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ayant été accordée à la sollicitation de la garde nationale elle-même.

Quelques jours après, les bas-officiers de quelques divisions du corps de la marine portèrent au consul de Toulon une déclaration par laquelle, après avoir protesté de leur attachement et de leur soumission à la loi, à la nation et au Roi, ils jurent de s'opposer à toutes les insultes qui pourraient être faites à leurs chefs de terre ou de

mer.

Le consul fit part de cette démarche à M. d'Albert de Rioms, commandant pour le Roi de la marine de Toulon, qui y répondit en annonçant des vues de conciliation, qu'il désirait voir régner la paix entre les troupes de terre et celles de mer. Il ajoute que le signe national ne doit pas brouiller les citoyens entre eux; qu'il ne paraît pas que l'on doive dans ce moment y ajouter une si grande importance; que dans la chaleur de la révolution il n'eût pas été prudent d'empêcher les citoyens de le porter; mais que, le caline renaissant, cela paraît fort indifférent.

M. le consul pense qu'il était prudent de ne pas rendre compte à la garde nationale de la déclaration des bas-officiers de la marine, non plus que de sa correspondance avec M. d'Albert.

Mais la garde nationale, ayant su d'ailleurs le contenu de la déclaration des bas-officiers de la marine, en conféra avec M. le consul, qui se détermina à leur communiquer sa correspondance avec M. d'Albert.

Il fut alors arrêté que le consul se rendrait en députation, avec un grand nombre de volontaires de la garde nationale, auprès de M. d'Albert de Rioms.

Cette députation s'y étant rendue, M. d'Albert témoigna à M. le consul son étonnement de voir à sa suite des gens qu'il dit être de la lie du peuple. Le consul répondit que ces volontaires étaient des citoyens estimables, et qu'ils étaient honorés de la qualité de députés dans cette cir

constance.

L'objet de la députation était d'engager M. d'Albert à faire rendre satisfaction à la garde nationale de ce que la déclaration des bas-officiers de la marine avait d'injurieux, ou que du moins le sens en fût clairement expliqué.

Les choses n'ayant pu se concilier, il fut arrêté le 9 novembre, par la garde nationale, par le comité permanent et par la municipalité de Toulon, qu'il serait envoyé à l'Assemblée nationale une députation de trois personnes chargées d'exposer leurs griefs contre M. d'Albert.

Ils se plaignent entre autres faits de ce que M. d'Albert a voulu empêcher les travailleurs du port de Toulon de porter la cocarde nationale, de ce qu'il a autorisé les bas-officiers à manquer à la garde nationale, et de ce qu'enfin il lui a manqué lui-même en traitant les volontaires de la garde nationale de gens de la lie du peuple.

M. Hébrard conclut en persistant à demander l'ajournement qu'il a d'abord proposé.

M. le marquis de Vaudreuil. J'ai servi sous les ordres de M. d'Albert de Rioms et je puis attester hautement et sa valeur et sa prudence. La détention arbitraire de braves militaires qui n'ont fait que leur devoir est une atrocité que vous ne pouvez tolérer un seul instant, aussi je conclus à ce que le président se retire par devers le Roi pour le prier d'informer contre les auteurs d'un acte aussi coupable afin qu'ils soient punis suivant la rigueur des lois.

M. Ricard de Séalt, député de Toulon. Il n'est ni de la justice, ni de la sagesse de l'Assemblée de prononcer sur des faits sur lesquels ni les officiers détenus, ni le conseil municipal, ni le comité permanent, ni la garde nationale, ni le peuple, ne se sont fait entendre. Je demande l'ajournement jusqu'à l'arrivée du procès-verbal de la municipalité.

M. l'abbé de Bonneval. Comme frère de l'un des officiers détenus, je viens vous demander de faire prompte justice et de rendre sans retard à la liberté des militaires contre lesquels on n'a produit aucune charge. Je demnande, afin d'éviter le retour d'actes aussi coupables, que, par un décret, vous improuviez la conduite de la municipalité et de la garde nationale de Toulon.

