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livres. Au moyen de la réduction du sel à 6 sous la livre, le produit devenait moins considérable pour le Trésor public; il devenait même nul par la grande quantité de sel introduit depuis la destruction des barrières et la dispersion des employés, puisqu'il est reconnu que chaque particulier a fait sa provision pour plusieurs années; il faut aussi considérer que les frais de construction de nouvelles barrières consommeraient le peu de produit de la gabelle, et cela inutilement, puisque la législature actuelle se propose de l'anéantir.

La province d'Anjou, à la réserve des petites villes de Saumur et de la Flèche, et de cent huit paroisses, offre de se rédimer de cet impôt odieux, en payant un remplacement, non à raison de 6 sous, mais sur le pied de 12 sous la livre, et elle fixe ce remplaceinent à 800,000 livres, payables par six mois, en argent, sans exiger pour ce aucune délivrance de sel.

Le comité a accueilli ces offres, et a présenté le projet d'un décret en huit articles, à l'effet de déterminer ce remplacement, la manière de l'im poser sur les contribuables, etc. Le comité n'a pas dissimulé que la province du Maine, limitrophe de celle d'Anjou, n'avait porté ses offres de remplacement que sur le pied de 30 livres le minot, prix fixé par le décret du 26 septembre ; cette inégalité d'offres présentait des embarras, et l'inconvénient surtout de rapprocher les barrières et de changer toute la localité de cette administration.

Voici les articles du décret :

1o Le pouvoir exécutif sera autorisé à accepter les propositions faites par la plupart des communautés d'Anjou, de donner un remplacement de 160.000 livres pour la gabelle, à raison de 60 livres le minot, sans délivrance de sel.

2 Cette prestation ou représentation de l'impôt de la gabelle ne pourrà être au-dessous de 160,000 livres.

3° Ladite prestation sera répartie par l'administration, sans distinction de paroisses, à raison des facultés.

4o Cette contribution sera payée par mois.

Les autres articles sont relatifs à l'imposition et au recouvrement de l'impôt.

M. de Montlosier. Je suis surpris que la province d'Anjou vienne ici nous proposer des lois au lieu d'attendre avec soumission les lois de l'Assemblée nationale. Il resterait, en tout cas, à examiner si la somme offerte compense le versement que doit faire la province pour l'impôt du sel.

M. la Poule appuie le projet proposé et insiste sur l'extrême désir des peuples d'être délibérer d'un impôt injuste, immoral, vexatoire, comme celui de la gabelle.

M.le marquis d'Estourmel. Je doute que la province d'Anjou ait le droit d'offrir un remplacement à raison de 60 livres le minot, lorsqu'un décret a fixé le prix de cette denrée à 6 sols. Je crois que dans les circonstances actuelles il serait plus avantageux d'autoriser le premier ministre des finances à traiter avec les provinces d'un abonnement qui n'irait qu'au 1er juillet prochain, parce qu'à cette époque l'Assemblée aura fixé un nouveau mode de perception.

M. Gaultier de Biauzat. L'Assemblée ne peut adopter le projet de décret sans compromettre l'intérêt général; il faut opérer une conversion totale de l'impôt, parce que vicieux de sa nature

il ne peut être modifié ; il faut, en outre, trouver dans le produit de cet impôt de quoi continuer les modiques pensions des agents subalternes de la ferme, puisqu'ils ont consacré une partie de leur vie à ce métier. Vous ne voulez pas les lais ser mourir de faim.

M. de Bousmard. La province d'Anjou deviendrait un véritable entrepôt de contrebande qui fournirait du sel aux autres provinces non rédimées et ce calcul pourrait bien être le motif de la générosité de ses offres.

M. Milscent. L'Anjou ne deviendrait pas plus l'entrepôt de la contrebande pour les autres provinces, que la Bretagne ne l'est actuellement pour l'Anjou.

M. de Lameth insiste sur la suppression géné rale de la gabelle et son remplacement par un impôt accessoire à la capitation.

