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puis le mois de mai, et l'emploi de fonds considérables dont l'énormité sera prouvée.

Il y a dans l'état qu'on nous a présenté des inexactitudes apparentes qui consistent, soit dans des exagérations, soit dans des oublis. C'est une esquisse imparfaite et douteuse de ce qui nous reste à payer.

M. Malouet. Certainement il n'y a pas un des articles qui ne doive être justifié; mais M. Necker a demandé depuis longtemps que vous vous occupiez des finances; on a sans doute remis à votre comité toutes les pièces nécessaires; il aurait dù tout vérifier, et aujourd'hui le ministre ne serait pas inculpé. L'état qui vous est remis ne peut être vérifié que par le comité; il est physiquement impossible qu'il le soit par l'Assemblée.

Dans un nouvel ordre de choses, toutes les dépenses absurdes et injustes seront supprimées ; mais elles existaient, le ministre n'a pas pu ne pas les payer; il signera ce détail, s'il est exact, et dans tous les cas il ne doit être exposé à aucun reproche.

M. le comte de Mirabeau. Le ministre n'est inculpé par personne. Eh! qui parle d'un homme? qui s'intéresse à un homme? et qui veut troquer le despotisme pour de l'idolâtrie? Parlez des choses et non de l'homme.

M. le Président. Je dois faire observer à M. Malouet que M. Necker n'a été inculpé en aucune manière.

M. Malouet. Je crois en effet que l'Assemblée nationale rend justice à un ministre cher à la nation. Il n'est pas possible que depuis trois mois votre comité n'ait vérifié toutes les pièces. Vous lui avez accordé votre confiance; il a donc dù s'occuper dans le plus grand détail de calculs que l'on ne peut faire dans les séances publiques; il a dû rejeter des pièces défectueuses et le ministre fournir aux dépenses nécessitées par les circonstances actuelles. Tous ces objets ont été payés parce qu'il fallait les payer; c'est à vous de séparer les dépenses inutiles. Prononcez; le ministre des finances se portera avec plaisir à ces réformes. Je demande comme un moyen de satisfaire aux vues de l'Assemblée qu'il soit adjoint quatre commissaires au comité des finances pour examiner les différents états et pièces justificatives, et réformer les abus en finances.

M. Anson. M. Malouet a confondu l'état du moment avec les états généraux et particuliers de l'année. Ces derniers nous ont été remis signés par M. Necker et par M. Dufresne, sous l'autorisation du ministre.

M. l'abbé de Ruallem. La motion doit être divisée: il n'y a nulle difficulté sur l'impression; mais on peut observer, sur la signature demandée, que cet état est un bordereau de dépenses, qui n'a pas besoin d'être signé par le directeur du Trésor royal.

M. Fréteau de Saint-Just. J'insiste sur ma motion et sur ce point particulier qu'avant d'imprimer le rapport actuel du comité, l'état qu'il a présenté sera signé par le ministre des finances.

M. le comte de Custine appuie vivement la motion.

M. le Président la met aux voix et elle est décrétée ainsi qu'il suit :

« L'Assemblée nationale décrète que l'état envoyé au comité des finances, et communiqué ce jour à l'Assemblée, soit signé par le ministre et imprimé. >>

M. Fréteau de Saint-Just. Je fais la motion formelle de demander au ministre des finances une communication authentique des états de dépenses depuis le mois de mai.

M. Camus. Je propose en amendement que ces états, et les pièces justificatives au soutien, soient remis au comité des finances, pour que tous les membres de l'Assemblée puissent en prendre communication.

Il est important d'examiner tous les objets de dépense dans le plus grand détail. On vient de publier un état des pensions, dont l'exactitude semble justement contestée.

Il y a beaucoup de pensions par mois sans brevets, et autres. Votre comité a demandé le détail des pensions et des brevets, et, comme on est très-littéral dans l'administration des finances, on ne lui a remis que les brevets des pensions. On sait qu'il existe au Trésor royal un livre rouge qui fait mention de tous ces objets. Dans l'état dont on vient de vous faire lecture, il a été question d'une somme de 220,000 livres pour deux mois de payement des dettes de M. le comte d'Artois. Je ne cherche pas à examiner l'exactitude de ce décret énoncé, qui a quelquefois varié; mais j'observe qu'il faut voir à quel titre ces dettes ont été créées, à quel titre le gouvernement s'en est chargé ; il faut voir si les 130,000 livres que l'Opéra coûte dans deux mois doivent être comprises dans la dette nationale.

