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NOTES DE VOYAGE, par M. GEORGES LIEUSSOU.

M. Georges Lieussou n'a pas voulu faire un livre avec les Notes de Voyage qu'il a recueillies sous le titre de Dix mois autour du Monde. Il n'y a même pas mis dix lignes d'introduction. Dès la première page, nous sommes sur le paquebot filant une douzaine de nœuds, vers Colombo, si je ne me trompe. Nous avons traversé le canal de Suez sans seulement nous en douter, et nous voici dans l'île de Ceylan, en visite chez Arabi, exilé depuis les derniers évènements d'Egypte. Nous le trouvons en pantalon blanc et en longue redingote noire, coiffé du fez et portant à la main droite un œil de chat monté en bague. » Arabi nous emmène chez son ami Mahmoud-pacha, qui est en train d'apprendre deux langues, le tamoul et l'hindoustani et, ce qui doit être beaucoup plus difficile pour lui, de s'exercer à la prononciation de l'anglais. Au sortir de là, nous allons visiter une exploitation de café. En chemin, comme les récentes pluies ont fait déborder le lac et comme les chevaux marchent dans l'eau : « C'est le Nil!» dit Arabi tristement.

« Les trente usines qui fonctionnent à Colombo reçoivent le café dans sa coque contenant deux graines jumelles, et le classent suivant sa grosseur... Le plus gros grain forme la première qualité. Chacune de ces usines occupe en moyenne 500 hommes et autant de femmes. La culture du café dans l'île de Ceylan a fait de rapides progrès depuis 1856. La plus forte récolte obtenue fut celle de 1872, où l'exportation atteignit 65.000 tonnes; le café de Ceylan, expédié à Moka, y était vendu comme produit de ce pays. Mais peu à peu l'exportation baissa: une maladie détruisit les plants (hemileja vastatrix); les colons se virent dans l'impossibilité de payer à l'Oriental Bank les arrérages échus de leur emprunt. L'Oriental Bank se saisit du gage, mais la valeur en était nulle pour le moment et une crise financière vint s'ajouter à la crise agricole. En 1884, Ceylan n'exportait plus que 20.000 tonnes de café environ. Sur certains points, en présence de cette situation, on a remplacé le café par le thé, qui donne de bons résultats. Mais il faudrait aux planteurs plusieurs années heureuses pour leur permettre de dégrever leurs terres. L'Oriental Bank s'est reconstituée sous le nom de NewOriental Bank, et la Reine a réduit à 400.000 la somme de roupies (qui était précédemment d'un million) fournie chaque année pour l'entretien de la garnison.

Mais ne nous attardons pas trop aux environs de Colombo, si nous ne voulons pas manquer le départ pour le sud de l'Inde, pour Tuticorin, Madura et la pagode historique de Seringham à Trichynopoly. Nous ne voyons le globe qu'en courant, par le hublot d'une cabine ou la portière d'un wagon. A peine si nous touchons barre dans les anciennes capitales

de la péninsule sacrée du Gange et dans les villes les plus bizarres du Japon et de la Chine, juste le temps de lire les quatre lignes que le guide consacre aux monuments classés et d'en lever une photographie. Après le Japon la Californie, et les Etats-Unis après les plaines de l'Ouest, puis l'Atlantique, puis le Havre... et la boutique de l'éditeur. Le tout, comme dans un roman de Jules Verne, avec une vitesse si prodigieuse que les steamers et les trains rapides de ce monde ne l'ont encore réalisée que par hasard.

CHARLES BENOIST.

RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE ET DENSITÉ DE LA POPULATION EN FRANCE, par VICTOR TURQUAN. Nancy, 1886, imprimerie Berger-Levrault.

M. Turquan a fait paraître sous ce titre un tirage à part d'une notice intéressante parue dans le journal de la Société de statistique de Paris. Le point de départ de son travail a été le calcul de la densité de population des 36.097 communes d'après les chiffres du dénombrement de 1881.

En établissant ensuite d'après les chiffres de densité, des tableaux, des diagrammes et une carte teintée, il est arrivé à mettre en lumière plusieurs faits intéressants.