On demande la clôture de la discussion, elle est prononcée.

L'Assemblée décrète l'ajournement de cette affaire, et le renvoi au comité des finances qui devra s'occuper incessamment de la suppression totale de la gabelle et des moyens de remplacer cet impôt.

M. de Curt, député de la Guadeloupe, au nom des colonies réunies, fait une motion pour l'établissement d'un comité destiné à régler la constitution des colonies. Il s'exprime en ces termes :

Messieurs, les ministres du Roi vous ont demandé, le 27 octobre dernier, des éclaircissements sur ce qui concerne les colonies, en vous exposant qu'elles diffèrent en tout de la métropole ; que ces différences tiennent à la nature même et à l'essence des choses: ils vous ont rappelé la nécessité de donner à vos îles à sucre un régime particulier, et des lois qui s'accordent parfaitement avec leur position physique. Ils ont enfin interrogé votre vieu sur les décrets que vous avez déjà rendus, et qu'ils regardent comme impraticables dans vos possessions éloignées.

Vous avez pris en considération ce mémoire d'autant plus intéressant, qu'il n'est fondé que sur des principes reconnus et respectés par toutes les nations de l'Europe qui ont des colonies dans l'archipel américain. Le comité de commerce a été chargé par vous de l'examiner pour vous en faire le rapport.

C'est dans cet état de choses, Messieurs, que les députés des colonies se sont concertés pour approfondir des vérités que les ministres du Roi Vous ont indiquées. Elles forment un des plus grands intérêts que vous ayez à régler pour lå prospérité de la nation.

Jusqu'à ce moment, Messieurs, respectant les grands travaux dont vous vous êtes successivement occupés, les députés des colonies ont cru devoir garder le silence le plus absolu, et attendre que l'Assemblée nationale fixât son attention sur les possessions éloignées. Aujourd'hui leur silence deviendrait aussi dangereux qu'impolitique. Les ministres ont parlé : ils attendent votre réponse; mais rien de ce qui intéresse les colonies n'a encore été légalement discuté. Les grandes questions qu'elles présentent n'ont été soumises à aucun examen préparatoire, et s'il vous fallait prononcer, vous n'auriez en général que des bases très-incertaines pour fixer votre jugement. Cependant, Messieurs, les grandes ressources de la nation sont tellement dépendantes du sort

des colonies, que la moindre erreur dans le système qui doit les régir, causerait un mal irréparable. Dans les révolutions qui changent la face des empires, on peut autour de soi dépasser le but, sans crainte absolue d'une dissolution inévitable. Témoin de la secousse, le mouvement rétrograde est, pour ainsi dire, sous la main du législateur. Mais à deux mille lieues de tous les pouvoirs, de tous les moyens, la publication seule d'une mauvaise loi serait infailliblement suivie des résultats les plus funestes.

Sans doute, Messieurs, les colonies n'ont point à craindre de pareils malheurs, parce qu'il est dans vos principes de faire préparer les matières importantes sur lesquelles vous avez à délibérer. C'est ainsi que vous avez formé des comités pour tous les objets soumis aux règles du calcul, ou qui, tenant à beaucoup de rapports, exigent les connaissances les plus étendues et des méditations profondes.

Mais ces comités ne peuvent embrasser que l'intérieur du royaume; et si vous voulez organiser vos colonies d'une manière qui vous assure à jamais les avantages de ces précieuses contrées vous devez former un comité qui s'occupe sans délai d'en perfectionner les moyens.

Telle est, Messieurs, la demande que je suis autorisé à vous faire au nom des colònies réunies. Il s'est élevé, depuis quelques années, tant de questions captieuses sur leur régime, tant d'objections oratoires sur leur importance, tant de doutes ridicules sur la nésessité de les conserver, qu'il est temps de forcer au silence et les orateurs de mauvaise foi, et les apôtres des déclamations académiques, et les spéculatifs qui veulent juger par comparaison, des contrées absolument dissemblables.

