Page images
PDF
EPUB

d'usage, le saint martyr la commence ainsi : « Je sais que la pureté de vos sentiments et "union de vos cœurs dans les travaux que vous endurez ne sont point en vous des vertus passagères, mais qu'elles y sont comme naturelles, ainsi que je l'ai appris de Polybe, votre évêque, qui m'a félicité dans les cha nes que je porte pour Jésus-Christ, et qui m'a tellement comblé de bénédictions, que j'ai cru voir en lui toute votre Eglise. En recevant par lui le témoignage de la bienveillance que le Seigneur vous a inspirée pour moi, je me suis réjoui de voir en vous ies imitateurs de ce même Dieu. » Il les engage à ne rien faire sans l'autorité de l'évêque, à le considérer comme l'image du Père; les prêtres, comme les apôtres et le sénat de Dieu, et les diacres, comme établis dans l'Eglise par l'ordre de Jésus-Christ. Ministres de ses mystères, ils doivent s'appliquer à plaire à tous. Qu'ils n'oublient pas qu'ils sont établis pour le service de l'Eglise, et non pour satisfaire leur intempérance, et qu'ils évitent comme le feu de donner le plus léger prétexte à la médisance et à la calomnie. Il fait ensuite l'éloge de Polybe, et dit qu'on reconnaissait en lui comme le miroir de la charité qui se reflétait en ses disciples. Son extérieur seul était déjà une grande instruction qui puisait encore de la force dans sa douceur, de sorte qu'il était difficile aux impies mêmes de ne pas le respecter. Puis, s'adressant aux Tralliens, il les avertit de se donner de garde du poison des hérétiques, et particulièrement de ceux qui disaient que Jésus-Christ n'a souffert qu'en apparence; ce qui lui donne occasion de leur prouver la réalité de l'incarnation et de la passion du Fils de Dieu. Il leur recommande de bannir loin d'eux toutes sortes de divisions et de procès, dans la crainte de fournir aux gentils des prétextes de blasphemer contre la religion de Jésus-Christ; de s'appliquer plutôt à bien vivre qu'à pénétrer la grandeur de nos mystères, à demeurer unis de prières et de sentiments, et à soulager l'évêque dans ses travaux. Il se recommande à leurs prières, qu'il réclame pour lui et pour l'Eglise de Syrie; et afin de leur témoigner combien il les chérissait, il ajoute « Puisse mon esprit vous sanctifier non-seulement à présent, mais aussi quand je jouirai de Dieu! Je suis encore dans le péril, mais le Père céleste est fidèle dans ses promesses, et il exaucera par Jésus-Christ mes prières et les vôtres. Puissiez-vous être sans tache devant lui!.... Je sais plusieurs choses en Dieu; mais je me mesure à ma faiblesse, de peur que je ne périsse par la vaine gloire. J'ai plus à craindre présentement que jamais; et je ne dois point écouter ceux qui parlent avantageusement de moi; car les louanges qu'ils me donnent m'affligent. A la vérité je désire souffrir, mais je ne sais si j'en suis digne. Je vous conjure done, par la charité que je ressens pour vous, de m'écouter, de peur que la lettre que je vous écris ne serve un jour de témoignage contre vous. »

:

Burdaloue a dit dans le même sens : « Si

la parole de Dieu ne vous justifie pas, elle vous condamnera. » Cette pensée fait tout le fond de son Sermon sur la parole de Dieu. Et Bossuet, dans l'Oraison funèbre de la princesse de Clèves, dit : « Mon discours, dont vous vous croyez peut-être les juges, vous jugera au dernier jour; et si vous n'en sortez plus chrétiens, vous en sortirez plus coupables; » ce qu'il répète avec encore plus de chaleur et de mouvement, dans un sermon direct sur celle matière.

Aux Philadelphiens. Dans son trajet de Smyrne à Rome, le saint martyr relâcha un instant à Troade, où, ayant appris que Dieu avait rendu la paix à l'Eglise d'Antioche, il se crut obligé de faire part de cette heureuse nouvelle aux Eglises de Philadelphie, de Smyrne, et à saint Polycarpe. Il chargea de ces trois lettres le diacre Burrhus, que les Ephésiens et les Smyrniates avaient député pour l'accompagner jusqu'à Troade.

