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peu moins d'amertume dans le zèle de Métellus l'aurait rendu plus persuasif.

A Albéron. Albéron, archevêque de Trèves, avait été recueilli dans sa jeunesse par la mère de Métellus, qui avait fourni à la dépense de son entretien et de son éducation. Les obligations qu'il avait à sa famille rendent donc excusable la liberté avec laquelle il parle à ce prélat dans la lettre qui lui est adressée. Il le reprend de ce qu'étant archevêque et légat du Saint-Siége, il ne se met pas en devoir de remédier aux désordres scandaleux qui déshonorent le clergé de sa province. Il va plus loin encore et l'accuse même de s'être laissé amollir comme les autres par les délices de l'Allemagne. « Aujourd'hui, lui dit-il, on ne voit plus de Phinéès qui s'enflamme pour la gloire du Très-Haut. Où est le zèle qui vous faisait sécher pour les intérêts de la maison du Seigneur? Votre élection, votre consécration, semblaient nous promettre un gouvernement heureux. Voilà, disions-nous, la paix qui va descendre avec cet homme sur la terre; mais cette espérance s'est bientôt évanouie. Je m'aperçois que vous êtes languissant. Les délices teutoniques vous ont énervé. Les mets délicats de ces contrées ont flatté votre goût et corrompu la vigueur de votre âme; vous ne voulez plus voir sur votre table que les poissons les plus recherchés, tandis que les ouailles confiées à vos soins demeurent en proie aux scorpions et à mille autres bêtes venimeuses. Vous tonnez par des paroles menaçantes qui ne sont suivies d'aucun effet. Vous ressemblez à l'éclair qui frappe vivement la vue par son éclat et cause une épouvante subite, mais qui n'a ni chaleur ni force pour embraser et consumer ceux qui l'aperçoivent. Vous transformez ce feu passager en plaie, lorsque vous faites succéder si promptement et si mal à propos l'indulgence à la terreur. Levez-vous donc, ô mon père; sortez de ce sommeil léthargique où vous êtes plongé Eveillez-vous, dit le Seigneur, et je vous éclairerai.» Ensuite, après avoir parlé de la venue de l'Antechrist qu'il représente comme prochaine, Métellus spécifie les vices qui régnaient à Toul etaux environs, en ces termes: Nonne vides, ut minora mala taceam, quot nefaria in terra nostra abundant? Certe vides quod sanguis sanguinem tangit; cognatus cognatam tangere non erubescit; certe vides quia sanguis sanguinem fundit, proximus proximum morti committere non horrescit, filius in annos patris inquirit, etc. Il presse le légat d'asseinbler un concile, et d'user du pouvoir des deux glaives auxquels il lui était si facile de recourir. Il convient qu'Albéron ne manquait pas de lumières et qu'il prenait soin de son diocèse, mais il voulait qu'il étendit son zèle sur les diocèses limitrophes, qui lui étaient soumis en sa qualité de métropolitain. Saint Bernard, qui avait pris auprès du Pape Innocent II la défense de l'archevêque de Trèves, ne s'accorde pas tout à fait avec Métellus sur la situation

des choses. Il ne dissimule pas que les diocèses qui relevaient de la métropole de Trèves ne fussent tellement dérangés, qu'on n'y reconnaissait plus ni ordre, ni justice, ni honneur, ni religion; mais il soutient qu'Albéron n'était ni une ombre ni un fantôme d'archevêque; si son zèle ne portait pas de fruit ailleurs que dans son diocèse, c'est qu'on lui avait donné pour suffragants de jeunes prélats de qualité, qui, au lieu de le seconder, le traversaient et contrariaient tous ses bons desseins, et encore ces suffragants avaient-ils pour suppléer à leur défaut d'action des archidiacres d'un zèle aussi éclairé que solide, témoin Henri, archidiacre de Toul. Cependant, malgré le ton plaintif de ces diffamations, on peut dire que Métellus, voisin du diocèse de Trèves, et lié intimement avec le prélat qui le gouvernait, devait être mieux informé de ce qui s'y passait que l'abbé de Clairvaux, qui en vivait à une distance très-éloignée.

