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MM. les secrétaires, donne lecture du procès-verbal et des adresses suivantes :

Adresse du corps municipal de la ville de Bolbec, présentée par le sieur Cavelier, avocat, l'un de ses membres, député à cet effet, contenant l'expression d'une parfaite adhésion à tous les décrets de l'Assemblée nationale, la demande d'une Justice royale, et d'une autorisation par un décret de l'usage des mécaniques pour l'encouragement et la prospérité du commerce.

Adresse des principaux habitants et officiers de la garde citoyenne de la ville de Rambervillers en Lorraine, par laquelle ils adhèrent, avec une soumission respectueuse, à tous les décrets rendus et à rendre par l'Assemblée nationale, et notamment à celui de la loi martiale; ils demandent les armes nécessaires à leur milice, et une Justice royale.

Adresse des officiers municipaux de la ville d'Etampes, dans laquelle ils renouvellent les sentiments de reconnaissance et de dévouement envers l'Assemblée nationale.

Adresse de la commune de la ville de Montauban en Bretagne, du même genre; elle demande un chef-lieu de district et une cour royale.

Adresse du conseil permanent de la ville d'Agde, contenant une adhésion parfaite à tous les décrets de l'Assemblée nationale sanctionnés par le Roi, et notamment à celui concernant la contribution patriotique; à l'exemple de plusieurs municipalités de la province de Languedoc, elle improuve la déclaration de la noblesse de la sénéchaussée de Toulouse, et celle du clergé de la même ville. Adresse de la communauté de ChâteauneufMazène en Dauphiné, par laquelle elle adhère, avec une respectueuse reconnaissance, à tous les décrets rendus par l'Assemblée nationale, sanctionnés par le Roi. Elle déclare qu'elle emploiera toutes les forces qui sont en son pouvoir pour les maintenir avec vigueur.

Adresse des citoyens de la ville d'Usson en Auvergne, du même genre; ils demandent la destruction de tous les poteaux à carcan, établis par le régime féodal, et en même temps la conservation du Siége royal.

Adresse du même genre de la ville de Montreuilsur-Mer; elle annonce qu'elle a reçu tous les décrets de l'Assemblée nationale sanctionnés par le Roi, et qu'elle s'est empressée de leur donner toute la publicité possible.

Adresse du même genre de la ville de Blois ; elle présente un plan pour l'arrondissement du département dont elle doit être chef-lieu.

Délibération de la communauté de Bizanos en Béarn, par laquelle elle adhère aux arrêtés de l'Assemblée nationale, renonce à ses priviléges, et remercie MM. les députés de Béarn de leur zèle pour la chose publique.

Délibération de la communauté d'Artiguelouve en Béarn, par laquelle elle adhère aux décrets de l'Assemblée nationale, et réclame contre les injustices qu'elle prétend avoir reçues au parlement de Pau dans les affaires qu'elle a eu à soutenir contre son seigneur, conseiller dans ce tribunal.

Deux délibérations de la ville de Nay en Béarn, par lesquelles les habitants de cette ville, quoiqué divisés en deux partis, se réunissent néanmoins pour adhérer aux arrêtés de l'Assemblée nationale.

Adresse de la communauté de la Sablonnière en Brie, contenant l'expression des sentiments de reconnaissance et de dévouement dont elle est pénétrée envers l'Assemblée nationale; elle fait

un don patriotique de la contribution qui doit être supportée les six derniers mois de cette année, par les ci-devant privilégiés.

Adresse du comité civil et militaire de Chalais en Saintonge, contenant l'expression de son dévouement respectueux, et son entière adhésion aux décrets de l'Assemblée nationale; il demande l'établissement d'une Justice royale, et annonce que les habitants de son district ont déjà fait leurs déclarations, relativement à la contribution, et en ont réalisé une partie.

M. Schwendt, député de Strasbourg, a annoncé à l'Assemblée que la ville de Strasbourg a arrêté qu'il serait fait une nouvelle avance de 300,000 livres sur les impositions de 1790, dont 100,000 livres payables en décembre, 100,000 livres en janvier, et 100,000 livres en février.

