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culière, et laisser seulement au ministre des finances celle des autres. Il ne s'agit ici que de la caisse et nullement des bureaux, ni des ordonnateurs. Je vous observerai cependant que le système des deux caisses est un peu prématuré, attendu les incertitudes, les retards qu'éprouvent encore les recouvrements. Il pourrait arriver que les époques des recouvrements d'une caisse ne s'accordassent pas avec celles des payements qu'elle aurait à faire, et vous sentez qu'elles seraient dans l'impossibilité de s'aider mutuellement. Laisserait-on manquer la solde des troupes pendant que la caisse nationale aurait des fonds libres? ferait-on attendre les créanciers de l'Etat, avec des moyens superflus dans la caisse royale?

Vous craindriez peut-être, Messieurs, d'ordonner que les fonds nationaux fussent versés dans une caisse qui serait dirigée par des actionnaires, mais permettez-moi de vous observer, au contraire, que vous ne pourrez jamais établir de caisse, dont la responsabilité approche de celle de la banque, et que surtout la division actuelle des deniers dans un nombre considérable de caisses ne peut lui être comparée.

L'administrateur du Trésor royal, par les mains de qui passent tous les revenus de l'Etat, n'a donné que 1,200,000 livres de cautionnement, et celui de la banque serait de 150 millions. Cette fonction est remplie par un seul individu, dont la conduite n'intéresse souvent que lui seul; elle le serait par les administrateurs de la banque, dont les démarches auraient pour surveillants le corps entier des actionnaires.

Vous savez, Messieurs, que la banque d'Angleterre reçoit, depuis très-longtemps, plus des deux tiers des revenus de l'Etat. Il n'en est résulté aucun inconvénient, et vous frémiriez si on vous mettait sous les yeux la masse des pertes que l'infidélité des comptables particuliers à occasionnées à la France. Mais ce qui vous garantirait encore plus la fidélité de la banque, ce serait la crainte qu'elle aurait de trouver le terme de son existence, dans la perte de votre confiance, si elle manquait à vos décrets.

Vous pourriez d'ailleurs, Messieurs, donner à la banque un comité de surveillance, qui la maintiendrait dans l'observance rigoureuse des statuts que vous auriez sanctionnés. Et je vous prierai encore de remarquer que la recette des revenus étant divisée à peu près sur tous les mois de l'année, et la dépense marchant souvent aussi vite que la recette, la quantité de fonds qui se trouverait à la banque, pour l'acquit des dépenses des departements, serait toujours dans une très-petite proportion avec son cautionnement.

Mais le rapport sous lequel cette disposition Vous intéresse essentiellement, c'est celui de l'économie; car quelle que fût la commission que vous jugeriez à propos d'accorder à la banque, elle ne serait jamais la dixième partie de ce que vous coûte aujourd'hui la chambre des comptes, les payeurs de rentes, et la quantité innombrable de caisses dont le royaume est couvert.

Je passe à la responsabilité du ministre des finances. Vous savez sans doute qu'elle n'existe plus en France depuis un siècle. Le successeur de M. Fouquet, effrayé de l'exemple de son prédécesseur, eut l'adresse de refuser le titre de surintendant des finances, se contenta de celui de contrôleur général, et la charge fut supprimée. Le surintendant avait la disposition absolue des revenus publics et de tous les agents du fisc; il signait les ordonnances sur le Trésor royal, et ré