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A Henri de Lorraine. Dans une lettre à Henri de Lorraine, évêque de Toul, Métellus lui donne avis qu'il se trouve dans son diocèse des hommes infectés d'erreurs, qui, après les avoir répandues dans le secret, commencent à les publier tout haut. Ils détestent le mariage, lui dit-il, ont en horreur le baptême, tournent en dérision les sacrements de l'Eglise, abhorrent le nom chrétien, et vivent comme des bêtes. C'étaient les henriciens, dont nous avons déjà parlé, et les pétrobusiens que saint Bernard combattit de vive voix, et contre lesquels il écrivit au comte de Saint-Gilles pour les empêcher de dogmatiser à Toulouse comme ils avaient fait à Lausanne, au Mans, à Poitiers, à Bordeaux et ailleurs, vers les années 1146 et 1147. Hugues exhorte 'cet évêque à assembler son concile et à prendre tous les moyens convenables pour dissiper cette légion de Satan.

A Héloïse. Plus Métellas s'est appliqué à rendre Abailard odieux dans ses lettres au Pape Innocent II, plus il a affecté de relever le savoir et les vertus d'Héloïse dans les deux lettres qu'il lui a adressées. Il avoue toutefois qu'il ne la connaissait que de réputation. Pour la renseigner sur sa personne, il lui dit ce qu'il est, ce qu'il a été, et quelle est sa patrie. Il lui vante son talent poétique et les ouvrages qu'il a écrits en vers. Il lui fait remarquer que sa ville natale avait deux noms. Le nom de Leucha ou Leuque lui venait de la blancheur de ses hommes et de sou vin blanc, et celui de Toul, lui fut donné depuis la conquête de Tullus, sous le duc Césarien.

A Gérard. Gérard, moine d'un esprit éprouvé, avait proposé à Métellus deux questions sur l'Eucharistie. Dans la première, il demandait si l'on doit recevoir chaque jour le corps de Jésus-Christ; et dans la seconde, si c'est son vrai corps que l'on conserve sur l'autel, ou si ce n'est pas la figure du corps régnant dans le ciel. A la première, Hugues répond par les paroles de saint Ambroise et de saint Augustin, que

l'on doit recevoir le corps de Jésus-Christ toutes les fois que l'on en est digne, et il est à désirer que l'on puisse s'en approcher chaque jour, parce que péchant chaque jour, nous avons chaque jour besoin de ce remède. En recevant le corps de Jésus-Christ, notre vie devient meilleure et nos péchés nous sont remis. Celui qui est dans la volonté de pécher ne doit pas approcher de la table du Seigneur; mais au contraire, s'il a quitté entièrement la volonté de pécher, il peut approcher avec confiance de l'autel, quoique jusque-là il ait été pécheur. Sur la seconde question, Hugues répond qu'en effet saint Augustin trouvait une figure dans ces paroles du Sauveur : Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, etc., parce que Jésus-Christ les avait prononcées pour annoncer sa passion, et signifier à ses amis l'union spirituelle qui devait exister entre le chef et les membres par l'opération de la charité. Mais il cite d'autres passages des écrits de ce Père, où il dit nettement que nous recevons dans le pain eucharistique celui-là même qui a été attaché à la croix, et le sang qui a coulé de son côté. Il proteste qu'il le croit ainsi, et rapporte ce qui est dit de la présence réelle dans le concile d'Ephèse, dans saint Jérôme, dans saint Ambroise, et ce qu'en croit l'Eglise romaine, dont la foi, dit-il, n'a jamais

été souillée d'erreur.