Dans la première, après avoir fait un éloge pompeux de l'évêque de Philadelphie, il exhorte ainsi les fidèles de cette Eglise: «Enfants de lumière et de vérité, fuyez la division, fuyez les fausses doctrines. Là où est le pasteur, les brebis doivent être avec lui. Il y a des loups et en grand nombre, qui, sous un masque séduisant, entraînent le troupeau par l'attrait des voluptés perfides, le détournent du chemin qui conduit à Dieu, et en font leur proie; qu'ils n'aient point rang parmi vous..... Eloignez-vous de ces dangereux pâturages que Jésus-Christ ne cultive pas; ce n'est pas la main de Dieu son Père, qui les a produits. Tous ceux qui appartiennent à Dieu et à Jésus-Christ sont avec l'évêque. Qui s'attache à celui qui fait schisme n'aura point de part à l'héritage du Seigneur. Usez d'une seule eucharistie: car il n'y a qu'une seule chair de Jésus-Christ Notre-Seigneur, qu'un seul calice qui nous unit tous dans son sang, un seul autel, comme il n'y a qu'un évêque, avec le col lége des prêtres et des diacres qui partagent le ministère avec nous. En agissant ainsi, vous ferez tout conformément à la volonté de Dieu. Ce que je dis, mes frères, ne part que de l'ardent amour que je vous porte; je cherche à vous précautionner contre les piéges que l'on pourrait tendre à votre foi. Ce n'est point moi qui vous parle, inais JésusChrist même, dont je redoute les jugements plus que jamais, quoique je sois chargé de chaînes pour son nom, parce que je me trouve encore très-imparfait; mais j'espère obtenir, par le secours de vos prières, tout ce qui manque à ma faible vertu, afin que j'entre en possession de l'héritage que la miséricorde divine me prépare. Lorsque j'étais parmi vous, je vous criais à haute voix, et par le mouvement de l'Esprit de Dieu: Attachez-vous à l'évêque, aux prêtres et aux diacres. Vous pouviez croire alors que je ne parlais de la sorte, qu'en vue de quelque division qu'il m'était aisé de prévoir. Mais je prends à témoin celui pour qui je suis chargé de chaines, qu'à cet égard mes connaissances n'ont rien d'humain. C'est l'Esprit qui

vous a dit par ma bouche: Ne faites rien sans l'évêque; gardez vos corps comme le temple de Dieu; aimez l'unité; fuyez les divisions, et soyez les imitateurs de Jésus-Christ, comme il l'a été lui-même de son Père.>>

li relève la dignité de Jésus-Christ et la nécessité de la médiation, et dit que c'est à lui, comme aux princes des prêtres et au souverain Pontife, que le Saint des saints a été ou vert; à lui seul que les secrets et les mystères de Dieu ont été confiés; qu'il est la porte par laquelle les patriarches et les prophètes, les apôtres et l'Eglise sont entrés, pour former un seul corps dans l'unité d'une même foi.

Si quelqu'un veut vous enseigner le judaisme, ne l'écoutez point; car il vaut mieux recevoir le christianisme de la bouche d'un incirconcis, que le judaïsme de la bouche d'un circoncis; mais l'un et l'autre, s'ils ne parlent de Jésus-Christ, doivent être regardés comme ces tombeaux sur lesquels on voit errits les vains noms de ceux qui y sont enfermés. Tenez-vous donc en garde contre ces artifices dangereux.... J'en ai entendu qui diSalent: Si je ne trouve telle chose dans les anciennes Ecritures, je ne le croirai point dans l'Evangile; et quand je leur répondais: Il est écrit, ils niaient qu'il en fût ainsi. Mais quant à moi, Jésus-Christ me tient lieu des anciennes Ecritures. Oui, mes anciennes et inviolables écritures sont sa croix, sa mort, sa résurrection et la foi que j'ai en lui. En parlant des prophètes, if dit : « Ils furent en esprit les disciples de Jésus-Christ qu'ils attendaient comme leur maître. Faisons nos délices des prophètes, parce qu'ils ont eux-mêmes annoncé l'Evangile, qu'ils ont espéré en Jésus-Christ, et qu'ils l'ont attendu; qu'ils ont été sauvés par la foi dans ses promesses; qu'unis à tous les mystères de sa vie, ils ont été sanctifiés par leur charité, et se sont rendus dignes de l'admiration de tous les siècles; qu'enfin ils ont mérité de recevoir d'illustres témoignages de JésusChrist, et d'avoir part au bienfait commun de la révélation évangélique. »