Il ajoute que tous les décrets de l'Assemblée ont été enregistrés, purement et simplement, par le magistrat municipal; que la garde nationale Strasbourgeoise a prêté, sous les armes, le serment de fidélité à la nation, à la loi et au Roi, et que toutes les dispositions sont faites pour le recouvrement de là contribution du quart du

revenu.

L'Assemblée exprime unanimement sa satisfac

tion.

M. Bouche, député d'Aix en Provence, demande que l'Assemblée ne témoigne pas moins de reconnaissance envers la communauté de la Sablonnière. C'est un petit bourg, peuplé de bonnes gens, d'hommes simples méritant toute la considération de la représentation nationale. Le don patriotique fait par cette communauté peut devenir très-utile, si l'exemple est suivi et se propage.

L'Assemblée accède à la demande de M. Bouche. M. le président écrira à la ville de Strasbourg et à la communauté de la Sablonnière.

M. Mangin, dont les pouvoirs ont été vérifiés, est admis à prendre séance, en remplacement dé M. Dourthe, député de Sedan, démissionnaire.

M. le Président. L'ordre du jour appelle la discussion de quelques articles qui ont été omis sur les assemblées tant administratives que nationales et sur les élections.

M. Target, au nom du comité de constitution, propose de décréter les articles suivants :

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Art. 1er. Les assemblées primaires et les assem blées d'électeurs ne pourront, après les élections, faites, ni continuer leur séances, ni les reprendre, jusqu'à l'époque des élections suivantes.

«Art. 2. L'acte d'élection sera le seul titre des fonctions des représentants de la nation, la liberté de leurs suffrages ne pouvant être gênée par aucun mandat particulier. Les assemblées primaires et celles des électeurs adresseront directement au Corps législatif les pétitions et instructions qu'elles voudront lui faire parvenir.

«Art. 3. Le nombre des députés à l'Assemblée nationale sera égal au nombre des départements du royaume, multipliés par neuf.

Ces trois articles sont décrétés sans discussion.

Art. 4. Les assemblées des électeurs pourront, s'ils le jugent à propos, nommer des suppléants pour remplacer, en cas de mort ou de démission, les députés à l'Assemblée nationale; ces suppléants pourront être choisis par scrutin de liste.

M. l'abbé Maury demande qu'au lieu de pourront ou mette le mot devront, afin que les assemblées de département aient toutes une marche uniforme et qu'elles ne soient pas forcées de s'assembler une seconde fois.

M. Target répond que cette modification aurait pour conséquence qu'on nommerait autant de suppléants que de députés.

M. Regnaud (de Saint-Jean-d'Angely) dit qu'il y a un remèdè fort simple à cet inconvénient: c'est de décider, dès à présent, que le chiffre des suppléants sera fixé au tiers du nombre des députés.

M. Prieur combat cet avis et pense que chaque député doit avoir son suppléant spécial.

M. le Président consulte l'Assemblée qui adopte l'amendement de M. Regnaud et décrète l'article en ces termes :

« Art. 4. Les assemblées des électeurs nommeront des suppléants pour remplacer, en cas de mort ou de démission, les députés à l'Assemblée nationale. Ces suppléants dont le nombre sera égal au tiers de celui des députés, seront choisis par scrutin de liste double, à la pluralité relative des suffrages. »

M. Target donne lecture de l'article 5.

Art. 5. Les délibérations des assemblées administratives de département sur des entreprises nouvelles, sur des travaux extraordinaires et sur tous les objets qui intéressent le régime de l'administration générale du royaume, ne pourront être exécutées qu'après avoir reçu l'approbation du Roi. Quant à l'expédition de toutes les affaires particulières, et de tout ce qui s'exécute en vertu des délibérations déjà approuvées, cette autorisation ne sera pas nécessaire. »

M. Rewbell fait remarquer que l'on a déjà blamé sur ce point le premier rapport du comité; que les assemblées de département sont soumises au Roi et aux décrets de l'Assemblée nationale sanctionnés par le Roi; que des délibérations sur des entreprises nouvelles portent essentiellement sur des emprunts, sur des impôts, puisque sans emprunts, sans impôts l'on ne peut faire des entreprises nouvelles. Il demande donc qu'il soit décrété que les délibérations des départements ne seront exécutées qu'en vertu des décrets de l'Assemblée nationale sanctionnés par le Roi.