pondait personnellement de l'emploi des fonds. Lors de la suppression de l'office, le Roi s'en chargea, et le contrôleur général se réserva seulement d'appliquer les recettes aux dépenses, de faire les distributions de fonds, et de diriger les opérations financières. Par cet arrangement, le contrôleur général, en prenant la signature du Roi, s'est trouvé déchargé de toute responsabilité directe. Pour rétablir d'une manière satisfaisante cette responsabilité, il conviendrait, je pense, de l'assurer par celle de la banque. La législature rendrait tous les ans un décret qui tixerait d'une manière invariable l'état des dépenses de l'année suivante. Elles seraient divisées en autant de parties qu'il y aurait d'objets bien distincts par leur nature, c'est-à-dire en vingt ou trente articles; et les administrateurs de la banque viendraient eux-mêmes recevoir cette loi, tous les ans, dans l'Assemblée de la législature, où on leur en ferait la lecture. On ferait ensuite celle du premier article de leur chartre, où il leur serait enjoint de se conformer à cette loi, sous peine de perdre la recette et la dépense des revenus nationaux. Le ministre des finances viendrait de même recevoir cette loi dans l'Assemblée,après la sanction royale. Chaque ministre signerait les ordonnances de détail de son département, jusqu'à la concurrence de la somme fixée par la législature. La banque connaissant la fixation de chaque partie n'acquitterait les ordonnances que dans cette proportion, et la nation aurait deux cautions pour une de l'observation de son décret. L'excédant des recettes sur les dépenses serait toujours connu, et à la disposition de la législature, excepté cependant les parties arriérées de la dette publique, qui devraient rester entre les mains de la banque, comme un dépôt sacré, à la disposition des créanciers de l'Etat.

La correspondance journalière pour l'acquit des dépenses et pour la fourniture des caisses, appartiendrait au ministre des finances, mais la banque cependant en aurait une immédiate avec les trésoriers des provinces, pour l'envoi qui lui serait fait de tous les revenus nationaux non employés sur les lieux, et pour la remise de toutes les ordonnances ministérielles acquittées dans les provinces pour le compte de chaque département; de sorte que, soit en espèces, soit en ordonnances acquittées, soit réellement, soit fictivement, la totalité des revenus nationaux serait perçue par la banque, et la totalité des dépenses acquittée par elle.

Les trésoriers provinciaux recevraient les ordonnances qu'ils auraient à payer, et leurs opérations seraient dirigées par un comité des assemblées administratives. Cela n'empêcherait pas qu'ils ne donnassent au ministre des finances, à sa volonté, un compte exact, et tous les renseignements nécessaires. Ils seraient en outre obligés, en faisant leurs remises à la banque, de distinguer les fonds provenant des différentes contributions, et la nature des dépenses qu'ils auraient acquittées.

Voici maintenant, Messieurs, les combinaisons sur lesquelles j'ai établi la formation de la banque, et le passage de la Caisse d'escompte dans ce nouvel établissement.

Il n'est pas exactement vrai de dire qu'une somme quelconque de numéraire soit nécessaire pour établir une banque. C'est bien le moyen que tous les fondateurs se sont donné pour être plus tôt en activité, et pour attirer le public, en lui présentant un gage de solidité. Mais ce n'est pas une donnée indispensable, surtout pour un

établissement dont la principale fonction est de se rendre caissier de la nation et du public. Si donc la situation des affaires et la circulation du papier-monnaie nous obligent aujourd'hui de renoncer à ce moyen, nous devons en chercher d'autres, et il s'en présente deux non moins efficaces c'est d'abord de détruire la circulation forcée, par le retrait et l'anéantissement des billets qui y sont employés, ensuite de donner naissance à une circulation, fondée sur la confiance bénévole, et sur les vrais principes du crédit.

Plusieurs raisons m'ont déterminé à fixer le capital de la banque à 300 millions, mais la principale est tirée de l'état actuel de la Caisse d'escompte, et de la nécessité de retirer ses billets de la circulation.

Il faut établir sa position:

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Cette somme ne doit point effrayer, il n'y a que 100 millions de nouveaux placements.

Les actions de la banque seraient au nombre de 75,000 et de 4,000 livres chacune. Les demiactions de 2,000 livres.

Pour lever une action de la banque, il faudrait donner une action de la Caisse d'escompte, ou 2,000 livres en effets désignés, et 2,000 livres en argent ou billets de caisse.