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A Gerland. Gerland, homme d'esprit et de savoir, mais infecté de l'hérésie de Bérenger, la propageait parmi le peuple. Il s'appuyait ordinairement de l'autorité de saint Augustin, et soutenait que ce Père avait pris dans un sens figuré les paroles de JésusChrist à ses disciples touchant l'obligation de manger son corps et de boire son sang. Métellus lui écrivit pour le détromper, en Jui exposant le vrai sentiment de saint Augustin. Il dit que ce Père reconnaissait en effet dans les paroles du Sauveur un sens figuré, mais que ce sens supposait la réalité; qu'il entendait ces paroles de Jésus-Christ à ses apôtres de la communion spirituelle de son corps et de son sang, qui n'est commune qu'aux bons, et non de la communion sacramentelle qui est commune aux bons et aux méchants. Telle était la pensée du Sauveur, comme on le voit par le texte évangélique, car aussitôt après avoir dit : Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, etc., JésusChrist ajoute Celui qui mange ma chair et boil mon sang demeure en moi et moi en lui. Or il y en a beaucoup qui mangent la chair du Seigneur et qui ne demeurent pas en lui, ou qui ne sont pas ses membres. Hugues convient encore que dans le sentiment de saint Augustin, la communion, ou comme il dit, l'incorporation sacramentelle de JésusChrist, est une figure ou un signe de l'union par laquelle nous sommes et serons unis avec Jésus-Christ. Mais pour montrer qu'en dehors de ces sens figurés que le saint docteur découvrait dans l'Eucharistie, il croyait nettement qu'elle est le vrai corps et le vrai sang de Jésus-Christ, il rapporte ses paroles

sur l'explication d'un psaume. « Le même sang, dit-il, que les Juifs, persécuteurs de Jésus-Christ, ont répandu a été bu ensuite par ceux qui ont cru en lui. » Gerland nait que le corps de Jésus-Christ pût être en divers lieux dans le même moment, mais il ne niait pas qu'il fût né d'une vierge, qu'il fût entré dans la chambre des apôtres les portes fermées. Hugues dit qu'en croyant on ne doit pas nier l'autre, puisqu'ils sont également contre les règles de la nature. Il ajoute que si le pain sanctifié n'est pas le corps, mais la figure du corps de JésusChrist, c'est sans raison que l'apôtre dit que ceux qui le mangent indignement, mangent leur propre condamnation; et il n'y aurait pas plus de raison de préférer le pain sauctifié sur l'autel au pain bénit par le prêtre à la table commune. Hugues explique ainsi les motifs de cette préférence. C'est que celui qui sanctifie sur l'autel et celui qui est sanctifié est le même. C'est le même qui immole et qui est immolé; Dieu est homme, prêtre et victime. C'est pourquoi le pain ainsi sanctifié peut remettre les péchés, ce que ne fait pas le pain bénit à la table commune. Ne discutons point les grandeurs de Dieu par les lumières de la raison; la foi doit nous les rendre vénérables. Il rapporte ce qu'on lit dans la Vie de saint Grégoire le Grand, qu'à sa priere, le pain consacré sur l'autel prit la figure de chair; et après avoir cité un passage de saint Augustín en faveur de la présence réelle, il presse Gerland de se rendre au sentiment unanime des personnes de piété et de savoir, qui croient fermement que le pain sanctifié sur l'autel n'est plus du pain, mais le corps vivant de Jésus-Christ, et la doctrine du Saint-Siége qui, conformément à la foi de saint Pierre, a toujours cru ce qu'il croit encore touchant le corps et le sang du Seigneur dans l'Eucharistie.

Les lettres trente-septième et trente-huitième contiennent la solution de deux questions sur les anges. On avait demandé à Hugues pourquoi les anges sont appelés animaux dans l'Ecriture, et pourquoi Dieu a racheté les hommes et non les anges? A la première question il répond que les anges sont appelés animaux, non à cause de leur nature, mais de leur innocence, comme les âmes des saints sont quelquefois figurées sous les emblèmes de bœufs et de brebis. 11 dit sur la seconde, que Dieu a racheté l'homme, parce que, pétri d'argile et entraîné au péché par l'amour qu'il avait pour sa femme, il s'est repenti de sa faute; au lieu que l'ange a péché par orgueil, par ingratitude, et n'a point témoigné de repentir.