Je vous propose donc, Messieurs, de former un comité des colonies, composé de vingt membres pris dans cette honorable Assemblée; vous penserez sans doute qu'il doit être mi-partie de colons, et mi-partie de négociants parce que les colonies étant destinées à opérer la consommation du superflu du royaume, et à accroître la richesse nationale par le moyen des changes, les négociants et les colons sont entre eux les seuls légitimes contradicteurs. Je dirai plus, Messieurs eux seuls sont en état d'instruire votre religion et de vous présenter les meilleures vues sur toutes les parties de ce grand ensemble.

Ce comité ainsi composé, Messieurs, produirait d'abord le bien inappréciable de rapprocher le commerce et les colonies sur leurs réclamations respectives oubliant les uns et les autres leurs intérêts particuliers pour ne s'occuper que de l'intérêt de l'Etat, ils fixeraient, à force de franchise et de loyauté, le terme où doit s'arrêter le commerce prohibitif. Ils détermineraient de la manière la moins susceptible d'abus tous les moyens qui peuvent empêcher que la contrebande n'enlève au royaume aucun des avantages dont il doit profiter.

Passant ensuite aux lois qui peuvent le plus influer sur la propriété du commerce et de l'agriculture, ils vous indiqueraient la manière de les simplifier: car, Messieurs, tout ce qui n'est point actif, tout ce qui ne donne point un mouvement rapide aux transactions des colonies, y doit être absolument proscrit, comme destructif de l'industrie nationale.

Ils rechercheraient encore jusqu'à quel point il convient de confier aux délégués du pouvoir exécutif le droit de faire des règlements pro

visoires sur des événements que la prudence humaine ne peut prévoir ni empêcher; événements auxquels il serait du plus grand danger de ne pas obvier sur les lieux, et sans aucune remise.

Enfin, Messieurs, comme dans les colonies il n'existe ni dîmes à supprimer, ni féodalité à détruire, ni priviléges à combattre, ni traitants à dépouiller, ni impôts odieux à proscrire; comme il n'y a aucun système de finance à purifier, et que l'assiette des impôts une fois déterminée par les assemblées coloniales, il ne s'agit plus que de surveiller, avec quelque attention, les deux chapitres de recettes et de dépenses; ce qui est trèsfacile dans les pays où la grande communication ne laisse de secret sur rien, et pour personne; comme les tribunaux n'ont besoin que d'un petit nombre de lois pour assurer la propriété de chacun; le comité que j'ai l'honneur de vous proposer pourrait, en très-peu de temps, vous présenter un plan général de constitution, d'administration et de jurisprudence, aussi politique dans son but que simple dans ses moyens, et qui, en assurant le bonheur de tous, autant que l'intérêt de l'Etat peut le permettre, rendrait les colonies florissantes pour le plus grand avantage de la nation.

C'est au nom sacré de la patrie, Messieurs, que je vous invite à accueillir la motion que j'ai l'honneur de vous faire: car, je dois vous le dire, et surtout vous le prouver: si les colons ne consultaient que leurs intérêts personnels; si leur dévouement à la chose publique pouvait laisser dans leur âme quelque accès aux séductions d'une plus grande fortune; s'ils ne mettaient pas leur gloire à se sacrifier à l'héroïsme de l'amour du nom français; enfin, Messieurs, si les colons ne voulaient pas, à tout prix, rester citoyens d'une grande nation à laquelle il ne manquait qu'une constitution sage, pour être la première du monde; au lieu de vous demander des lois et un régime qui les unissent à jamais, qui les assujéttissent même à votre bonheur, ils eussent propagé ce principe impolitique et destructif de Vos plus grandes ressources, que les colonies sont plus nuisibles qu'utiles. Alors, Messieurs, si, abandonnées à elles-mêmes, elles eussent ouvert leurs ports aux puissances commerçantes de l'Europe et de l'Amérique, un bénéfice énorme se présentait à elles dans la concurrence des échanges. Et en effet, dans un tel état de choses, elles achèteraient au rabais tous les objets qu'elles consomment, et vendraient à l'enchère toutes leurs productions; de manière qu'en dernier résultat, la diminution sur le prix de leurs consommations, et l'accroissement de la valeur de leurs denrées, auraient augmenté de plus du tiers la balance de leurs échanges.

