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l'Assemblée nationale de France. Or quelles sont, je vous prie, quelles peuvent être les suites d'un faux principe, si ce ne sont de fausses conséquences? Dans l'affaire qui nous occupe, les fausses conséquences sont beaucoup plus formidables, qu'on ne le croirait peut-être. Le tableau des malheurs qu'elles entraîneraient est effrayant; et nous sommes appelés pour ramener l'ordre et la paix dans ce royaume dont nous sommes les représentants. Je n'exagère rien, Messieurs, vous ne tarderiez pas à reconnaître la vérité que je voudrais vous faire sentir maintenant. Bientôt on soumettrait à votre décision des questions qui vous feraient. apercevoir, mais trop tard, que quand une fois on a pris une mauvaise route, on finit par s'égarer de plus en plus, et courir vers le précipice que l'on voulait éviter. Je vous conjure donc, pour l'intérêt de nos colonies, pour l'intérêt de la France, qui est intimement lié au leur, de ne pas calculer dans ce moment ce que vous allez décider sur ce que vous avez déjà fait, mais sur ce que vous deviez faire. Déclarez qu'il n'y a lieu à délibérer sur la proposition de M. de Curte; déclarez en outre, et cest du plus grand, du plus pressant intérêt, déclarez que l'Assemblée nationale ne doit s'occuper d'aucune matière relative à la constitution et au régime intérieur des colonies. Je crois avoir prouvé que l'Assemblée nationale ne peut, d'après les vrais principes, s'arroger un pareil droit; j'ajouterai qu'elle ne le saurait faire sans renouveler l'exemple d'une prétention qui a en partie causé à l'Angleterre la perte de ses colonies; et comme j'ai eu l'honneur de vous le dire dans une autre occasion, l'affaire des colonies anglo-américaines est une source féconde d'utiles leçons que nous ne devons jamais perdre de vue. Je sais que l'on m'objectera que les Anglais ont proposé d'admettre les colons dans feur parlement; mais cette objection n'est d'aucun poids contre moi: car quelle était la raison principale, la raison avouée par ceux qui soutenaient ce système en Angleterre? l'espoir avide d'opprimer les colons par des taxes directes, tandis que l'on savait très-bien que les colonies, par la nature de leur institution, et pour l'intérêt même de la métropole, ne lui doivent aucune taxe.

Au reste, si MM. les députés des colonies craignaient que le ministère se refusât à convoquer les planteurs dans la forme la plus propre à faire connaître leur vou libre et complet, alors, Messieurs, l'Assemblée nationale s'empresserait de les seconder dans une demande dont elle aurait reconnu la justice et l'utilité. Elle décréterait que la colonie serait convoquée.

Quant aux affaires qui concernent les approvisionnements de nos colonies, vous avez votre comité de commerce et d'agriculture dont un rapport, récemment publié dans une affaire de ce genre, vous prouve tout à la fois l'activité, le zèle, les lumières, l'intégrité de ceux qui le composent et le danger du nouveau comité que l'on vous demande. Il vous offre aussi un exemple remarquable de la manière dont les objets qui intéressent les colonies et le commerce, dans leurs rapports respectifs, doivent être toujours présentés au Corps législatif de la métropole.

J'opine pour que l'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la proposition d'un comité colonial et pour qu'elle déclare qu'elle n'entend s'occuper d'aucune matière relative à la constitution et au régime intérieur des colonies.

M. le marquis de Gouy d'Arsy, député de 1re SÉRIE, T. X.

Saint-Domingue, défend la formation d'un comité colonial et, pour en faire sentir la nécessité, il fait le tableau des malheurs de la colonie. Il soutient qu'il serait impolitique de renvoyer la décision de tant d'intérêts précieux au pouvoir exécutif, dans le moment où le département de la marine est dirigé par un ministre exécré qui a fait le malheur de la colonie et qui cherche à consommer sa ruine.

Plusieurs membres interrompent l'orateur et lui crient de fournir des preuves.