Nous éclairerons l'administration en faisant cet examen. Dans le même état on porte à 83,000 liv. les dépenses faites aux districts et à l'archevêché, pour les élections de la ville de Paris : d'abord les provinces doivent-elles concourir au payement de cette somme, qui paraît d'ailleurs très-enflée ? II n'en a rien coûté au gouvernement pour les assemblées de district, nous en avons nous-mêmes fait tous les frais. Les électeurs ont été assemblés pendant trente jours à l'archevêché; et si les 83,000 livres avaient été employées, il en résulterait que chaque jour on aurait payé 1,000 écus pour les bougies nécessaires et pour le loyer des effets tirés du garde-meuble.

M. l'abbé Goutte. Il y a des abus de toutes parts; chaque objet est secrètement grevé de traitements ou de pensions. On demande 67,000liv. pour deux mois de travail dans les carrières; il faut savoir si ce travail n'est pas aussi obscur que le lieu où il se fait. On demande une somme énorme pour l'Opéra; je sais qu'on a refusé les ouvertures d'une compagnie qui se chargeait de cette administration, non-seulement sans exiger de rétribution, mais en offrant encore de grands avantages au gouvernement. On a refusé ces avantages, et l'on fait payer aux provinces un Opéra qui ne joue pas pour elles. Les boues et lanternes coûtent 150,000 livres par mois, parce qu'il y a des pensions sur les boues et sur le clair de la lune.

M. Fréteau de Saint-Just. L'assertion de M. Camus sur le livre rouge est très-exacte. M. Necker m'en fournit la preuve dans un mémoire en réponse à M. de Calonne, format in-4°, page 218. Il parle d'une augmentation de 40 ou 50 millions sur un emprunt fait par M. Terray, et dit que cette somme a été employée en capitaux don

nés par faveur à des gens qui n'avaient pas compté un sou à l'Etat. C'est dans ce monument de l'intégrité du ministre, à la loyauté et à la pureté duquel je me fais honneur de rendre hommage, quoiqu'un préopinant se soit permis de supposer que je l'aie inculpé, que résident la dénonciation et la preuve d'un abus énorme et sans doute renouvelé. J'ajoute à ma motion que les registres qui constatent ces opérations et la conversion des pensions en dons sur le Trésor royal soient aussi remis au comité.

Il existe des livres rouges dans tous les départements; cette assertion a été faite devant le Roi et les princes de son sang, dans les assemblées dont j'étais membre, et n'a jamais été contestée.

M. Pison du Galand. J'ai une dénonciation de la même espèce à vous faire. Dans la réponse de M. Necker à M. de Calonne, à l'assemblée des notables, il est question de 30 à 40 millions d'amortissement, sur lesquels on a reproduit la dette en créant une somme égale de contrats délivrés en pur don.

Je demande un état détaillé de la dette avec toutes les pièces justificatives, et les lois qui en ont autorisé les différentes parties..... Voilà le seul moyen d'éviter les doubles emplois, les erreurs et les surprises.

M. Malouet. Je demande qu'il soit ajouté quatre commissaires au comité des finances pour examiner cet objet.

M. Dupont de Nemours. Il ne faut pas discourir quand il s'agit de secourir la responsabilité nous répondra des abus.

M. le Président met successivement aux voix la motion de M. Fréteau de Saint-Just et les amendements de M. Camus et de M. Malo uet; il en résulte les deux décrets suivants :

1er DÉCRET.

« L'Assemblée nationale décrète que les états authentiques demandés par l'arrêté précédent, ainsi que les pièces justificatives, notamment les registres qui constatent la conversion des pensions en bons pour être fournis au Trésor public dans des emprunts, ou de toute autre manière, soient remis au comité des finances pour y être communiqués à chacun des membres; auquel effet un commis s'y trouvera tous les jours pour donner cette communication: elle décrète, en outre, que communication lui soit donnée des états signés des dépenses, depuis le 1er mai dernier. »

2o DÉCRET.