Voulez-vous, Messieurs, vous convaincre d'une manière irrésistible, des sacrifices que vous recevez journellement des colonies? Opposez aux avantages qu'elles trouveraient dans un commerce libre, les bénéfices que la France retire d'un commerce exclusif auquel elles veulent se soumettre. Je pourrais, sans doute à cet égard, fournir des détails qui me paraissaient invraisemblables avant de les avoir approfondis moi-même. J'aime mieux vous présenter les calculs d'un négociant de Bordeaux qui, après avoir parcouru nos îles en homme d'Etat, a publié à son retour d'excellentes réflexions sur ces matières.

Il suppose, Messieurs, 10 millions de denrées coloniales, payées en denrées de votre sol, et de

l'industrie de vos manufactures. Voici comme il divise les bénéfices:

Au commerce national 20 0/0; 10 au sol et aux manufactures. Même somme pour le fret des vaisseaux employés à cette navigation. Enfin encore 10 0/0 pour les droits, les commissions, les salaires des ouvriers et journaliers employés aux armements.

Il résulte de ce calcul, qui ne peut être soupçonné d'exagération, qu'en ne considérant ces transactions que sous le rapport de l'industrie intérieure du royaume, vous partagez par moitié ce revenu des colonies.

Mais si vous considérez, Messieurs, ces possessions sous les grands rapports politiques, si vous calculez les ressources que vous tirez de leurs richesses territoriales, si vous pesez l'influence qu'elles vous donnent sur toutes les nations commerçantes, vous sentirez plus que jamais la nécessité de les conserver et de les accroître. Car, Messieurs, il n'est plus possible de le dissimuler: vos manufactures n'ont presque plus de débouchés que dans les colonies, à l'exception de quelque modes et de quelques bijoux ; l'Europe ne vous demande en échange que vos sucres, vos cafés, vos cotons, votre indigo; et quand elle vous demanderait vos blés, il n'est que trop prouvé que la libre exportation des grains peut quelquefois réduire le royaume à la plus fâcheuse extrémité.

Vous devez observer encore que sans les colonies vous n'auriez que peu ou point de commerce maritime, conséquemment point de marine; ce qui laisserait vos côtes exposées aux insultes de la première puissance maritime qui voudrait prendre la peine de les attaquer.

Que les colonies occupent 800 grands navires marchands destinés aux voyages de long cours, et 6 à 700 petits destinés au cabotage; et qu'en donnant une occupation directe à plus de 5 millions d'hommes, un grand mouvement à vos manufactures, elles doublent la valeur des terres, par ce nombre prodigieux de consommateurs qu'elles emploient.

Ce n'est pas tout, Messieurs; vous avez mis la dette de l'Etat sous la sauvegarde de la loyauté française dans mon opinion, les richesses seules des colonies peuvent garantir l'exécution de ce décret honorable. En effet, sur 243 millions de denrées que vous en recevez annuellement, vous en consommez à peu près 80 millions, qui se décuplent par la circulation intérieure. Le reste passe à l'étranger; et comme les objets qu'ils vous donnent en échange ne s'élèvent tout au plus qu'à 88 millions, il vous reste un solde de 75 millions, qui diminue d'autant l'exportation de numéraire à laquelle vous seriez forcés, pour faire honneur aux intérêts énormes de la dette que Vous avez déclarée nationale.