M. de Gouy d'Arsy. Je suis formellement chargé par mes commettants de dénoncer le ministre de la marine.

M. de Curt, député de la Guadeloupe. Je suis convaincu que chaque représentant a le droit de dénoncer un ministre coupable et que c'est un devoir quand les preuves sont acquise; pour moi, je déclare que la Guadeloupe n'a eu, jusqu'à ce moment qu'à se louer du ministre de la marine actuel, M. de la Luzerne. J'ajoute que la plainte de M. de Gouy d'Arsy est tout à fait étrangère à la formation d'un comité colonial, seule question qui soit à l'ordre du jour.

M. le baron de Jessé. Je propose, attendu l'heure avancée, d'ajourner à un outre jour la suite de cette discussion.

Cette motion est adoptée,

M. le Président lève la séance après avoir indiqué celle de demain pour neuf heures du matin.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. DE BOISGELIN, ARCHEVÈQUE D'AIX.

Séance du mercredi 2 décembre 1789 (1).

M. de Volney, l'un de MM. les secrétaires, donne lecture du procès-verbal des deux séances de la veille et rend compte des adresses suivantes :

Adresse des religieux bénédictins de l'abbaye de Saint-Pé de Generets, diocèse de Tarbes, qui consentent à l'abandon des biens de la congrégation de Saint-Maur, fait entre les mains de l'Assemblée nationale, sous les conditions d'une pension viagère de 1,800 livres, de l'habileté à posséder les bénéfices-cures et à remplir les chaires de l'enseignement public avec la moitié des honoraires attachés auxdites charges.

Adresse du même genre des religieux de l'abbaye de Saint-Sever-de-Rustau; ils recommandent à l'Assemblée un vieillard accablé d'infirmités, qui est lié à la congrégation par un contrat civil, et qu'elle s'est engagée à entretenir pendant

sa vie.

Adresse de la ville d'Espalion en Auvergne, contenant félicitations, remerciements et l'adhésion la plus entière aux décrets de l'Assemblée nationale; elle attend, avec la plus vive impa

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur. 23

tience, l'organisation des municipalités, et supplie l'Assemblée de conserver en exercice les officiers municipaux actuels, qu'elle a substitués aux anciens qui n'étaient pas élus librement.

Adresse des habitants de la ville de Saint-Jeand'Angely, dans laquelle ils réitèrent l'adhésion qu'ils ont déjà donnée à tous les décrets de l'Assemblée; ils demandent que l'abbaye royale établie dans leur ville, soit remplacée par un collége.

Adresse du même genre de la ville de Vienne en Dauphiné: elle demande qu'il soit formé dans son sein un chef-lieu de département; que les municipalités et les tribunaux soient promptement organisés; enfin, qu'il soit pris incessamment, par la sagesse de l'Assemblée, les mesures les plus efficaces pour faire rentrer dans le royaume les différents émigrants.

Adresse des officiers municipaux et des commandants de la milice nationale du bourg de Vouziers en Champagne, dans laquelle ils expriment l'adhésion la plus formelle à tous les décrets de l'Assemblée nationale, et la plus ferme résolution d'en maintenir et assurer la plus parfaite exécution; ils exposent les difficultés sans nombre qu'éprouve la libre circulation des grains, les abus que les gens malintentionnés font de cette liberté; ils supplient l'Assemblée de les préserver du malheur affreux de tourner leurs armes contre leurs concitoyens.

Adresse du conseil permanent de la ville de Nîmes, contenant un arrêté fait pour exciter l'attention des citoyens et leur patriotisme, relativement à la contribution du quart du re

venu.

Adresse du lieutenant général de la ville de Civray, dans laquelle il exprime, au nom de sa compagnie, la soumission respectueuse de tous les membres de la sénéchaussée aux décrets de l'Assemblée, et notamment à celui concernant la contribution patriotique.

Adresse de M. Martinet de Montferrat, avocat du Roi honoraire au présidial de Soissons, qui offre de rendre la justice gratuite dans la ville où il a fixé son domicile.

Adresse de félicitations, remerciments et adhésion de la communauté de Saint-Clar en Lomagne; elle déclare infâmes et traîtres à la patrie tous ceux qui chercheraient à troubler l'union intime qui règne entre le Roi et ses sujets.

Adresse du même genre de la ville de SaintHaon-le-Châtel en Forez; elle offre à la nation l'argenterie de son église, le prix qui proviendra de la vente de ses communaux, et le montant de l'imposition qui doit être supportée pour les six derniers mois de cette année par les ci-devant privilégiés.