M. Charles de Lameth. Le rapport du ministre ne dit pas les faits antérieurs à la détention des officiers et qui cependant doivent avoir une liaison essentielle. Ce sont des circonstances bien singulières que les disputes sur la cocarde nationale soient les mêmes et à la même époque, à Paris, à Versailles, à Marseille, à Toulon et dans d'autres villes frontières. Le projet d'arborer la cocarde noire était donc concerté et annonçait de tous côtés (une contre-révolution. Une cocarde est sans doute peu de chose en ellemême; mais elle devient un ornement respectable, dès qu'il est adopté comme le signal de la liberté. Je pense qu'il est nécessaire d'attendre de nouveaux écclaircissements et qu'il faut se défier des ennemis du bien public qui ne sont pas encore terrassés. Sans entendre juger prématurement M. d'Albert, dont j'honore le courage et les services, je pense qu'il ne faut pas condamner les citoyens de Toulon sans les entendre.

M. Malouet (1). Messieurs, après les détails que vous venez d'entendre, nous sommes tous fondés à nous demander ce qu'est devenu le gouvernement, l'autorité des lois, et sur quels fondements repose la liberté publique; qui commande enfin dans cet empire.

Certes, il est temps que l'on sache à qui l'on doit obéir, et qui est-ce qui a le droit d'ordonner, quelle est l'autorité qui nous protége, quels sont ses moyens, quelles sont les forces qui nous défendent, quelles sont celles qui nous menacent.

Deux officiers généraux, commandants à Toulon, les principaux officiers de ce département sont traînés dans des cachots par des citoyens armés, en présence d'une nombreuse garnison... Quelle peut être l'issue de cette subversion de toutes les lois, de tous les droits, de tous les principes? Quel est donc le crime du comte d'Albert et de l'état-major de la marine? Comment se fait-il qu'un homme qui a vieilli glorieusement dans les armes, qui n'est inférieur à aucun citoyen par son patriotisme, par l'élévation et la générosité de son caractère mais qui a sur beaucoup d'autres l'avantage et l'éclat de ses longs services; comment se fait-il qu'un tel homme et les officiers distingués qui sont sous ses ordres, soient traînés dans un cachot?

Quelles sont les mains criminelles qui ont osé se porter sur le représentant du Roi, sur les honorables défenseurs de la patrie? Quelle violence de leur part, quel crime public a pu motiver cet

(1) Le discours de M. Malouet n'a pas été inséré au Moniteur.

attentat? Une violence! un crime! Ils en sont incapables. Vous avez entendu, Messieurs, les motifs de cette violence du peuple, ou plutôt des scélérats qui le mettent en mouvement; car je dois rendre témoignage de l'honnêteté du patriotisme des citoyens de Toulon et de leurs magistrats; mais les furieux, les séditieux ne sont compris nulle part dans l'honorable liste des citoyens; ce sont leurs ennemis.

Les motifs de cette insurrection, Messieurs, les voici. Le commandant chasse de l'arsenal des maitres d'équipage insubordonnés; il veut maintenir une police exacte parmi les ouvriers; il veut préserver de toute atteinte le dépôt des forces navales qui lui est confié; et les ennemis, les coupables ennemis de la nation, persuadent aux ouvriers que c'est à eux à faire la loi; que tout acte d'autorité est désormais une injustice; que toute discipline est une insulte aux droits du peuple; que tout homme constitué en dignité ne peut avoir ni autorité ni dignité; que la liberté, entin, est le droit de tout oser: et voilà le peuple, si facile à séduire, à tromper, qui ignore que tous les désordres, tous les maux de l chie finissent par retomber sur sa tête; qu'il ne peut être un instant tyran, sans devenir bientôt esclave; voilà le peuple en fureur, et le commandant trainé au cachot. Eh! Messieurs, j'y serais dans cet instant avec lui, si j'étais à Toulon, ou les coupables seraient déjà punis. M. d'Albert n'a pas plus mérité que moi ces indignes traitements; et comine lui j'aurais chassé de l'arsenal ceux qui pouvaient en compromettre la sûreté.