M. Target dit qu'il faut distinguer les entreprises nouvelles de celles qui sont relatives au régime du département. Pour les dépenses locales, il ne faut pas l'autorisation du Roi; mais si l'Assemblée décrète un nouveau chemin, ce décret, une fois sanctionné par le chef de l'Etat, doit être exécuté; mais c'est au Roi à prononcer sur son exécution. C'est pour cela que le comité propose de décréter que toutes les délibérations pour les entreprises nouvelles auront besoin de l'autorisation du Roi.

M. le Président met aux voix l'amendement de M. Rewbell; il est rejeté.

L'article 5 est adopté dans les termes proposés par le comité de constitution.

M. Target donne lecture de l'article 6 ainsi conçu ;

«Art. 6. La condition d'éligibilité relative à la contribution directe, déclarée nécessaire pour être citoyen actif, électeur ou éligible, sera censée remplie par tout citoyen qui, pendant deux ans consécutifs, aura payé volontairement un tribut civique, égal à la valeur de cette contribution, et qui aura pris l'engagement de le continuer. >>

M. Mougins de Roquefort. Vous avez eu l'intention d'appeler les propriétaires à l'Assemblée nationale; tous vos décrets sur les conditions d'éligibilité le prouvent assez. L'article qu'on vous propose est absolument contraire à cet esprit.

M. le duc de Mortemart. Les gens riches payeront pendant deux ans la contribution de quelques malheureux, dont ils achèteront les suffrages.

M. Dufraisse-Duchey. L'article est évidemment contraire à vos décrets; sinon, il a grand besoin d'un commentaire.

M. la Poule. L'article n'a de rapport qu'à la condition d éligibilité qui consiste dans la contribution directe d'un marc d'argent, il n'attaque pas d'autres décrets; mais il est absolument inutile car, l'imposition ne s'établissant que sur la déclaration du contribuable, celui qui croira pouvoir payer le marc d'argent exigé, et qui y trouvera quelque intérêt, fera sa déclaration en conséquence. Je pense donc qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur cet article.

M. Camus. L'article est bon la question préalable n'est pas proposable. Vous avez préjugé l'article en statuant, au sujet de la contribution patriotique, que ceux dont le revenu ne s'élèverait pas à une somme que vous avez déterminée seraient libres d'y concourir, s'ils le jugeaient convenable. En consultant l'esprit même du décret dont cet article présente une espèce de modification, on trouve une forte raison de se déterminer en faveur de la nouvelle proposition du comité. Votre intention, en exigeant une contribution d'un marc d'argent, a été que les citoyens auxquels les intérêts de l'Etat seraient confiés eussent un revenu suffisant pour être à l'abri du besoin et de la séduction; assurément, celui qui, sans être propriétaire, pourra payer la somme exigée, sera dans cette position.

M. Long. Si l'article était admis, il arriverait pour l'Assemblée nationale ce qui arriva à Toulouse au sujet du capitoulat. Pour parvenir à cette place, il faut avoir payé pendant cinq ans une imposition personnelle; des étrangers riches se font inscrire sur le rôle des contribuables et viennent ensuite occuper des places que les Toulousains seuls devraient remplir.

M. de Richier. Vous avez voulu exclure les intrigants, et l'on vous propose aujourd'hui de les appeler. Qui d'ailleurs sera caution de l'engagement de payer toujours le tribut civique? L'article qu'on vous présente est imaginé par votre comité pour donner la facilité d'éluder vos décrets.

M. Target. Cet article n'a pas pour objet de favoriser les intrigants; il est établi sur de fortes raisons. C'est par erreur que le comité a rendu à

la faculté d'être électeur l'effet qui résulterait du payement d'un tribut civique; son intention a été de le restreindre à l'avantage d'être éligible. Il n'a pas prétendu que ce tribut dispenserait des autres conditions exigées par vos décrets; il a seulement voulu mettre dans la même classe le citoyen qui aurait payé sur le rôle la contribution directe d'un marc d'argent et celui qui aurait fourni un tribut civique équivalent. Serait-il conforme à l'intention que vous avez de régé– nérer l'esprit public?... (Beaucoup de clameurs s'étaient fait entendre depuis le moment où M. Target avait commencé de parler; elles augmentent au point qu'il ne peut achever d'exposer les raisons du comité.)

