat des domaines, aides et gabelles du roi aliénés dans les provinces, et ce, à dater du 1er janvier 1561 jusqu'au 31 décembre 1567. Le roi spécula sur la subvention annuelle du clergé. Par édit d'octobre 1562, il vendit au prévôt des marchands, avec faculté de rachat perpétuel, 100,000 livres de rente au denier douze, à prendre

Dans son livre sur François Miron et l'administration municipale de Paris M. Miron de l'Espinay a bien traité d'une manière développée cette question mais tout ce qu'il dit se rapporte au règne de Henri IV.

sur la subvention ecclésiastique qui était elle-même garantie par les revenus temporels du Clergé de France. En février 1563, nouvelle assignation de 200,000 livres de rente sur la même subvention. Elle fut suivie de plusieurs autres, de telle sorte qu'en 1567 les rentes assignées sur la subvention du Clergé s'élevaient déjà à 494,000 livres. La première partie du contrat de Poissy n'obligeait le Clergé à payer les 1,600,000 livres de don annuel que jusqu'au 31 décembre de cette même année 1567. Aux termes d'un nouveau contrat, sanctionné par lettres patentes du 15 octobre 1567, le roi déchargea le Clergé de la subvention de 1.600.000 livres et des rentes assignées sur cette subvention, à condition que le Clergé payerait en l'acquit du roi les 630.000 livres de rente dues par le trésor royal et assignées sur les domaines, aides et gabelles. Mais, pour amortir le capital de 7 millions et demi qu'il devait racheter en dix ans, le Clergé levait chaque année sur ses biens temporels 1.300.000 livres qui passaient en principe dans les caisses du receveur municipal, lequel touchait 1 p. 100 sur les sommes versées, à titre de commission.

A l'avènement de Henri III, la situation financière était déplorable; la condition des rentiers était des plus critiques. Le receveur municipal chargé en 1573 de recevoir les sommes que devaient payer les diocèses pour faire les fonds des rentes de la Ville ne put trouver « aucuns deniers,» et ce malgré les procurations données par les révérendissimes cardinaux et autres prélats » assemblés au Louvre. En présence d'un déficit montant à 1,500,057 livres tournois et des conséquences graves qui pouvaient résulter pour le crédit du roi du non paiement. des rentes, le receveur voulut se retirer; sa démission fut bien acceptée, mais à la condition d'acquitter ce qui était dù par le Clergé pour les quartiers des 6 premiers mois de 1575; en attendant, le revenu temporel du Clergé fut saisi. Le refus persista malgré cette voie d'exécution. Dès la fin de 1576, « Messieurs du clergé de France », aussi bien que « les receveurs généraux et particuliers du royaume » étaient redevables à la caisse municipale de 1,400,000 livres tournois; le receveur municipal eut beau faire toutes diligences; il put à peine payer 200-000 livres sur les quartiers du 1er trimestre de 1576; la Ville demanda au roi l'autorisation d'acquitter les quartiers échus sur des fonds ayant une autre affectation. Harcelé par la municipalité, le Clergé avait, à plusieurs reprises, demandé des délais; mais, à la suite d'une assemblée générale tenue le 5 juillet 1577 dans laquelle tout délai fut refusé, une ordonnance du bureau de la Ville défendit au receveur général du clergé de France d'acquitter les dettes du Clergé jusqu'au versement de ce qui était dû à la Ville. Il est vrai que le roi avait singulièrement abusé de la bonne volonté du Clergé ; le mécontentement croissant de ce dernier

força le roi à autoriser la réunion d'un synode à Melun (juin 1579); il y fut décidé que le Clergé avait suffisamment rempli les obligations que le contrat de Poissy lui avait imposées et qu'il se considérait comme délié de tout engagement envers les bourgeois de la capitale. L'effet de ce vote fut immense; pour parer à ses graves conséquences et à l'agitation occasionnée par cette suppression, le Parlement, à la demande de la municipalité, rendit un arrêt ordonnant l'arrestation des évêques qui se trouvaient hors du ressort et prescrivant à tous les prélats présents à Paris de comparaître en personne pour répondre devant la Cour aux réquisitions du procureur général. Le Clergé se soumit: il revint sur sa détermination.