anar

Mais je suppose que le commandant, le directeur général, le major général, le chevalier de Villages, le comte de Broves, que je connais tous pour des hommes pleins d'honneur et de zèle pour la patrie; je suppose que ce que je n'ai jamais vu de leur part fût arrivé à Toulon; qu'une injustice atroce, une violence criminelle eût été commise envers des citoyens : eh bien ! Messieurs, ce serait encore un attentat inouï, un outrage aux lois, à la paix, à la liberté publique, que d'avoir douté de votre justice, d'avoir puni sans mission, sans tribunal, la violence par la violence, d'avoir ému le peuple, et de l'avoir constitué juge de ses chefs.

Peuple sensible et bon, combien de noirceurs, de calomnies, de bruits faux et alarmants sont employés pour l'égarer, pour altérer son caractère !

Je suppose que les ouvriers de l'arsenal aient de justes griefs contre les officiers de la marine.

N'êtes-vous pas effrayés, Messieurs, de ces actes, de ces principes de dissolution de toute société? Quoi! parce qu'un homme et plusieurs sont offensés, ils pourraient s'assembler, s'armer et se venger! Les corporations et les milices viendraient impunément, malgré leurs officiers, malgré leurs magistrats, viendraient fondre dans la maison d'un commandant, l'attaquer, l'insulter, l'arracher à ses foyers, le trainer en prison. Eh qui voudrait être juge, administrateur, chef d'une telle société? Elle ne trouverait que des tyrans, elle se précipiterait elle-même dans les bras des tyrans, et le fer et le feu deviendraient les seules relations des différentes classes de citoyens. Et vous-mêmes, Messieurs, vous, les représentants de la nation, quel sort vous attend, si partout où les factieux peuvent pénétrer, leurs attentats sont impunis; si les injúrés particulières acquièrent toute l'énergie, toute la puissance des intérêts publics; si la liberté des actions des

écrits, des paroles, ne consiste que dans la fureur; si les promoteurs de séditions, les audacieux libellistes, qui outragent autant l'Assemblée par leurs éloges que par leurs calomnies, sont plus longtemps tolérés? Si cette coupable cohorte des ennemis publics n'est bientôt réprimée, craiguez, Messieurs, que les violences faites à l'administration ne se répètent sur la législation, craignez que tant d'atteintes portées à l'ordre public n'en détruisent les éléments, ou plutôt, Messieurs, bannissons toute crainte, et que le courage de l'honneur, de la vertu du patriotisme, qui s'est manifesté tant de fois dans cette Assemblée, devienne enfin redoutable aux méchants! Que l'ordre et la paix se rétablissent dans cet empire par la toute puissance des lois ! Qu'elles frappent enda sur les têtes coupables! Que le peuple, tranquille dans ses foyers, ne sépare plus la liberté de la justice; qu'il apprenne à respecter les chefs, à obéir à leurs commandements, et à se reposer sur ses représentants du soin de la chose publique. Que toute audace se taise ou soit punie! Que les mouvements populaires se calment, ou qu'ils soient réprimés! Que le pouvoir exécutif reprenne son action et sa vigueur! Qu'il existe par vos soins une autorité protectrice de la liberté et de la sûreté de tous !

Croyez, Messieurs, qu'il n'y a ni administrateur, ni officier public qui puissent remplir leurs devoirs et se mêler de gouvernement, tant que les faux principes auront plus d'autorité que les saines maximes de la raison et de la justice, tant que chaque partie du peuple se croira la nation, et autorisée comme elle à exercer la souveraineté, qu'elle ne peut exercer elle-même que par représentants; et cette liberté qui nous est si chère n'existera que lorsqu'il y aura un gouvernement: car la liberté des outrages et des violences de toute espèce est une affreuse servitude qui avilit, qui corrompt tout ce que nous voulons régénérer.