D'abord, il fournit une démonstration de ce fait que, dans certains départements, la population spécifique est plus homogène que dans d'autres. Ceux qu'il classe au premier rang, à ce point de vue, sont : les Basses-Alpes, la Côte-d'Or, la Creuse, la Dordogne, le Doubs, l'Eure-et-Loir, le Gers, la Lozère, le Tarn-et-Garonne, la HauteVienne.

Au contraire, la Savoie, l'Isère, Vaucluse, les Bouches-du-Rhône, les Landes, présentent dans un espace assez restreint des densités de populations fort différentes.

La commune spécifiquement la moins peuplée est Vabres, 7.834 hectares pour 107 habitants, soit 72 hectares par tête d'habitant, ou 1,4 habitant par 100 hectares.

Onze communes ont de 2 à 3 habitants par 100 hectares (kilomètre carré).

26.000 ont une population comprise entre 20 et 80 habitants par kilomètre carré.

M. Turquan conclut de ses chiffres que la moyenne de la population rurale en France est 49 habitants par kilomètre carré. M. Loua était, par une autre méthode, arrivé au chiffre de 50. Ce qui ferait 1 habitant pour 2 hectares.

A titre de comparaison nous rappelons les chiffres suivants : La popula

tion totale de la France est de 38 millions d'habitants; sa superficie totale, 52 millions d'hectares.

Si l'on partageait, notre lot à chacun ne serait pas considérable, et toute cette étendue n'est pas cultivable.

1600000

320000

Le résultat le plus intéressant des travaux de M. Turquan c'est la carte par laquelle il les a traduits. Cette carte qu'il était nécessaire de faire grande pour pouvoir y mettre à leur place les milliers de minuscules communes, a été dressée d'après le type d'état-major au 3, qui comprend 33 feuilles. Nous ne l'avons pas sous les yeux, nous n'en avons qu'un fragment réduit au Ce fragment est curieux. Nous ne croyons pas que le mode de coloration en soit très bon. Le rouge à diverses teintes y représente les régions de grande densité de population, le bleu plus ou moins foncé, les zones de faible population. L'absence de couleur (le blanc sur du papier blanc) indique les surfaces où l'on rencontre 60 à 70 habitants par kilomètre carré (c'est le chiffre moyen).

A première vue, les espaces blancs paraissent devoir représenter les déserts et le bleu quelque chose de plus élevé dans la série des valeurs. Il faut un effort pour se représenter que le bleu représente des chiffres moindres que le blanc, et que la région inhabitée est teintée en bleu foncé; on doit s'y habituer et alors lire clairement la carte. Mais une carte ne doit-elle pas parler aux yeux très nettement ?

M. Turquan nous annonce la publication de sa carte complète; telle qu'elle, elle sera des plus suggestives; si cependant les teintes y étaient représentées par des pointillés de densité différente, elle serait plus facilement compréhensive, et on pourrait la photographier, ce qui permettrait de la vulgariser sous un format commode et accessible à tous.

La grande carte publiée, chacun pourra la commenter. M. Turquan fait remarquer avec justesse que si nous avions une carte semblable datant de 50 ans, on pourrait se rendre compte d'un coup d'œil de l'influence qu'ont eu les chemins de fer sur les migrations de la population. Elle sera utilement rapprochée des cartes agricoles, géologiques, vicinales, etc.

Nous ne saurions trop encourager les travaux de cet ordre. M. Levasseur avait déjà dressé une carte de la population spécifique par canton, carte qui lui avait fourni l'occasion de curieuses remarques. M. Turquan a fait un pas de plus dans la même voie.

La distribution de la population est un document de premier ordre pour ceux qu'intéressent l'histoire et l'évolution de l'humanité. Le principe de cette distribution est dans une société qui progresse, la grande loi humaine : la lutte pour la vie.

S'il arrivait qu'on y remarquât l'influence d'un autre élément, l'élément caprice, il faudrait réfléchir; le jour où quelque part sur le sol français, apparaîtront des zones de faible population spécifique, dont la présence s'expliquera non par la stérilité du sol mais par le vouloir de quelques amateurs fortunés aimant les grandes chasses, préférant le voisinage du lapin ou du faisan à celui des paysans, ce jour-là il faudra se souvenir du cri de l'historien latin: Latifundia perdiderunt Italiam, et crier à notre tour: Caveant consules !