Comme des sacrifices considérables étaient demandés à la municipalité par le roi, qui ne cessait de parler de la saisie des rentes, digne pendant des mesures violentes devant lesquelles ne reculait point le dernier Valois, la Ville réclama au Clergé l'exécution de ses engagements qui n'avaient pas été tenus. Malgré les actives démarches des représentants de la population, les assemblées du Clergé ne cherchaient qu'à gagner du temps et donnaient des réponses évasives; l'ordre ecclésiastique réun finit enfin par déclarer qu'il était hors d'état de payer. Les officiers municipaux s'adressèrent alors au roi et sollicitèrent la saisie du temporel du Clergé ; le roi hésitait êt la Ville dut accepter la proposition de Henri III, de constituer « 12,000 escuz soleil de rente, revenant à septvingt-quatre mil escuz en principal » avec assignation sur les recettes générales et particulières. Mais le roi ne se considéra pas comme obligé et, en 1588, il n'hésita pas à saisir et affecter à ses dépenses les deniers destinés au paiement des rentes. Cette saisie ne contribua pas peu, suivant l'ouvrage que nous analysons, à jeter dans la révolte la démocratie parisienne durement atteinte par de pareils procédés et à lui faire prendre place à côté de l'armée cléricale surexcitée par la vente partielle des biens du Clergé en 1576.

Ainsi que nous le disions plus haut, le travail de M. Robiquet constitue donc bien un chapitre de l'histoire financière de notre pays : c'est à ce titre que nous avons cru pouvoir nous y arrêter.

JOSEPH LEFORT.

LA POLITIQUE SOCIALE EN BELGIQUE, par A. BÉCHAUX, professeur d'économie politique à la Faculté libre de droit de Lille, lauréat de l'Institut. In-8°, Paris, Guillaumin, 1887.

Sous ce titre, un peu ambitieux, M. Béchaux indique au lecteur français les résultats connus jusqu'ici de la grande enquête belge sur le travail, qui a commencé à fonctionner en 1886.

On sait que cette enquête a été ordonnée à la suite des troubles ouvriers qui ont eu lieu, il y a deux ans environ. La Belgique s'était longtemps flattée, comme les États-Unis d'Amérique, de ne connaître les questions sociales que par le bruit qu'elles faisaient dans les autres pays. On sait aussi comment elle a été tirée de sa quiétude et on lui doit cette justice qu'elle s'est mise résolument à l'étude de ces questions trop négligées. J'ai assisté l'an dernier (septembre 1887) au second congrès de Liège (le premier a eu lieu en 1886), réuni sous la présidence très effective de l'évêque de Liège, Mgr. Doutreloux et j'ai été frappé du nombre des assistants comme aussi du travail qui s'est fait pendant les quelques jours que peut durer un congrès.

Le Parlement n'a pas voulu faire moins que les particuliers: il s'est déclaré prêt à discuter et à voter toutes mesures pouvant servir à rendre meilleure la situation de l'ouvrier. Mais il a voulu être instruit d'abord des moyens qu'il fallait prendre : d'où la désignation d'une commission d'enquête formée d'hommes les plus compétents sans distinction de parti.

Cette commission s'est mise à l'œuvre de suite. Ses membres, aidés de jeunes gens de bon vouloir, se sont partagé le pays, qui, heureusement pour eux est assez petit et les dépositions ont été, en beaucoup d'endroits, l'occasion d'une sorte de manifestation très pacifique, mais très sérieuse: nombre d'ouvriers assistaient aux dépositions, témoignant de la vérité des faits déclarés.