Eh! quelle erreur, quelle ivresse pourrait nous empêcher aujourd'hui d'avoir un gouvernement respecté? Qu'attendons-nous pour rendre au Roi le pouvoir qui lui appartient? Quel siècle, quel pays nous présente un monarque plus ami de la justice, de l'ordre et de la liberté! Quels ministres voulez-vous plus dociles que ceux-ci à la direction du Corps législatif, et quelle autre précaution désirez-vous contre les abus du pouvoir, que celle de la nation armée contre tous les abus? Arrêtons-nous donc enfin à un terme raisonnable; que l'expérience de tous les siècles, que l'exemple de tant d'empires renversés par l'anarchie, ne nous donnent pas de leçons inutiles : la législation est maintenant entre vos mains armée de toute sa puissance. Que le trône reprenne aussi sa véritable splendeur.

Que le roi des Français soit véritablement un grand monarque digne de tout notre amour; qu'il soit respecté et obéi pour notre sûreté; que la confiance renaisse parmi nous quand la force est au milieu de nous; que les municipalités fléchissent avec respect sous le pouvoir législatif et sous l'autorité royale. Si nous ne nous hâtons, Messieurs, de prendre ces mesures, nous n'aurons embrassés que l'ombre de la liberté; nous aurons tous les malheurs, tous les désordres de la licence; et la postérité nous reprochera les siens et ceux de la génération présente.

Je conclus à ce que le Roi soit supplié de procurer au comte d'Albert et aux officiers de la marine arrêtés la plus prompte justice des outrages qu'ils ont reçus; et, pour le maintien de

l'ordre public et de la sûreté de l'administration; je propose le décret suivant :

PROJET DE DÉCRET I

Le pouvoir exécutif suprême étant, par la constitution, déposé entre les mains du Roi, ceux auxquels Sa Majesté confie son autorité, n'en sont responsables qu'au Corps législatif et au monarque.

II

Il est défendu à toutes les municipalités, et aux différents corps de citoyens armés, d'intervenir dans aucun cas, autrement que par une requête ou pétition au Roi et au Corps législatif, dans les actes de l'administration royale qu'ils ne peuvent ni suspendre, ni troubler, sous peine, contre les infracteurs, d'être punis comme perturbateurs du repos public.

III

Toute insurrection à main armée contre les officiers, commandants ou administrateurs préposés par le Roi, sera punie suivant la rigueur des ordonnances.

IV

Il est enjoint auxdits commandants et administrateurs, de maintenir, de la part de leurs subordonnés, l'obéissance qui leur est due, et de faire exécuter les ordonnances militaires et règlements d'administration concernant la discipline et la police des corps et des individus soumis à leur autorité.

M. le baron de Menou. On vous a dit qu'il y avait à Toulon une insurrection véritable. Il s'agit de savoir quel en est le caractère et s'il ne s'agit pas d'une résistance légitime à l'oppression. J'appuie donc l'ajournement qui vous a été proposé.

M. Emmery. Je pense que toutes les opinions peuvent être conciliées et que l'Assemblée peut prononcer l'ajournement en ordonnant l'élargissement provisoire.

M. le marquis de Vaudreuil. Si l'Assemblée adopte cette motion, je demande que le mot provisoire en soit supprimé et qu'après le mot détenus, on ajoute celui d'illégalement.

M. le vicomte de Mirabeau. La motion de M. Malouet doit avoir la priorité et je demande à l'appuyer. (Voy. annexée à la séance, l'opinion de M. le vicomte de Mirabeau.)

Plusieurs voix : L'heure est avancée, aux voix, aux voix !

M. le Président consulte l'Assemblée qui ferme la discussion.

Les amendements sont successivement mis aux voix et écartés par la question préalable.

Plusieurs membres veulent encore parler, mais l'Assemblée demande à aller aux voix avec tant

d'instance et de vivacité que toute difficulté cesse et le projet suivant est ratifié.

« L'Assemblée nationale charge le comité des rapports de prendre les instructions les plus précises sur tous les événements qui ont eu lieu dans la ville de Toulon et ajourne la délibération jusqu'au moment où les instructions seront acquises; et cependant son président se retirera vers le Roi pour demander à Sa Majesté qu'elle donne les ordres nécessaires pour que les officiers détenus soient mis en liberté sous la sauvegarde de la loi ».