Il finit sa lettre en priant les Philadelphiens de choisir un diacre pour aller à Antioche se réjouir avec les fidèles de la paix que Dieu venait de rendre à leur Eglise. Il les remercie de la manière obligeante et pleine de charité avec laquelle ils avaient reçu Philon, Rhée et Agathopode, qui n'avaient pas reçu le même accueil dans plusieurs autres endroits où il les avait envoyés.

Aux fidèles de Smyrne. Le but de l'Epitre aux Smyrnéens est de les fortifier dans la foi de l'Incarnation contre les hérétiques qui niaient la réalité de son corps. C'est pourquoi saint Ignace s'applique principalement à montrer que Jésus-Christ est vraiment né de la Vierge, qu'il a été baptisé, qu'il a souffert sous Ponce-Pilate, et qu'a(G) Le texte est trop précieux pour n'être pas Γερμανια : Εὐχαριστίας καὶ προσευχῆς ἀπέχονται, Γιὰ τὸ μὴ ὁμολογεῖν Εὐχαριστίαν σαρκὰ εἶναι τοῦ Σωτῆρος ἡμῶν Ἰησου Χριστοῦ παθοῦσαν, τὴν ὑπὲρ αμαρτίων ημών παθοῦσαν, τὴν χρηστότητι ὁ Πατήρ

. Cotelier traduit ainsi :"Ab Eucharistia et

[ocr errors]

près avoir enduré la mort pour notre salut, il s'est ressuscité lui-même en sa propre chair qu'il conserve encoro actuellement; qu'après sa résurrection il a bu et mangé avec ses apôtres, comme un être cor orel, quoique spirituellement uni au Père. « Je reuds grâce à Jésus-Christ, notre Dieu, leur dit-il, des fruits de sagesse que vous avez manifestés par sa grâce; car j'ai appris quels progrès vous avez faits dans la vertu; inébranlables dans la foi; attachés fortement à la croix de Notre-Seigneur, tant dans l'esprit que dans la chair; affermis dans la crainte, fortifiés dans le sang du Sauveur et pleins de confiance à sa parole..... à l'imitation des saints apôtres qui, convaincus de la vérité de sa résurrection par le témoignage de tous leurs sens, ont bravé la mort pour la défendre, et se sont montrés supérieurs à toutes les infortunes. Vous êtes, je le sais, dans les mêmes dispositions à son égard. Si donc je vous écris, c'est seulement pour vous mettre en garde contre une espèce d'animaux féroces, à visage humain, à qui vous devez non-seulement fermer tout accès auprès de vous, mais dont vous devez éviter la rencontre, vous contentant de prier pour eux le Seigneur qu'il veuille bien les amener à la pénitence, s'il nous est permis de l'espérer. Jésus-Christ seul le peut; Jésus-Christ qui est véritablement notre vie..... » Il ajoute : « Je n'ai pas jugé à propos d'insérer ici les noms de ces incrédules. Dieu me garde même d'en faire mention, jusqu'à ce qu'il lui plaise de les convertir. » Voici néanmoins les caractères auxquels il veut qu'on les reconnaisse : « Ils n'ont point de charité; nul souci de la veuve et de l'orphelin; nulle compassion pour l'affligé ou le captif; point d'entrailles pour le pauvre et aucune pitié pour ceux qui languissent consumés par la misère et les privations. Ils s'abstiennent de l'eucharistie et de la prière, parce qu'ils ne confessent pas que l'eucharistie soit la chair de NotreSeigneur Jésus-Christ, la même chair qui a souffert pour nos péchés, la même que, par sa bonté, le Père a ressucitée d'entre les morts. Quiconque tient à une semblable doctrine, celui-là renonce entièrement à Jésus-Christ et ne porte qu'un cadavre (6). »