Adresse du même genre de la ville de SaintChamond en Lyonnais, elle demande d'être autotorisée à former une nouvelle municipalité.

Adresse du même genre de la ville de Châlus en Limousin; elle adhère notamment au décret concernant la contribution patriotique, et fait plusieurs demandes relatives aux impositions et droits féodaux.

Adresse du même genre de la ville de Cailus en Quercy; elle adhère notamment au décret de la loi martiale.

Adresse du même genre de la ville de Mirabel en Quercy.

Adresse du même genre de la ville de Châtillonsur-Marne en Champagne; elle réclame avec instance la conservation de son bailliage.

Adresse du même genre de la commune d'Argillières en Bourgogne; elle demande d'être autorisée à former une milice nationale pour se défendre contre les ennemis de la patrie.

Adresse des officiers municipaux de la ville de Cherbourg, contenant le procès-verbal de la proclamation de la loi martiale faite dans l'appareil le plus imposant.

Adresse des religieuses Bénédictines du monastère de Rabervillers en Lorraine, qui supplient l'Assemblée de leur conserver un état qui leur est plus cher que la vie, et la permission d'admettre à la profession deux novices qui sont dans l'attente, offrant de fournir, tant pour les besoins de l'Etat que pour l'assistance des pauvres, tout ce qui ne sera pas de leur strict nécessaire : cette demande est appuyée par le curé, les officiers municipaux et les notables de la ville, qui attestent que ces religieuses sont chéries et révérées par leur vie exemplaire, les charités abondantes qu'elles répandent malgré leur peu de fortune, et par l'excellente éducation qu'elles donnent à la jeunesse.

Adresse des habitants de la ville de Sainte-Suzanne, contenant félicitations, remerciments et adhésion à tous les décrets de l'Assemblée nationale; ils demandent la conservation de leur bailliage et un district d'administration.

Adresse des religieux de l'Ecole royale militaire de Rebais en Brie, qui supplient l'Assemblée nationale de recevoir leur parfaite soumission et adhésion à ses décrets; quoiqu'ils ne doutent pas qu'aucun des membres de leur congrégation n'y souscrive comme eux, ils croient que l'éducation de la doctrine qu'ils doivent aux enfants qui leur sont confiés exige qu'ils y adhèrent d'une manière plus expresse.

M. Lucas, député suppléant de la sénéchaussée de Moulins, dont les pouvoirs ont été vérifiés, est admis à prendre séance, en remplacement de M. le baron de Breuil de Coiffier, qui a donné sa démission dans la précédente séance.

M. Salomon de La Saugerie, l'un de MM. les secrétaires, donne lecture d'une lettre des habitants de la ville de Saint-Quentin, portant que le temps des élections des officiers municipaux étant arrivé et ceux qui étaient en exercice à Saint-Quentin ne voulant pas continuer leurs fonctions, le Roi avait accepté leur démission. La ville demande que, pour éviter l'anarchie, le comité militaire chargé de l'organisation de la milice soldée soit chargé provisoirement de remplacer les officiers municipaux.

Après cet exposé, le décret suivant est rendu :

DÉCRET.

« L'Assemblé nationale décrète que, vu la démission des officiers municipaux de la ville de Saint-Quentin, elle autorise le comité qui a été établi pour l'organisation de la garde soldée de cette ville à exercer provisoirement toutes les fonctions dont ladite municipalité était chargée. »>

M. Target expose la situation dans laquelle se trouvent plusieurs autres villes du royaume, particulièrement la ville de Lyon, qui veulent ce mois-ci nommer, par corporations, les officiers municipaux; ils demandent qu'il soit rendu un décret général à tout le royaume et il en présente le projet.

M. Bouche présente quelques observations à ce sujet. Le décret est ensuite rendu en ces

termes :

DÉCRET.

L'article 4 entraîne une longue discussion.