M. le Président lève la séance, et l'ajourne à demain matin neuf heures.

ANNEXE

à la séance de l'Assemblée nationale du 7 décembre 1789.

M. le vicomte de Mirabeau (1). J'ai dit, Messieurs, que je regardais, non-seulement les auteurs et les instigateurs de l'émeute populaire qui a eu lieu à Toulon le 30 novembre, mais encore ceux qui, pouvant s'y opposer, ne l'ont pas fait, comme perturbateurs de l'ordre public et criminel à la fois, de lèse-nation et de lèse-majesté; j'ai offert d'en administrer les preuves, et je les tirerai du procès-verbal même qu'ils ont rédigé et dont on nous a fait la lecture; j'ai dit que le mémoire fait par les trois députés de Toulon, qui sert de commentaire aux pièces justificatives, et qu'on vient de vous présenter, était un libelle, e il suffit, pour s'en convaincre, de le comparer avec les lettres et procès-verbaux, la manière dont il altère et dénature les faits qui paraissent aux auteurs contraires à leur objet; les qualifications qu'il donne aux expressions simples et mesurées des lettres de M. d'Albert, le rapprochement de deux événements absolument distincts et étrangers l'un à l'autre, l'espèce de diatribe indécente qu'on s'y est permis contre l'honneur et l'esprit militaire; tout a dû vous convaincre de la justesse de la qualification que je donne à cette étrange production.

Je n'ajouterai rien à ce que les préopinants ont dit des services éclatants, des vertus et du mérite

(1) J'avais demandé et obtenu la parole dans la séance du soir du 7 de ce mois, lorsqu'on a rapporté l'événement incroyable qui a eu lieu dans la ville de Toulon; mais l'Assemblée a jugé à propos de fermer la discussion et d'ajourner le jugement de cette affaire, avant que mon tour de parler fût venu; je n'étais assurément pas de l'avis de l'ajournement; mais je sais que dans toute assemblée délibérante la minorité est liée par le Voeu de la majorité, et je n'ai pas l'intention de réclamer contre le décret, cependant plusieurs de mes collègues qui veulent bien prendre quelque intérêt à moi, et dont je prise l'estime, m'ont reproché d'avoir mis trop de chaleur dans cette occasion, et j'avoue que ma seule réponse a été que je ne pouvais qu'être surpris de n'avoir pas vu l'indignation que j'avais éprouvée, devenir un sentiment général; je crois leur devoir, je dois à l'Assemblée, dont j'ai l'honneur d'être membre, je me dois à moi-même de motiver ce sentiment qui a pu paraître exagéré, et pour remplir cet objet, je ne ferai que donner à ce que je me promettais de dire en cette occasion, toute la publicité possible. Personne ne croit plus que moi à la liberté d'opinions, et je vais tâche de le prouver de mon mieux.

personnel du général, qui est la première victime de l'effervescence populaire qu'on dénonce à à votre justice; ceux mêmes qui ont paru lui être contraires n'ont pu que répéter son éloge; J'ajouterai seulement que, témoin de plusieurs de ses exploits, honoré de son amitié et de ses bontés, je saisis cette occasion de lui offrir un nouveau tribut public d'estime, de respect et de reconnaissance.

On vous a dit, Messieurs que le siècle était passé où les belles actions tenaient lieu des bonnes. M. d'Albert n'est assurément pas dans ce cas : il a fait de belles et bonnes actions (et en grand nombre), mais il n'en a jamais fait une mauvaise, je détie son plus acharné détracteur d'en articuler une seule; et j'avoue qu'un rapprochement bien cruel s'est fait dans mon imagination au moment où j'ai reçu l'affligeante nouvelle de sa détention: Eh quoi! me suis-je dit, dans la même province où on lapidait, il y a un an, un prélat septuagénaire, frère du héros de nos jours qui fait le plus d'honneur à sa patrie, du valeureux bailli de Suffren, on jette dans un cachot aujourd'hui, son ami, son compagnon d'armes, son émule en vertus et en exploits! Cette réflexion, cruelle pour tout bon citoyen, doit l'être davantage pour un de leurs compatriotes; les regrets de ce peuple trompé expieront bientôt ses erreurs, mais effacera-t-on de nos annales ces traits qui sont des matériaux trop nécessaires pour l'histoire du siècle et pour celle des hommes de tous les temps?