Les effets reçus avec somme égale en argent seront ceux-ci :

1° Les anticipations de quelque nature qu'elles soient, billets des fermes, rescriptions, assigna

tions sur les postes, etc., à quelque échéance qu'elles se trouvent ;

2o Les assignations suspendues par l'arrêt du conseil du 16 août 1788;

3o Les effets échus en remboursement, et suspendus par le même arrêt, de quelque nature qu'ils soient;

4° Les reconnaissances de la Caisse d'escompte sur lesquelles a été fait le prêt de 25 millions au mois de mars de cette année;

5o Les coupons d'intérêts des emprunts qui échoient dans les 6 premiers mois de l'année prochaine;

6o Les effets qui échoient naturellement en remboursement dans les 6 premiers mois de l'année prochaine;

70 Les effets qui sortiront en remboursement, dans les 6 premiers mois de l'année prochaine, dans les tirages qui doivent être faits suivant les édits de création des emprunts;

8° Les quittances d'arrérages des rentes échues au 1er janvier prochain, c'est-à-dire, non-seulement cux échus dans l'ordre actuel des payements à cette époque, mais même la totalité de l'année 1789, qui est réellement due au 1er janvier.

La banque conservera 50 millions de son capital dans ses mains, et elle prêtera à la nation 250 millions, dont 150 millions à 5 0/0, remboursables à l'expiration de la charte, et 100 millions à 5 0/0 remboursables à raison de 8 millions par an, à compter du 1er janvier 1790.

La banque remboursera successivement, et par la voie du sort, 25,000 de ses actions pour réduire son capital à 200 millions.

Pour cet effet, les actions seront divisées en 75 séries de 1,000 actions chacune, et il sera fait un tirage tous les semestres, à compter du 1er janvier 1791, après la répartition du dividende; de manière qu'au bout de 13 ans 1/2 les 50,000 actions restantes se trouveront seules propriétaires de la banque.

Les remboursements s'opéreront au moyen de ceux du capital remboursable, qui se feront aux mèmes époques, c'est-à-dire le 30 juin et le 31 décembre de chaque année.

Le dividende de la banque sera fixé à 6 0/0. L'excédant des bénéfices restera en caisse, ou dans la circulation de la banque, et formera un fonds d'accumulation. Lorsque ce fonds sera de 6 0/0 sur le capital de la banque, il en sera prélevé 5, pour être ajouté au capital, c'est-à-dire qu'alors les actions vaudront 4,200 livres, et le dividende sera de 126 livres par semestre.

Les souscripteurs pour 40 actions, et au-dessus, auront la faculté de ne réaliser que 1/2 au 1er janvier, 1/4 au 1er février, 1/4 au 1er de mars.

Pour donner le temps nécessaire pour opérer la liquidation des engagements de la Caisse d'escompte, et éviter les secousses que pourraient occasionner la cessation immédiate de la circulation de ses billets, il sera ordonné qu'ils continueront d'être reçus comme comptant dans toutes les caisses publiques et particulières de Paris, comme à présent, jusqu'au 1er avril prochain, époque à laquelle tous les billets alors en circulation seront payables à la caisse de la banque.

Il est à présumer que les espèces qu'elle a aujourd'hui lui permettront de payer partiellement de la même manière, et afors elle pourra continuer à escompter pour la valeur de ses rentrées, mais seulement du papier qui, sous aucun prétexte, ne passera 90 jours.

De son côté, la banque retirera de la circulation

les billets de la Caisse à mesure qu'elle recevra des espèces en payement de son capital.

La banque commencera le 1er janvier ses opérations. Elle se chargera des deniers des individus et des maisons de commerce qui voudront s'y faire ouvrir des comptes courants. Elle recevra la caisse du Trésor royal (1), des fermes, des postes, des domaines, des payeurs de rentes, etc., etc., en un mot, toutes les caisses des deniers publics à Paris, et celles des trésoriers des pays d'Etats, en attendant l'établissement des trésoriers provinciaux. Elle donnera même de ses billets contre argent, mais avec beaucoup de réserve; et pour les premiers mois, la banque ne fera aucun usage, à son profit, des espèces qui lui seront confiées.

Le bilan de la Caisse d'escompte sera fait le 1er janvier, et le dividende réparti à ses actionnaires, suivant les statuts; mais à compter de cette époque, les bénéfices appartiendront à la banque, qui nommera, parmi ses actionnaires, un comité de surveillance pour diriger les opérations de la Caisse jusqu'au 1er avril.