Nous n'en sommes pas là. Quoi qu'il en soit, les cartes comme celles de M. Turquan sont des instruments de précision qui, en devenant périodiques, peuvent servir à mesurer et à suivre certains courants de l'humanité. Ils auront pour les économistes l'utilité qu'ont pour les autres savants, les marégraphes, les thermomètres, etc.

LÉON ROQUET.

Dr KARL MAMROTH. Die Entwickelung der œsterreichisch deutschen Handelsbeziehungen. 1849-1865.

Les études qui ont pour objet de nous exposer le développement des relations commerciales entre les grands Etats de l'Europe ont un intérêt particulier. Dans la période de réaction économique que nous traversons et qui menace de se terminer par l'isolement chinois, par l'exhaussement indéfini de la muraille douanière, il est utile de connaître l'histoire des années antérieures, de rappeler comment d'autres tendances plus raisonnables se sont fait jour en Europe.

M. Karl Mamroth s'est donné la mission d'éclairer d'une lumière nouvelle un des épisodes les plus intéressants de l'existence du Zollverein allemand: le dualisme entre la Prusse et l'Autriche. Il embrasse la période de 1849 à 1865. L'auteur a examiné l'abondante littérature des brochures, de rapports des chambres de commerce, des protocoles, des conférences gouvernementales et il a su en tirer un excellent profit.

Dès 1841, Metternich avait vu la nécessité de renoncer au régime de la prohibition et de se rattacher, si possible, à l'union douanière allemande. Dans les mains de la Prusse, le Zollverein, grâce au développement considérable de l'activité économique, constituait un levier puissant dans les mains de la Prusse, et les hommes d'Etat autrichiens en étaient inquiets et jaloux. Pour la seconde fois, en 1847, des négociations furent entamées par eux, mais elles n'aboutirent pas. Ce ne fut qu'en 185 que le premier traité de commerce fut conclu entre l'Autriche et le Zollverein.

A. R.

CHRONIQUE

SOMMAIRE: Les approches d'une crise constitutionnelle. nouveau ministère.

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Les

La déclaration du La proclamation et le rescrit de l'Empereur Frédéric III. La conférence internationale des tarifs douaniers. négociations commerciales entre la France et l'Italie. Le plan financier de M. Goschen. - Encore la baisse du rouble. Le protectionnisme ouvrier. Ces infames placeurs. Nécrologie M. F.-W. Raffeisen. M. Ph. Bourson.

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Supposons une société industrielle dont les actionnaires se compteraient par millions et auxquels on aurait persuadé que, à défaut de pouvoir la gouverner eux-mêmes, ce qu'ils ont de mieux à faire, c'est d'en confier la gestion à quelques centaines de mandataires suffisam ment rétribués; supposons encore que ces quelques centaines de mandataires, reconnaissant à leur tour l'impossibilité de gérer eux-mêmes les affaires de la société, en chargent un conseil d'administration nommé par un fonctionnaire spécial dont c'est à peu près la seule occupation, mais à qui ils se réservent le droit d'imposer leurs choix sous peine de l'obliger à se démettre; supposons enfin que les actionnaires de la société, n'ayant qu'une notion vague de leurs devoirs envers elle, ne songent qu'à l'exploiter au profit de leurs intérêts particuliers, qu'ils ne considèrent leur droit de participer à sa gestion par l'intermédiaire de leurs mandataires que comme un moyen de s'introduire dans le nombreux personnel qu'elle emploie ou d'augmenter à ses dépens les profits de leurs industries particulières, qu'ils ne prennent, en conséquence, pour mandataires que des hommes disposés à leur rendre ce genre de services sans se préoccuper autrement de l'intérêt de la société, qu'ils soient en outre profondément divisés entre eux, les petits actionnaires voulant dépouiller les gros, les gros manger les petits, et tous s'emparer du gouvernement de la société pour arriver à leurs fins, que se passera-t-il? C'est que ces divisions, ces intérêts et ces passions hostiles ne manqueront pas de se manifester dans l'assemblée de leurs mandataires et d'y produire des luttes violentes et acharnées. Des partis répondant chacun à une catégorie quelconque d'intérêts et d'appétits se disputeront l'exploitation de la société et, plus ces partis seront nombreux, plus la situation du conseil chargé de la direction des affaires deviendra précaire. Ce malheureux conseil sera à la merci de toutes les combinaisons et coalitions que peut susciter l'ambition du pouvoir et il aura pour

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