Revenons à l'objet de notre discussion; veuillez, Messieurs, vous rappeler tous les faits dont on a mis successivement le narré sous vos yeux : le premier est un événement absolument étranger à M. d'Albert, à la marine et à la dernière émeute; un officier d'infanterie se présente à une porte, sans uniforme, armé d'un fusil de chasse; il porte une cocarde noire, sur les dimensions de laquelle en a fort insisté, en oubliant toutefois de faire mention d'une petite qui y était jointe et qui était nuancée des couleurs que la nation a paru adopter; c'est un fait constaté par le procès-verbal. Un volontaire qui n'avait, qui ne pouvait avoir la consigne de vérifier si chaque passant était porteur d'une cocarde, l'arrête, le menace: l'officier, jeune et vif, a le tort, peut-être bien pardonnable, d'oublier que la qualité de sentinelle est la sauvegarde de celui qui l'insulte; il repousse la menace par la même arme; son camarade, qui est à deux pas, intervient; il demande et obtient la liberté du jeune chasseur, qui cependant est mis en prison à la suite de cette affaire, par ordre du commandant de la province. Cette aventure, bien simple, et qui s'est terminée même d'une manière fort honorable pour la milice nationale de Toulon (car la grâce de l'officier a été demandée par elle), à été liée dans le libelle qui vous a été présenté avec la dernière affaire. On vous a dit que M. d'Albert de Riom avait tenu des propos injurieux à cette cocarde à laquelle on a attaché l'idée de liberté qui a opéré la révolution actuelle; aucune partie des procès-verbaux ne constate ces propos. On trouve dans une des lettres de M. d'Albert des réflexions infiniment sages sur cet objet. On s'est plu à les changer, à les interpréter et à les dénaturer. Veuillez vous les rappeler : « Ce signe (la cocarde), dit M. d'Albert, n'appartenait autrefois qu'aux seuls militaires; un moment d'effervescence l'a fait adopter indistinctement par tous les citoyens; mais ce moment passé, il me semble, ajoute-t-il, qu'il est inutile et peut-être dangereux d'établir à cet égard une inquisition gênante.» Je

ne vois dans cette opinion que celle d'un ami de la paix, de l'ordre et de la liberté; et on a beau vouloir établir une connexité entre la cocarde portée par un officier d'infanterie à Toulon, et celle qu'on a proscrite à Paris et à Versailles, chercher à alarmer les esprits inquiets sur une combinaison dont personne n'a les données, sur le fil d'une conspiration dont on nous effraye sans cesse, sans preuve et même sans probabilité; nous répéter sans cesse les mots d'aristocrate et d'aristocratie sans les entendre (1); je ne verrai dans la conduite de M. d'Albert que celle d'un homme irréprochable et digne de notre estime; dans sa lettre, que les expressions honnêtes et mesurées d'un homme en place, qui désire maîtriser les événements par sa prudence. Sa conduite, relative à la demande faite aux consuls par les canonniers matelots de deux divisions de la marine, est marquée au même coin, celui de la prudence et de la sagesse; il s'assure de l'approbation des consuls avant de donner la sienne, et ce n'est que sur la lettre de M. Roubaud, qui leur donne des éloges, qu'il se permet d'approuver leur démarche; mais dès ce moment il ne veut, ni ne doit revenir sur ce qu'il a fait.