Je termine ici des réflexions qui exigeraient plus de développement, s'il s'agissait de prononcer sur le sort des colonies. Il ne s'agit aujourd'hui que de choisir les meilleurs moyens de travailler à leur organisation. Si j'ai pu vous convaincre que je ne les sollicite qu'au nom de l'intérêt de l'Etat, vous ne balancerez pas à adopter une motion qui m'a paru toute de patriotisme. Vous êtes la première nation de l'univers qui ait admis ses colonies à l'honneur d'être membre du Corps législatif. Nous avons senti vivement le prix d'un acte de justice dont l'éloge commence à vous. Mais n'est-ce pas vous prouver notre gratitude d'une manière qui se rapproche de vos principes, que de vous dévoiler les ressources

que vous deviez tirer de nos richesses, et de nous soumettre plus que jamais à vous les conserver par des sacrifices? Cependant, pour que cet état de choses subsiste, il nous faut une législation particulière qui ne contrarie en rien nos mœurs, nos usages, nos propriétés ; il faut, surtout, qu'elle nous assure la tranquillité sur nos foyers, pendant que nous travaillerons à vous procurer cette espèce de bonheur qui dépend de toutes les commodités de la vie. Laissez donc aux colons réunis, aux négociants, le soin de vous éclairer sur leurs besoins; ordonnez qu'ils travaillent eux-mêmes au code qu'ils penseront convenir le mieux à leur situation. Lorsque ce travail important, et qui exige les plus grandes connaissances locales, aura été exécuté avec la maturité nécessaire, vous l'examinerez dans votre sagesse, et vous ne le décréterez que lorsqu'il ne vous restera aucun doute sur son utilité et sur sa perfection.

Alors, Messieurs, vous pourrez vous reposer plus que jamais sur la foi, sur l'attachement créoles. Vous aurez à deux mille lieues de vous des concitoyens dont vous aurez décrété le bonheur, et qui, toujours fidèles aux intérêts communs, vous enrichiront en temps de paix des fruits de leurs sueurs, et verseront en temps de guerre jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour repousser de leurs foyers tous les ennemis de la France.

Je conclus, au nom des colonies réunies, au décret suivant:

« L'Assemblée nationale décrète qu'il sera nommé, sans délai, un comité des colonies, composé de 20 membres, mi-partie de députés des villes maritimes de commerce et de manufacture, et mi-partie de députés des colonies, pour préparer toutes les matières qui peuvent être relatives à ces possessions importantes. »

(L'Assemblée ordonne l'impression du mémoire de M. de Curt et ajourne la question à samedi prochain.)

M. Blin monte à la tribune et lit une adresse de colons propriétaires de Saint-Domingue, où il est dit :

1o Les colons qui sont en France ne sont pas représentés.

Ils avaient le droit de donner leurs suffrages; ils ne l'ont pas fait, ils n'ont pu ni dû le faire; la conséquence nécessaire est qu'ils ne sont pas représentés. Leurs compatriotes, qui ont eu l'honneur d'être admis parmi vous, n'ont ni leurs pouvoirs ni leurs instructions; donc ils ne peuvent ni parler, ni agir, ni consentir pour la majeure partie, pour la plus forte portion des propriétaires planteurs. Ce qui serait fait pour la colonie ne pourrait être obligatoire pour cette majeure partie, pour cette plus grande portion, faute de consentement ni réel, ni supposable. Rien cependant de ce qui serait fait ne pourrait être divisible; donc enfin, rien dans cet état ne peut être réglé pour la colonie.

2o La colonie elle-même n'a pas une véritable représentation.

Nous nous arrêterons uniquement, mais avec force, sur ce grand principe auquel il n'est point d'exception: Le voeu du plus grand nombre des intéressés à une chose commune est le véritable, le seul vou. » Le défaut de ce vou du plus grand nombre rend nul, anéantit entièrement, celui qu'aurait pu former le moindre nombre: cette vérité est sans réplique.