On prie M. le président de rappeler à l'ordre et au silence la partie de l'Assemblée qui se trouve à sa droite.

M. Démeunier monte à la tribune; on refuse de l'écouter.

M. Milscent ne peut parvenir à faire entendre que ces mots: 11 serait plus simple et plus juste de supprimer tous les articles qui gênent la liberté des électeurs.

M. le marquis d'Estourmel demande la suppression totale du nouvel article.

On presse M. le président de mettre aux voix si le comité sera entendu et pourra faire connaître ses motifs.

M. le comte de Chastenay-Lenty. Il est inconcevable qu'une partie de l'Assemblée refuse de s'instruire lorsqu'il s'agit de délibérer sur une question aussi importante.

M. Target. Si vous aviez eu la bonté de m'entendre jusqu'à la fin, j'aurais eu l'honneur de présenter un amendement qui détruirait toutes les craintes; il consiste à dire « Tout citoyen qui, réunissant d'ailleurs dans sa personne toutes les autres conditions d'éligibilité, aura, pendant deux ans consécutifs, etc. >>

M. Target est encore interrompu.

On demande vivement la question préalable.

M. le Président propose de décider s'il y a lieu à délibérer.

M. Le Chapelier. On ne peut pas mettre cela en question quand il s'agit d'un article proposé prr un comité que l'Assemblée a chargé de présenter un travail.

Les clameurs qui s'élèvent ne peuvent être considérées comme une réponse; l'article ayant été discuté, il s'agit de le rejeter ou de l'admettre. Il s'agit, si vous voulez donner de la dignité à votre constitution et prévenir la cabale, l'intrigue et l'erreur, d'accueillir un article qui augmentera le patriotisme..... (Murmures.) Je demande si l'interruption que j'éprouve au mot de patriotisme veut dire qu'il ne faut pas que la constitution l'inspire? Je demande s'il ne doit pas être permis à un citoyen de se soumettre à un tribut civique? S'il le paye, il aurait pu le payer s'il y avait été imposé. Vous réparez donc une erreur; vous faites sentir à un homme qu'il est assez riche pour être bon citoyen; vous ennoblissez cette éligibilité... Vous auriez peut-être raison s'il ne fallait payer ce tribut qu'une fois; mais l'article exige qu'il l'ait été deux ans avant l'élection, et qu'ensuite il le soit toujours. C'est d'une part recevoir la

soumission d'un citoyen de fournir un marc d'argent aux dépenses communes de la société; c'est d'un autre côté prévenir un abus bien facile et bien odieux. Un collecteur pourrait, par des motifs de haine ou de vengeance, n'imposer qu'à 53 livres un homme dans le cas de supporter une contribution plus considérable, afin de l'exclure ainsi du droit le plus cher à tout bon citoyen.

Ces considérations ne sont-elles donc pas assez puissantes? On objecte l'intérêt des propriétaires; mais ils conserveront tous les avantages que vous leur avez accordés; mais le citoyen qui payera un tribut civique, étant soumis à toutes les autres conditions d'éligibilité, sera toujours obligé de posséder une propriété.

M. de Cazalès. La question préalable est d'autant mieux placée, qu'aux termes du règlement, l'article sur lequel elle est demandée n'aurait pas même dû être présenté : il attaque vos décrets. Quant aux raisons offertes par le préopinant, elles ont déjà été dites dans la salle de l'archevêché; elles ont alors cédé aux motifs sages qui vous ont déterminé à exiger la contribution du marc d'argent.

M. Malès. Si nous devons nous prémunir contre les intrigants, nous devons aussi des égards aux fils de famille; je demande que l'article posé soit adopté à leur égard. pro

M. Pétion de Villeneuve. Il est incroyable que les décisions les plus importantes soient étouffées par des murmures, ou enlevées par des questions préalables.On a jusqu'à présent envisagé le tribut civique sous le rapport de la corruption et non sous celui du patriotisme.