:

Poursuivons je me surprends trop souvent à m'interrompre pour rendre la justice due à l'innocence opprimée. Deux maîtres d'équipage sont renvoyés de l'arsenal, justement sans doute, puisque ceux mêmes qui se sont adressés au général n'ont imploré que sa clémence et non sa justice. Une députation se rend à l'arsenal, accompagnée d'un peuple nombreux et ameuté. M. d'Albert, qu'on avait averti de cette effervescence, qui malheureusement est presque toujours calculée et prévue, avait donné ordre que les troupes de la marine fussent prêtes à marcher. C'était encore un acte de prudence, et comme il devait prévoir qu'il serait requis par les officiers municipaux de déployer la force militaire pour arrêter le désordre, plus dangereux dans une ville de guerre et aux portes d'un arsenal que partout ailleurs, la précaution de maintenir ses troupes dans leur caserne était celle d'un homme sage; dès qu'il crut ce tumulte apaisé, il changea ses premiers ordres, et cinquante hommes seulement restèrent sous les armes. Ce sont ceux qui, commandés par M. de Broves insulté, portèrent les armes sur son commandement; on vous a dit, Messieurs, relativement à cet épisode particulier, mais que l'on a cousu à l'événement général, parce qu'il fallait charger les circonstances et aggraver celles qui paraissaient à la charge des officiers; on vous a dit que lorsqu'on commandait à une troupe de porter ses armes et que ce n'était pas pour rendre un honneur, ce ne pouvait être qu'avec une intention hostile; s'il est permis à quelqu'un qui sert depuis 20 ans dans l'infanterie de contredire une pareille assertion, avancée par un militaire, je lui dirai que, quelque mouvement qu'on veuille faire faire à une troupe, il faut préalablement lui faire porter les armes quand elle est reposée dessus, et que si l'on veut jeter les yeux sur le procès-verbal, on verra que M. de Broves voulait se transporter à l'hôtel de la marine avec sa

(1) Le mot aristocratie dérive de deux mots grecs, dont l'un, aristos, veut dire le plus sage, et l'autre, krateiô, signifie gouverner; ainsi le mot que l'on regarde comme odieux ne veut dire autre chose que le gouvernement du plus sage. Je doute que ce soit l'interprétation que donnent à cette expression ceux qui s'en servent,

troupe et qu'il fallait bien lui commander préalablement de porter ses armes. Quoi qu'il en soit de ce petit événement étranger à l'autre, sur lequel on s'est cependant fort appesanti dans le mémoire et dans les opinions contraires à M. d'Albert. revenons à ce qui se passait au même moment à l'hôtel de la marine: la députation du corps municipal et de la milice bourgeoise demande la grâce de deux maîtres renvoyés; elle est d'abord refusée par le général, qui motive son refus sur les conséquences qui peuvent résulter d'une pareille condescendance. Les députés insistent, et la grâce fut accordée. Malgré cela le tumulte augmente. Le général envoie un officier pour requérir la promulgation de la loi martiale: elle est refusée; M. de Bonneval, officier aussi recommandable par ses vertus que par ses longs services, est blessé, son épée est cassée dans son fourreau, preuve certaine que ses dispositions n'étaient assurément pas hostiles; les chefs de la milice bourgeoise veulent contenir leurs troupes, mais ils n'en sont pas les maîtres, l'hôtel est investi, attaqué, emporté, trois généraux et deux officiers supérieurs de la marine sont traînés au cachot, d'où on les fait sortir pour les tenir dans une prison, où on laisse au général l'ombre insultante du commandement. M. de Bonneval, blessé, est confondu dans le même hôpital que ses matelots, et on lui refuse la consolation d'être soigné au sein de sa famille tirons le rideau, Messieurs, sur cette scène d'horreur (1), mais plaignons un peuple aveugle qui prend la licence pour la liberté; sévissons, Messieurs, contre les auteurs et les instigateurs de pareils troubles; ce sont les vrais ennemis de la liberté ; ils cherchent à en dégoûter par l'excès du désor dre et de l'anarchie; je suis bien loin de vouloir solliciter un jugement particulier, car je sais que nous ne formons point un tribunal, mais je demande que votre sagesse et votre justice s'occupent de quelques points généraux, essentiels et capitaux, et principalement de donner quelque activité au pouvoir exécutif. Vous m'avez rappelé à l'ordre, Messieurs, le jour où j'ai dit à l'Assemblée que si nous sapions les fondements de l'autorité royale, nous anéantirions la plus belle monarchie du monde; rappelez-vous, Messieurs, que ce fut à l'époque du 5 octobre, et dans la séance qui fut prolongée jusqu'au jour qui succéda à cette nuit désastreuse et qui éclaira tant d'horreurs. Veuillez vous rappeler que, depuis, les ministres n'ont pas manqué une occasion de vous dire que leurs moyens pour faire respecter vos décrets et l'autorité du monarque étaient presque nuls: tous ont été dénoncés et accusés sans preuve, sans motifs; il n'y a presque point de régiment intact: il vient (2), dit-on,