M. Bouron, député du Poitou et avocat du Roi à Fontenay-le-Comte, défend avec force la cause des magistrats.

Vous ne pouvez prononcer, dit-il, une exclusion qui porterait atteinte à la considération de la magistrature. D'ailleurs vous ne devez plus voir, en faisant la constitution, les magistrats dans l'ancien ordre de choses; la Révolution va les rendre électifs; ils n'auront aucun vice aristo

« L'Assemblée nationale décrète que, par provision, les officiers municipaux actuellement en exercice dans toutes les villes et communautés du royaume, et même les corps, bureaux ou comités qui ont été établis par les communes ou municipalités pour administrer seules, ou conjointement avec les officiers municipaux, conti-cratique; comment pourrait-on gêner et limiter la nueront d'exercer les fonctions dont ils sont en possession, et qu'il ne sera, nonobstant tout usage ou règlement contraire, procédé à aucune élection nouvelle, jusqu'à l'établissement qui va se faire incessamment des municipalités, dont l'organisation est presque achevée. »

M. Fréteau de Saint-Just représente que M. Mounier est parti sans avoir signé plusieurs des procès-verbaux de sa présidence. L'Assemblée décide que ces procès-verbaux, demeurés jusqu'à présent avec la seule signature des secrétaires, seront signés par M. de Clermont-Tonnerre, qui avait précédé M. Mounier dans les fonctions de président.

M. le Président dit que l'ordre du jour aple la suite de la discussion sur l'organisation des municipalités.

Dans la séance d'hier, l'Assemblée a renvoyé au comité de constitution l'article 51 et un article nouveau afin d'en modifier la rédaction.

M. Target, organe du comité, donne lecture des articles ainsi qu'il suit :

« Art. 1er. Tout citoyen actif de la communauté peut signer et présenter contre les officiers municipaux la dénonciation des délits d'administration dont il prétendra qu'ils se sont rendus coupables; mais avant de porter cette dénonciation dans les tribunaux, il sera tenu de la soumettre à l'administration ou au directoire du département, qui, après en avoir pris l'avis de l'administration ou directoire de district, renverra, s'il y a lieu, la dénonciation devant les juges qui en doivent connaître.

Art. 2. Après les élections, les citoyens actifs de la communauté ne pourront ni rester assemblés, ni s'assembler de nouveau en corps de commune, sans une convocation expresse, ordonnée par le conseil général de la commune, qui ne pourra la refuser, si elle est requise par le sixième des citoyens actifs dans les communautés au-dessous de 4,000 àmes, et par 150 citoyens actifs dans toutes les autres communautés.

«Art. 3. Les citoyens actifs ont droit de se réunir paisiblement, et sans armes, en assemblées particulières, pour rédiger des adresses et pétitions, soit au corps municipal, soit aux administrations de département et de district, soit au Corps législatif, soit au Roi, sous la condition de donner avis aux officiers municipaux du temps et du lieu de ces assemblées et de ne pouvoir députer que dix citoyens pour apporter et présenter ces adresses et pétitions.

« Art. 4. Les citoyens chargés de la perception des impôts indirects, tant que ces impositions subsisteront, et ceux qui occupent des places de judicature, ne pourront être élus membres des corps municipaux. »

L'Assemblée décrète les trois premiers articles ci-dessus rapportés.

confiance des peuples lorsqu'ils voudront leur conférer des places municipales? il y a plus, c'est qu'à l'avenir les fonctions des juges seront beaucoup moins surchargées de travail, ils pourront réunir les fonctions municipales à celles de magistrature. En un mot, comme ils sont citoyens, ils doivent en supporter toutes les charges et en exercer tous les droits.

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M. Long. J'adopte l'article du comité, mais je pense que si les magistrats peuvent être exclus des municipalités, ils doivent être admis dans les assemblées de district et de département.

M. de Clermont-Tonnerre. Je ne vois aucun motif d'exclure les magistrats des places auxquelles peuvent prétendre tous les citoyens. Si vous prononcez une exclusion contre les juges, il n'y a pas de raison pour n'en pas faire contre d'autres professions.

M. Michelon, député de Moulins. J'ai de grands préjugés à combattre en parlant en faveur des magistrats, mais la force de la vérité m'entraîne à attaquer l'article. Les officiers des tribunaux inférieurs, vous le savez tous, n'ont jamais cessé de défendre la cause du peuple et ont toujours été aptes aux places municipales, surtout dans les petites villes. Comment veut-on priver le peuple des lumières des magistrats, qui, plus accoutumés aux affaires et aux formes de la justice, peuvent administrer avec plus de soin les revenus et la police des municipalités?