(L'opinant est interrompu; on demande à grands cris la question préalable. M. le chevalier de Lameth presse M. le président d'employer l'autorité qui lui est confiée pour ramener à l'ordre une partie de l'Assemblée.)

M. Pétion de Villeneuve continue. J'observe d'abord que la question préalable a été primitivement demandée sur l'article tel que le comité l'avait présenté, et que, cet article étant amendé et changé, la même demande ne peut le concerner. J'ajoute ensuite que, quand une matière est importante, on ne peut jamais dire qu'il n'y a pas lieu à délibérer.

M. Cazalès a fait une observation inexacte: l'article proposé ne détruit aucun de vos décrets; il est conforme à celui du marc d'argent, puisque dans l'un et dans l'autre vous exigez la même contribution; ici elle est volontaire, là elle est forcée; je demande si le citoyen qui, réunissant toutes les autres qualités d'éligibilité, vient volontairement au secours de l'Etat, n'a pas un droit égal à celui qui contribue forcément : voilà le point unique de la question.

M. de Richier. Je suis du même avis que le préopinant sur la question préalable; mais je dis que l'article est contraire à vos décrets, qu'on n'a pas besoin d'encouragement pour subvenir aux besoins de l'Etat, et que si le patriotisme d'un homme a un objet intentionnel, nous devons nous défier de sa personne et de son tribut civique.

M. Garat le jeune. Une contribution directe n'est pas une contribution territoriale; elle n'est pas même une contribution forcée. Un citoyen actif doit concourir aux dépenses de la société ;

qu'il y concourre par le moyen de ses revenus fonciers ou par le produit de son industrie, il n'en est pas moins utile à la chose publique. Les propriétaires n'ont donc nul avantage sur le citoyen qui remplit les mêmes devoirs qu'eux. Si l'article qu'on vous propose n'est pas décrété, les trois quarts des Français que nous représentons sont expressément privés des avantages les plus précieux de la société. La nation elle-même n'a pas le droit d'exclure un citoyen...

(L'opinant est interrompu et ne peut achever son discours. Après de longues rumeurs, M. le comte de Mirabeau monte à la tribune; il est longtemps sans pouvoir se faire entendre; à la fin sa voix s'élève au-dessus des clameurs.)

M. le comte de Mirabeau. On n'a pas attaqué l'article dans le sens le plus favorable à l'opinion de ceux qui veulent le voir rejeter. La grande objection qui se présente au premier coup d'œil est que vous donneriez à la richesse la plus grande influence en facilitant la corruption. Cette objection doit se considérer sous trois rapports:

1o Je demande s'il est vrai que l'on puisse corrompre pour tel fait deux ans d'avance. Celui qui corrompt fait une mauvaise action; celui qui est corrompu se rend coupable d'une trahison dont le prix ne se livrera pas deux ans d'avance.

2o On ne serait pas très-avancé d'avoir corrompu pour être éligible.

3. Enfin, si quelqu'un avait la manie de corrompre pour être éligible, vous ne pourriez pas empêcher l'effet de cette manie, car il lui suffirait de faire une fausse déclaration de son bien.

Messieurs, il y a ici beaucoup de personnes trompées sur leurs propres sentiments; il faut dire aux gentilshommes: Ce sont vos enfants que l'article appelle; aux prêtres : C'est un moyen de servir la patrie que l'article vous réserve...

L'article, depuis qu'il est amendé, n'est en contradiction avec aucun des articles précédents, comme on vous l'a prouvé irrévocablement. Il est utile sans être dangereux : soit dans son influence politique, puisqu'il n'est question que de son éligibilité; soit dans son influence morale, puisqu'il ne présente qu'un moyen pur de porter au patriotisme; soit dans l'espèce d'influence qui se rapporte à vous-mêmes, puisqu'il intéresse et vous et les vôtres.

Je ne puis concevoir la défaveur de cet article, et je la concevrais, que je ne pourrais concevoir encore comment les délibérations peuvent impunément devenir si tumultueuses.

On relit l'article amendé, corrigé et conçu en ces termes :

«La condition d'éligibilité, relative à la contribution directe, déclarée nécessaire pour être éligible, sera censée remplie par tout citoyen qui, réunissant d'ailleurs toutes les autres conditions exigées, aura, pendant deux ans consécutifs, payé volontairement un tribut civique égal à la valeur de cette contribution, et qui aura pris l'engage

ment de le continuer.