Il leur recommande ensuite de demeurer unis ensemble par les liens d'une même foi, de se tenir étroitement attachés à leur évêque et au collège de ses prêtres, et de respecter ses diacres; de ne rien entreprendre, dans tout ce qui regarde l'Eglise, que sous leur autorité; car il n'est permis ni de baptiser, ni de faire l'agape sans l'évêque. Celui qui honore l'évêque est honoré de Dieu, et celui qui fait quelque chose à l'insu de l'évêque sert le démon. Il les remercie des secours qu'ils lui avaient donnés dans son voyage, oratione abstinent; eo quod non confiteantur Eucharistiam carnem esse servatoris nostri Jesu Christi, quæ pro peccatis nostris passa est, quam Pater şua benignitate suscitavit, pag. 56.

De telles expressions sont bien remarquables pour une si haute antiquité.

et de la paix qu'ils avaient procurée à l'Eglise d'Antioche par leurs prières. Enfin, il termine sa lettre en priant les Smyrnéens d'envoyer en leur nom un député en Syrie, pour exhorter les fidèles d'Antioche à remercier Dieu du calme qu'il leur a rendu.

A saint Polycarpe. Le saint évêque était dans l'intention d'écrire aux autres églises d'Asie, quand les léopards qui formaient son escorte (il qualifiait de ce nom les soldats qui le gardaient) l'enlevèrent brusquement pour le faire passer de Macédoine à Naples. Il se contentà d'écrire à saint Polycarpe, évêque de Smyrne, dans le même style que saint Paul à Timothée. Il le prie d'assembler un concile, afin de choisir un d'entre eux pour aller féliciter l'Eglise d'Antioche de la paix qu'elle avait recouvrée, et d'engager les Eglises voisines à faire la même chose, soit par lettres, soit par députés. Le reste de la lettre contient des avis importants, que le pieux confesseur donne à saint Polycarpe pour le gouvernement de son troupeau. « N'épargnez, lui dit-il, ni les travaux du corps, ni les soins de l'esprit, pour remplir dignement votre saint ministère. Ayez soin surtout d'entretenir l'union qui est le plus grand de tous les biens. Supportez tout le monde, comme Dieu vous supporte. Appliquez-vous sans cesse à la prière; demandez une sagesse encore plus abondante que vous ne l'avez. Parlez à chacun en particulier, selon ce que le Seigneur vous inspirera. Portez les maladies de tous comme un parfait apôtre. La grandeur de votre travail sera la mesure de votre récompense. Si vous n'aimez que les gens de bien où est votre mérite? Appliquez-vous surtout à soumettre par la douceur les plus rebelles. Toute plaie ne se guérit pas par les mêmes remèdes. Apaisez les inflammations en les calmant. Ne vous laissez pas surprendre aux artifices de ceux qui, feignant d'être attachés à la foi, enseignent des erreurs. Soyez inébranlable à tous les coups qu'ils vous porteront; il est d'un grand athlète d'acheter la victoire au prix de ses blessures. Que les veuves ne soient point négligées, et, après Dieu, soyez leur protecteur. Que rien ne se fasse sans votre volonté, et vousmême ne faites rien que de conforme à la voloutéde Dieu. Tenez fréquemment vos assemblées, et efforcez-vous d'y reconnaître chacun par son nom. Ne méprisez point les esclaves; mais aussi qu'ils ne s'enflent pas de se voir confondus avec leurs maitres dans vos réunions; fuyez les mauvais artifices, et bannissez-les même de vos plus simples entretiens. Recommandez à vos sœurs d'aimer Dieu, et d'avoir soin de leurs maris pour l'esprit comme pour le corps; engagez aussi vos frères, au nom de Jésus-Christ, à aimer leurs épouses, comme il aime son Eglise. Si quelqu'un, pour faire honneur à la chair du Sauveur, peut garder la continence, qu'il la garde, mais sans en tirer vanité. Quant à ceux qui se marient, ils doivent le faire avec l'autorité de l'évêque, afin que le mariage soit selon Dieu et non selon la cupidité. Un