M. Rewbell. Tous ceux qui ont une portion libre ou forcée du pouvoir exécutif doivent être soigneusement exclus des municipalités. Je demande à mes contradicteurs s'ils pensent que l'élection serait vraiment libre si des juges étaient au nombre des candidats.

M. de Lachèze. Quoique chef d'un tribunal, je pense que ce serait réunir trop d'autorité que d'être à la fois officier municipal et juge; mais je demande qu'on mette aussi dans l'exclusion les receveurs des impôts directs et ceux qui sont comptables aux communautés.

M. l'abbé Maury. Il n'est pas nécessaire de parler du mérite et des connaissances de la magistrature, que personne ne conteste, mais il est

bon de dire que la réunion du pouvoir municipal et des fonctions de juge ne saurait présenter aucun danger. L'autorité municipale n'est pas une autorité politique, c'est une autorité de famille et de cité que le peuple confère librement et pour un temps; d'ailleurs les formes du scrutin sont un grand bouclier contre l'influence dont on menace les électeurs. Enfin, exclure les magistrats ce serait les flétrir et altérer la confiance dont ils ont besoin.

Les mêmes motifs s'appliquent aux percepteurs des diverses sortes d'impôts, soit directs, soit indirects, quelle différence y a-t-il entre les collecteurs des uns et des autres ? qu'y a-t-il d'infamant dans les fonctions de celui qui perçoit l'impôt? Je demande que la constitution n'exclue personne; que les municipalités nomment qui elles voudront pour leurs officiers et que l'on donne à tous les citoyens actifs la plus grande latitude de pouvoir.

M. Pison du Galand. En présence des divergences qui se produisent au sujet de l'article qui est en discussion, je demande l'ajournement jusqu'à ce que nous ayons statué sur les impôts et sur l'organisation des tribunaux judiciaires.

M. Barrère de Vieuzac. Je vois avec peine que l'on veut présenter cet article comme une exclusion odieuse, tandis qu'il ne constate que l'incompatibilité naturelle qui ne peut affliger ni dégrader personne. Autant je suis éloigné d'adopter le principe du comité pour les districts et les départements, autant je m'empresse d'y souscrire pour les municipalités. L'admission des juges aux fonctions municipales serait la confusion de deux espèces de pouvoir judiciaire dans les mêmes mains; le magistrat municipal est mi-partie d'administration, de police et de justice; le magistrat ordinaire est également revêtu du droit de juger.

L'incompatibilité de ces doubles fonctions est encore plus sensible, si l'on pense que celles des municipalités sont toutes en commandement, et celles des tribunaux toutes en délibérations.

D'ailleurs les tribunaux judiciaires doivent connaître des délits commis par le magistrat municipal. Comment tolérer que l'officier accusé soit en même temps membre du tribunal qui doit juger l'accusation?

L'influence des juges sur la fortune, l'honneur et la vie des citoyens, n'est-elle pas assez grande dans la société, pour qu'on ne l'augmente pas encore par un autre genre d'autorité? Il importe à la liberté civile que le citoyen ne retrouve pas le même individu dans tous les tribunaux de la ville qu'il habite; enfin par cette division des fonctions publiques, il y aura plus de citoyens en activité, plus de liberté dans les administrations municipales et moins de despotisme dans les mains des hommes revêtus du pouvoir.

M. Démeunier rend compte des motifs qui ont décidé le comité à proposer l'article. Il a fondé l'exclusion des magistrats: 1° Sur le danger qu'un juge soit à vingt ans officier municipal;

2° Sur l'influence qu'il a sur les électeurs de son ressort;

3o Sur l'assiduité qu'exigent les fonctions des juges;

4o Sur le respect et l'autorité dont ils doivent jouir, et qu'ils perdraient bientôt, si d'autres citoyens leur étaient préférés dans d'autres élections.

Le comité a pensé que, pour honorer la magistrature, il fallait ne pas l'exposer à l'humiliation de n'être pas choisie pour les places municipales.

