Page images
PDF
EPUB

Clotaire II remporta fur les Saxons. Les François, hommes & femmes, la chantoient dans leurs danfes. Voici ce qu'on nous en a confervé, afin qu'on en puiffe juger plus fainement.

De Clotario eft canere Rege Francorum,

Qui ivit pugnare cum gente Saxonum;
Quam graviter proveniffet Miffis Saxonum,

Si non fuiffet inclytus Faro de gente Burgundionum !

Quando veniunt Miffi Saxonum in terram Francorum,
Faro ubi erat Princeps

Inftinctu Dei tranfeunt per urbem Meldorum

Ne interficiantur à Rege Francorum.

On voit fans peine qu'au lieu de poëfie, ce n'eft qu'une mauvaise profe, mife en plus mauvaise cadence.

LXI. Comme il fe rencontroit encore alors en France, quoique rarement, des poëtes qui pour leurs difpofitions & leur génie pour la poëfie, n'étoient pas tout-à-fait indignes de ce nom: de même il s'y trouvoit auffi des Sçavants qui confervoient encore pour la profe une bonne partie de la délicateffe & du bon goût, qui accompagnoient les Letres aux fiecles paffés. Il y a même quelques-uns de leurs Ecrits, qui retiennent plus de politeffe & d'autres beautés, que beaucoup qui ont été faits dans le premier fiecle de la décadence des Letres. Tels font les actes du martyre de S. Quentin, les vies de Sainte Salaberge, de S. Siran en Berri, de S. Vandregifile, de Sainte Rufticule, de S. Germain de Grandfel, & quelques autres femblables. Au merveilleux près, qui ne regne pas même dans toutes ces pieces, on n'écrivoit point mieux ni au commencement du VI fiecle, ni à la fin du V. Il eft vrai que le VII, dont il eft ici queftion, n'eft pas fécond en écrivains de ce mérite. Il ne laiffe pas néanmoins d'en produire quelques-uns ; & cela n'eft du tout point surprenant, malgré le déperiffement géneral des fciences. Car comme il ne ceffa point d'y avoir des Ecoles où l'on enfeignoit publiquement, fur-tout dans les monafteres où l'on avoit foin de cultiver la connoiffance des langues, pour les raifons qu'on en a apportées ailleurs, il eft aile qu'il fe trouvât des Éleves, qui aïant plus de génie & de goût que les autres, s'appliquaffent avec plus de zele aux belles Letres, &

confervaffent par-là quelque refte de la bonne Literature.

LXII. A cela près, les chofes fe maintinrent en ce fiecle parmi les gents de Letres, prefque fur le même pied qu'elles étoient au fiecle précedent, par rapport à la doctrine, au goût & au génie pour l'étude, à la maniere d'écrire. On s'en tint aux mêmes principes pour la Théologie & la Morale; & quoiqu'on violât fouvent, & en plus d'une maniere les faints Canons, on les regardoit néanmoins encore comme la règle de la difcipline. On continua à fe plaire aux prodiges, à ne goûter que le merveilleux & l'extraordinaire; & prefque toutes les vies de Saints que l'on compofa alors, font plutôt des éloges & des panégyriques, que des relations fimples & naïves de leurs actions & de leurs vertus. On y emploïa encore, comme au fiecle précedent, une fauffe éloquence, qui ne confiftoit qu'en des pensées peu juftes & naturelles, des tours guindés, des expreffions affectées, des pointes recherchées, un amas d'épithètes fans ordre, fans difcernement, des cadences réitérées, mais plus propres à ennuïer qu'à réveiller l'attention du lecteur; en un mot, une maniere de s'énoncer qui ne tendoit qu'à fe rendre inintelligible. De forte quà le bien prendre, toute la différence par rapport aux Letres entre le VI & le VII fiecle, confifte d'une part en ce qu'elles tomberent prefque entiérement parmi les Laïcs, & une partie du Clergé pendant ce fiecle-ci, quoiqu'elles fuffent cultivées avec un nouveau foin parmi les Moines; & que de l'autre on y fut moins foigneux d'écrire pour la poftérité, & de conferver la bonne orthographe.