Les diverses sections de la commission d'enquête se sont ensuite réunies et les procès-verbaux de leurs séances avec les vœux qu'elles ont émis jusqu'à présent, forment le fonds du travail de M. Béchaux. Il y a joint son appréciation personnelle et même, à titre de document, les discussions de la section qui s'est occupée des corporations, nous dirions, en France, des associations professionnelles.

Dès la première séance, le ministre du commerce, M. de Moreau d'Andoy, indiqua dans quel esprit devait, à son sens, se faire l'enquête : << Le gouvernement ne s'exagère point l'influence que peuvent exercer l'intervention de la législature et la sienne dans le domaine des questions ouvrières. En pareille matière le rôle des particuliers est plus important que celui de l'Etat et les mesures réalisées par l'initiative individuelle auront toujours plus de succès que celles dont les pouvoirs publics voudraient imposer l'obligation. Il n'est pas douteux d'ailleurs qu'en Belgique le sentiment public repousserait instinctivement tout ce qui ressemblerait à une atteinte à la liberté individuelle. »

La Commission du travail est entrée dans cet esprit: sur la question de règlementation du travail, elle a repoussé toute intervention du législateur en ce qui concerne le travail des adultes, à l'exception des mesures

d'hygiène reconnues indispensables. Elle demande, au contraire, une loi pour protéger le travail des enfants et des femmes: la Belgique est la seule nation industrielle qui n'ait pas une telle loi.

La loi fixera-t-elle un salaire minimum? Non, dit avec raison la commission du travail. Mais cette commission demande des règles pour interdire, sauf en quelques cas spécifiés, le paiement des salaires en nature et le Parlement, faisant droit à sa réclamation, vient de voter sur се point une loi importante. M. Béchaux nous donne le texte de cette loi qui est fort semblable à la loi anglaise sur le Truck System.

La question d'arbitrage entre ouvriers et patrons a occupé aussi la commission du travail; mais les mesures qu'elle propose sont plus théoriques que vraiment efficaces. Elle a mieux réussi au regard des associations professionnelles, en proposant le régime de liberté pour les sociétés, tel à peu près qu'il est établi par notre loi du 21 mars 1884. Les Belges, toutefois, s'ils désirent s'inspirer de cette loi, pourront hardiment se montrer plus libéraux qu'elle, en ce qui concerne la question du patrimoine surtout. Ils pourront aussi corriger les défauts qu'une pratique de quelques années a déjà fait paraître dans notre loi. C'est à quoi sert l'exemple des devanciers.

L'institution de la caisse d'épargne existe en Belgique comme en France; comme en notre pays, les sommes déposées s'accroissent sans cesse et la commission du travail demande que des facilités nouvelles amènent de plus grands versements encore. L'économie est une fort bonne chose, mais ne pourrait-on confier les épargnes à d'autres qu'à l'État? C'est un point sur lequel on n'insiste pas assez, ce semble.

Une loi de 1875 confère aux sociétés coopératives l'exemption de certains droits de timbre et d'enregistrement, et la commission dit n'avoir qu'à se rallier au système légal en vigueur. Mais elle demande les mêmes exemptions pour les maisons ouvrières, ainsi qu'un certain nombre d'autres privilèges pour ces mêmes maisons. La difficulté est seulement de définir la maison ouvrière. Où commence l'ouvrier et où finit-il? Tiendra-t-on pour tel le seul salarié et faut-il encore qu'il ne soit pas contre-maître? Va-t-on exclure l'employé, souvent moins rétribué que l'ouvrier, et le petit artisan qui travaille à son compte tout en gagnant moins que bien des salariés? C'est l'un des inconvénients du privilège. M. Georges Picot disait récemment à l'Académie des sciences morales et politiques : « On doit reconnaître que l'œuvre poursuivie par la Commission belge du travail est la plus vaste qui ait été accomplie de notre temps. » Une commission française a été instituée l'an dernier pour entreprendre une œuvre semblable. Il sera curieux de comparer les deux enquêtes et les conclusions des commissions.

HUBERT-VALLeroux.

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