chrétien n'est pas à lui, il est à Dieu. » Adressant ensuite la parole aux fidèles de l'Eglise de Smyrne, il leur recommande une soumission parfaite à leur évêque, aux prétres et aux diacres, et entre eux une union si parfaite que tout leur soit commun, le sommeil, la veille, les travaux, les souffrances, les combats. On ne peut douter que cette lettre ne soit la dernière, puisque saint Ignace l'écrivit lorsqu'il était sur le point de quitter Troade et de s'embarquer pour Naples. C'est aussi le rang qu'Eusèbe et saint Jérôme lui ont donné.

Aux Romains. Malgré cela cependant, nous avons réservé pour la fin la magnifique Epitre aux Romains, parce qu'elle est la plus célèbre, la plus éloquente, et nous dirions presque la plus surnaturelle. « Elle est peut-être unique dans son genre, dit Tillemont; l'auteur s'y abandonne aux transports de la plus héroïque charité, et il semble que sa plume se soit trempée dans le sang de Jésus-Christ, auquel il brûle de mêler le sien. » Le saint confesseur ayant trouvé à Smyrne quelques chrétiens d'Ephèse, qui allaient à Rome par une voie plus courte que celle qu'on lui faisait suivre, les chargea de cette lettre adressée aux fidèles de l'Eglise romaine. Après les avoir salués avec de magnitiques éloges, et leur avoir témoigné la joie que lui donne l'espérance de les voir, le saint pontife ne leur laisse pas ignorer qu'il était instruit de leurs projets pour le délivrer de la mort, soit par leur crédit, soit par d'autres moyens. Son but est donc de les détourner de ce dessein. « Le commencement, leur écrit-il, est bien disposé, pourvu que je reçoive la grâce et que rien ne m'empêche d'obtenir ce qui m'est réservé en partage. Mais je redoute votre charité, et j'appréhende que vous n'ayez pour moi une compassion trop tendre. Peut-être ne vous serait-il pas difficile de faire ce que vous souhaitez; mais il me deviendrait difficile d'arriver à Dieu, si vous m'épargniez.... Je ne veux pas avoir pour vous une complaisance humaine; mais je veux plaire à Dieu, comme vous lui plaisez. Si vous m'aimez d'une charité vraie, vous me laisserez aller jouir de mon Dieu. Je n'aurai jamais une occasion aussi favorable de me réunir à lui que celle qui se présente; ni vous non plus, jamais vous n'aurez l'honneur d'une œuvre plus méritoire; c'est de ne point solliciter Dieu contre moi. Si vous ne parlez point de moi, si vous demeurez en repos, j'irai à Dieu. Au contraire, en vous Jivrant à une fausse compassion pour cette misérable chair, vous me renvoyez au travail; vous me faites rentrer dans la carrière. Eh! pouvez-vous me procurer un plus grand bien que d'être immolé à Dieu, iandis que l'autel est dressé ? Seulement unissez-vous à mon sacrifice, en chantant des cantiques d'action de grâce en l'honneur du Père et de Jésus-Christ son Fils, pendant que j'offrirai la victime..... Vous ne portâtes jamais envie à personne, ne m'enviez pas ma félicité. Vous avez instru.l