A Foulques. Nous avons deux lettres adressées à un de ses amis nommé Foulques. La première roule sur un passage de saint Augustin, où ce docteur défend d'admettre à la pénitence ceux qui sont retombés dans le crime. Métellus prouve fort bien que ce passage ne doit s'entendre que de la pénitence publique et solennelle, qui, en effet. ne s'accordait qu'une fois. Dans la seconde, l'auteur après avoir complimenté son corres

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pondant sur ce qu'il avait quitté l'étude de la philosophie pour se livrer à celle de la religion, l'entretient des différentes sectes de philosophes et tombe sur les dialecticiens de son temps, dont il trace un portrait qui n'est rien moins que flatteur. Il les accuse de faire plus de mauvais livres que chacun d'eux n'en peut compter, ni lire, ni comprendre. Il finit sa lettre en opposant la certude de nos mystères à tous les vains systèmes de la philosophie humaine. Au collège des cardinaux. L'établisseL'établissement du nouvel ordre des Norbertins ou religieux de Prémontré causa tant de déplaisir à Hugues qu'il se plaignit aux cardinaux qu'ils souffrissent une aussi grande variété dans les différents costumes des ordres religieux. Il remarque qu'on n'obtient pas Je royaume des cieux par la couleur et la forme des habits, mais par la pureté des mœurs. Si elles se corrompent, ce ne seront pas les vêtements qui rendront l'Eglise heureuse. li préfère le surplis des chanoines de SaintAugustin à la tunique des Norbertins, et dit que ceux-ci étaient de date toute récente, tandis que les chanoines réguliers existaient depuis plus de deux cents ans. Hugues parle apparemment de quelque congrégation particulière de chanoines réguliers, puisque deus lignes plus bas il fait auteur de la règle des chanoines le Pape Urbain, nort martyr en 223, et qu'il attribue à saint Augustin celle que l'on suivait dans son monastere de Toul, voisin de celui de Saint-Mansay. Il survint quelque difficulté qui occasionna du refroidissement entre ces deux' abbayes. Hugues n'en explique pas bien la raison, mais en recommandant à Thierri, moine de ce monastère, les devoirs de la charité, il a grand soin de l'humilier en lui disant que les religieux cénobites sont étrangers au sacerdoce; qu'ils usurpent pour les manger les pains de proposition dont l'aliment n'est permis qu'aux prédica teurs; qu'il n'en est pas des moines comme des clercs. A ceux-ci il appartient de paître les brebis, et aux moines de pleurer, mais non d'enseigner. Il convient toutefois que saint Grégoire le Grand, Grégoire VII et Urbain I ont, sous l'habit monastique, gouverné l'Eglise romaine et enseigné. Mais pouvait-il ignorer que depuis le concile d'Aix-la-Chapelle, en 817, il y avait eu des écoles publiques dans un grand nombre de monastères de l'ordre de Saint-Benoît, écoles fréquentées par les laïques et par les moines?

A Foulques. — Un jeune homme nommé Foulques, d'un naturel exquis et d'un esprit encore plus distingué, avait adressé à Métellus deux questions qu'il le priait de résoudre. La première demandait pourquoi Dieu avait créé l'homme, puisqu'il savait qu'il devait tomber, et la seconde, ce que l'on devait penser de la crainte. Il répond à la première, que Dieu ayant créé l'ange et l'homme pour heriter, il a dû leur laisser le pouvoir de faire le mal. Par rapport à l'homme, il pule que si Dieu à prévu sa chute en