« L'Assemblée nationale ordonne l'impression de tous les états demandés par les décrets précédents et qu'une section du comité des finances soit occupée à la recherche de tous les abus en finances, pour en rendre compte à l'Assemblée. »

M. le Président. L'ordre du jour appelle la discussion sur les moyens de pourvoir aux besoins de l'Etat d'ici au mois de janvier 1790, et sur la proposition du ministre des finances, de convertir la caisse d'escompte en banque nationale.

M. le comte de Custine monte à la tribune et lit un long discours qui n'est que la reproduction de l'opinion imprimée qu'il a déjà fait distribuer à l'Assemblée nationale. (Voy. plus haut, page 145, les REFFEXIONS du comte de Custine sur la proposition du ministre des

finances de sanctionner, comme caisse nationale, la caisse d'escompte appartenant à des capitalistes) (1).

M. le baron d'Harambure reproduit ses précédentes observations (Voy. la séance du 21 novembre, page 167) et propose de nouveau : 1° D'organiser une caisse nationale;

2o De prouver la facilité des remboursements des capitaux perpétuels et des rentes viagères;

3° De nommer dix membres de cette Assemblée pour présider au bureau de liquidation;

4° De prescrire à tous les créanciers de l'Etat, propriétaires de créances constituées, de se présenter pour recevoir une assignation sur la caisse nationale, hypothéquée sur les biens ecclésiastiques;

5o D'autoriser la caisse d'escompte à faire une émission de 240 millions de billets qui seraient hypothéqués sur les deux derniers tiers de la contribution patriotique et sur les domaines.

Je proposerais aussi, dit l'orateur, pour accélérer cette contribution, d'autoriser chaque contribuable à remettre une obligation de la totalité de son impôt, payable à époque fixe. Le receveur enverrait ces obligations au Trésor national : elles seraient données en payement pour différentes dépenses publiques.

Par ces moyens vous subviendriez aux besoins présents, sans vous livrer à des impositions partielles vous devez avoir un système général sur les impôts. Je me suis occupé à en rédiger un, et je le ferai connaître quand l'Assemblée le jugera nécessaire.

M. de Cazalès présente des considérations sur le danger de prendre des déterminations générales, qui ne seraient nées que de l'urgence du moment. Ces dispositions influeraient d'une manière directe sur le bonheur des peuples, qui ne doit être que le résultat de la réflexion et de la sagesse.

Il n'adopte pas le projet de M. Necker. Payer, dit-il, les dettes de l'Etat au moyen d'une banque, c'est faire une banqueroute partielle : cette opération ressemble à celle de ces administrateurs qui doublaient le prix du marc d'argent, et payaient la totalité de ce qu'ils avaient reçu avec la moitié de ce qu'on leur avait donné.

L'opinant entre ensuite dans le détail des éléments du crédit public.

Aucun de ces éléments ne se trouve dans la création proposée par le ministre; ainsi cette banque serait une entreprise chimérique et nuisible à la chose commune.

Pour subvenir aux besoins pressants, je propose de créer pour 600 millions de billets d'Etat portant intérêt et payables à des termes fixes qui correspondraient à l'époque de l'échéance de la contribution patriotique: 250 millions seraient fournis par cet objet, 50 par la vente d'une partie des biens du domaine. Le clergé se chargerait sans doute de payer 300 millions, en vendant ceux de ces fonds qu'il voudrait ne pas conserver; ainsi il assurerait sa propriété en en sacrifiant une petite partie.

Le résultat de cette opération est d'obtenir un délai des créanciers de l'Etat, en leur assurant des intérêts pour ce délai, et le payement exact de leur créance hypothéquée sur un gage certain. Ce plan n'est ni profond, ni ingénieux; il est conforme à la marche de la franchise et de la

(1) Le Moniteur ne contient qu'une simple mention du discours et des réflexions de M. de Custine.

bonne foi; il convient à des administrateurs qui ne veulent pas tromper les créanciers de l'Etat par des illusions.

Une députation du bataillon de Saint-Roch, ayant a sa tête M. Harron, commandant, est admise à la barre pour présenter un don patriotique.