M. Démeunier ajoute: Quant aux militaires, je ne vois aucun danger à les admettre. Dans le nouvel ordre de choses, les citoyens n'auront rien à craindre ni à espérer des militaires et il vaut mieux qu'ils viennent se mêler parmi les citoyens et prendre l'esprit de patriotisme et d'administration dans les municipalités.

Il n'y a point de parité entre les collecteurs des impôts directs et indirects: les premiers sont nommés par le fisc et les autres le sont par le peuple; quant à ceux-là, il n'y a aucun inconvénient à les admettre dans les municipalités.

M. Fréteau de Saint-Just. Je propose de modifier l'article et de dire: les officiers de justice pendant le temps qu'ils seront révétus de leurs offices.

On demande de toute part à aller aux voix.

M. le Président. Je consulte d'abord l'Assemblée sur la clôture de la discussion. La discussion est fermée.

M. Long. Je demande la division de l'article. L'Assemblée décide que l'article ne sera pas di

visé.

M. le Président donne lecture des amendements.

Plusieurs membres demandent la question préalable: elle est mise aux voix et adoptée.

M. Pison de Galand rappelle qu'il a demandé l'ajournement de l'article.

Cette motion est mise aux voix et rejetée.

M. le Président met aux voix l'article 4 tel qu'il est proposé par le comité de constitution. L'article est adopté sans modification.

M. Thouret, député de Rouen, fait de la part de la communauté des cuisiniers, cabaretiers et aubergistes de cette ville l'offre d'un don patriotique de 10,000 livres, en une lettre de change, à l'ordre de M. le président.

M. le vicomte de Mirabeau, l'un de MM. les secrétaires, lit une lettre de M. de la Luzerne, ministre de la marine, dont voici la teneur :

« Paris, ce 2 décembre 1789.

« Monsieur le président, plusieurs de MM. les membres de l'Assemblée nationale ont daigné me donner hier au soir une marque d'intérêt : ils m'ont fait savoir que, sur la motion d'établir un comité relatif au régime des colonies, M. le marquis de Gouy d'Arsy avait parlé; qu'il avait dirigé contre moi des reproches d'une nature grave et réellement injurieux, quoique vagues par leur objet et étrangers même à la question agitée.

«Dans les circonstances présentes, quiconque a besoin de rendre favorable, ou l'opinion qu'il soutient, ou la cause qu'il défend, cherche à placer, de quelque manière que ce soit, des plaintes contre les ministres du Roi. Je pense que l'administrateur pur et vertueux ne peut, ne doit en général opposer à cet artifice et à la calomnie

qui le poursuit, que sa conduite, sa fermeté et son silence.

« Ce serait néanmoins manquer gravement à soi-même, et attester une négligence coupable de sa réputation, que de ne point s'efforcer de dévoiler la vérité aux représentants mêmes de la nation, quand il leur a été prononcé un discours qui a pu faire impression sur les esprits.

« Je désire, ou que l'on m'entende (je l'ai fait demander dans une autre occasion, je suis et serai toujours prêt à donner les éclaircissements les plus détaillés), ou, si l'on diffère, que M. le marquis de Gouy d'Arsy soit tenu d'articuler des faits, de produire et de communiquer les pièces au soutien; et quoique je ne sache pas encore précisément ce qui a été ou sera avancé contre mon administration, me reposant sur ma seule conscience, j'ose assurer que la réfutation en sera complète.

L'Assemblée nationale, lorsqu'elle m'a compris, au moi de juillet, dans le nombre des ministres qu'elle invitait le Roi a rappeler près de sa personne, a daigné me donner un témoignage de son estime qui me sera toujours cher et précieux; je m'engage à le justifier, et à prouver qu'elle n'a honoré de son suffrage qu'un administrateur incapable de trahir son devoir.

«Oserais-je vous prier d'être auprès d'elle l'interprète des sentiments de mon respect et de mon vœu ?

« Je suis avec respect, monsieur le président, votre, etc.

« Signé : LA LUZERNE. »

M. le duc de Liancourt demande que, dans sa réponse, M. le président témoigne à M. de la Luzerne que l'Assemblée nationale n'approuve pas les imputations faites sans preuves contre les ministres du Roi.