les autres, je vous demande d'être fidèles aux préceptes que vous-mêmes avez donnés. Ne vous occupez que du soin de m'obtenir jar vos prières le courage dont j'ai besoin pour résister aux attaques du dedans, et repousser celles du deliors; afin que je ne sois pas évêque seulement en paroles, mais en oeuvres; que l'on ne me nomme pas seulement chrétien, mais que je sois trouvé tel... J'écris aux Eglises et leur mande à toutes que je vais à la mort avec joie, si vous n'y mettez point obstacle. Je vous en conjure, ne m'aimez pas à contre-temps! Que j'aille servir de pâture aux lions et aux ours; ce sera le cheinin le plus court pour arriver au ciel. Je suis le froment de Dieu; puissé-je être moulu par les dents des bêts, pour devenir un pain digne d'être offert à Jésus-Christ. Flattez plutôt les bêtes qui doivent me déchirer; qu'elles soient mon tombeau, qu'elles me dévorent tout entier, sans ménager nulle partie de non corps. Je ne vous commande pas, ainsi que pouvaient le faire Pierre et Paul; ils étaient apôtres ; que suis-je, mui, sinon un condamné par les hommes? Ils étaient libres, je suis encore esclave. Mais si je souffre, alors je serai l'affranchi de Jésus-Christ; alors je ressusciterai à la vraie liberté. Dès à présent, j'apprends dans mes chaînes à ne rien désirer de ce qui est au monde... Dieu veuille que je jouisse des bêtes qui me sont préparees; que je les trouve ardentes et avides de leur proie! S'il arrivait qu'elles m'épargnassent, comme elles ont fait, j'irais moi-même les presser à l'attaque; j'irriterais leur violence pour les forcer à me dévorer. Pardonnez-moi, je connais mes intérêts; le prix de la victoire est Jésus-Christ; en faut-il d'avantage pour m'animer? C'est d'aujourd'hui seulement que je commence à être disciple de Jésus-Christ. Tout ce qu'il y a de créé dans le monde visible et invisible m'est indifférent, mon unique désir étant de posséder Jésus-Christ. Que je sois consuné par le feu; que je meure de la mort lente et cruelle de la croix; que je sois mis en pièces par les tigres et les lions affamés; que mes os soient dispersés, mes membres meurtris, mon corps broyé; que tous les démons épuisent sur moi leur rage, je suis prêt à endurer avec joie tous les supplices, pourvu que je jouisse de Jésus-Christ... Eh! que ine servirait-il de posséder toutes les richesses et toutes les grandeurs de la terre? Il m'est plus glorieux de mourir pour mon Dieu que de régner sur tout le monde. C'est celui qui est mort pour moi que je cherche; c'est celui qui est ressuscité pour moi que je veux. Laissez-moi la liberté d'imiter les Souffrances de mon Dieu. Ne m'empêchez pas de vivre en voulant m'empêcher de iuourir, laissez-moi courir vers cette vive et pure lumière. Que celui qui l'a déjà daus son cœur comprenne ce que je désire; et qu'il ait compassion de moi, puisqu'il connait quels sont les liens qui m'attachent à ce que j'aime... Le feu qui m'anime et me pousse ne peut souffrir aucun mélange, au

cun tempérament qui l'affaiblisse; mais celui qui vit et parle en moi, me dit continuellement: Hate-toi de venir à mon Père! si, quand je serai rendu auprès de vous, j'allais me laisser intimider par l'appareil du supplice, soutenez mon courage, rappelez-vous seulement ce que je vous écris à cette heure où je corresponds avec vous en toute liberté d'esprit et n'aspirant qu'à mourir. Le seul pain que je demande, c'est la chair adorable de Jésus-Christ; le seul vin que je veux, c'est son sang, ce vin céleste qui excite dans l'âme le feu vif et immortel d'une incorruptible charité. Je ne tiens plus à la terre; je ne me regarde plus comme vivant parmi les hommes. Souvenez-vous dans vos prières de l'Eglise de Syrie, qui, dépourvue de pasteurs, tourne ses espérances vers celui qui est le souverain pasteur de toutes les églises. Que Jésus-Christ daigne en prendre la conduite durant mon absence; je la confie à sa providence et à votre charité. Cette lettre, écrite à Smyrne, comme nous l'avons dit, est datée du 9 des calendes de septembre, c'est-à-dire du 25 août. •

