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Gr.T. gl. conf.

pr.

défaut de lumiere firent recevoir fans examen les uns comme les autres, & donner même dans des vifions & des apparitions, fouvent d'autant plus ridicules qu'elles étoient plus extraordinaires. Que faifoient les Ecrivains de ce temps-là? pour s'accommoder au goût regnant & au genie de leur fiecle, ils s'occupoient à faire des recueils de ces fortes d'hiftoires miraculeufes. Que s'ils entreprenoient d'écrire la vie de quelque Saint, le premier but qu'ils s'y propofoient, étoit de traiter de fes miracles. Ils omettoient ce qu'il y avoit de plus intereffant & de plus inftructif, pour n'entretenir leurs Lecteurs que de merveilles propres à at tirer leur admiration. Ce mal gagna l'efprit des plus do&es & des plus fages, comme celui des moins éclairés. Fortunat de Poitiers, habile homme d'ailleurs, & l'un des plus célebres Ecrivains de ce fiecle, n'en a pas été exemt, non plus que tant d'autres. Ils préféroient ainfi l'accessoire au principal, & les faits de moindre conféquence aux évenements les plus instructifs & les plus mémorables.' C'est ce qui fait dire à S. Grégoire de Tours, quoiqu'il fût dans le même cas, que ceux qui en fon temps fe mêloient d'écrire, le faifoient fans prefque aucun choix des matieres. V.Autre inconvenient,qui à laverité étoit beaucoup moins général que celui dont on vient de parler; mais qui n'arrivoit encoreque trop fouvent. Comme la plupart de ces Ecri-. vains manquoit delumiere, pour difcerner les motifs légitimes qui devoient leur faire prendre la plume, il fe glifloit quelquefois dans leurs ouvrages certaines vûës d'interêt. Le défir d'attirer de plus fréquentes ou de plus riches offrandes, ou de conferver les biens des Eglifes, leur faifoit tantôt embellir, tantôt multiplier même les guérifons extraordinaires, & les miracles de juftice contre les raviffeurs des biens eccléfiaftiques. A ces défauts qui tombent fur les chofes mêmes, on en joignoit d'autres qui regardent la maniere de les rapporter. Au lieu de cet air aise & naturel & de cette noble fimplicité, qui font les caracteres effentiels & la beauté de l'hiftoire, on affectoit d'y emploïer une certaine éloquence, qui étoit bien éloignée d'en mériter même le nom. On n'avoit plus la moindre idée de la véritable éloquence; & ce que l'on prenoit pour elle, étoit un tour guindé que l'on donnoit à fes penfées, & un affemblage confus d'expreffions entaflées les unes fur les autres

fans aucun arrangement. Qu'arrivoit-il de-là ? C'eft qu'à force de fe fervir d'un langage auffi extraordinaire, on fe rendoit inintelligible. On ne tiroit prefque aucun fruit des vies des Saints, où l'on inferoit quelque chofe de leurs vertus, parce qu'on en déroboit la connoiffance par la maniere dont on en parloit. Encore aujourd'hui nous avons de ces fortes de vies, où après les divers éclairciffements que les gents habiles y ont donnés, on eft encore à deviner

ce qu'ont voulu dire les Auteurs en plusieurs endroits de ces mêmes écrits.

Commption de la

VI. On ne refpecta pas plus la construction du difcours que tout le refte. On la viola en plufieurs manieres.' On Ibid. prenoit, dit S. Grégoire de Tours, les noms féminins pour masculins, les mafculins pour neutres & les neutres pour féminins. On renverfoit auffi le régime des prépofitions. A celles qui demandent un ablatif, fans beaucoup de façon on leur donnoit un accufatif; & à celles qui regiffent un accufatif, on joignoit un ablatif. La corruption ne fut pas long-temps à s'introduire dans les termes mêmes de la lan