M. Harron dit :

Nosseigneurs, depuis la révolution glorieuse, à jamais mémorable, qui a préparé la régénération de cet empire, chacun de nous a vu doubler ses engagements envers la patrie. En effet, Nosseigneurs, si, comme soldats, nous avons toujours juré de verser notre sang pour le salut de notre pays, pour l'exécution des décrets de cette auguste Assemblée, et pour la gloire du monarque; comme citoyens, aussi, nous avons une obligation sacrée à remplir, celle de concourir au soulagement des malheurs publics; c'est dans cet espoir que le bataillon de SaintRoch, dont j'ai l'honneur d'être en ce moment l'organe auprès de vous, vient déposer sur l'autel de la patrie le tribut d'offrandes qu'elle a droit d'attendre de chacun de ses enfants. Daignez, Nosseigneurs, voir d'un œil de satisfaction et d'indulgence notre démarche, et permetteznous de saisir cette occasion solennelle et précieuse, pour renouveler en votre présence le serment que nous avons déjà fait de ne nous écarter jamais de ce double devoir dont le sentiment nous a conduits devant vous.

M. le Président répond :

L'Assemblée nationale reconnait avec satisfaction dans les offres généreuses du bataillon de Saint-Roch, le zèle et le patriotisme qui ont animé la garde nationale, et qui ont réuni les sentiments des défenseurs de la nation à tous les sentiments des bons citoyens.

L'Assemblée permet à la députation d'assister à la séance.

M. Guillotin, au nom de la communauté des maîtres chandeliers de Paris, offre un don patriotique de 5,935 livres.

M. Guillotin. Le 9 octobre dernier, j'ai fait une motion concernant les suppliciés, l'égalité des peines et le préjugé d'infamie qu'elles emportent. Je demande que la discussion soit fixée à la séance du soir de mardi prochain.

Cette proposition est adoptée.

La séance est levée et celle du soir indiquée pour six heures.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. DE BOISGELIN, ARCHEVÊQUE

D'AIX.

Séance du samedi 28 novembre 1789, au soir (1).

M. le Président annonce à six heures que la séance est ouverte.

M. le vicomte de Noailles. Messieurs, le comité militaire a demandé et a obtenu d'être

(1) Cette séance est fort incomplète au Moniteur.

entendu par l'Assemblée. Les objets qu'il a à présenter à vos délibérations sont instants et il vous supplie, par mon organe, d'ajourner son rapport à mercredi prochain.

L'Assemblée decide que le comité militaire sera entendu mercredi prochain à deux heures.

M. Salomon de la Saugerie, secrétaire, annonce que M. Cormier, ancien magistrat, a remis aux archives un exemplaire d'un ouvrage intitulé Essai sur la mendicité, » et que l'auteur, s'étant occupé de beaucoup de détails sur la popu lation, offrait à l'Assemblée les renseignements qu'elle pourrait désirer.

M. Aubergeon de Murinais, député du Dauphiné, dont les pouvoirs ont été vérifiés, est admis à prendre séance dans l'Assemblée à la place de M. le comte de Morge, démissionnaire.

MM. de Laborie et Chabanon-Dessalines, députés de Saint-Domingue, dont les pouvoirs ont été vérifiés, sont admis en qualité de suppléants comme les autres députés de la colonie qui n'ont pas voix délibérative, conformément aux décrets de l'Assemblée concernant ces derniers.

On a repris ensuite la continuation de la lecture de la liste des dons patriotiques. L'Assemblée a ordonné qu'il fut fait, dans le procès-verbal, une mention particulière de la générosité des divers étrangers, Suisses, Génevois, Anglais et autres qui ont désiré contribuer de leurs sacrifices à des dons qui devaient cimenter la restauration de la liberté dans cet empire.

L'ordre du jour appelle la discussion de l'affaire des impositions de la Champagne et celle de la réclamation des colonies réunies.

M. de Cocherel. La question des colonies réunies est tellement urgente que je demande qu'elle obtienne la priorité. Les citoyens libres de couleur vous ont adressé leur réclamation et j'ai moi-même des observations à vous présenter sur la demande des mulâtres. (Voy. ces pièces annexées à la séance.)

M. de Cernon. L'Assemblée a déjà accordé la priorité à la question des impositions de la province de Champagne. Je demande que sa décision soit maintenue.

M. le Président consulte l'Assemblée, qui décide qu'elle s'occupera des impositions de a province de Champagne.

M. Anson, au nom du comité des finances, propose de rendre un décret commun à la province de Champagne et à la capitale qu'il faut soumettre, dit-il, à l'unité des principes de l'Assemblée nationale, d'autant plus que les communes de Paris y consentent. En effet, à Paris, il y a rôle de parlement, ròle de bourgeoisie, rôle de la cour des aides, rôle des communautés, rôle des bâtiments, etc., etc.