A l'application, nous avons l'honneur de vous assurer, Nosseigneurs, que le plus grand nombre

de ceux des colons qui habitent Saint-Domingue même n'a point voté pour la députation, ni pour le choix des députés ; que beaucoup ont manifesté un vœu contraire, par une requête adressée aux administrateurs de la colonie à la fin de l'année dernière. L'ile de Saint-Domingue est peuplée d'environ 25,000 habitants blancs, nous estimons qu'en mettant à l'écart les femmes et les nonmajeurs, environ 12,000 planteurs et autres avaient le droit de voter en cette circonstance. De ce nombre 4,000 seulement paraissent avoir désiré une représentation et de manière ou d'autre fait le choix des députés. Les vices de forme étant couverts, nos compatriotes ne représenteraient donc tout au plus qu'un tiers des habitants qui sont sur le lieu même; ils n'ont donc ni le you général, ni le vœu prépondérant en nombre; la colonie n'est donc pas véritablement repré

sentée.

Cette adresse est signée de plus de 300 colons.

M. Blin conclut en demandant à l'Assemblée de décréter que la discussion de toutes motions qui pourraient être proposées relativement à la colonie de Saint-Domingue, ou tout au moins à son régime intérieur, seront suspendue jusqu'à ce qu'en nouvelle connaissance de cause elle ait formé des voeux positifs, certains, et fourni des lumières locales, également avantageuses pour elle et pour la mère patrie.

M. de Cocherel (1). Messieurs, Saint-Domingue, connu jusqu'aujourd'hui sous la fausse dénomination de colonie, n'en est pas une. C'est une contrée qui s'est toujours régie en pays d'Etats par les lois qui lui sont propres.

La dénomination de colonie n'est consacrée que par l'usage et non par le droit, seul imprescriptible.

Dans le droit et dans le fait, une colonie est une émigration d'une partie de la population d'un Etat, envoyée dans une contrée déserte ou conquise par cet Etat, pour habiter et défricher cette contrée au plus grand avantage de cet Etat.

Or, Saint-Domingue, dans son principe, était une province insulaire de l'Amérique, habitée par les naturels du pays, conquise d'abord par les Espagnols, et reconquise ensuite sur eux par une troupe de guerriers, composée de diverses nations, qui y formèrent des habitations, les cultivèrent et en offrirent le produit aux Hollandais en échange des marchandises qu'ils leur apportèrent, ce qui établit alors un commerce libre parini eux.

C'est dans cette position que Saint-Domingue se donna à Louis XIV, aux conditions de maintenir ses priviléges et franchises.

Donc Saint-Domingue n'a pas été formé par une émigration envoyée de la France pour l'établir, à son plus grand avantage; donc Saint-Domingue n'est pas une colonie de la France.

Mais si Saint-Domingue n'est pas une colonie française, elle est encore bien moins une province française.

Une province française est une partie constituante et intégrante de la France, soumise à la même constitution ou susceptible de l'être sous tous les rapports.

Or, Saint-Domingue par sa position ne peut

(1) Le discours de M. de Cocherel n'a pas été inséré au Moniteur.

être ni une partie constituante et intégrante de la France, ni être soumis à son entière constitution, ni même susceptible de l'être; ses rapports sont presque tous différents.

En effet, la France ne peut et ne doit être habitée que par un peuple libre; son nom en porte l'expression et la nécessité; son régime, ses mœurs, son climat, ses cultures, ses manufactures, sa constitution, en un mot, annoncent et demandent un peuple libre.

Saint-Domingue, au contraire, est habité par des peuples de diverses couleurs et de différentes origines. Les uns, nés dans le sein de la liberté, Français, Espagnols, Anglais. Hollandais de naissance, habitent cette contrée éloignée; les autres, arrachés du climat brûlant de l'Afrique par des négociants des ports de mer et soustraits par eux au plus dur des esclavages, qui fait la base et la constitution indestructible de ce peuple barbare, ont été transportés sur les rives fortunées de Saint-Domingue, habitées par une nation libre, hospitalière, qui s'empresse toujours d'obtenir à prix d'argent des négociants français la possession de leurs captifs détenus dans leurs navires. Ils perdent bientôt, en descendant de ces espèces de prisons, le souvenir de leurs malheurs; et les chainons les plus pesants de leurs fers se brisent en entrant sur les habitations de leurs nouveaux conquérants, qui mêlent sans cesse leurs sueurs avec les leurs, partagent leurs peines, leur prodiguent des soins dictés par l'humanité, l'intérêt et la loi. La sagesse de cette loi même a fixé les limites de leur servitude qui ne s'étend guère plus loin que celle de la discipline sévère observée dans les corps militaires.