M. le marquis d'Ambly. Je propose d'exiger que celui qui fait la dénonciation soit tenu de déposer sur le bureau l'énoncé des faits avec les preuves à l'appui. Voici ma motion:

« L'Assemblée nationale décrète :

«Que tout député qui fera une dénonciation sera obligé de remettre sur le bureau les preuves signées de ce qu'il avance, et que, dans le cas où il sera convaincu d'être un calomniateur, il sera exclu de l'Assemblée. »

M. le marquis de Gouy d'Arsy. Je vous confirme tout ce que j'ai eu l'honneur de vous dire hier contre M. de la Luzerne. Il s'est trouvé dans mes expressions une dénonciation ou une injure. S'il y avait une injure, l'Assemblée seule aurait pu me rappeler à l'ordre et ce ne serait pas au ministre à lui indiquer la conduite qu'elle doit me faire tenir. S'il n'y a eu qu'une dénonciation, je n'ai pas besoin de l'autorisation ministérielle pour prouver que je n'ai rien avancé dont je n'aie reçu une mission expresse de mes commettants et dont je ne sois en état d'administrer les preuves.

M. le comte de Mirabeau. Préjuger par un décret que les députés de la nation peuvent être calomniateurs; leur ôter le pouvoir d'exprimer les vœux, les sentiments de leurs commettants; décider que l'Assemblée a le droit de prononcer l'exclusion d'un de ses membres, de le flétrir aux yeux de la nation qui lui a donné sa confiance, c'est porter un décret avilissant pour

l'Assemblée, attentoire à sa liberté et contraire aux droits de la nation, qui seule est juge en dernier ressort de la conduite de ses représentants.

Sans doute un député calomniateur serait plus coupable qu'un autre homme, puisqu'ayant des fonctions plus saintes, puisque étant revêtu d'une inviolabilité sacrée, il aurait abusé de tous les genres de confiance. Mais un de nos décrets commencerait par ces termes: Si un député est calomniateur, il sera exclu. Voilà certes un étrange si à faire juger par l'Assemblée....

Je n'ai jamais entendu parler du ministre de la marine que d'une manière favorable à sa morale et à son caractère; mais je déclare que sa sensibilité l'a emporté trop loin, et qu'il parle d'une manière irrespectueuse pour l'Assemblée, lorsqu'il nous représente comme prêts à accueillir toutes les plaintes toutes les imputations contre les ministres. Plus ce sentiment serait condamnable en nous, dont le premier devoir est d'être justes, moins il est permis de nous l'attribuer. Le ministère, considéré comme un pouvoir abstrait, a trop fait de mal à la France pour que nos défiances soient sitôt guéries, mais les ministres actuels ont plutôt éprouvé une partialité honorable à leur caractère.

Quant à la motion qu'on nous propose, je demande la question préalable; toute formule qui blesserait notre liberté doit étre repoussée; à plus forte raison devons-nous rejeter avec horreur le dogme que l'on voudrait établir, de l'inviolabilité des ministres et de la responsabilité des députés.

M. le marquis d'Ambly. Elevé dans les camps depuis l'âge de douze ans, je n'ai point appris à faire des phrases; mais je sais faire autre chose. L'honneur me dit et m'ordonne de soutenir qu'une dénonciation sans preuves est une injure dont ne doit jamais se servir un député.

M. le baron de Menou. Je ne puis ni approuver, ni improuver M. le marquis de Gouy d'Arsy, mais je dois faire observer à l'Assemblée que la lettre du ministre est irrespectueuse.

M. Bouche observe que la question a été jugée relativement à M. Pétion de Villeneuve contre qui une semblable motion avait été faite. Il fut décidé qu'il n'y avait lieu à délibérer.

M. le Président met aux voix la question préalable dans la manière accoutumée. L'épreuve falte deux fois est deux fois douteuse.

On demande l'appel nominal.

D'autres membres demandent que la séance soit levée attendu l'heure avancée.

M. le Président, du consentement de l'Assemblée, lève la séance à quatre heures.]

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. DE BOISGELIN, ARCHEVÊQOE D'AIX. Séance du jeudi 3 décembre 1789, au matin (1).

La séance est ouverte à 9 heures du matin. M. le vicomte de Beauharnais, l'un de (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

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