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gue. On prononçoit & on écrivoit contemto & fructo, pour Mab. act. B. t. 1.
contemtu & fructu, Antiftis pour Antiftes, & au contraire San- pr. n. 116,
Etimoniales pour Sanctimonialis. De cette corruption qui ne
confiftoit que dans le changement de la terminaifon des
mots, on paffa à changer les termes en entier. Comme les
mots latins manquoient, parce qu'on négligeoit de lire les
anciens Auteurs, on y en fubftituoit de barbares, en leur
donnant une inflexion & une terminaison latine. Cette li-
cence étoit venue à nos Ecrivains, non-feulement du dé-
faut de latinité, mais auffi de l'exemple & de la coûtume Du Cang, gl. pr.
des François habitués dans les Gaules. Ceux-ci ignorant n. 13. 14.
le latin, qu'ils étoient néanmoins obligés de parler, pour
les raifons qu'on verra dans la fuite, y accommoderent leur
langue par de femblables inflexions & terminaifons. C'est
de quoi l'on trouve des veftiges bien marqués dans la Loi
Salique & la Loi Ripuaire. De-là fe forma comme infenfible-
ment ce qu'on nomma le Roman : c'est-à-dire la langue
vulgaire & ruftique, dont nous parlerons ailleurs avec plus
d'étenduë.

VII. Tels étoient pour la plûpart les Ecrivains de ce fiecle & des fuivants, & tels étoient les ouvrages qu'ils donnoient au public. On n'en pouvoit goûter, ni prefque lire

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Gend. mæ. des Fr. p. 15.

d'autres. Après cela doit-on être surpris, qu'avec un fi foible fecours les letres & les fiences foient prefque totalement tombées, & que l'ignorance ait fait des progrès fi prodigieux ? Ce qui peut paroître étrange, c'eft que les François habitués dans les Gaules, n'étant qu'en petit nombre en comparaison des naturels du païs, qui n'en furent point chaflés, ils n'aïent pas pris plûtôt les maximes des Gaulois, que ceux-ci les leurs. Il femble en effet que cela fe devoit faire ainsi. Dans ce cas ni la langue Latine ni la Gréque, qui étoient dans les Gaules, l'une vulgaire & l'autre aflés commune, ni les belles connoiffances qu'elles fervent à entretenir, & qu'on y cultivoit avec tant d'éclat, n'y seroient pas venuës à ce point de décadence, où elles arriverent avant la fin de ce fiecle. Mais outre que les mœurs de la nation victorieufe & dominante prévalent toûjours tôt ou tard fur celles des vaincus, nos Gaulois s'étoient beaucoup relâchés de leur ancienne ardeur pour les fiences; & ils n'avoient plus les mêmes motifs de les cultiver. L'Empire arrivé lui-même à fa décadence, ne leur offroit plus d'emplois à exercer, de charges & de dignités à remplir. Or l'on fait qu'en tous les temps les honneurs ont le plus contribué à foutenir les Letres. Lors donc que cet appui leur manque,il faut néceffairement qu'elles tombent.

VIII.' Il eft vrai que les François en fe rendant maîtres des Gaules, fe firent un point de politique de ne prefque rien changer au gouvernement qui y étoit établi. Ils en uferent de la forte, pour flatter le peuple Gaulois, & le dif pofer à mieux gouter leur nouvelle domination. Ils y laifferent donc les dignités romaines, que les Empereurs y avoient créées, & que les Gots & les Bourguignons abofirent dans les lieux de leur établissement. De forte qu'ils diviferent tout le païs de leur conquête en Duches & Comtés. Les Ducs étoient Gouverneurs des Provinces & les Comtes Gouverneurs des Villes. Les uns & les autres avoient comme les Romains, chacun dans fon territoire, l'Intendance de la Guerre, des Finances & de la Juftice. Il est encore vrai que ces Officiers étant amovibles, parce que leurs dignités n'étoient que des commiffions que le Prince donnoit pour un temps; cela devoit, ce femble, infpirer d'autant plus d'émulation pour se rendre digne d'y parvenir, que plus de perfonnes y pouvoient prétendre.

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,

Mais ces heureux temps étoient paffés, où il falloit avoir de l'érudition & de l'éloquence pour exercer ces grands emplois. On ne demandoit plus en ceux qu'on y élevoit que de l'adreffe, de la valeur, & le fecret de fçavoir contenir les peuples dans le devoir. D'ailleurs, quoique ces dignités s'accordaffent fouvent fur le choix des peuples, elles étoient moins pour les gents de letres, que pour les favoris du Prince, c'est-à-dire moins pour les Gaulois natu rels du païs, que pour les François étrangers.