M. Dubois de Crancé. Je demande que M. Anson soit ramené à l'ordre du jour; il s'agit des impositions de la Champagne et non de la ville de Paris.

M. Anson. Vous ne pouvez juger l'affaire de la Champagne sans abolir le privilége des bourgeois de Paris; à la vérité, j'ai l'honneur de représenter cette ville, mais ce titre ne me fait pas oublier non plus que je suis député de la nation.

M. Anson lit un décret qui n'est relalif qu'à la ville de Paris.

M. Dubois de Crancé. Le comité des finances ne nous parle que de Paris lorsque la question qui est l'ordre du jour ne concerne que la Champagne. Je demande formellement que le rapporteur s'explique et qu'il nous donne son opinion; l'Assemblée ne peut se mettre dans la dépendance d'un comité.

M. Anson. Le comité des finances persiste à vous demander de voter d'abord le décret de Paris et ensuite celui de la Champagne, comme ayant entre eux une liaison intime.

M. le Président prend le vœu de l'Assemblée, qui se prononce pour le décret concernant la Champagne.

M. Anson dit qu'une difficulté s'est élevée en Champagne sur l'interprétation et l'exécution du décret du 25 septembre 1789, quant à la confection des rôles de l'imposition de 1790, à raison de la taxe personnelle, relative au revenu des propriétaires qui n'exploitent point leur propriété par eux-mêmes, et qui ont un autre domicile que celui du lieu dans lequel est située cette propriété. La question est de savoir si les ci-devant privilégiés doivent être imposées dans le lieu de leur domicile ou dans celui où leurs biens sont situés.

Le comité des finances propose de résoudre les difficultés par le décret suivant :

« L'Assemblée nationale, considérant qu'il s'est élevé dans quelques pays de taille personnelle des difficultés pour l'exécution de son décret du 25 septembre 1789 sur la confection des rôles de l'imposition ordinaire, à raison de la taxe personnelle, relative aux revenus des propriétaires qui n'ont pas encore été imposés,qui n'exploitent pas par eux-mêmes et ont un autre domicile que celui du lieu de leur propriété;

<< Considérant en outre qu'en 1790 les impositions ordinaires et celles des vingtièmes seront réunies en un seul impôt, dont le mode de répartition reposera sur des principes plus justes, qu'il y aurait des inconvénients à changer les rôles pour une seule année;

« Décrète:

« Que les propriétaires ci-devant privilégiés seront imposés pour les six derniers mois de 1789 et pour l'année 1790, comme l'ont été pour l'année 1789 les propriétaires non privilégiés à raison de la taxe personnelle, relativement aux revenus de ces propriétaires qui n'exploitent pas par euxmêmes, et qui ont un autre domicile que celui du lieu dans lequel est située cette propriété.

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(La lecture de ce décret est suivie de marques non équivoques de désapprobation.)

M. de Cernon. Si un pareil projet de décret pouvait être adopté,il y aurait plus de 2 millions de matière imposable qui échapperaient à l'impôt supporté par la Champagne, et cela au profit exclusif de la ville de Paris.

M. Delandine explique la différence qui existe entre la taille réelle et la taille personnelle; la province du Forez, qu'il représente, formule les mêmes réclamations que la Champagne. Il s'ensevelit dans la nuit des temps et donne des preuves d'une érudition qui fatigue l'Assemblée.

M. le Président rappelle l'orateur à la ques

tion en lui faisant remarquer qu'il s'agit simplement de décider si les ci-devant privilégiés seront imposés au lieu de leur domicile ou au lieu où est située la propriété.

M. Le Chapelier critique le projet du comité qui a proposé que les plaintes sur taxe au-dessus de 25 livres seront vérifiées par le comité des finances de l'Hôtel-de-Ville et les plaintes au-dessous de 25 livres par le maire seul. 11 trouve que le maire seul n'est pas une garantie suffisante.

M. le marquis d'Ambly fait valoir le décret du 25 septembre dernier où il est dit que le peuple doit être soulagé et que les ci-devant privilégiés ne doivent payer qu'à sa décharge. Il fait la motion expresse de décréter qu'on payera au lieu de la propriété et non pas au domicile du propriétaire.