le créant, il a en même temps préparé un remède si excellent pour le relever, qu'il devait en être plus grand après être tombé. C'est pourquoi il appelle cette chute une chute heureuse, puisqu'elle nous a procuré le Verbe pour Rédempteur. Il s'étend très-longuement sur les effets de cette Rédemption, sur la sagesse et la toute-puissance de Dieu, qui sait tirer le bien du mal, et qui ne permet même le mal que pour un plus grand bien, etc. Pour satisfaire à la seconde question, il distingue deux sortes de crainte, dont il retrace d'après l'Ecriture et la tradition ies caractères opposés. « L'une, dit-il, est la crainte filiale qui, jointe à l'amour, fait partie des sept dons du Saint-Esprit; l'autre est la crainte servile, toujours accompagnée d'une mauvaise volonté, qui n'envisage que la peine sans se proposer pour fin la justice. Par cette crainte, il est vrai, il évite la peine, parce qu'en réalité il n'en souffre pas une aussi grande que s'il ne faisait aucun bien. En effet comme le dit un certain docteur, dans celui qui n'a point la foi, la peine temporelle tient lieu de satisfaction; à plus forte raison, par conséquent, le bien que fait un fidèle, adoucira-t-il pour lui la rigueur des supplices de l'éternité. » Nous ignorons quel est le docteur auquel Métellus à emprunté ce qu'il avance sur la satisfaction des peines des infi dèles. Ce ne peut être un Père de l'Eglise, à moins qu'il n'ait altéré son texte. Pourtant son assertion sur la différence entre les deux craintes n'en est pas moins conforme à la doctrine de saint Augustin, dont il cite plusieurs passages très-bien choisis.

A l'abbé Simon. · Les deux dernières lettres sont adressées à Simon, abbé de SaintClément, à Metz. Dans la première, Métellus fait l'éloge de ses vertus, de son amour pour les pauvres, de sa libéralité envers les étran gers, de la douceur de son gouvernement; dans la seconde, il répond à une question que Simon lui avait proposée, savoir, si la pénitence imposée par un confesseur, quelque légère qu'elle soit, peut être regardée comme suffisante; et si l'absolution donnée par un mauvais prêtre ne doit laisser aucune défiance au pénitent. Hugues répond que cette explication est valide si le pénitent accomplit avec toute la ferveur dont il est capable la pénitence qui lui est imposée. La raison qu'il en donne, c'est que c'est Dieu lui-même qui opère dans le sacrement; c'est lui qui absout ou qui baptise par le minis-tère du prêtre, dont le mérite ou le démérite. ne font rien à l'effet du sacrement, parce que ce n'est pas par le mérite de sa vie qu'il remet les péchés, mais par son office et en raison de son caractère de prêtre.

JUGEMENT CRITIQUE. Quelque restreint que soit l'extrait que nous venons de doner des lettres de Hugues Métellus, il suffit cependant pour montrer qu'elles méritent d'ètre Jues, soit à cause des questions impottantes que l'auteur y traite, soit à cause de la manière exacte et rigoureuse avec laquelle il les discute. Elles sont d'ailleurs

écrites avec esprit, quoiqu'on ne retrouve dans son style et dans sa latinité, ni l'élégance, ni la douceur, ni la pureté des écrivains du siècle d'Auguste, qu'il avait cependant étudiés dans sa jeunesse. Il emploie souvent des termes barbares, il court après les jeux de mots, les consonnances et l'uniformité des terminaisons. Cependant, malgré ces défauts, il faut avouer que Métellus avait une érudition peu commune pour son temps; il avait puisé les principes de la saine théologie dans l'étude réfléchie des Pères, et il eut assez de goût pour préférer leur méthode simple, noble, lumineuse, aux subtilités vaines et alambiquées de l'école. Si les maitres qui dirigèrent ses études lui eussent appris à mettre plus de correction dans son style, plus de choix dans ses pensées, plus de justesse dans ses raisonnements, moins de pétulance dans ses invectives, de licence dans ses réprimandes, d'affectation dans l'étalage de son savoir, sans aucun doute, avec la sagacité d'esprit et la chaleur d'imagination que la nature lui avait départies, il aurait pu devenir un modèle pour ses contemporains, et un auteur estimable aux yeux de la postérité. Voilà ce que nous pensons de sa prose; sa poésie est infiniment au-dessous de cette appréciation. Content des pensées et des sentiments vulgaires, il ne donne à ses vers ni l'air de noblesse, ni le ton de dignité qui convient à ce genre de composition; souvent même il néglige les règles de l'art. Ses poésies consistent en une fable du Loup et du Berger, où l'auteur n'a gardé ni la décence, ni le respect dû à la religion; divers problèmes sur les lettres de l'alphabet et quelques épigrammes sur les mystè res et des sujets profanes. On les trouve à la suite de ses lettres dans l'édition de l'abbé Hugo, et la Bibliothèque lorraine de dom Calinet.