LXIII. Ce VII fiecle rencherit encore fur le VI, au fujet des legendes faites à loifir. On a vû dans l'hiftoire du fiecle précedent,' que pour accréditer la dévotion aux tombeaux Gr. T. gl. M. 1. des Saints, que les peuples ne fréquentoient, qu'autant qu'ils 1.c. 64. étoient inftruits des merveilles que Dieu avoit operées en eux pendant leur vie, ou qu'il continuoit d'operer par eux après leur mort,la pieté, mais une pieté qui n'étoit ni folide, ni éclairée, portoit quelquefois à amplifier & groffir les merveilles de leurs legendes. D'autre fois même, lorfqu'on manquoit des vies originales de ces Saints, on y en fubftituoit d'autres faites après coup. Mais on avoit ordinairement foin d'y inferer ce que la tradition du païs confervoit de leurs actions. Ainfi ces legendes n'étoient pas tout-à-fait imaginées. En ce fiecle-ci l'on fe défit de ce fcrupule, & l'on alla jus

Duchef. t. 2. P. 876-888.

qu'à en fuppofer d'entiérement fauffes. C'est ainsi qu'un impofteur, qui vivoit après les premieres années de ce fiecle, s'avifa de fabriquer des actes de S. Taurin Evêque d'Evreux, qu'il fait envoier dans les Gaules par le Pape S. Clement à la fin du premier fiecle de l'Eglife. Et pour donner un air d'autorité à son invention, il a la hardieffe d'affurer qu'il avoit reçû le baptême de la propre main de S. Taurin. Á cela on ajoutoit quelquefois des noms célebres qu'on fe donnoit, à deffein de mieux cacher fa fiction, & d'impofer avec plus de facilité. De telles impoftures, il faut l'avouer, ne pouvoient fe montrer que fous les aufpices de l'ignorance qui les mettoit à couvert.

peux,

LXIV. On rencherit encore en ce fiecle fur les titres d'honneur qu'on fe donnoit mutuellemenr dans les letres qu'on s'écrivoit. Nous avons obfervé ailleurs que nos Evêques François du VI fiecle, avoient déja dégeneré en ce point de la noble fimplicité des bons fiecles de la Literature, où le titre de Papeétoit le plus relevé qu'ils fe donnaffent. A celui-ci ils en ajoûterent divers autres qui leur paroiffoient plus pom& dont nous avons rapporté quelques exemples. Nos Prélats du VII ne s'en tinrent pas là, & en inventerent encore d'autres, comme celui d'Eminence, qui eft devenu en ces derniers fiecles le titre fpécial des Cardinaux. Quelquefois ne trouvant point de termes à leur gré pour exprimer la grandeur de leurs idées à ce fujet, ils le fervoient de cette périphrase ampoulée: palmata triumphatione decorati & pontificali officio coronati. Mais fi leur politeffe ne leur permit pas de s'en tenir à la premiere fimplicité, & leur fit inventer de nouveaux titres d'honneur pour relever le mérite de leurs collegues, leur humilité de fon côté leur en infpira d'autres encore nouveaux,pour exprimer les bas fentiments qu'ils avoient d'eux-mêmes. Outre la qualité de pécheur, déja usitée dans les fiecles précedents, ils prirent encore celle de ferviteur des ferviteurs de Dieu, qu'ils pouvoient avoir empruntée du Pape S. Gregoire le Grand qualité que divers Abbés & quelques Moines prirent auffi à leur exemple. De même en écrivant au Roi, ils ajoutoient quelquefois à leurs autres titres d'humilité celui de fidéle Sujet. C'eft de quoi nous n'avons point remarqué d'exemple avant le VII fiecle.

LXV. En quelque ftyle au refte,& en quelque petit nombre que foient les Ecrits qu'on nous en a confervés, ils ne laif

fent

fent pas d'avoir leur mérite. Ils doivent même nous être d'au-
tant plus précieux, qu'ils font plus rares. Ce qu'on en eftime
ordinairement le moins, font les vies des Saints; & c'eft ce-
pendant dans le fond ce qui en fait la plus excellente comme
la plus grande partie. Non feulement elles fervent à continuer
la chaîne de la tradition de l'Eglife fur fa doctrine, dont elles
contiennent quantité de traits fur le dogme, la morale, la
hiérarchie, la difcipline tant eccléfiaftique que monaftique;
mais elles font encore d'un grand fecours pour fuppléer à ce
qu'on ne nous a pas appris d'ailleurs de l'hiftoire de ce fiecle.
Il s'y trouve effectivement une infinité de faits hiftoriques,
qui fe font prefque tous paffés dans l'étendue du Roïaume, &
grand nombre de maximes, d'ufages, de coutumes, qui nous
font connoître les anciennes mocurs de la nation Françoife.
Il eft aifé de juger du fecours qu'on en pourroit tirer pour nô-
tre hiftoire en général, par les fçavantes remarques que Dom
Mabillon en a tirées fur divers fujets dans fa Préface du fe-
cond fiecle de l'Ordre de S. Benoît, &
les lumieres que
nous en avons tirées nous-mêmes pour compofer ce difcours.
Avant que
de le finir, il ne fera peut-être pas hors de propos
d'avertir que ce fiecle a été fécond en Teftaments. Grand
nombre de perfonnes de tout état, des Abbés & des Abbeffes
même, & quelquefois de fimples Religieufes, fe mirent fur
le pied d'en faire. Nous ne croïons pas au refte devoir char-
ger nôtre hiftoire de la difcuffion de pieces de cette nature
à moins qu'elles n'appartiennent à des gents de Letres, qui
méritent d'ailleurs d'y trouver place.