Il est clair que la Caisse d'escompte devra à la banque 200 millions pour valeur de ses actions et des 100 millions de billets qu'elle aura retirés de la circulation.

La Caisse lui remettrait en payement, le 1er avril.

1° La quittance de finance du prêt fait au Roi......

2o Les assignations sur la contributions patriotique......

3o En lettres de change de son portefeuille....

70,000,000 liv.

90,000,000

40,000,000

200,000,000 liv.

Je ne porte ici le portefeuille que pour 40 millions, par ceque la Caisse d'escompte aura retiré, avec son argent, le reste des billets, et qu'elle n'aura renouvelé les escomptes que pour la valeur de cette portion de ces rentrées, qui n'aura pas été nécessaire à l'acquit des billets; mais si, à cette époque, il en restait encore dans le public, la Caisse d'escompte garderait de quoi les payer, ou plutôt elle en remettrait la valeur à la banque, qui se chargerait de les acquitter. Les bénéfices résultant de l'escompte du trimestre seraient aussi remis à la banque; en un mot, tout l'actif lui serait dù.

La banque se trouvera donc, à cette époque, avec 300 millions.

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La nation lui donnera en échange un contrat national, portant intérêt à 5 0/0, payable par seinestre, et remboursable à l'expiration de la chartre de 150 millions, et 25 contrats à 5 0/0, remboursables de semestre en semestre, à compter du 1er janvier 1791, et de 4 millions chacun.

La nation payera à la banque, pendant les 5 premières années, 1/2 0/0 sur la recette des revenus nationaux, et 1/4 0/0 pendant les 5 premières années suivantes. A cette époque, la banque ne recevra plus aucune rétribution.

D'après ces dispositions, et en supposant que d'ici au 1er avril la banque ait réalisé son capital, il est évident que sans compter sur un denier provenant de la circulation de ses billets, elle pourra continuer à escompter pour la valeur de ses rentrées, c'est-à-dire pour 50 millions. Elle n'aura aucune espèce d'engagement qu'elle ne puisse remplir; il n'existera plus un seul billet de caisse dans le public; la circulation des espèces sera parfaitement rétablie. La banque, faisant ses rentrées en écus et ses escomptes en billets, ne tardera pas à acquérir une somme considérable de numéraire.

Il m'est impossible, Messieurs, de mettre sous vos yeux les développements et les observations qui peuvent fixer votre opinion sur ces combinaisons; je me suis attaché à y réunir tout ce que les circonstances présentes nous font désirer; j'ai désiré d'y concilier tous les intérêts particuliers avec l'intérêt national; je me suis attaché à des moyens doux et sans danger. Le nouvel établissement s'élèvera pendant le décroissement de l'autre, et l'aura remplacé sans suspendre aucune opération.

Une nouvelle circulation libre commencera à rappeler le numéraire ; il trouvera enfin un dépôt sacré, et la comparaison de cette circulation avec l'autre contribuera beaucoup à diminuer celle qui nous ruine; les changes étrangers en sentiront l'influence, et les pertes du commerce ne seront plus si fortes. La fixation du jour où il n'existera plus de papier-monnaie fera admettre la distinction des payements avant ou après ce jour; nos opérations commerciales reprendront leur vigueur, vous serez assurés des besoins de cette année, et vous serez rentrés dans la disposition de la contribution patriotique.

Quant au succès, Messieurs, il est infaillible, si vous voulez y concourir; les 4 mois accordés pour remplir le capital de la banque seront plus que suffisants. Avant l'expiration de ce terme, vous aurez rétabli l'ordre et l'équilibre dans les recettes et les dépenses de l'Etat; il est impossible que ce grand ouvrage ne soit pas bien avancé vers le commencement de mars, et vous jouirez alors d'un crédit dont vous serez étonnés.

Telles sont, Messieurs, les bases générales sur lesquelles vous pouvez commencer dès aujourd'hui le rétablissement des finances. Elles seront

inébranlables ces bases, parce qu'elles reposent elles-mêmes sur les principes les plus purs du crédit et de la foi publique: elles le seront, parce qu'elles auront pour appui tous les ressorts d'une constitution libre; car, Messieurs, vous ne devez pas être effrayés par l'exemple des malheurs de la Caisse d'escompte; elle était bonne dans son origine, mais elle n'a pu résister à l'influence d'un gouvernement arbitraire.