HUMBERT, évêque de Wurtzbourg, gouverna cette Eglise depuis 819 jusqu'au 9 mars 842, époque de sa mort, que par erreur le P. Lecointe avance de huit ans. Il se trouve quelquefois qualifié chorévêque, c'est-à-dire coadjuteur de l'archevêque de Mayence, Heistulfe, dont il était suffragant. On a de lui une lettre qu'il écrivit au célèbre Raban, qui d'abbé de Fulde était monté sur le siége de Mayence, pour lui demander les écrits qu'il avait composés sur l'Heptateuque. On la trouve imprimée avec les quatre vers élégiaques qui la suivent, à la tête du Commentaire sur les Juges et Ruth, le seul que Raban lui envoya avec une lettre qui sert de préface à son livre, ou, si l'on veut, d'épître dédicatoire. La lettre et les vers de Humbert sont très-honorables à la mémoire de Raban, qui y est représenté comme un des appuis de l'Eglise en ce temps-là, et l'ornement de son siècle. L'auteur y fait aussi l'éloge de plusieurs de ses ouvrages, qui se trouvaient dès lors répandus dans le public. Raban, dans sa réponse à Humbert, s'excuse de ne pouvoir lui faire copier, ni le Commentaire sur Moise, ni celui sur Josué, parce que Fréculfe ne lui avait point encore renvoyé le

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premier, et qu'il avait expédié l'autre à Útrecht, à la prière de saint Friduric. On voit par là que l'auteur ne s'était réservé aucun exemplaire de son ouvrage.

HUMBERT, un des plus grands hommes de son temps, et le premier Français bien connu, qui ait été revêtu de la pourpre 10maine, naquit en Bourgogne dans les premières années du x siècle. Ses parents. d'ailleurs inconnus, le consacrèrent à Dieu de bonne heure dans le monastère de MoyenMoutier, où il prit l'habit religieux en 1015, sous l'abbé Hardulphe. Après s'être rendu habile dans les sciences, et surtout dans la langue grecque, chose assez rare à cette époque, il les fit fleurir dans son monastère, ce qui lui mérita la bienveillance de Brunon, évêque de Toul. Il était encore à Moyen-Moutier en 1049, lorsque ce prélat y passa en se rendant à Rome. Brunon l'emmena avec lui, et l'ordonna archevêque de toute la Sicile, ravagée alors par les Arabes. Son dessein était d'y rétablir la religion chrétienne que ces barbares avaient presque détruite. Mais Humbert ayant été empêché de pénétrer dans cette fle par les Normands qui occupaient la Pouille et la Calabre, Brunon, qui prit le nom de Léon IX après son élection au souverain pontificat, le retint auprès de lui, et le créa cardinal évêque de Blanche-Selve, en 1051. Ce prélat, lié intimement avec le Pape, l'accompagna dans tous ses voyages, fut adinis à tous ses conseils, et fut, en 1053, envoyé légat à Constantinople pour tâcher de rétablir l'union entre les Eglises grecque et latine. Le patriarche Michel Cérularius ayant refusé de le voir, ainsi que les deux légats qui l'accompagnaient, ils allèrent à la grande église, déposèrent sur le maître-autel, en présence du clergé et du peuple, un acte d'excommunication contre le patriarche, et sortirent, suivant l'Evangile, en secouant la poussière de leurs habits et en criant : « Que Dieu voie et vous juge! Le plus grand succès de cette légation fut la conversion de Nicétas Pectorat, qui, après s'être d'abord déclaré contre l'Eglise romaine, se rendit aux raisons du cardinal et abandonna le schisme. La mort du Pape Léon IX rappela les légats à Rome, où Victor 11, successeur du Pontife, témoigna à Humbert la plus grande bienveillance. Il l'envoya même au Mont-Cassin pour tâcher de rétablir l'ordre dans ce monastère, en révolte contre le Saint-Siége. Cette preuve de confiance faillit coûter cher au cardinal, qui manqua d'être assassiné, et qui finit cependant par réussir dans son entreprise. Tel était le mérite d'Humbert, qu'il fut question de l'élire pour succéder à Victor II, qui l'avait nommé bibliothécaire et chancelier, fonctions qu'il continua de remplir sous Étienne III et Nicolas II. Il assista, en 1059, au concile de Rome, où Bérenger reconnut ses erreurs. Humbert fut chargé de dresser la profession de foi que cet hérésiarque signa. Bérenger se rétracta ensuite, et chargea d'injures le cardinal Humbert, qui alors ne vivait plus,