(1) Je n'ai pas cru devoir parler de la querelle particulière avec les volontaires de Toulon. M. Malouet l'a expliquée beaucoup mieux que je ne pourrais le faire en disant qu'ils étaient composés en partie d'ouvriers de l'arsenal, et qu'on s'accoutume difficilement à se voir obligé de respecter l'être qui nous était subordonné une demi-heure auparavant.

(2) Dans presque tous les régiments il est question de motion, d'assemblée, de comité, etc. Un capitaine de vaisseau, revenu il y a peu de temps de l'Inde, m'a assuré qu'à la rentrée de sa troupe dans la caserne à Brest on lui avait demandé si quelqu'un avait des griefs contre son capitaine. Sur la réponse négative, on leur demanda: « Vous a-t-il donné du pain frais tous les jours? » Nouvelle réponse négative (on sait que cela est impossible). « Il ne vous a pas donné

d'en passer un tout entier à l'étranger; il n'en est pas un seul où on ose sévir contre les réfractaires aux ordonnances militaires; l'aventure arrivée à Brest, celle d'Arras étaient le prélude de celle de Toulon; le nombre des accidents de ce genre est incalculable, et si vous ne venez au secours de la chose publique, en redonnant du ton et de l'énergie au pouvoir du monarque, si vous ne rendez à la discipline militaire son activité, si les agents du pouvoir exécu tif ne sont pas réintégrés dans leur entière autorité, le printemps prochain trouvera le royaume de France saus armée, sans vaisseaux et sans défense. Personne n'est plus porté que moi à croire à la valeur d'un citoyen qui défend ses foyers; mais personne ne croit moins à la bonne formation d'une armée non disciplinée, point exercée et sans expérience; je sens toute la défaveur qui appartient de droit à une opinion aussi contraire aux idées reçues en ce moment, mais rien ne m'empêchera de dire la vérité lorsque je la croirai utile, et jamais il n'a été aussi nécessaire de la dire et plus encore de ne la pas repousser; d'après toutes ces considérations, je propose à l'Assemblée le projet d'arrêté ci-des

sous :

« L'Assemblée nationale, considérant que, si la liberté affermit les empires, la licence les détruit, principe qu'elle a déjà consacré dans le préambule de la loi martiale; ouï le rapport de l'événement affreux qui a eu lieu à Toulon le 30 novembre; désapprouvant la conduite tenue par les officiers municipaux et de la garde nationale de cette ville; déclarant l'emprisonnement des officiers généraux et supérieurs de la marine illégal, leur détention injuste; ordonne l'élargissement desdits officiers; leur réserve toute action contre les officiers municipaux et de la milice bourgeoise, qui resteront suspendus de leurs fonctions; et pour conserver ses principes a décrété et decrète, etc. »>

Les dispositions de mon projet de décret étaient conformes à peu près à celle de M. de Malouet; mais je m'en suis référé aux siennes, ayant beaucoup plus de confiance dans les lumières de cet excellent citoyen, dont j'estime la probité et respecte les talents, que dans mon inexpérience et mon peu d'habitude à traiter de pareilles matières.

NOTA: Un courrier, arrivé aujourd'hui de Toulon, nous a appris entre autres suites des précédentes horreurs, que le père de M. d'Albert, âgé de 83 ans, s'étant présenté aux geôliers de son fils pour obtenir la permission de le voir, ils lui répondirent: « Vieillard, vous êtes bien âgé; mais votre fils est plus vieux que vous. » Cōnnaissez-vous, Messieurs, un pareil raffinement de barbarie ?

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