Les actionnaires de la Caisse d'escompte, qui doivent concourir à cette opération, qui formeront le tiers du capital en y portant leurs actions, y trouveront la conservation de leurs intérêts, et l'accroissement de leurs bénéfices; ils se reprocheraient sans doute de n'avoir pas épuisé toutes les combinaisons possibles, avant d'adopter des moyens qui prolongeraient notre embarras sans le diminuer.

Mais, vous, Messieurs, vous qui avez bravé tous les dangers pour acquérir la liberté, vous laisserez-vous entraîner, par l'embarras d'un moment, à sanctionner précipitamment des mesures qui perdraient votre commerce, et qui terniraient votre gloire aux yeux de toutes les nations voisines, en choisissant un moyen qu'elles ont réprouvé, quel abus ne serait-ce pas faire de notre inexpérience que de nous porter à engager la foi publique pendant dix, vingt ou trente années à un établissement pour un secours passager!

L'Angleterre, votre ancienne rivale, a soutenu avec courage les secousses les plus fortes; elle s'est chargée de taxes plutôt que de recourir à cet expédient perfide, dans les circonstances les plus désespérées, où ses campagnes de guerre lui coûtaient, tous les ans, près de 200 millions d'extraordinaire.

Elle épuisait ses ressources, et vous en êtes environnés.

Peu de personnes parmi vous ont été à portée de diriger leurs études vers ce genre de travail; mais avec le bon esprit, la sagesse et la droiture qui ont caractérisé toutes vos délibérations, on ne fait point d'importantes erreurs en aucun genre, et si dans le choix de vos moyens il vous arrivait de commettre quelques méprises passagères, vous ne tarderiez pas à les réparer; et tous ceux qui pensent que le salut de la France est attaché au maintien de la considération que mérite l'Assemblée nationale réuniraient leurs efforts pour vous justifier.

Vous n'avez pas dû, jusqu'à présent, vous occuper essentiellement de finances; environnés d'écueils et de piéges, il ne vous était pas permis de suspendre le travail d'une constitution qui devait sauver le royaume, en ralliant autour d'elle tous les esprits, si quelque événement funeste vous eût séparés. Vous avez dû vous attacher sans relâché à rétablir dans le royaume la paix et la tranquillité que des révolutions trop violentes, causées par vos ennemis, avaient troublées.

Aujourd'hui que l'organisation des municipalités va être achevée, aujourd'hui que plusieurs millions de citoyens sont prêts à défendre les principes de la déclaration des droits et de la constitution, vous trouverez sans doute convenable de partager votre temps entre la suite de la constitution et les finances, en commençant par fixer les dépenses de l'année prochaine, préliminaire indispensable à toute combinaison sur la recette et sur l'arriéré.

Vous verrez alors disparaître rapidement l'embarras momentané qui n'est résulté que d'une

injuste inquiétude; vous ferez taire toutes ces frayeurs si ridicules, qui pour une obstruction passagère se plaisent, et je ne sais par quels motifs, à présager une ruine totale.

J'entends dire de toutes parts que le crédit est perdu, et que nous ne devons pas prendre plus de temps pour décréter du papier-monnaie, qu'on n'en ferait, pour ainsi dire, à le fabriquer. Ah! méfiez-vous de ces alarmes insidieuses; examinez votre position, appréciez-en les avantages, et vos inquiétudes seront calmées.

Mais ce qui doit révolter le plus dans ces temps d'agitation, c'est de voir qu'on affecte surtout d'attribuer le mal qu'on suppose, à la révolution qui s'est opérée dans notre constitution politique, et qu'on cherche à jeter l'effet inévitable d'une crise violente, sur la conduite que vous avez tenue. L'inquiétude seule des esprits a pu donner quelque consistance à des idées contraires à toutes les notions du bon sens, repoussées par la saine théorie, démenties par l'expérience des nations. Mais cette erreur et cette malveillance ne peuvent pas être de longue durée, et tous les peuples reconnaîtront bientôt que les mêmes opérations qui fixent la constitution d'un pays, quị éloignent l'arbitraire de son gouvernement, qui fondent l'autorité publique sur l'intérêt de tous, sont aussi celles qui ouvrent dans son sein des sources inépuisables de prospérité, qui dégagent son industrie de toute espèce d'entraves, et qui donnent au crédit les véritables et les seules bases qu'il puisse avoir.