M. la Poule propose pour amendement de mettre 5 ans au lieu de 2 ans.

M. Dupont (de Bigorre) demande qu'on ajoute à la fin de l'article « fourni caution ».

M. de Guilhermy demande si l'Assemblée, après avoir supprimé les offices de judicature, veut vendre l'éligibilité?

M. le marquis de Biancourt. Ne craindriez

vous pas, en adoptant l'article, que les étrangers n'y trouvassent le moyen d'influer dans notre gouvernement? J'appuie cette considération sur des faits; je cite l'exemple de cette diète de Suède, qui était divisée en deux partis appelés les chapeaux et les bonnets, la France payait les uns et la Russie les autres, etc.

L'Assemblée décide qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur les amendements.

L'article est mis au voix.

M. le Président prononce que la majorité est pour qu'il soit rejeté.

Une grande partie de l'Assemblée prétend qu'il y a du doute.

M. le chevalier de Lameth. Cette question est une des plus importantes qui puissent se présenter dans l'établissement d'une constitution qui triomphera sans doute des obstacles qu'on y apporte. Je demande l'appel nominal.

M. le Président le propose une partie de l'Assemblée s'y refuse.

M. le marquis de Foucault-Lardinalie. Quelques membres sont déjà sortis; ce n'est plus le moment de faire l'appel nominal. Pourquoi n'a-t-on pas réclamé contre le décret avant qu'il fût prononcé? Quand nous nous opposons à un article dangereux, on ne peut nous accuser de porter obstacle à la constitution, puisque nous remplissons le devoir qui nous est imposé par nos commettants.

Une partie de l'Assemblée s'oppose fortement à l'appel nominal.

M. Martineau invoque le règlement; il est interrrompu par de nouvelles clameurs.

M. le baron de Menou dit que ceux-là seuls peuvent refuser l'appel nominal qui s'opposent à la constitution, à la liberté des séances, et qui veulent la dissolution de l'Assemblée.

M. l'abbé Maury. L'Assemblée se fatigue depuis une heure pour décider une question qui ne peut rester indécise le doute porte sur un fait, et ne peut être reconnu que par un fait : on pourrait donc poser ainsi la question: Y a-t-il, n'y a-t-il pas de doute?

M. d'Estourmel. Il n'y a pas de manière plus sûre pour lever le doute que l'appel nominal; il n'est pas un de nous qui ne fût désespéré si un des décrets de l'Assemblée pouvait paraître illégal; toute autre proposition que l'appel nominal est insidieuse.

M. l'abbé Maury convient que l'appel nominal est, de toutes les manières d'éclaircir le doute, la plus naturelle.

Après de longues et tumultueuses oppositions, on y procède enfin.

Un de M. les secrétaires annonce que l'article est rejeté, à la majorité de 439 voix contre 428.

M. le Président lève la séance et indique celle du soir pour 7 heures.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. DE BOISGELIN, ARCHEVÊQUE D'AIX.

Séance du jeudi 3 décembre 1789, au soir (1).

MM. Salomon de la Saugerie et Anson, nommés le 3 novembre pour inspecter le travail des commis, font un rapport sur la réforme des bureaux. Ils présentent l'état des appointements par eux faits pour le mois de novembre et les mois suivants tant pour les commis que pour les huissiers et garçons de bureau. Ils demandent qu'on les autorise à faire arrêter cet état par M. le président. La dépense s'élève à 7,730 francs par mois.

L'Assemblée adopte ces propositions.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la motion de M. de Curt tendant à la formation d'un comité des colonies.

Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une requête de 77 habitants et propriétaires dans les colonies du Vent et Sous-le-Vent, résidant à Bordeaux. Ils supplient l'Assemblée de rendre un décret portant qu'elle ne s'est point occupée du régime des esclaves aux colonies et qu'elle entend que les lois qui les concernent continuent à recevoir leur pleine et entière exécution.

Cette adresse excite de vives réclamations.