IX. Il faut pourtant avouer à la gloire de nos anciens Gaulois, que bien qu'ils manquaflent du motif pris du côté des honneurs pour cultiver les letres, cela n'empêcha pas qu'ils ne s'y appliquaffent encore avec quelque fuccès, depuis qu'ils eurent été fubjugués. On a déja fait voir fur le Liecle précédent, qu'ils ne laifferent dominer la barbarie des étrangers, qu'après s'y être oppofés de toutes leurs forces, & l'avoir combattue l'efpace d'un fiecle. En cela ils fe trouverent favorisés par le gouvernement de Clovis. 'Com- P. 27. me c'étoit un Prince habile, il n'eut pas plûtôt conquis les Gaules, que pour gagner l'affection & l'eftime des habitants, il les laiffa vivre felon leurs moeurs. Ils profiterent de cette liberté pour continuer l'exercice des fciences & des arts dont ils faifoient profeffion. On vit encore parmi eux des écoles publiques ouvertes à la jeuneffe. Mais les nouvelles mœurs faifant chaque jour plus de progrès, il fallut enfin ceder à la violence du torrent. Elles prirent peu-à-peu le deffus, & firent tomber parmi les Gaulois la politeffe avec les Letres. Tout ce que purent faire ceux-ci, en époufant les mauvaises habitudes des autres, fut de leur communiquer quelques unes de leurs bonnes qualités, qui fans changer entierement leur caractére, le rendirent feulement plus doux & plus humain. De forte que les François, quoiqu'habitués dans un païs qui refpiroit la délicateffe du goût, & mêlés avec un peuple poli & civilifé, tels que nous avons répréfentés ailleurs nos anciens Gaulois, retinrent encore long-temps beaucoup de traits de leur genie ruftique & farouche, & ne firent paffer que fort tard dans leurs manieres cette noble politeffe & cet amour des letres, qui les diftinguent aujourd'hui entre toutes les nations de l'univers.

X. Il feroit difficile de détailler toutes les mauvaises fuires, que laiffa après elle l'humeur féroce de ces nouveaux

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habitants des Gaules. Malgré la Religion Catholique qu'ils
embrafferent peu à peu,
peu, & qui devoit le plus contribuer à
les civilifer, on tolera encore trop long-temps parmi eux
le divorce, l'incefte & la polygamie. Marculphe qui vivoic
vers 650, rapporte une formule de divorce, tel qu'il fe
pratiquoit alors. L'avarice & la cruauté y regnerent auffi
trop long-temps; quoique la Loi de l'Evangile qu'on fe flat-
toit de fuivre, les défende fans ambiguité.' Clovis après fon
baptême, ne fut ni moins avide ni moins cruel. 'L'envie
d'avoir plus de bien fut le principal motif de fes conquêtes.
Childebert & Clotaire fes fils marcherent d'aflés près sur fes
traces; & l'on en pourroit encore dire autant de fes petits-
fils. A l'exemple des Princes, les particuliers de leur côté
fe porterent impunément au pillage & à divers autres ex-
cès. Clovis à la vérité publia la Loi Salique, où entre au-
tres fages reglements, il décernoit diverfes peines contre le
larcin, l'incendie, & les maléfices. Mais ce remede ne fut
point capable d'arrêter le cours de fi grands défordres. De
bonnes études, fi elles avoient été d'ufage, comme chez
les anciens Gaulois, auroient eu plus d'effet. Elles auroient
coupé le mal par la racine, en infpirant l'horreur du vice
& l'amour de la vertu.

XI. Depuis qu'elles furent tombées dans les Gaules, l'ignorance ne tarda pas à prendre leur place; & tout alla en décadence. L'Eglife, quoiqu'établie für la pierre ferme, fe reffentit de ce renversement, comme le reste de l'Etat. Le relâchement fe glifla dans la difcipline, en même temps que la corruption gagna les mœurs. Comme l'on négligeoit de s'inftruire de fes devoirs, & des faintes maximes des Anciens, on se laissa aller à plufieurs abus, qui obligerent de convoquer en ce fiecle un fi grand nombre de Conciles. Qui le croiroit? L'exercice des armes & de la chaffe, qui étoit l'occupation la plus ordinaire & favorite des François, fe communiqua infenfiblement au Clergé. Les Clercs & les Evêques mêmes, autrefois tout occupés des chofes de Dieu, devinrent alors chaffeurs. On porta fi loin les chofes fur ce point,' que dès le commencement de ce fiecle le Concile d'Epaone fut obligé de défendre fous de grieves peines aux Evêques, aux Prêtres & aux Diacres, d'avoir des chiens & des oiseaux pour la chaffe. Dans la fuite du temps on vit encore ces mêmes Evêques devenir guerriers.

L'on

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