Le concours, le mélange de ces peuples divers qui habitent l'ile de Saint-Domingue, la différence du climat de cette contrée, de ses cultures, de ses manufactures, des mœurs de ses habitants, l'opposition de leur état même exigent donc une constitution autre que celle de la France: SaintDomingue ne peut donc pas être partie intégrante et constituante de la France, puisque son régime nécessité n'est susceptible que d'une partie de sa constitution: Saint-Domingue ne peut donc pas être regardé précisément comme une province française.

Saint-Domingue ne peut conséquemment être considéré que comme une province mixte, et la seule dénomination qui lui convienne, est celle de province franco-américaine.

A ce titre, elle doit donc avoir une constitution mixte composée de la constitution de la France à qui elle appartient par droit de donation, et d'une constitution particulière et nécessaire à sa position, qui ne peut être réglée et déterminée que par les seuls habitants résidant à Saint-Domingue, qui offriront, à cet effet, par leurs députés à l'Assemblée nationale, le plan d'une nouvelle formation d'assemblée en Etats particuliers et provinciaux d'où il résultera l'exercice du droit acquis à l'Assemblée nationale, d'examiner cette constitution mixte, mais nécessaire, d'en développer les rapports, d'en discuter les avantages ou les désavantages pour la France, de les peser en dernière analyse, de sanctionner enfin, de renoncer même à la donation de Saint-Domingue, si elle est onéreuse à la France, ou de la conserver, si elle est utile à ses intérêts, mais toujours aux conditions premières de la donation; de façon que si, après le plus mùr examen, les charges pour la France sont plus fortes que les raisons d'utilité, l'Assemblée nationale pourra prononcer l'abandon de Saint-Domingue, sans pouvoir cependant ren

verser la constitution propre et nécessaire à son existence, encore moins aliéner l'objet de la donation, parce que les habitants de Saint-Domingue, en se donnant à la France, n'ont pas pu, n'ont pas dû sacrifier leurs intérêts les plus chers au prix de la protection accordée; au contraire ils ont dû croire améliorer leur sort, et non le détériorer; c'est un principe du droit naturel adopté par l'Assemblée nationale et que réclameront auprès d'elle les députés de Saint-Domingue, au nom de leurs commettants dont l'amour pour la France, plutôt que leur intérêt, sera toujours le plus sûr garant de leur fidélité.

Les députés de Saint-Domingue solliciteront de l'Assemblée nationale, la décision de la question des lois prohibitives, exercées par les négociants des ports de mer, toujours préjudiciables à leur subsistance, à l'amélioration du sort des noirs si justement désirée, au progrès de leurs cultures. dont elles empoisonnent le germe.

Ils demanderont au nom de leurs commettants la liberté de tous les nègres résidant en France, tant qu'ils y resteront.

Ils consentiront encore à l'abolition de la traite des noirs, faite par les négociants français, si c'est le vœu de l'Assemblée nationale.

M. le Président lève la séance après avoir indiqué celle de demain pour 9 heures du matin.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. DE BOISGELIN, ARCHEVÊQUE D'AIX.

Séance du vendredi 27 novembre 1789 (1).

M. Dubois de Crancé, secrétaire, donne lecture du procès-verbal des deux séances de la veille, et des adresses suivantes :

Adresse de félicitations, remerciments et adhésion de la ville du Mesle-sur-Sarthe en Normandie; elle demande à être autorisée à substituer un receveur à la place du collecteur d'usage, pour la recette des deniers royaux.