mais qui trouva un zélé défenseur dans la personne de Lanfranc, archevêque de Cantorbéry. On est partagé sur l'époque de sa mort; l'opinion la plus commune est qu'elle arriva au plus tard en 1063.

Contre Michel Cérularius. Humbert a laissé plusieurs ouvrages, qui tous marquent une vaste érudition. Le premier, par ordre de date, est sa réponse à la lettre de Michel Cérularius, patriarche de Constantinople, et de Léon, évêque d'Acride et métropolitain de Bulgarie. On ignore quels motifs engagèrent notre cardinal à écrire contre cette lettre, puisqu'il portait lui-même la réfutation que le Pape Léon IX en avait faite. Quoi qu'il en soit, après un petit préambule de bon goût, il en divise le texte par articles et répond ensuite à chacun, imitant en cela ce qu'avait déjà fait saint Augustin dans sa réfutation des écrits de Julien d'Eclane. Il écrivit cette réponse en latin, après quoi l'empereur la fit traduire en grec par Paul Smaragde, et donna ordre qu'on la conservât dans les archives de Constantinople. Nous ne nous arrêterons pas à en donner une analyse, que tout le monde peut retrouver dans l'Histoire de l'abbé Fleury; seulement nous observerons que les matières qui sont traitées dans cet écrit ne sont ni graves, ni importantes; il s'agit de repousser les reproches, ou plutôt les calomnies, dont les schismatiques grecs chargeaient l'Eglise latine, parce qu'elle usait de pain azyme dans le sacrifice de l'autel; qu'elle jednait le samedi; qu'elle mangeait du sang et des viandes suffoquées, et qu'elle interrompait le chant de l'Alleluia pendant le carême. Humbert répond à tous ces reproches avec autant de science que d'esprit, et conserve partout l'avantage sur ses adversaires. Des théologiens habiles cependant lui reprochent d'attribuer aux Grecs certaines conséquences qu'il tire de leurs écrits, en les présentant comme des dogmes qu'ils s'obstinaient formellement à soutenir. Il en use de même dans l'écrit suivant, et le cardinal Bona juge que, par un trop grand zèle à défendre les rites latins, Humbert donna quelquefois dans la minutie.