Ce n'est pas seulement de l'éloquence que l'on admire en lisant ce morceau, c'est du ravissement, c'est de l'extase, c'est le sublime élan de saint Paul quand nous l'entendons s'écrier: Desiderium habens dissolvi et esse cum Christo. Quelle abondance de sentiments jointe à toute la vigueur de la pensée et à toute l'énergie de l'expession! Quelle touchante effusion d'une charité paternelle unie à l'autorité imposante du ministère épiscopal! Jusque dans les transports de ce saint enthousiasme, quelle aimable condescendance pour les alarmes de ses frères, de ces enfants, qui pourtant ne sont pas les siens; et surtout, quelle tendre sollicitude pour son troupeau ! Désira-t-on jamais un trône avec plus d'ardeur que saint Ignace la présence des animaux féroces dans le sein desquels il contemple avec joie son tombeau? Quelle mère a jamais su rendre avec des images aussi vives son empressement de revoir un fils unique après une longue absence, que ne le fait ce digne athlète de la foi chrétienne, pour entrer en possession de son Dieu, et pour aller bientôt jouir de Jésus-Christ? Nous sera-t-il permis de le dire, on ne profite pas assez de ce trésor. Pourtant la chaire évangélique et le lit des mourants présentent assez d'occasions de reproduire ce langage, s'il était dans la mémoire du clergé, comme nous sommes assuré qu'il est dans son cœur. Autrefois on lisait publiquement dans les églises ces admirables épîtres, et chacun peut juger par lui-même de l'impression qu'elles devaient exciter. « Il est difficile, a dit un de nos historiens, Racine, au tome I de son Histoire ecclésiastique, il est difficile de les lire avec quelque sentiment de piété, sans verser des larmes. » Malheureusement ce ne sont pas les froides déclamations de nos jours qui les font couler. Quand pour la première fois le grand saint Irénée apporta ces épîtres dans nos Gaules, croira-t-on que nos pères

aient entendu, les yeux secs, la lecture de ce testament de mort? Non, sans doute. Eh bien! qu'on le transporte aujourd'hui dans la chaire chrétienne; hélas! il sera encore tout nouveau pour bien des auditeurs, et peut-être pour plus d'un prédicateur!

Cependant, il n'est pas resté tout à fait stérile entre les mains de nos grands orateurs. Bossuet a cité un passage de l'Epitre aux Romains dans son Sermon pour le jour des morts; mais il fait mieux que la citer: plein du même esprit qui l'avait fait jaillir du sein du magnanime confesseur, pénétré de la substance de ses sentiments, de ces expressions familières à sa propre pensée, l'évêque de Meaux les retrace avec une égale vigueur, dans les sublimes aspirations dont il a semé ses discours sur la mort, sur la pénitence, sur la résurrection. Parmi nos orateurs modernes nous rencontrerions aussi, en cherchant bien, quelques imitations. La plus heureuse, à notre avis, est celle que le P. Lenfant a faite de ce mot du saint martyr Nunc incipio esse Christi discipulus. « Ainsi, dit-il dans son beau Sermon sur les Afflictions, l'avait compris le saint évêque d'Antioche; et voilà ce que nous explique l'admirable parole de cet illustre martyr, Jorsque dans l'obscurité de la plus affreuse prison, se voyant confié à des hommes aussi farouches que les animaux, par lesquels il était sur le point d'être dévoré, il écrivait aux Romains, dans le vif transport de sa joie Nunc incipio esse Christi discipulus. Eh quoi! ne l'était-il donc pas auparavant, puisqu'il était soumis à Jésus-Christ par la foi, puisqu'il en observait fidèlement les principes, puisqu'il en gouvernait le peuple avec zèle? Oui, sans doute, mes chers auditeurs; mais il lui manquait de marcher sur les traces ensanglantées du Sauveur; et c'est en le suivant de si près qu'il remplit les devoirs d'un parfait disciple de cet adorable maître, et qu'il ose en prendre le titre; parce qu'il peut alors surtout en pratiquer les plus difficiles leçons, en imiter les plus grands exemples, en exprimer en lui-même les traits les plus ressemblants. Nunc incipio esse Christi discipulus.