Adresse du même genre du comité permanent de la ville de Luxeuil en Franche-Comté; il supplie l'Assemblée d'agréer l'élection qu'il a faite, avec la commune, de ses magistrats.

Adresse du même genre de la ville d'Uzès en Languedoc; dans une délibération qui y est jointe, le comité permanent s'élève avec force contre l'imprimné ayant pour titre, « Déclaration de l'ordre de la noblesse de la sénéchaussée de Toulouse, et enjoint aux officiers de la garde nationale de veiller: 1° à ce qu'il ne se forme aucune assemblée de prétendus ordres, corps ou corporations, sous prétexte d'y délibérer séparément et par ordre sur les affaires de l'Etat en général, et de la province en particulier, et 20 de les disperser en se conformant aux dispositions de la loi martiale.

Adresse du même genre des communes de Thenon en Périgord; elles demandent l'établissement d'une municipalité, et d'une justice royale:

Délibération du comité permanent de la ville de Guerlesquin en Bretagne, dans laquelle il ex

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

prime le profond respect et la soumission parfaite de tous les citoyens pour les décrets de l'Assemblée nationale. Il la supplie instamment de lui envoyer directement tous ceux qui ont été sanctionnés ou acceptés par le Roi, attendu qu'il n'en reçu aucun, de même que les juges des lieux.

Adresse de félicitations, remerciments et adhésion des officiers municipaux et représentants de la commune de Poligny en Franche-Comté.

Adresse du même genre des officiers municipaux et représentants de la commune de Beaujeu ; ils demandent que le Beaujolais soit séparé de la province du Lyonnais, et applaudissent au plan de division du royaume en départements, proposé par le comité de constitution.

Adresse du même genre de la ville de Manosque en Provence; elle demande à être le chef-lieu d'un département, et le siége d'un tribunal supérieur;

Adresse du même genre de la ville d'Apt en Provence; elle demande que l'avantage d'être chef-lieu du district lui soit conservé;

Adresse du même genre du conseil municipal et comité permanent de la ville d'Anduze en Languedoc; il exprime son indignation contre la déclaration séditieuse et perfide de la noblesse de la sénéchaussée de Toulouse ; il attend comme le plus grand bienfait une nouvelle organisation des municipalités et des assemblées administratives, ainsi que l'établissement de nouveaux tribunaux.

Adresse du même genre de la ville d'Amboise; elle demande une justice royale.

Adresse des habitants de Lille, en Flandre, par laquelle ils offrent à l'Assemblée nationale l'hommage de leur respect et de leur reconnaissance pour les bienfaits que la nation recevra des nobles travaux de cette auguste Assemblée.

M. Berthereau, membre de la députation de Paris, a observé que les officiers du Châtelet avaient été instruits qu'on leur reprochait une négligence marquée dans l'instruction des affaires relatives aux personnes prévenues et accusées du crime de lèse-nation.

Il a ajouté que, pour prouver l'injustice du reproche, le procureur du Roi lui avait remis un état exact de ces mêmes affaires.

L'Assemblée a entendu avec satisfaction la lecture de cet état; elle a ordonné qu'il serait inséré dans le procès-verbal de la séance, ainsi qu'il suit:

Etat des différentes affaires qui s'instruisent au Châtelet contre les personnes prévenues et accusées du crime de lèse-nation.

Le 30 octobre, le procureur-syndic de la commune a dénoncé M. le prince Lambesc.

Le 3 novembre, lendemain des fêtes, le procureur du Roi a rendu plainte et demandé qu'il fût informé.

L'information a été commencée ce soir même, et décrétée le 10; depuis on a fait une addition d'information de 35 témoins; et le 24, ce décret qui avait été décerné contre un quidam, a été nominativement appliqué à M. le prince Lambesc (1).

Une seconde dénonciation a été faite par le procureur-syndic de la commune, le même jour 30 octobre, contre le sieur Augeard; la plainte du

(1) Voy. aux annexes de la séance, le procès du prince de Lambesc.

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