M. l'abbé Goutte. Je demande qu'il soit fait deux rôles, l'un pour les privilégiés, l'autre pour les non-privilégiés de façon à ce que les sommes portées sur le premier soient en déduction des sommes du dernier.

M. Gaultier de Biauzat a attaqué avec force le projet de décret proposé par le comité des finances. Il a fait sentir que ce serait écraser les provinces, que les peuples ne seraient pas soulagés, que l'exécution serait presque impraticable et qu'il soulèverait une réprobation générale.

Les députés des Trois-Evêchés et du Lyonnais demandent que le décret concernant la Champagne leur soit commun.

Un grand nombre de membres objectent que le décret doit être général.

La discussion est fermée.

M. le Président rappelle les diverses motions. L'Assemblée consultée rend un premier décret ainsi conçu

«L'Assemblée décrète que la question n'intéresse pas la Champagne seulement, mais qu'elle devient générale pour tout le royaume. »>

M. Emmery, député de Metz, propose une motion qui paraît réunir l'assentiment général.

M. Prieur propose d'ajouter à la motion les mots et tous contribuables, car sans cela, ce serait rendre les non-privilégiés privilégiés.

M. Dupont (de Bigorre) a proposé d'ajouter la taille d'industrie afin que le commerce ne se trouvât pas déchargé.

M. le Président prend le vœu de l'Assemblée, qui donne la priorité à la motion de M. Emmery après avoir décidé qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur les amendements.

La motion mise aux voix est adoptée en ces termes :

« L'Assemblée nationale décrète que l'article 2 de son décret du 25 septembre dernier sera exécuté selon sa forme et teneur ; qu'en conséquence tous les ci-devant privilégiés seront imposés à raison de leurs biens, pour les six derniers mois de 1789 et pour 1790, non dans le lieu de leur domicile, inais dans celui où lesdits biens sont situés ; et sera le présent décret présenté incessamment à la sanction du Roi, et envoyé, sans

aucun délai, aux municipalités et autres corps administratifs. >>

M. le Président lève la séance après avoir indiqué celle de lundi pour neuf heures du matin.

1re ANNEXE

à la séance de l'Assemblée nationale du 28 novembre 1789.

Mémoire sur la destruction de la mendicité (1), par M. Du Tremblay de Rubelle (2), maitre des comptes.

De tous les projets utiles qui peuvent s'exécuter dans ce moment de régénération générale, il n'en est pas sans doute qui soit fait pour plaire davantage aux âmes honnêtes et sensibles, que la destruction de la mendicité; mais les personnes qui joignent aux sentiments de bienfaisance les grandes vues de l'administration sentiront encore davantage combien la destruction de la mendicité serait essentielle à l'ordre public; et leur humanité en acquerra un nouveau degré d'énergie.

Tout le monde convient de la nécessité de secourir l'indigence. Quand le sentiment de la bienveillance que la nature a mis dans notre âme n'agirait que faiblement, l'intérêt personnel, ce mobile puissant et universel, nous en ferait la loi. Le soin des propriétés, la sûreté publique, ne permettent pas d'abandonner le malheureux au désespoir; et le spectacle d'un être souffrant, qui serre le cœur du riche au milieu même de ses jouissances, est fait pour exciter sa sensibilité. L'inconvénient de la mendicité s'est si constamment fait sentir, qu'on a tenté plusieurs fois d'y remédier. Une foule d'ordonnances à ce sujet, notamment celles de 1614, 1656, 1662, 1686, 1724 et 1750, ont eu cet objet; mais ces ordonnances, en ouvrant un asile aux pauvres dans les hôpitaux, n'ont été peut-être qu'un degré d'encouragement pour la fainéantise qui, assurée de ne pas manquer de subsistance dans ces asiles, n'a pas hésité à se soustraire à la charge générale imposée à tous les membres de la société, de se rendre utiles au bien général.

En 1777, l'académie de Châlons, frappée de ces réflexions, fit de ce projet un sujet de prix qui a trouvé de dignes émules. Nous croyons du devoir d'un bon patriote de renouveler ces idées bienfaisantes dans un moment où l'esprit d'ordre, de bien général, de justice et de confraternité en rendent l'exécution plus facile.