NOTE ESSENTIELLE.

J'ai proposé de recevoir seulement, dans le capital de la banque, pour un tiers d'effets désignés (p.404), et de mettre 250 millions entre les mains de la nation; mais si on trouvait cet objet trop considérable, on pourrait ne donner à la nation que les 150 millions qu'elle doit recevoir comme gage de responsabilité de la banque, et alors la banque garderait les 100 millions d'effets royaux pour en faire un dépôt particulier dont les intérêts èt autres bénéfices augmenteraient les profits de la banque. Par exemple, on joindrait à la liste des effets désignés (p.404), tous les emprunts sur le Roi, les contrats de rentes viagères sur les trente têtes de Genève, etc., etc. Cette opération serait très-avantageuse pour la banque, dont le fonds d'accumulation croîtrait alors avec plus de rapidité.

On pourrait encore, si on regardait comme indispensable de trouver dans la formation de cet établissement les 170 millions demandés par M. Necker, porter le capital de la banque à 350 ou 400 millions, à proportion des avantages que la nation procurerait à cet établissement, de manière à rendre son dividende de 6 à 7 0/0.

Je ne me suis attaché, dans mes combinaisons, qu'à rembourser la Caisse d'escompte des 90 millions qui lui sont dus par la nation, mais le principal objet a été le rétablissement de la circulation des espèces.

On peut varier les combinaisons en conservant ces deux points comme le but nécessaire à atteindre.

Je n'ai pas pensé d'ailleurs devoir m'occuper des besoins extraordinaires de l'année prochaine avant que l'Assemblée nationale eût consenti aux dépenses qui doivent y donner lieu.

M. de Cazalès. Le plan de M. Laborde paraît tellement important, il offre des détails si considérables, qu'il est impossible de l'avoir

saisi. Je demande qu'il soit imprimé, communiqué au premier ministre, et que l'Assemblée nomme dix commissaires pour l'examiner, et en rendre compte mercredi prochain.

M. Target. Il faut décréter en même temps que les commissaires conféreront aussi avec les administrateurs de la Caisse d'escompte, et qu'ils compareront le plan de M. Laborde avec celui de M. Necker.

M. le duc d'Aiguillon demande qu'un projet envoyé par M. l'abbé d'Espagnac au comité des finances entre aussi dans l'examen et dans la comparaison.

La motion de M. de Cazalès et l'amendement de M. Target sont décrétés.

La seance est levée à trois heures et demie. L'Assemblée se réunit immédiatement dans ses bureaux pour procéder à la nomination d'un président, en remplacement de M. de Boisgelin, archevêque d'Aix, arrivé au terme de ses fonctions, et de trois secrétaires.

La séance du soir est indiquée pour six heures.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. DE BOISGELIN, ARCHEVÊQUE D'AIX.

Séance du samedi 5 décembre 1789, au soir (1).

Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une adresse de la ville de Langres qui représente que la réduction du prix du sel a réduit, par contrecoup, des trois quarts le produit des octrois patrimoniaux; que cependant elle est exposée à de grands besoins; que les habitants des campagnes refusent de payer le prix des baux; que le chapitre de Langres fait adjuger la coupe de ses bois, dont le prix se porte à 50,000 écus; que les deux premiers payements doivent échoir à Noël et à Pâques prochain; que la ville demande qu'il lui soit permis de prendre en conséquence sur ces baux 40,000 livres pour pourvoir aux besoins de ses habitants, s'engageant à rendre cette somme dans un an.

L'Assemblée ne prononce rien à cet égard.