Réfutation d'un écrit de Nicétas. - Nicétas Pectorat était un moine studite qui adressait à l'Eglise latine les mêmes reproches que le patriarche de Constantinople, et défendait de plus le mariage des prêtres; sur quoi Humbert s'est cru autorisé à accuser les Grecs de l'hérésie des nicolaïtes. L'écrit de Nicétas était un peu vif; mais Humbert lui répondit sur le même ton, et peut-être avec plus de hauteur. Il trouve mauvais qu'au lieu de vaquer aux exercices de la vie monastique, conformément aux décrets du concile de Chalcédoine, il se soit ingéré dans des disputes religieuses, et que, de son propre mouvement, il ait osé attaquer l'Eglise romaine. I rejette avec mépris ce qu'il avait dit de la consubstantialité du pain levé avec l'homme, et l'application qu'il fait du passage de saint Jean touchant l'eau, l'esprit et le sang, et montre que ce passage DICTIONN. DE PATROLOGIE. III.

n'a aucun rapport à l'eucharistie, mais senlement au baptême où l'esprit sanctifie, où l'eau purifie et où le sang rachète l'homme baptisé. Il lui fait un crime d'avoir dit que l'esprit vivifiant était demeuré en JésusChrist après sa mort; parce qu'on pouvait conclure de là que Jésus-Christ n'était pas mort réellement, ni conséquemment ressuscité. Il s'arrête peu aux.objections de Nicétas contre les azymes, sous prétexte qu'il y avait suffisamment répondu dans son écrit contre Michel Cérularius; mais il remarque qu'on ne pouvait dire que le Sauveur eût fait la Pâque le treizième jour de la lune, d'abord parce que, selon la loi, on ne devait la commencer que le quatorze au soir, et ensuite parce qu'il l'aurait faite avec du pain fermenté, ce qui était également défendu par la loi. Il rejette comme apocryphes les constitutions qui portent le nom des apôtres, et leurs prétendus canons.

Il relève ensuite une erreur de cet écrivain, qui avait fait présider le sixième concile général par le Pape Agathon, qui n'y fut présent que par ses légats. Ce concile s'assembla pour la condamnation des monothélites, et non pour introduire des nouveautés parmi les Romains. Les canons que l'on objecte sous son nom ont été fabriqués ou altérés par les Grecs. Le Saint-Siége ne les a jamais reçus, ni ceux de Trulle, que les Grecs attribuent à ce sixième concile. Si la Pape Agathon avait voulu toucher aux traditions de ses prédécesseurs, les Romains ne l'auraient pas écouté. Le cardinal Hum-, bert rapporte un fait qu'on ne lit nulle part ailleurs; savoir, qu'après le concile, l'enipereur Constantin Monomaque, se trouvant dans son palais avec les légats du SaintSiége, leur demanda comment l'Eglise romaine offrait le saint sacrifice. Ils répondirent Dans le calice du Seigneur, on ne doit pas offrir du vin pur, mais du vin mêlé d'eau. Si l'on offre du vin pur, le sang de Jésus-Christ s'y trouve sans nous; mais en y mêlant le vin et l'eau, le sacrement spirituel devient parfait. Au contraire, l'hostie que l'on offre sur l'autel ne doit avoir aucun mélange de levain, parce que la sainte Vierge a conçu et enfanté Jésus-Christ sans corruption. Il est d'usage, dans l'Eglise, de ne point célébrer le sacrifice sur de la soie ni sur une étoffe teinte; mais sur un linge blanc, parce que le corps du Seigneur fut enveloppé dans un linceul blanc. Par cette raison, l'hostie doit être exempte de levain, ainsi qu'il a été ordonné par le Pape saint Sylvestre. Cette tradition de l'Eglise romaine plut à ce prince.. On voit ici qu'Humbert citait lui-même des écrits apocryphes, puisqu'il a recours aux gestes pontificaux du Pape saint Sylvestre., I invoque encore d'autres témoignages qui ne sont pas plus authentiques.

En répondant à l'objection sur le jeûne. du samedi, il dit : Nous jeûnons exactement tous les jours de carême, et quelquefois nous faisons jeûner avec nous des enfants qui n'ont pas atteint l'âge de dix ans. Nous n'en exceptons pas le samedi, que Jésus

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