Le premier soin à prendre pour parvenir à éteindre la mendicité, c'est de bien connaître le nombre des mendiants; et l'ordre actuel facilite infiniment cette connaissauce. Les districts étant presque tous bornés dans l'étendue de leurs paroisses, il est aisé aux citoyens du district de connaître les besoins de leurs concitoyens du

(1) Ce mémoire n'a pas été inséré au Moniteur.

(2) Ce petit mémoire fait partie d'un ouvrage plus étendu, que j'ai remis à M. le comte de Lally-Tolendal, en sa qualité de député aux Etats généraux. L'utilité de ce projet, la facilité de son exécution dans les circonstances actuelles, me déterminent à le faire imprimer puisse-t-il faire naitre des idées plus heureuses! et, en venant au secours des êtres souffrants, contribuer au bonheur et à la tranquillité de tous les individus ! (Note de l'auteur.)

même district, et d'apprécier même l'étendue de ces besoins; car il est juste qu'ils soient proportionnés à l'âge, aux charges des individus, et au plus ou moins de possibilité de se procurer des ressources. Ce premier lien de correspondance entre les indigents et ceux qui peuvent leur porter des secours est déjà précieux sous plusieurs rapports; il mettra une douce consolation dans le sein de l'infortuné, fondée sur l'espérance d'un meilleur être, et sur la satisfaction de voir qu'on s'occupe de son infortune; et il rappellera au travail des fainéants qui ne demandent du pain que parce qu'ils ne veulent pas le gagner. On peut se rappeler à ce sujet qu'en 1778 il y avait à Amiens un nombre considérable de pauvres; on y forma le projet de détruire la mendicité; on fit une quête dans la ville, et l'on en annonça la distribution : le jour même que les magistrats publièrent la défense de mendier dans les rues (1), les mendiants disparurent; et dans la crainte d'être arrêtés, retournèrent à leurs travaux. Le pauvre valide ne manque le plus souvent de subsistance que parce qu'il se refuse au travail, ou qu'il ne peut pas s'en procurer un peu de surveillance peut empêcher l'un et l'autre; c'est donc de l'ordre qu'il faut en cette partie, et non de l'argent. Mais pour ôter toute ressource aux gens de mauvaise volonté de continuer à vivre dans leur dangereuse oisiveté, il faudrait que, les mesures prises pour soulager l'indigence, nonseulement on défendît dans le même moment la mendicité dans tout le royaume, mais qu'on obligeât toute personne à se faire inscrire dans son district, et à ne pouvoir aller s'établir ailleurs sans un certificat de son district qui, dans le cas de l'indigence, lui assurerait en même temps les secours dont il jouissait dans le district qu'il a quitté. Ce certificat pourvoirait à la subsistance de l'indigent, et la société s'assurerait de l'individu qui n'aurait plus la faculté de vagabonder sous prétexte de mendier, puisque la subsistance sorait assurée. On ne saurait apprécier l'avantage que retirera la police publique de l'obligation où seront les pauvres de renoncer à être vagabonds. On a observé avec raison que les grands criminels le sont rarement chez eux; un reste de pudeur les contraint de se soustraire aux regards de leurs compatriotes, ils ne pourraient les soutenir. L'ordre général y gagnerait donc infiniment, mais d'un autre côté, il serait juste que la société, qui en retirerait un aussi grand bien que celui de la sûreté publique, l'achetât par quelques sacrifices ce sacrifice ne paraîtrait pas considérable, si l'on considère tout le bien qu'un grand nombre d'hommes réunis en société peuvent faire en se rénissant pour l'opérer (2). Pour y parvenir avec une sorte d'égalité proportionnelle à la fortune et aux moyens, je proposerais une imposition par feu dans les villes, et par arpent dans les campagnes, parce que cette imposition me paraît la plus juste et ne tombe que sur celui qui possède; par cette raison, je serais d'avis que ceux qui ne possèdent qu'un seul feu ou un seul arpent ne fussent point taxés; d'un autre côté, il serait convenable que le luxe payât davantage ainsi les feux inutiles, tels que ceux

(1) Extrait d'un mémoire sur la mendicité.

(2) Il faut considérer que tous les pauvres ne sont pas dans la même indigence; si la vieillesse des uns nécessite des secours de toute nature, les autres peuvent se procurer, par leurs travaux, une portion de subsistance, et il ne s'agit que de suppléer à la modicité du salaire à laquelle leur infirmité les réduit.

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