M. Prieur représente alors que plusieurs villes, entre autres celle de Châlons-sur-Marne, s'étaient adressées à M. le garde des sceaux pour obtenir qu'il leur fût permis de faire des emprunts pour pourvoir à la subsistance des habitants; que ces demandes avaient été renvoyées au comité des finances, et il insiste pour que le comité soit tenu d'en faire incessamment rapport à l'Assemblée.

M. le Président met la proposition aux voix; il est arrêté que le comité des finances fera son rapport à ce sujet jeudi prochain.

Le comité des recherches demande à faire un rapport urgent qui est relatif à la liberté de deux citoyens.

M. le marquis de Gouy-d'Arsy objecte que l'Assemblée a mis à son ordre du jour de la séance de ce soir la question de l'approvisionne

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

ment de Saint-Domingue. Il demande que l'ordre du jour soit maintenu.

M. le Président consulte l'Assemblée, qui donne la parole au comité des recherches.

M. le marquis de Foucault-Lardinalie, rapporteur. Au mois d'octobre dernier, M. de Sennemont, abbé de Blinières, fut dénoncé au commandant de la garde nationale d'Angoulême, par le comité de Blansac, comme porteur de lttres suspectes. M. de Bellegarde commandant, le fit arrêter sur la route d'Angoulême à Paris, et on le trouva chargé de quatorze lettres décachetées, excepté une, adressée par M. le marquis de Baraudin,chef d'escadre, à M. le marquis de SaintSimon, membre de l'Assemblée nationale. Cette lettre renfermait entre autres expressions de douleur (sur les journées du 5 et du 6 octobre), cette phrase: le cratère du volcan est dans l'Assemblée; je me réjouis de la fuite du duc d'O......; il ne reste plus à désirer que la chute de Mirabeau. M. de Baraudin est convenu que ces expressions étaient échappées à sa sensibilité; qu'au surplus, il avait donné des preuves de son patriotisme, elc. Il offrit et il prêta en effet serment de fidelité à la nation au Roi et à la loi.

Parmi les papiers saisis sur M. l'abbé de Blinières, il y avait un paquet de lettres écrites par M. le vicomte de Saint-Simon à madame son épouse; et ce paquet, après examen, avait élé scellé et déposé à l'hôtel de ville d'Angoulême.

Le comité jugea devoir rendre la liberté à M. l'abbé de Blinières, qui se retira à Angoulême avec M. le marquis de Baraudin; mais tous deux, craignant de n'être pas en sûreté, ont demandé une sauvegarde à l'Assemblée nationale.

Le rapporteur, après son exposé, propose à l'Assemblée un projet d'arrêté.

M. le marquis de Saint-Simon. Oui, Messieurs, j'ai écrit à mes frères les événements des 5 et 6 octobre, j'ai versé ma douleur dans le sein de leur amitié, mais peut-on douter de mon amour pour la liberté? J'ai été longtemps à la tête d'un détachement de 3,000 hommes contre lord Cornwallis qui en avait 20,000 et je crois avoir bien mérité de la patrie en défendant les Américains. Les lettres que j'ai écrites et celles qui m'étaient destinées ne sont point l'ouvrage de mauvais citoyens. Le comité devrait respecter le secret des lettres, comme il est chargé de le faire respecter par tous; cependant j'ai appris que ma lettre avait été décachetée, quoique sous le contre-seing de l'Assemblée nationale; je voudrais que l'Assemblée témoignât aux deux comités de Blanzac et d'Angoulême son étonnement sur leur conduite; je pourrais demander contre ces deux comités des condamnations plus sévère, cependant j'adopte entièrement l'avis du comité des recherches.

M. Briois de Beaumetz. Je suis indigné de la conduite du comité d'Angoulême. Il est affreux de voir les chefs de la cité et les gardiens des lois, remplir les viles fonctions de ministres du despotisme; il faut employer contre ces agents subalternes la maxime de la responsabilité. Il n'est pas un seul ami de la liberté qui ose défendre un procédé aussi illégal. A la lecture des pièces j'ai cru que c'était un registre de l'inquisition ou un livre de la Bastille. Je conclus à ce que le commandant de la garde nationale et tous ceux qui ont participé à cette violation de la

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