M. Arthur Dillon, député de la Martinique, fait remarquer que l'adresse n'est signée que par un seul colon de cette ile. Il ajoute que les désordres qui se sont produits à la Martinique ont été très-exagérés.

M. Paul Nairac. Je demande que l'orateur atteste par écrit ce qu'il vient de laisser entendre. Les nouvelles de la Martinique présentent au contraire les faits comme ayant une extrême gravité.

Plusieurs membres demandent que la requête soit renvoyée au comité des rapports.

L'Assemblée consultée prononce le renvoi. On lit une seconde lettre de M. le comte de la Luzerne, ministre de la marine, à M. le président de l'Assemblée nationale:

« Paris, ce 3 décembre 1789.

« Monsieur le président, j'ai appris avec le regret le plus vrai que plusieurs de MM. les membres de l'Assemblée nationale avaient témoigné quelque mécontentement d'une phrase de la lettre que j'ai eu l'honneur de vous adresser hier.

« Mon intention a été pure. Il ne me paraît pas même que le sens de mes expressions puisse être douteux; peut-être n'a-t-il pas été saisi à une lecture rapide.

« J'ai exposé que dans les circonstances présentes beaucoup de particuliers, qui ne tiennent nullement à l'Assemblée nationale, pour se concilier l'intérêt public, disséminent chaque jour contre les ministres du Roi des inculpations même absolument étrangères à l'affaire discutée dans leurs mémoires. J'ai ajouté que les administra

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

teurs ne doivent ni ne peuvent entrer en lice contre cette foule sans cesse renaissante d'accusateurs.

« J'ai distingué soigneusement, au contraire, et mis en opposition les reproches faits aux ministres dans l'Assemblée nationale par l'un de MM. les députés. J'ai dit qu'il était du devoir des administrateurs de se lever aussitôt, et de ne pas perdre un moment à offrir toutes les explications tous les éclaircissements, toutes les preuves.

«Ma conduite atteste ce que j'ai pensé, et je suis d'ailleurs persuadé, Monsieur le président, que vous-même, en relisant ma lettre, et pesant les termes, n'aurez à cet égard aucun doute. Il n'est pas possible de présumer que j'ai voulu manquer à la déférence, au respect dus à l'Assemblée nationale.

« Mais j'ai osé, j'ose encore invoquer sa-justice sur les reproches mêmes qui m'ont été faits, demander à être entendu, requérir que des faits certains soient allégués, que des pièces probantes soient déposées au moment même de la dénonciation; tout citoyen obtiendra ce que je désire. Il est aussi équitable, et beaucoup plus important, que la réputation d'un ministre ne soit point ternie, que la confiance publique ne lui soit point enlevée à dessein par des imputations solennelles mais tellement vagues qu'on ne peut ni les combattre ni même soupçonner quel fondement elles

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M. le marquis d'Ambly renouvelle la motion faite par lui dans la séance d'hier.

Un grand nombre de membres: L'ordre du jour!

M. le Président consulte l'Assemblée et la discussion relative au comité colonial est reprise.

M. l'abbé Grégoire prend la parole au milieu des cris et du tumulte. Pour forcer ses adversaires politiques à l'entendre, il s'écrie:

Il n'y a que les personnes intéressées à ne pas entendre la cause des gens de couleur qui excitent ce trouble; mais l'acharnement que l'on y met est un argument invincible de la bonté de ma cause. S'il est dans les colonies des citoyens qui ont des griefs à redresser, des observations à faire, une constitution à demander; si ces citoyens ont toutes les qualités que vous exigez pour être citoyen actif, et que cependant ils ne soient pas représentés, à coup sûr ils ont droit d'attendre de votre justice qu'ils soient admis à la représentation. Or, Messieurs, les citoyens de couleur sont dans ce cas-là: vous ne pouvez donc pas former un comité colonial sans avoir préalablement décidé l'affaire des gens de couleur. Je conclus qu'il n'y a pas lieu de délibérer sur la formation d'un comité colonial, jusqu'à ce qu'on ait procédé à l'affaire des gens de couleur. En attendant, je me contente de gémir sur leur sort.

M. le marquis de Guilhem-ClermontLodève répond au préopinant que, le but d'un comité colonial étant de préparer les matériaux qui doivent servir à former une constitution, il

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