D

par

*********

DYNAME,
PATRICE.

S. I.

HISTOIRE DE SA VIE.

[ocr errors]
[ocr errors]

YNAME · célebre dans les écrits des plus grands hommes de fon temps, étoit iffu d'une ancienne nobleffe Gauloise. Il nâquit vers le milieu du fixiéme fiecle,plu

1. Le nom de Dyname le trouve fort défiguré dans divers Ecrivains; les uns le nomment Dinand, d'autres Didame, ceux ci Dinave, ou Divane, ceux-là enfin Da. mien, ou même Climane, qui eft encore une faute plus énorme. Mmm

Tome 111.

[merged small][ocr errors][ocr errors][merged small][merged small]

tôt à Arles qu'ailleurs, comme il paroît par le furnom que lui en donne S. Grégoire de Tours. On eut foin de lui procurer une éducation convenable à fa naiffance; & il y a tout lieu de croire qu'il la reçut à la Cour, fuivant la coutume des jeunes Seigneurs François, dont on a parlé. Au moins ne connoît-on point qu'il ait eu d'autre occafion de lier, comme il fit, connoiffance & amitié avec Fortunat dès les premieres années que celui-ci vint d'Italie en France, où avant que de paffer à Tours, puis à Poitiers, il s'arrêta d'abord à la Cour d'Auftrafie fous Sigebert fils de Clotaire I.

Fort ib.

Duchef. ib.

P. 518. 519. | Gr. T. ib.

[merged small][ocr errors]

Gr. T. ib. 1. 6.

7. val. hif. Fr. 1.11.p. 133.134

Dyname s'appliqua à l'étude des Letres, & particulierement à la Poëfie, où il fe rendit habile au-delà de ce qu'on l'étoit ordinairement en fon fiecle. 'Il fe maria fort jeune,& entra de bonne heure dans les Charges publiques. Il époufa Euquerie, dont l'hiftoire releve beaucoup la naiffance,le mérite, la vertu, & dont il eut au moins deux fils: Evance qui fut tué en fe rendant à Conftantinople avec la qualité d'Ambaffadeur du Roi Childebert II près de l'Empereur Maurice, & un autre qui fut pere d'un fils de même nom que fon aïeul. ' Dès l'année 581, lorfque Dyname n'avoit encore que trente ans, il étoit Gouverneur de Provence c'est-àdire, des villes de Marseille, d'Avignon, d'Uzès, & autres du païs qui obéiffoient à Childebert, & ne tarda pas à fe voir élevé, s'il ne l'étoit déja, à la qualité de Patrice, la premiere qui fût alors après les Souverains. Enflé de tant d'honneurs, il oublia les devoirs de fa Charge, & ce qu'il devoit à fa propre réputation. Il ne fe fervit d'abord de fon autorité caufer du trouble, au lieu de maintenir le bon ordre. Ce par fes intrigues qu'Albin Ex-Préfet, puis le Diacre Marcel ufurperent fucceffivement le Siege épiscopal d'Uzès à la G. T. ib. c. 11. mort de S. Ferreol. Ce qu'il avoit fait à Uzès,' il continua de le faire à Marfeille. Il y excita de fâcheufes divifions, & fit chaffer jufqu'à deux fois de fon Eglife l'Evêque Theodore; ce qui commit Gontran Roi de Bourgogne avec Childebert fon neveu, Roi d'Auftrafie. Un gouvernement auffi tyrannique fit perdre à Dyname les bonnes graces de celui-ci; mais il y rentra bien-tôt après par l'entremise de Gontran.

19. c. 9.

Gr. M. l. 7. ep. 12.36.

pour

fut

que

Depuis il changea tellement de conduite, qu'il édifia autant l'Eglife qu'il l'avoit auparavant fcandalifée. Il prit le parti de la pieté; & afin d'y faire plus de progrès, il s'adreffoit quelquefois au Pape S. Gregoire, à qui il demandoit

« PreviousContinue »