[ocr errors]

LETTRES SUPPOSÉES. Outre ces lettres dont nous venons de parler, Usher et Isaac Vossius en ont découvert trois autres, réunies sous le nom de saint Ignace dans les mêmes manuscrits d'où ils ont tiré les lettres authentiques, savoir une à Marie de Cassoboles, une autre à l'Eglise de Tarse et la troisième à Héron, diacre d'Antioche. Mais tous les critiques conviennent aujourd'hui que ces trois lettres sont supposées, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de nous étendre beaucoup à le démontrer. On doit porter le même jugement d'une lettre aux fidèles d'Antioche, d'une autre aux Philip piens, de deux à saint Jean l'évangéliste et de celle à Marie, .Mère de Dieu; car outre que ces lettres, inconnues aux auteurs des cinq premiers siècles, diffèrent complétement de style avec les véritables lettres de saint Ignace, elles contiennent encore plu

sieurs choses qui ne conviennent ni à son époque ni au caractère du saint martyr. Sans parler des inepties dont les lettres réciproques d'Ignace et de Marie de Cassoboles sont remplies; il paraît que l'imposteur qui les a composées n'était guère au courant de la bonne chronologie, puisqu'il met le martyre du saint évêque d'Antioche sous le pontificat de saint Clément, mort au moins huit ans avant lui. Dans l'Epitre aux fidèles de Tarse, il désigne saint Paul par son seul titre d'apôtre, ce qui n'a été en usage que longtemps après le martyre de saint Ignace; il y reprend encore des hérétiques qui confondaient le Père et le Fils, et n'en faisaient qu'une seule personne; hérésie inconnue au Commencement du second siècle de l'Eglise. La lettre aux Chrétiens d'Antioche représente leur église comme nouvellement née, quoiqu'elle eût été fondée plus de soixante ans avant la mort de ce glorieux martyr; elle fait également mention de sous-diacres, de lecteurs, de chantres, de portiers et autres ministres ignorés à cette époque, et que le saint évêque n'eût pas manqué de saluer avec les diaconesses et les vierges, dont il dans ses autres lettres, si réellement l'Eglise eût possédé ces sortes de ministres daus son temps. La lettre à Héron contient une faute dans laquelle certainement saint Ignace ne serait pas tombé; en effet, on lit dans cette lettre qu'Onésime, Damas et Polybe se trouvèrent à Philippes avec saint Ignace; ce qui est contraire à la vérité de l'histoire, qui affirme positivement que ces évêques vinrent le trouver à Smyrne. Du reste l'affection avec laquelle l'auteur de cette lettre s'efforce de montrer que le vin et la chair, les femmes et le mariage, la loi et les prophètes ne doivent pas être rejetés, fait voir assez clairement qu'il a vécu après la naissance de l'hérésie des manichéens. Quant à l'Epitre aux Philippiens, indépendamment de cette longue et puérile apostrophe au diable, qui en signale à première vue la supposition, elle renferme encore plusieurs maximes contraires à la pratique et à la doctrine établies dans l'Eglise au temps du saint docteur. Par exemple, elle ordonne de jeûner les mercredis et les vendredis d'après Pâques, ce qui ne se pratiquait alors nulle part; ensuite elle déclare que celui qui jeûne le samedi attache de nouveau Jésus-Christ à la croix. Il ne paraît pas croyable que si un saint aussi respecté à Rome que l'était saint Ignace, ent parlé de la sorte, on se fut fait une loi dans cette grande ville de jeûner le samedi; enfin elle met encore au nombre des bourreaux de Jésus-Christ ceux qui se conforment à la pratique des Juifs pour le jour de la célé bration de la Pâque; exès indigne d'un disciple de saint Jean et d'un ami de saint Polycarpe, qui tous deux célébraient la fête de Pâques le même jour que les Juifs. Nous ne dirons rien en particulier des lettres adressées à saint Jean l'évangéliste et à Marie, Mère de Dieu. La supposition en est visible; et il y a tout à croire que ces pièces

« PreviousContinue »